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DU MEME AUTEUR.
ÉTUDE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES DU P. LE MOYNE (1602-1671).
Paris, Picard, 1887. Un volume in-8° de 568 pages, avec portrait héliogravé
Dujardio fr. 4-00
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UNE LETTRE INEDITE DU P. LE MOYNE A JEAN ELZEVIER,
avec fac-similé en phototypîe (Munich)^ publiée et annotée, Paris, Picard, 189 r.
Brochu:e in-80 de 15 pages fr, 1-50
UNE LETTRE AUTOGRAPHE DU P. LE MOYNE, RETROUVÉE
AU MUSÉE DE CHAUMONT, publiée et annotée, Paris, Picard, 1894.
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SAINT LOUIS DE GONZAGUE ÉTUDIANT. A propos de son troisième
centenaire (isçi-t8çi), Paris, Desclée, 1891. In 8** orné de nombreuses gravures dans
le texte et d'une héliogravure Dujardin fr. 2-00
LA PREMIÈRE JEUNESSE DE LOUIS XIV (1649-1653), d'apr}s la
correspondance inédite du P. Charles PAULIN, son premier Confesseur. Paris,
Desclée. Un volume in-8° de 194 pages, illustré de nombreuses gravures.
Broché : 2 fr. ; reliure toile et tranches dorées : 3 fr. 60 (Remise par nombre).
UN APOTRE DES HOMMES DE LA GRAND'ROUTE. LAbbé Hippolyte
Clabaut (iS^j-iSçj), In-32 de 32 pages. Amiens, Rousseau- Leroy . . fr. 0-50
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LA LEGENDE DE NOTRE-DAME DE BOULOGNE. Poème. Deuxième
édition, revue. Paris, Retaux, 1894. In-18 de 35 pages fr. 0-50
LA CONVERSION D'AUGUSTIN THIERRY. A propos du centenaire de sa
naissance^ célébré le 10 novembre i8q^. Avec pièces justificatives et Lettre du Cardinal
PERRAUD, évêque d'Aulun, membre de TAcadémia Française. Paris, Retaux, 1895.
Grand in-8« fr. 1-00
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3°^® Série.
HENRY DE BOURBON, PRINCE DE CONDE,
ET SES FILS,
LOUIS, DUC DENGHIEN, ET ARMAND, PRINCE DE CONTI.
René PALLIOT leur PRéSENTE UN DE SES OUVRAGES SDR LA VILLE DE DlJON.
(D'aptts Grégoire Hurel. — Vairpags ror, noU î.)
OT
/ \ *^ IN *— ' *-^ JL
''•4NS un ouvrage d'histoire narrative reHé jusqu'ici le
modèle du genre, un grand écrivain de ce siècle formulait
au terme de son ceuvre celle pensée que chacun de ses Récits,
malgré leurs détails et leurs traits individuels, « ont tous
un sens général facile à exprimer pour chacun d'eux '. >
, ^ JVous osons dès le début de ce modeste volume nous laisser
prendre a un espoir semblable. Des trois études qui le composent chacune
présentera son caractère distinct.
Louis II de Bourbon, à Sainte-Marie de Bourges, c'est l'éducation
austère, loin de la capitale et de la cour, dans un collège de province et
un hôtel féodal, d'un enfant de race royale appelé par son nom et son
talent précoce à exercer d'emblée un premier rôle dans V Etat. Sous la
double action d'une impérieuse volonté paternelle et d'un constant dévoue-
ment religieux, le grand Condé perce déjà dans le duc d'Enghien, l'aigle
dans l'aiglon.
Henri-Jules de Bourbon, son fis, à son tour duc d'Enghien, est un
personnage moyen. Le tableau de son éducation agitée et incomplète donne
l'idée du trouble jeté par la Fronde dans la vie de collège en France, et
de la rivalité qui divisait en Flandre jésuites et universitaires. Il appar-
tient à cette génération du roi Louis XIV qui, grandie au milieu des
guerres civiles, y perdit en formation intellectuelle '.
Louis III, duc de Bourbon, offre un contraste achevé avec le duc
d'Enghien, son père, et le prince de Condé, son aïeul. Elève du collège le
plus brillant du Paris d'alors, il s'y éprend de cette culture littéraire
toute classique et unpeu raffinée, oit vers latins et devises inspirent, avec
les exercices de déclamation publique et de diction, l'amour de la belle
antiquité et le bon ton de l'honnête homme.
Mais à côté des traits particuliers de ces trois physionomies, un air de
famille se retrouve et un cadre identique les entoure, quienfont un groupe
unique et ne permettent pas de séparer ceux que la ressemblance de leur
éducation rapproche et unit sans les confondre.
Le premier de ces traits généraux est l'éducation commune. Au lieu
de s'iioler des enfants de même âge et de condition différente, pour se
retrancher derrière l'étiquette de leur qualité et fuir le contact de leurs
\: Augjslin Thierry, Redis m-.'roringieTti, fin du sixième 'écit.
3. Voir notre ouvrage ; La première jeunesse de Louis XIV (t64q-t6s3), d'apris la coirespon-
datu* inédite du P. Ch. Paulin, lOH premier confesseur . 1891. In-S° illustré.
8 PRÉFACE.
iiiférietirs, ces trois princes du sang font leurs études dans les mêmes
maisons queux et sous les mêmes maîtres ; ils ne craignent pas de frayer,
en Berry, avec les fils des nobles et des bourgeois ; à Namuret à Anvers,
avec cetix des armateurs et des marchands ; à Paris, avec ceux des parle-
mentaires et des artisans. Ils se mêlent à tous ces compagnons, franche-
ment, pleinement, prenant leur part entière de leurs labeurs comme de
leurs divertissements. C'est le plus haut exemple d'égalité scolaire donné
en notre pays au dix-septième siècle et dans sa société hitrarchiqtie.
Autre trait qui convient aux trois figures esquissées : des études sérieuses
de belles-lettres sont couronnées par plusieurs années d'une culture scienti-
fique et philosophique aussi intense que prolongée, poursuivies même
aii'dclà du collège et indéfiniment contimiées, grâce à la présence de
maîtres devenant conseillers et directetirs, aumôniers et amis, là oii ils
71 avaient été cT abord que précepteurs.
Ces trois princes enfin, nourris dans la connaissance et V amour de la
religion, n échappèrent jamais totalement à son influence à la fois sévère
et dotice. Les croyances de letir enfance survécurent à toutes les crises
morales, prévinrent ou. enrayèrent les plus dangereux écarts, et prépa-
rèrent pour le plus illustre d'entre etix son retour ati Dieu du berceau qui
fut aussi le Dieti de l'âge 7nûr et de la tombe.
La méthode employée dans la composition de ce livre repose sur V emploi
d un seul procédé : le recours presque exclusif aux sources originales, la^
plupai't encore inédites, et aux témoignages directs des contemporains. Si
nous avons pu réaliser en partie ce rêve de tout chercheur consciencieux,
nous avons V honneur d'en être redevable à Véminent académicien, auteur
des Princes de Condé pendant les XVI^ et XVII® siècles. Par sa façon
loyale d'entendre V histoire et son art savant de la peindre. Monseigneur le
Duc cfAumale uous avait montré une voie demeurée sans lui inaccessible.
Grâce atix libres recherches que sa bienveillance nous a facilitées aux Ar-
chives de Chantilly, il nous a permis d essayer quelques pas sur ses brisées.
Après lui, la 7neilleure expression de notre reconnaissance revient de
droit à M. G. Maçon, archiviste du château, pour ses intelligents conseils
et sa parfaite obligeance : à M. le comte Athanase de Guitaut, descendant
d'un ami de Coudé et possesseur de sa correspondance conservée à
Epoisses ; à M. H. Boyer, archiviste départemental du Cher ; au R. P.
V. Baestc7i, directeur des Précis historiques de Bruxelles ; au R. P.
y.'B. Van Meurs, archiviste gé^iéral de la Compagnie de Jésus, et, en
premier rang, à M. Léopold Delisle. Les précieuses cominunications de
l'administrateur de la Bibliothèque nationale nous ont fourni quelques
renseig7iements, parmi les pltis neufs, de ce travail surtout documentaire.
Paris, 25 août 18^5.
En la fête de Saint Louis, roi de France.
H. Chérot, s. J.
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ïjîipitrB Premier.
"^ — ' »■ A &. A-i- A. &. À. A. &. S~A. A, A, ^ A. i. é. «JTVY
L'ENTRÉE A SAINTE-MARIE DE BOURGES.
(Janvier 1630.)
t Dans lliisloire des hommet tap^rienn,
lien n'attire comme leurs connnencEinenlt.
On aime ï voii poiniire ces lumièrei encore
mêl6:s d'ombie, el à surprendre sur les fronts
prédestinés ce premier layoD, (]ui n'est pas
et le gage, t
(Gilbert, £lff£t di Vauv*narguii.)
lOUis DE Bourbon, duc d'Enghien, né à Paris, le
8 septembre 162 1, n'avait pas encore cinq ans accom-
plis lorsque, < le mardy cînquiesme du moys ' >
(mai 1626), la cérémonie de son baptême fut célé-
brée à Bourges. « Les parrain et marraine n'avoient
que faire de respondre pour luy, aîns luy-mesme
foisoit toutes les responses requises en ce sacre-
ment *. > L'éminent écrivain auquel nous devons
XHistoire des princes de Condé, ajoute à ces détails, tirés des registres
de la ville, que le petit prince dit sans hésitation tout le Credo en latin.
C'est que déjà cet enfant avait eu des maîtres.
Sa dernière station, lors de son entrée solennelle dans la cathédrale
Saint-Etienne, au jour de son arrivée (samedi 2 mai), avait eu lieu
< devant le colége des Pères Jésuistes, lesquels ayant basty ung portail
en travers de la rue remply de quantité d'emblesmes, d'anagrammes,
d'inscriptions pour les curieux, avoient aussy à costé, pour le contente-
ment de ce jeune Prince, faict dresser un téâtre sur lequel ils firent
faire une petite action pleine de réjouissance et d'allégresse, qui ne le
1. Archives de la ville de Bourges avant rjSç. par M. Henry Jong'eux. Bourges, 1877. In 8,
t. II, p. 203, et l'Ordre tenu par Messieurs de l'Unii-etsili el ojficiers d'icelle, en la riieption dt
Mgr le due d' Anguien tn ceitt ville de Bourges^qui fut li ^ may 1636.
2. Jdid., p. 206.
12 LE GRAND GONDÉ.
retinst beaucoup en son voyage ' :^. Mgr le duc d'Aumale nous apprend
que quelques-uns des Pères de la Société avaient donné ses premières
leçons au précoce écolier *.
Gouverner, . c est prévoir. Depuis plusieurs années, Henri II de
Bourbon-Condé, gouverneur du Berry, père du duc d'Enghien, songeait
à cette éducation. Il la confierait aux Jésuites de sa bonne ville de
Bourges ; mais dans quelles conditions ? Les circonstances lui suggé-
rèrent une combinaison heureuse pour tous. Par bulle du 29 décembre
1621 3, le pape Grégoire XV avait sécularisé labbaye régulière de
Déols en faveur du prince, à charge d en employer les vastes revenus
à l'érection d'une collégiale séculière et aussi d'un collège de la Compa-
gnie de Jésus, à Châteauroux. La dotation de la mense serait de six
mille livres de rente ; celle du collège de quatre mille. Mais les Jé-
suites, peu désireux de se faire à si courte distance, les concurrents de
leur propre collège Sainte- Marie de Bourges par « le divertissement
des Ecoliers d'iceluy ^», estimèrent plus avantageux d'y transférer la
rente promise ailleurs. Cette maison, riche déjà de cinq à six cents
écoliers ^ tirait son importance spéciale de l'Université de Bourges, à
laquelle elle avait été incorporée dès 1575. Depuis le 19 juin 1619, les
Jésuites de Sainte-Marie composaient même seuls la Faculté des Arts,
et le recteur du collège était le recteur de cette Faculté ^ Restait à le
transformer en collège de plein exercice, sur le modèle de ceux de
Lyon et d'Avignon. La fondation d' € ung cours de théologie, composé
de quatre lecteurs en théologie et ung lecteur en langue hébraïcque '>,
réaliserait sur ce point les prescriptions de l'Institut et les désirs du
Prince.
A personnel accru, il fallait bâtiments agrandis. Dès 1615, un plan
de reconstruction avait été projeté par le frère Etienne Martellange, le
célèbre architecte de la Flèche ^ Il sommeilla jusqu'en 1627, année de
la transaction de Déols. Aux termes de cet acte, M. le Prince donne la
somme de douze mille livres une fois versées € pour estre employées à
l'édification, ampliation et augmentation du collège... plus embelli et
plus au large 1^. Après de lentes négociations avec le général de l'Ordre,
Mutius Vitelleschi, les parties étaient tombées d accord. Les Pères se
tenant, lit-on dans le même acte, € contens, bien payés et satisfaits >,
s'obligent à « faire faire un corps de logis... le plus convenable et... le
1. M. Jongleux,p. 194.
2. Histoire des Princes de Condé pendant les seizième et dix-septième siècles^ par Mgr le duc
d'Aumale. Paris, 1886. In 8, t. III, p. 312.
3. Confirmée par Urbain VIII le 22 février 1623. Cf. Compte rendu aux chambres assemblées^
par M. le président Rolland, concernant le collège que les ci-devant soi-disans Jésuites occupaient
à Bourges. Du 7 juin jyô^. In-4, p. 148.
4. Archives départementales du Cher, fonds du collège Sainte-Marie, D. 32.
5. M. Jongleux, t. II, p. 135. Année 1622.
6. Compte rendu^ p. 143.
7. M. Jongleux, p. 217.
8. Voir ce plan aux Archives du Cher, D. T} : Lhonographie ou plan du collège de Bourges
faict au commencement de Mars^ tan yd/j, pat Estienne Afartellange.
KNTRÉB A SAINT£-MARIE. 13
plus à propos, et ce dans deux ans ou plutôt si faire se peut ; auquel
logis nouveau ou autre lieu commode dans l'enceinte dudit collège, ils
seront tenus de loger Mgr le duc d'Anghien et autres enfans de Mon-
seigneur le Prince, si aucuns en naissent ; tant qu'il plaira à Monseigneur
le Prince les tenir audit coll^^ pour y estudier, et à cest effet leur
fournir un appartement honneste et convenable '. >
Tandis que ces affaires tiraient en longueur, M. le Duc n'avait cessé
depuis son baptême (5 mai 1626) de continuer sa première éducation,
celle que l'on pourrait appeler l'éducation du dehors. Ceux qui avaient
été les maîtres de la veille le furent aussi du lendemain. Un vieux
récit, imprimé mais peu connu, le De vitâ, moribtis, et operibus R. P.
Stephani de Champs, nous fournit sur cette période obscure des détails
précis. € Louis, duc d'Enghien, dit l'auteur de cette biographie, était
alors dans sa cinquième année. Son étonnante facilité et son intelli-
gence supérieure le mettaient fort au-dessus de son âge et lui permet-
taient déjà d'étudier. Deux de nos Pères lui furent donnés pour répé-
titeurs. Ils lui enseignèrent à lire et à écrire, avec les premiers rudiments
du latin. Pendant trois ans l'enfant reçut ces leçons particulières, grâce
auxquelles il apprit vite et bien *. >
En attendant qu'il entrât à Sainte-Marie, M. le Duc avait pris son
logement tout auprès. Il était descendu à Jacques- Cœur.
Ce vieil hôtel valait bien le collège neuf qu'on lui préparait.
Quelle merveilleuse chapelle pour élever à Dieu le cœur d'un enfant,
que l'oratoire, haut et svelte, éclairé par ses larges baies et décoré à la
voûte par ses admirables anges ! En longue robe blanche bouillonnant à
flots sur leurs pieds, ils s'élancent ou planent deux à deux et déroulent
leurs gracieux phylactères. Leurs visages blancs et suaves, sous la croix
d'or au front, sont encadrés par des chevelures d'un blond ardent. Seuls
des artistes italiens avaient été capables, au milieu du quinzième siècle,
d'esquisser ces figures aux lignes idéales mais vivantes, de mouvoir
dans un étroit espace ces membres fuyants et souples, ces vêtements
aux contours libres et ondoyants.
Et, par un piquant contraste, quel promenoir plus gai pour les ébats
du jeune Duc, que la galerie précédant l'oratoire ! Si le Petit Chaperon
rouge lui avait été conté, il devait prendre un plaisir extrême à en re-
trouver les scènes naïves à travers les rinceaux de la frise. Les deux
cheminées lui offraient, sur leur manteau historié, des sujets non moins
récréatifs. A l'un, c'est Jacques Cœur lui-même, en haut-relief, jouant
aux échecs avec sa femme, Macée de Léopard ; au-dessus, des paysans
montés à âne courent un tournoi bouffon. L'autre manteau a la forme
1. Voir pour plus amples détails la revue des Etudes^ 15 janvier 1894, où ce travail a coni-
mencé de paraître. Nous y renvoyons les lecteurs curieux de rindicaiion plus suivie et plus
abondante des sources.
2. De Vita, moribus^ et operibus R, P. Stephani de Champs^ S, /., en tête du Stephani
Dichamps Biturici, de Hieresi janseniana, libri très. Nous citons d'après la 5' édition, 1728,
n-lol., donnée par le P. Souciet, auteur de la notice biographique.
14 LK GRAND CONDÉ.
d'une forteresse ; pas un créneau nî un mâchicoulis qui ne protège son
archer, jetant un projectile.
Autant de pièces, autant de changements de décor, suivant Taffecta-
tion. L'escalier de la chapelle représente les préparatifs du culte ; celui
de la cour d'honneur, des chambrières réglant leurs différends à coups
de balai. A chaque encognure, le ciseau humoristique de l'artiste a
confié quelque caprice imprévu. Sur chaque paroi, la main du magni-
fique argentier lui-même semble avoir gravé la mâle devise, secret de
son immense fortune : A vaillans cuers, riens impossible. Ce mot, qui
sent plus l'homme de guerre que l'homme de finance, ne s'est- il pas
gravé inconsciemment dans l'esprit du duc d'Enghien ?
Or, de ce palais original, chef-d'œuvre de l'architecture civile, M. le
Duc n'avait qu'une rue à suivre pour se rendre dans un groupe de bâti-
ments moitié monastiques, moitié scolaires, le vieux collège Sainte-
Marie, fondé en 1504 par Jeanne de France, — sainte Jeanne de
Valois, — « en l'honneur des dix vertus et plaisirs de la Vierge Marie ' >,
afin que dix pauvres écoliers y fussent établis '.
Il n'y venait encore qu'en amateur, non en élève. Sa joie était de
lier connaissance avec l'élite des enfants de qualité et de talent qui s'y
pressaient, d'honorer par sa présence les séances littéraires ou concer-
tations ^ et d'animer les jeux ^
Enfin le jour de l'entrée définitive à Sainte-Marie arriva. Ce fut le
2 janvier 1630. Le nouveau collège n'étant pas encore achevé, M. le
Duc resta à Jacques- Cœur.
Les constructions d'alors, telles qu'elles figurent en partie sur le plan
général projeté en 1634 ^ sont encore aujourd'hui debout. Régulières
et froides, accessibles à l'air et à la lumière, distinguées de style malgré
leur correcte uniformité, elles forment le lycée, — qui ne s'appelle pas
lycée Condé. On n'en a démoli que la chapelle, remplacée par une
salle d'exercices et des dortoirs. Un philanthrope du siècle dernier,
Sigaud de Lafond, est l'auteur de cette transformation utilitaire. Plus
récemment, sous prétexte de réparation, on a rasé le clocher du pavil-
lon central et dépendu la cloche.
Cependant l'héritier présomptif de la couronne, égoïsme à part, de-
vait être flatté à la pensée que le collège royal Sainte-Marie, ainsi
appelé parce que fondé par une fille de France ^ se reconstruisait grâce
\. Histoire du Berry^^zx Thaumas de la Thaumassière. Bourges, 1699. In-fol, p. 128 et
suivantes.
2 . Voir le plan très compliqué de ces anciennes constructions, augmentées, dans le cours des
années, du prieuré de la Comtal, etc., aux Archives du Cher, sous ce titre : Ichonographie ou
plan du collège de Bourses ^ comme il se treuue le 7 mars 1615. D. 77.
3 . De Vita P. de Champs^ loc, cit.
4. Voir aux Archives du Cher, D, yj^ le Desseinf^du colles^ des PP. Jésuites de Bour^es^
fait en Pan 1634. On lit au dos, d'une écriture plus récente : Plan du collège projeté en 1634.
Le bâtiment du fond de la cour d'honneur porte cette mention : < Terrasse. Tout ce corps de logis
est bâti. > Le projet primitif de Martellange n'est pas suivi.
5 . Compte rendu^ p. 141.
ENTRÉE A SAINTE-MARIE. 15
à la munificence paternelle et pour le mieux recevoir. A l'autre bout
de la rue, il était chez Jacques Cœur. Ici, il était chez soi. Il ne fut
pourtant au milieu de la nombreuse gent écolière de son temps, qu une
unité de plus. Son père, prince vraiment populaire et presque bour-
geois, voulait qu'il reçût Téducation commune, et ne se montrât supé-
rieur à ses camarades que par son mérite personnel \. Henri II de
Bourbon-Condé n'abandonnait point d'ailleurs les redevances honori-
fiques dues à ses bienfaits. Dans le contrat de transaction et donation
de 1627, passé avec les PP. Filleau. provincial de France, et Foissey,
recteur de Sainte- Marie, il se montre tel qu'il est qualifié : € très haut,
très illustre et très excellent Prince >. Au « logis > que les Pères s'en-
gagent à € bastir de neuf > pour son fils, et € à l'endroict et place les
plus éminents, mieux exposés à la veue publique >, il avait été stipulé
que les armes de Mgr le Prince seraient apposées € gravées en pierre
dure. > Encore ce blason capable de résistance aux injures de laîr ne
suffisait-il pas à son désir de témoigner à perpétuelle mémoire son af-
fection envers la Compagnie de Jésus. L'acte notarié spécifie que a au
dehors et frontispice dudit bâtiment sera mis et écrit dans une table de
marbre, en grosses lettres d'or, un bref auquel sera fait mention des
libéralités et munificences de mondit Seigneur, afin que chacun recon-
noisse qu'il est insigne bienfaiteur desdits Pères ' >.
Muets témoins, et trop sujets aux ravages du temps ! M. le Prince a .
meilleure confiance au pouvoir indestructible de l'éloquence qu a la
durée des n«onuments lapidaires. Il demande donc en troisième lieu que
< annuellement, à l'ouvertures des classes :>, soit ^ fait mention par
quelques beaux discours > de ses libéralités, 4L pour en rafraîchir
la mémoire au public et aux auditeurs >, à laquelle ouverture, lesdits
Pères inviteront le Prince, ses enfants et descendants présents à
Bourges.
Cette avidité de panégyriques et de compliments est de l'époque. De
Compagnie obligée à protecteur, l'on n'entendait pas autrement les bons
rapports.
Hors de ces marques de gratitude, légitime tribut payé dans la seule
monnaie qui eût cours, l'on ne sache pas que le fils de M. le Prince
n'ait pas été confondu avec ses condisciples sous le joug d'une même
discipline.
L'unique égard accordé à son rang fut, en classe, une « chaise envi-
ronnée d'un balustre ^ » et peut-être surmontée de ses armes peintes sur
la muraille. M. de Bengy-Puy vallée, député de la noblesse du Berry
1. < Monsieur son père ne vouloit pas que ceux qui jnuoient avec lui ou qui disputoient de
leurs études lui cédassent aucune chose. > Mémoires de Pierre Lenet^éà, Michaud et Poujoulat.
Paris, 1881, in- 8. p. 424.
2. Archives du Cher, D, 32. — D'après le président Rolland, on avait mis sur la porte celte
inscription qui n existe plus : Collegium Sanctœ Mana Munificentia serenissimi protoPrincipis
Henrici Condai scholis Theologicis auctum, — Compte rendu, p. 149.
3. Lenet, loc. cit.
16 LE GRAND GONDÉ.
aux Etats généraux de 1 789, raconte qu'avant la Révolution on voyait
encore ce siège d'honneur '.
La fierté des enfants du Berry était grande de partager l'éducation
d'un prince du sang. Elle avait trouvé une première fois son expression
charmante, lorsqu'à l'entrée de M. le Duc à Bourges, pour son baptême,
les habitants avaient levé € un régiment de petits enfants au nombre
de huict ou neuf cents, tous de mesme parure, armés de petites picques
ou espées seulement, portant en leurs rubans les livrées de leur Prince,
conduicts par cappitaines, lieutenants et enseignes de mesme eage ' ».
Un épisode d'un autre genre, légendaire peut-être mais traduisant un
sentiment vraisemblable, marqua les années de collège. Nous l'aurions
voulu rencontrer sous la plume d'un contemporain ; nous le citons d'après
M. de Bengy, écho autorisé des traditions nobiliaires de sa province.
« Etant au collège (Louis de Bourbon) eut une querelle avec un jeune
gentilhomme du pays, auquel il tînt quelques propos désobligeants et
qui lui en demanda raison. Il accepta le défi, se trouva au rendez- vous
et tira son épée pour se battre ; mais son adversaire, jetant son épée aux
pieds du Prince, lui dit qu'il était vengé, puisqu'il avait eu la gloire de
faire mettre les armes à la main à un Condé. >
La même scène dut se reproduire plus d'une fois, sur un terrain plus
pacifique, dans ces classes de grammaire ou de belles-lettres, trans-
formées par le Haiio studiorum en un champ clos où parti contre parti,
assaillants contre tenants, se livraient des combats d'émulation pour un
siège plus glorieux à leurs yeux que celui de prince par droit de nais-
sance : le trône d'imperator par droit de conquête. Un demi-siècle après,
le collège Sainte-Marie possédait pour la seconde fois un prince parmi
ses écoliers. Armand de Rohan-Soubise, le futur cardinal de Stras-
bourg 3. L'historiographe en vers latins du collège Sainte-Marie, le
P. Louis de Fourcroy (16 14-1705), se souvint dans ses épîgrammes que
jadis il avait vu guerroyer ainsi le grand Condé :
CondcBuvi in nostro vidi regnart lycco
Cujus aîutnnus erat^ mox et Apollo fuit,
Subizus revocat Condœi tempora ; ut iîlc^
Sic animoSy gcstuSy ora modosque refert *.
1 . < J'ai encore vu l'espèce d'estrade où il s'asseyait dans les classes. > Màneire historique
sur le Berry ^ par M. P.-J. de Bengy- Puy vallée. Bourges, Vermeil, 1842. In-8, p. 23. — M. de
Bengy- Puy vallée, né en 1743, rédigea en 18 10 son Mémoire^^}j\i\\€ par son fils plus de trente ans
après. — Je tiens de M. Hippolyte Boyer, l'obligeant archiviste du Cher, qui se rappelle avoir
recueilli ce souvenir dans son enfance, que les armes de Condé furent visibles jusqu'en 1830, où
elles furent barbouillées au badigeon .
2. M. Jongleux, p. 179 et suiv.
3. Armand-Gaston de Rohan-Soubise (1674- 1749), l'un des quarante de l'Académie française,
évêque de Strasbourg, cardinal en 17 12, grand aumônier de France (1713)*
4. P, Ludouici de Fourcroy ttwius secundus Epigrammatum^ epigr. 2007. Bibliothèque de
Bourges, Ms. inédit ; 329 du catalogue G mont. — Le P. Frizon (1628- 1700) dans son P.irthe-
«/V<7«, et le P. Le Jay (1657- 1734) dans sa Bibliotheca rhetorum^ ont également chanté le duc
d'Enghien, élève de Sainte-Marie ; mais ils ne l'y ont pas connu. Cf. De Historia Galtice publi-
ca^privata^ litteraria^ ree^nante Ludovico XIV^ latinis versibus a jesuitis gallis scripta^ par le
P. V. Delaporte. Paris, Retaux, 1891, in-8, pp. 84 et 87,
BKTRé£ A SAIKTE-ICARIB.
17
II avertit le nouveau prince, fils lui aussi du gouverneur du Berry, et
peut-être héritier de la fameuse < chaise >, qu'au-dessus de cette place
il y a celle du général triomphateur dans les concertations :
VOTUM CLASSICUM
InduperaiQris^ quœ principisy esto cathedra ;
SperOf qui princips^ induperator eri$ \
Mais nous pouvons interroger l'impression des contemporains encore
dans toute sa fraîcheur.
I. Epigr. 2008.
Lt fnmd.Condé.
CES classes de Sainte- Marîe étaient au nombre de sept ' :
; trois de grammaire, deux de lettres et deux de philosO'
'. phie. A la cinquième actuelle répondait la classe i»/?.
'■ rieure de grammaire ; à notre quatrième, la seconde ou
■ moyenne de grammaire ; à notre troisième, la première
ou sufrêmc. ^I. le Duc, qui n'avait fait que progresser
en latin depuis 1626 et le Credo de son baptême, débuta par la seconde
de grammaire, — la quatrième moderne '. En apparence, il avait un retard
de trois mois à rattraper, n'étant entré qu'au lendemain du jour de
l'an 1630 '. En réalité, il dépassa bientôt ses condisciples. Les Lettres
annuelles du collège de Bourges pour 1630 nous le montrent à la tête
et en avant ; on dirait un vrai bulletin de victoire : -ï Aucun élève n'a jeté
un plus vif éclat que le duc d'Enghien, Louis de Bourbon. Son exemple
a été entraînant pour tous. Ecolier en seconde classe de grammaire, C'est
merveille avec quelle diligence et quelle assiduité il se livre aux exer-
cices d'explication, de composition et de diction. Dans les concertations
journalières, c'est lui qui enflamme tous les autres *. »
Lui-même recevait le feu sacré d'un professeur qui semblait avoir été
fait pour lui, maître Paul Ragueneau. Ce jeune religieux n'était pas
prêtre. Encore dans la force juvénile de ses vingt-deux ans et dans la
ferveur de sa récente entrée en religion, il consacrait à M. le Duc les
prémices d'une ardeur que ne devait point éteindre un quart de siècle
d'apostolat dans les sauvages missions du Canada. Une lettre de lui
I. Plan de 1634.
ï. De Viia F. Je Champs, loc. Cit.
3. Voirie curieux emploi de «jour de l'an par M. !e Duc, dans "R^yRaX^ His/oiie du Berry.
Bourges, 1847. ln-8. 1. IV, p. 381.
4 < Prœluxii omnibus et prasivit Dux Engaineus, Ludovicus Batboniuï, qui cœteris caputhor-
tatorque fuit exemplo sut ; audivit ille in z> cliisse g ra m malices. Mirura qua seduliiate, irequen-
tiaquc legit, scripsit, dixit. Concertai iQnibit s quolidicittis incemlil omnts. > Lillera annua S. /,,
163a Ms. méA.
ÉLÈVE ET ACTEUR. 19
peint mieux que toutes les phrases son humeur batailleuse et son carac-
tère entreprenant. Trente ans plus tard, le régent de Bourges, devenu
supérieur dans la Nouvelle-France, écrira au prince de Condé pour sol-
liciter un secours en faveur de la colonie, secours consistant dans Tenvoi
contre les Iroquois d'un régiment laissé libre par la paix des Pyrénées \
La correspondance de Henri II de Bourbon-Condé, père de l'écolier,
ne jette que des lueurs sur ces commencements. Les renseignements
^gues ou les brèves allusions qu'on y rencontre sont comme perdus au
milieu des instructions tout administratives que M. le Prince, en sa
qualité de gouverneur et lieutenant-général pour Sa Majesté au pays et
duché de Berry, adresse à Grasset, son fidèle lieutenant dans la Grosse-
Tour de Bourges, dont lui-même était le capitaine. Ce qu'ils nous
révèlent, c'est une sollicitude paternelle, à la fois vive et constante,
inquiète et impérieuse. De Dijon, siège de son gouvernement de Bour-
gogne, il écrivait à Grasset, le 29 janvier 1630 : « S'il vient quelqu'un
par deçà, que l'on me mande des nouvelles de la santé de mon fils et de
ses estudes ^ "%
Le carême se passe, puis la fête de Pâques, sans que le Prince soit de
retour à Bourges. Comme il s'était intéressé l'hiver au travail du jeune
élève de quatrième, il s'occupe maintenant de ses divertissements. Le
1 7 avril, il lui envoie, de son château de Valery-en-Gâiinais, l'autorisa-
tion d'assister à un banquet : € Si M^ de la Magdelaine fait son festin
de doien, je trouve bon que mon fils y aille ; je crois pourtant qu'il retar-
dera jusqu'à mon arrivée ^ »
Ces derniers mots laissent assez entendre que M. le Prince parlait ici
en gouverneur plutôt qu'en père, et seulement pour se donner un repré-
sentant officiel.
Louis de Bourbon devait entrer ainsi de bonne heure dans la vie
publique, et c'est un curieux spectacle de voir cet enfant, si sévèrement
tenu dans sa vie privée, si assujetti dans sa vie scolaire, agir parfois en
mattre et trancher en prince. A-t-il frappé un acte de vigueur,M. le Prince
l'en félicite. « Mon fils, écrit-il, a fort bien fait pour Contremois. Je lui
apprendray à se mesler de ses affaires, si je peux estre de retour. Que
Ton en use de mesme à l'endroit de tous ceux qui vouldroient intimider
les juges ^ > (23 avril.)
L'année se termina au mieux. Le 1 2 août, M. le Prince réclame à
1. Papiers de Condé^ série P, t. XXV, fol. 157. Québec, 12 octobre 1661. Paul Ragueneau
naquit à Paris en 1608, fut reçu dans la Compagnie en 1626, s'embarqua pour l'Amérique en
1636, et prononça ses derniers vœux le 18 septembre 1644, chez les Hurons. Rappelé en France,
après vingt-cinq ans de travaux et de souffrances, il géra, comme procureur, les intérêts de sa
mission, et mourut à Paris le 3 septembre 1680. Voir la liste de ses ouvrages, tous relatifs au
Canada, tels que mémoires et relations, dans la Bibliothèque des écrivains de la Compajznie de
Jésus^ parles PP. de Backer et Sommervogel, t. III, éd. m-fol. — Un membre de la famille Ra-
gueneau était attaché à la maison de Condé. Cf. Papiers de Condé^ série P, t LXVI,
fol. 430, s. d.
2. Papiers de Condéy série O, t. I, Dossier de la Grosse^Tour de Bourges^ fol. 18.
3. Dossier de la Grosse-Tour^ fol. 21.
4. IHd.
LE GRAND CONDÉ.
Grasset je ne sais quelle ( chansson > du P. Pelletier, composée peut-
être pour la circonstance. Les Berruyers ' mettaient volontiers les évé-
nements, petits ou grands, en épîgrammes latines ou en vers français.
Au dix-septième siècle, le P. de Fourcroy ; au dix-huitième, le P. Des-
billons, furent infatigables à ces jeux.
Le 14 août, la sollicitude de M. le Prince redouble avec l'approche
des vacances et les compositions de prix : « Dira (M. Grasset) au Père
recteur " que je me recommande à kiy ; qu'il aie soin des estudes et
actions de mon fils. Dira au Père Pelleiier le mesme et que la composi-
tion de mon fils est très bonne ; je m'en resjouis. :& Henri 1 1 de Bourbon
ne s'en tient pas à des recommandations : il en vient aux récompenses.
i. Que Boufel, ajoute-t-il, donne deux pistolles à mon fils ^. ^
Une récompense beaucoup plus douce sans doute aux yeux de l'enfant
que ces deux pièces valant tout juste un louîs, ce furent ses succès à
l'examen de fin d'année et à la distribution des prix. Non seulement il
n'esquiva pas cet examen, mais il y donna publiquement des marques si
brillantes de talent et d'application, que son passage en première classe
de grammaire fut enlevé à la pointe de l'épée *.
Ayant fait ainsi ses preuves, il avait bien le droit de figurer à la
parade. A Bourges, comme dans tous les collèges de la Compagnie, il
existait un théâtre. Le duc d'Enghien, avant d'être «le grand Condé
pleurant aux vers du grand Corneille >, y fut acteur très applaudi. Ses
débuts firent l'admiration universelle et, de l'avis général des specta-
teurs, il éclipsa tous les autres personnages •'.
Pour un tel acteur, la salle ordinaire des A fies à Sainte- Marie n'eût
pas été suffisante. Les Pères obtinrent sans doute la grande salle atte-
nante au Palais, i Par la faveur des Condé, dit M. Hippolyie Boyer,
ils se voyaient en possession d'alterner, dans ce /laû célèbre, avec les
audiences de la justice et les foires de Noël. La Ville y coopérait de son
côté en leur fournissant pour le maintien de l'ordre le personnel néces-
saire *. >
Très probablement la pièce fut le Hyacinthus liberatus ', joué un trois
le P. Foissey, mort l'année suîvanie 1631, ftpr&i
le P. Jean-Bapii»ie RoUin {1631-1634). Le P.
1. Habitanis de Bourges.
2. Le lecteur de Saime-Matie était
avoir de'posif sa charge. Il eut pour
Foissey était très aimé de M. le Prince.
3. Dossitr lie la Groue- 'four, fol. 26.
4. < Solitum etiam enauen non est aversalus, et tant luculenium ingenii sui atque opérée spé-
cimen dédit paUtn, ut haberetur facile dignus qui promoveretur in 1*™ classem grammaticet. >
Litterœ aitnuie, 1630.
;. < Publico in theairo aclorcm se dédit, tam sanc suspiciendum quam novum ; îta nt acto-
rum omnium facile princeps omnium spécial or um vocibos jactaretur. > Litiera annux, 1630.
5. Vancien Tkiâtreà Bourges. Le théâtre du coUigf, par M. Hippolyte Boyer. Bourges, Sîre,
1B93, in-8 de7S pages, p. 10. Intéressant travail, complet pour Je dix-huitième siècle, et que nous
souhaitons au savant archiviste départemental de foire remonter à l'époque des Condé.
7. Tragadia HyMcinIhus liberjius, dabitur in Tkeairum Bituricense Colltgii S. Maria soeie-
talisjesu. K Non, JuUi. Accent pramioratm distriéMlio, lUuUrisâmo princifi Domino D. Ludo-
vico Borbonio duce Anguineo Agonotlula mMnificen(issimo,{la-^ 14 pages, sans date ni DOm
d'imprimeur.}
I
ÉLÈVB ET AGTKUR. 21
juillet M. Raynal» qui a eu la bonne fortune, enviée par nous, d'en voir
le programme, pense qu'elle doit dater du commencement des études du
duc d'Enghien, car on lui avait donné le personnage d'un très jeune
enfant, Hyacinthe \ € En tête du programme, poursuit-il, se trouve une
épltre dèdicatoire du petit prince à son père, d'un latin fort recherché et
fort obscur ; puis on donne l'analyse de la tragédie. La fable en est
assez compliquée... C'était une tragédie en cinq actes, avec des inter-
mèdes... En voici le rapide résumé :
Ciodoald, prince danois, profone sans le vouloir les autels dlrminsul, et il est puni en
devenant aveugle, Pour obtenir sa guérison, il fait vœu d'immoler au dieu qui Ta frappé la
première personne qu'il rencontrera en retournant à son palais. C'est Hyacinthe, son fils,
âgé de sept ans, qui se présente le premier. Le malheureux père déclare quil ne tiendra
pas son serment ; mais Hyacinthe, à son insu, pour acquitter la foi jurée, va se livrer aux
prêtres d'Irminsul. — Deux jeunes gens, Ischyrion et Faustulus, ne veulent pas souffrir de
pareilles horreurs ; ils se jettent au milieu des prêtres et parviennent à s'emparer de l'enfant.
Cependant on leur persuade qu'il sera plus glorieux d'obtenir leur grâce en combattant
contre des ours et des lions : ils y consentent, vont à l'amphithéâire et sont vainqueurs ;
mais, trahis par les prêtres, ils sont jetés dans les cachots ; Hyacinthe est confié à la vestale
Hildegarde. — Elle est touchée de son infortune ; elle veut le sauver, ainsi que ses coura-
geux défenseurs ; mais son projet est découvert Accusée d'avoir violé ses vœux de chas-
teté, elle subit vainement l'épreuve du feu ; elle va être livrée aux flammes, avec ses com-
plices, quand on annonce l'arrivée de Charlemagne. — - Charlemagne, avec un nombreux
cortège de guerriers et d'évêques, est à la forteresse d'Kremburg : Witikind vient se sou-
mettre ; il se fait chrétien ; Ciodoald lui-même se convertit et recouvre la vue. — Il recouvre
bien plus encore ; on fait sortir les prisonniers des cachots d'Irminsul, et il se trouve que
non seulement Hyacinthe, mais que la vestale Hildegarde, qu'Ischyrion et Faustulus sont
les enfants de Ciodoald, à qui ont les avait enlevés jadis. Reconnaissance et joie générales.
Les intermèdes étaient consacrés au combat de Philotimus et de Misotimus^ tous les
deux assistés de nombreux compagnons. Philotimus, c'est l'ami de la gloire, comme Miso-
timus en est l'ennemi ; on se doute bien que le premier remporte la victoire ; il était repré-
senté par le jeune duc.
A son rôle de Hyacinthe dans la pièce principale se rattache un épi-
sode singulier qui à lui seul serait la justification du théâtre de collège. II
eut le plus heureux contre-coup sur la vie du grand Condé,et ne fut pas
étranger à son retour final vers Dieu.
Le duc d'Enghien, nous Tavons constaté avant même son entrée au
collège en sa neuvième année (2 janv. 1630), exerçait déjà parmi ses
futurs condisciples cet irrésistible attrait, don privilégié de sa nature,
d'exciter autour de lui les plus pures amitiés. Parmi ses nombreux cama-
rades de tout âge et de toute classe, il en était un qu'il avait particuliè-
rement distingué. Etienne Agard de Champs, d'une des meilleures
familles du Berry, avait huit ans de plus que Louis de Bourbon. Né en
septembre 1613 et élève de Sainte-Marie depuis 1624 ou 1625, il s'était
toujours fait remarquer par les qualités de son esprit et de son carac-
tère. Il était en rhétorique quand le duc d'Enghien débutait en
quatrième. Cette année, comme les précédentes, Etienne enleva tous
I. Raynal, Histoire du Berry ^ t. IV, p. 282 et suiv.
LE GRAND CONDÉ.
les pfix et joua les premiers rôles. Il plaisait au Duc; un mutuel courant
d'estime s'établit entre les deux écoliers. La pièce où ils parurent
ensemble sur la scène, M. le Duc dans le personnage du petit Hyacinthe,
Agard de Champs dans celui du roi son père, cimenta leur amitié.
Quelques jours après, ce sentiment qui, de la part de l'enfant, pouvait
n'être encore qu'une simple camaraderie, dut se changer en admiration
réiléchie. Le 5 septembre, jour même de l'ouverture des vacances,
Etienne de Champs. le brillant déclamateur, le favori du jeune Ducquit-
tait le collège au seuil de la philosophie, et, le 1 1, sans avoir perdu une
journée, ne fût-ce que pour visiter Paris, il entrait au noviciat de la
Compagnie de Jésus, au faubourg Saint-Germain. Ce renoncement à
toutes les espérances du monde, cette relraite si habilement ménagée,
si vivement conduite, frappèrent sans doute l'imagination du duc
d'Enghien. Il n'oubliera point. Ce fut entre les mains du P. de Champs,
devenu vraiment son père devant Dieu, que ce grand homme de guerre
converti voulut faire l'humble aveu de ses fautes '.
Une représentation théâtrale aussi religieuse dans ses effets et si
proche encore par son sujet des mystères du moyen âge, n'offrait rien
qui pût détourner le jeune Prince de ses devoirs envers Dieu. Nos
Lettres annuelles nous apprennent que si en classe il était un modèle
par son ardeur militante et sur la scène par l'aisance de ses manières, à
l'église, et jusqu'à Jacques-Cœur, il laissait tous ses droits à la piété. Non
content de respecter Dieu soi-même, il imposait aux autres ce respect.
Alors, il en devenait, dirons-nous apôtre, ou gendarme? Quand parfois
quelques-uns des siens n'étaient pas assez attentifs aux offices, d'un mot
ou d'un regard sévère il les rappelait au devoir '. Lointaine esquisse de
ce grand Condé qui. paroissien de Saint-Sulpice, au milieu de l'auditoire
bruyant et nombreux attendant Bourdaloue, s'écriera ; Silence, voilà
l'ennemi ^!
Cette inclination sérieuse vers la piété était l'effet direct de l'action
commune exercée sur lui par tous les Pères de Sainte-Marie, mais plus
spécialement par les deux Pères que M. le Prince avait fait attacher à
sa personne, sous l'autorité supérieure du Père recteur. Ces deux Pères,
ou plutôt ces deux perpétuels compagnons et ces deux témoins éclairés
de toutes ses actions, s'efforçaient de façonner à la vertu son caractère
docile, et plus encore de fortifier en lui des sentiments religieux qu'il
semblait avoir reçus avec le sang de nos rois *.
I. De l'ita P. de Champs, loc. cit.
I. < Fuit et suus pîetati locus, lum
curajque, ul e %a\% aliquos, cum forte
castigavetii. > Ultera annuœ, 1630.
3. Bourdaloue, par le P. Lauras, Paris, 1881. in 8, t. II, p. 71.
4. < Nosiri omnes et maxime duo illj, quos Illustrissimus Princeps in adolescenlis comîtatu
versari voluit continuo atque esse actionum omnium et lestei et xsiiniaioies, ea sane authoritAïc
ut comitatus totius summa %\\ pcnes Rectorem collegii, animum Principis facilem non tam ad
virtulem inflectete quam in seasu religiouïs, hausto una cum regio sanguine, couSrmare coDan-
tur. > Lillera annua, 1630.
(
i
I
ÉLÈVE KT ACTKUR. 23
Un de ces deux mentors et le premier en charge, celui-là même que
nous avons entendu nommer tout à Theure dans une lettre de M. le
Prince, était le P. Gérard Pelletier, qualifié, dans les Mémoires de Lenet,
précepteur domestique, et dans les catalogues de l'Ordre, directeur des
études du duc d'Enghien \ Né en 1 586 au diocèse de Toul, ce Lorrain
était maître es arts de l'Université de Pont-à- Mousson. Depuis son
noviciat, fait à Nancy en 161 1, il avait passé par plus d'une ville et d'un
collège avant d'entrer en 1630 dans la maison du duc d'Enghien". A
Moulins, il avait enseigné la grammaire ; à Paris, la seconde ; à Nevers
et à Bourges, la rhétorique, Bourges le posséda le plus souvent. Il y est
en 1613, en 1623, 1624 et 1625. enfin en 1629, tour à tour maître de
grammaire ou de rhétorique, tertiaire, directeur de la congrégation des
externes, prédicateur. Blois, Amiens et Eu furent les étapes de sa car-
rière oratoire. A la Flèche, tout en suivant les cours de théologie, il
avait exercé une surveillance au pensionnat.
Premier précepteur de M. le Duc, il ne le quittera pas avant son
éducation achevée et au-delà. Ses lettres nous feront connaître son
caractère*
Sous les yeux du P. Pelletier, M. le Duc prît ses vacances de 1630,
à neuf ou dix lieues de Bourges, au château de Montrond. Là, le jeune
Prince retrouvait tous les souvenirs de son enfance. Dans ce manoir il
avait été transporté presque au berceau (octobre 1621) par la volonté de
son père, désireux de mettre une large distance entre les ministres
d'État et le frêle rejeton de sa race \ L'air € doux et bénin* » qu'on y
respirait et la sûreté de la place, achetée cette même année au vieux
Sully, avaient influé sur le choix de cette demeure. Louis y avait vécu
sous la conduite de femmes € soigneuses et expérimentées à élever des
enfants >, mais qui n'eurent pas moins beaucoup de peine à triompher
d'une € vivacité au-delà de son âge ^ >. L'aiglon avait grandi dans cette
aire. Louis comptait à peine sept ans, quand son père, au retour d'Italie,
le trouva rangeant en bataille les enfants de la ville voisine de Saint-
Amand, dans les fossés du château, et les enlevant avec des harangues
latines imitées des héros de Rome *.
Aujourd'hui, fossés et remparts sont disparus. Le a mont > n'est plus
qu'une butte verdoyante transformée en promenade publique. On accède
à l'esplanade par une rampe en pente douce, bordée d'arbres alignés. La
vue s'ouvre sur un cercle de hauteurs assez proches, mais s'éloignant à
mesure que l'on gravit, en la contournant, la crête de l'ancienne enceinte.
De quelque côté que le regard se porte, un même horizon clôt, de sa
I. < Director studiorum 111™* Principis Anguieni. >
3. < Sa maison fut composée de ceux-ci (les deux Pères) : d*un médecin, d'un chirurgien, d'un
apothicaire, d'un chef de chaque office, d'un contrôleur, de deux valets de pied, d'un carrosse et
& quelques chevaux de selle. > Lenet, /oc. ci/.
3. His/oirt des princes de Condé^ par Mgpr le duc d'Aumale, t. III, p* 309.
4* Lenet, /oc. cit.
5. IHd.
6. Le P. Aubery, cité par Mgr le duc d'Aumale, p. 313.
X.E GRAND COIYDÉ.
ceinture de collines, la plaine arrosée par le Cher. La rivière venait
défendre les ouvrages avancés ; elle ne baigne plus que le pied des
cotaux couverts de vignes.
Si les accidents du panorama sont peu saillants, ses teintes sont
remarquables. A l'automne, l'époque préférée de M. le Duc, ce réseau
de monticules, flanqués de prairies et couronnés de forêts, se colore de
vert émeraude, de rouge pourpre, de bleu violacé ou de gris argent,
sous le voile flottant de la lourde brume et les traînes paresseuses des
nuages.
Paysage imprégné de vague tristesse ! Que reste-t-il de la forteresse
réputée lune des plus imprenables de France ? Etiam periere rrtinœ, 11
a fallu creuser pour mettre à nu quelques soubassements de calcaire. Un
chapiteau gothique est la seule pierre de marque échappée à trois géné-
rations de démolisseurs : les soldats du roi Louis XIV, les seigneurs
insouciants du dix-huitième siècle, les vandales de la Révolution. Une
pauvre tour, en haillons sous son revêtement de pierres dégradées, et
coiffée de son lierre comme d'un crêpe, est le dernier survivant de la
triple dévastation où s'acharnèrent le châtiment, l'incurie et la vengeance.
Plein de la légende des Condé, j'ai suivi plus d'une fois ces lacets jon-
chés de feuilles mortes ; pas un être vivant ne s'est offert à moi dans ce
désert, pour m'arracher à la mélancolie de la solitude et rappeler au
passant que ce sol affreusement nivelé fut l'orgueilleux boulevard de la
Fronde, celte féodalité expirante.
Avec la rentrée de l'automne commençait la deuxième année d'études
du duc d'Enghien {1630-1631), sa classe supérieure de grammaire, —
notre troisième. L'usage de la Compagnie était que les régents suivissent
leurs écoliers. Paul Ragueneau monta donc avec M. le Duc et fut encore
son professeur.
Peu ou point d'incidents rompirent la calme régularité de celte classe.
La correspondance de M. le Prince ne contient guère que des formules
générales ; tantôt il exprime son étonnement qu'on ne lui envoie
« aucunes nouvelles de la santé de son fils > (Valéry. 10 février 1631) ',
tantôt il se lecommande au Père recteur et à d'autres, ou bien accuse
réception d'une lettre du P. Vitelleschî, auprès duquel il poursuit la rati-
fication définitive de ses arrangements relatifs à Sainte-Marie (Salon.
17 mars 1631) '.
Vers la fin de l'année scolaire, le duc d'Enghien, âme forte mais santé
frêle, fut pris de maux de tête. En même temps, le P. Pelletier tomba
malade. C'était un beau prétexte pour aller respirer prématurément l'air
de MonErond, tout au moins pour se ralentir dans le travail et faire
1. Dossier de la Crûsse- Tour.
2. Ibid. Dans ceUe même leilte,M. le Prince se «commandant < aux Pères Le Jeune el Pelle-
tier >, on a cru voir dans te premier un des Jésuites chargés à quelque litre de l'éducation du duc
d'Enghien. Cette hypothèse est plutôt contredite par tes catalogues, qui ne mentionnent point
sa présence à Bourges. D'apiès Mgr le duc d'Aumale, te 1'. Le Jeune fut confesseur de la
duchesse de Lougucvitle.
i
Ê£J:VE ET ACTBOB.
chômer classes ou répétitions. Molle résolution qui ne pouvait pas se
présenter à l'esprit de M. le Prince ! Tout en se faisant exactement
informer par M. de Montreuil, médecin de la maison de son fils, il ne
pense qu'à désigner un suppléant au précepteur et mande à Grasset que
« si le Père Pelletier continue à estre malade,.... le P. Ragucneau vienne
à sa place ' ».
I La double indisposition du précepteur et de l'élève n'empêcha pas
UOURGES. — COLLFOE DE S.lINTE- MakIK.
(D'aprÈi une phoiogiaphie )
ncelui-ci de remporter à la distribution un prix réputé alors le plus beau ;
le premier prix de prose latine '. Son père, enchanté et désirant le voir
de plus en plus fort, récompensa l'infortuné lauréat en lui imposant un
règlement de vacances :
I. Diun'er de la Crosie- Tour.
^3. CrîRcipis Condfri tilius laiioEe orationis solui;t; primum prxmium lutîl, puer v'ut anaos natus
m. Liittra annua, 1631.
LE GRAND CONDË.
Chasiillon, 5 aoust 163t.
Mémoire 1 Mt Grasset de toutes les lesponses que j'ay aFfjiite à Bourges sur les lettr
qui m'ont esté escrites :
Mon Fils
Son thème est Iris bon. J'en suis fort coaUnt.
PÈRE Pelletier
Je me resjouîs de sa sinté. Qu'il fisse les tillres de la clas<e de mon fiis et Is comodl
comme il faut ; et le marché que le père recteur et tuy en feront, que Mr Boufet le pai&^
Que mon fils durant les vacances «studie le malin despuis huit heures jusques ii neuf et
demie et l'après-dinée despuis une heure jusques à deus ei demie et le soir un quart d'heure
de répéiiion'.
Une heure et demie de travail dans la matinée, autant l'après-midi,
plus un quart d'heure avant le coucher, n'est-ce pas un total plus élevé
que celui de beaucoup des modernes élèves de troisième ? Et ce règle*
ment sévère qui ressaisissait l'enfant trois fois par jour en coupant ses
divertissements, aucune raison de civilité ne pouvait y introduire d'excep-
tion. Personne, même sa mère, n'avait à y apporter d'accommodement.
Le cas était formellement prévu. Mme la Princesse n'avait le droit de
disposer de son fils que dans le temps demeuré libre :
Les visites, si ma femme va à Bourges, se feront et ieront rtceues attï aulres heures comme
il plaira à ma femme, à laquelle on dira les htures que j'ay ordonnées pour ses estudes.
Travail et santé, tels sont les deux objectifs de M. le Prince, qui veut
aboutir et aboutira à former en son fils un esprit vigoureux, sinon ua
corps robuste.
Austères vacances et qui portèrent leurs fruits. M. le Duc, rentré à
Bourges afin d'y faire sa troisième année de collège {1631-1632), était
assez bon latiniste pour écrire à son père dans la langue de Cicéron. Une
partie seulement de ces lettres avait été publiée par le prince Louîs-
joseph de Bourbon-Condé en 1 806. Les autres ont été données au public
en 1886 par Mgr le duc d'Aumale.
Le duc d'Enghien comptait dix ans depuis un mois et il était en
humanités. Sa première lettre (29 oct. 1631) trahit bien un élève de
seconde '. Le jeune humaniste s'y reconnaît à cette élégante phraséologie,
broderie légère qui court sur un canevas ténu. Il s'excuse de s'être
quelque peu relâché de ses études pendant les Lucalia ^ ou fêtes de
l'ouverture des classes, et pronnet de réparer le temps perdu. Une série
de rapprochements entre l'absence du Prince son père, président au nom
du roi des Eiats de la noblesse, et sa présence dans la pensée du fils qui
croit le voir et l'entendre, forme la trame des plus ingénieuses antithèses.
I. Doisier dtla Grosse-Tour. fol. 41.
1. Uitloire des Prituis de Cand/, par Mgr le duc d'Aumale, I. III. Pièces et documents, p. s6a I
3. La rentrée normale tombait aux environs de la Saint-Luc, 18 octobre.
I
I
i
ÉLÈVE KT ACTEUR. 27
La latinité, simple et de bon goût, atteste un commerce intelligent avec
les maîtres de la langue romaine. Point de thème d'imitation, ni de calque
servile. ,
Une preuve que cette correspondance est l'œuvre de Técolier, et non
de ses professeurs, c'est la différence entre ce style d'allure aisée et les
périodes tourmentées des dédicaces publiées sous son nom. Son régent
en cette année d'humanités (1631-32), fut celui de ses deux classes de
grammaire des années précédentes, le Y. Paul Ragueneau '.
Au dernier mois de 1631 se place une scène racontée par Cordara ' et
connue des rares lecteurs de ces laborieuses annales, mais que les Lettres
annuelles nous permettent de restituer avec plus de détails.
Louis de Bourbon, dit le grave auteur, surpassait aisément tous ses condisciples par son
ardeur pour la piété et son zèle pour Tétude. Aussi était-ce une joie profonde pour son
përe d'être tenu par lettres au courant de ses progrès. Ne pouvant plus contenir son impa-
tience, il accourt à Bourges, soit pour contrôler la vérité des témoignages, soit pour donner
à son fils ces compliments qui, tombés de la bouche paternelle, sont un précieux encoura-
gement pour les enfants. Son séjour fut de plusieurs jours. Impossible d'exprimer son
bonheur en constatant que la réalité avait dépassé son attente. Il ne tarissait pas avec les
Pères de paroles de reconnaissance, et, comme dernière preuve de satisfaction et de bien-
veillance, il voulut s'asseoir un jour à leur table '.
Cette fête, qui réunit à la table de Sainte-Marie M. le Prince, accom-
pagné de son fils et de tous les notables de Bourges, eut lieu le 29 décem-
bre ; elle ne pouvait être mieux fixée ; on se fût déjà cru au premier de
Tan. Durant le repas, neuf scolastiques^ ou religieux étudiants de la Com-
pagnie, célébrèrent Téloge de Henri II de Bourbon et eurent Theur de
plaire à tous les convives. Il y eut ensuite tragédie. L'esprit avait la
meilleure part de ces journées.
La charité chrétienne eut aussi la sienne. Deux des premiers magis-
trats de la cité vivaient divisés par une haine profonde. Le P. RoUin,
recteur du collège, avait eu la bonne pensée de les inviter ensemble.
Unis dans les honneurs, ils le furent bien vite dans les sentiments. M. le
Prince opéra dès l'abord leur complète réconciliation ^.
Vers l'époque du carnaval, l'heureux gouverneur du Berry se retrou-
vait encore au collège Sainte-Marie, et le duc d'Enghien se félicitait de
l'avoir pour spectateur dans la tragédie de seconde Astion, martyr ^
1. Hisioria Societatis Jesu^ fars sexia. Romse, 1859, in-fol., p. 516.
2. Traduit et résumé du latin de Cordara.
3. Uttera annuœ^ 1631. — Ce trait confirme l'assertion de M. de Bengy-Puy vallée sur Thabi-
leté de Henri II de Bourbon à terminer démêlés et querelles. < Ce prince, dont la mémoire est
en singulière vénération dans le Berry, donna à ce pays toute espèce de témoignages de bien-
veillance et d'affection. Il était juste et ferme, extrêmement affable et bienfaisant ; il inspirait
nne telle confiance que tous les gentilshommes soumettaient à son arbitrage tous leurs différends.
Nous avons dans nos familles plusieurs décisions qu'il a prononcées avec autant de sagesse que
de justice. > Mémoire^ loc, cit.
4. AstioH martyr . Traf^oedia ad Hilariorumferias, Dakttur ab secundanis coIIêêu Bituricensis
B. M, SocUtatis lesv. Die Februarij^ ann. M, DC, XXXI L Bitvrigibvs. Ex Typographia
Mavricii Levez, propè Scholas vtriusque Juris, 1632. In-4« de six feuillets non chiffrés et de
douze pages. Reliure en vélin blanc, semée de fleurs de lys d'or. (Bibliothèque nationale. Réserve
Yf. 2550.;
LE GRAND CONDË.
Cette pièce, inconnue à Raynal et à M. Boyer, a été récemment décou-
verte à la Bibliothèque nationale par l'intelligent conservateur de nos
trésors historiques et littéraires, M. Léopold Delisle '. Nous lisons
dans i'épitre latine qui la précède, sorte de compliment un peu contourné,
adressé < au très illustre prince Henri de Bourbon, premier Prince du
sang, son seigneur et père, > par « Louis, son fils, » des déclarations
précieuses sur l'idéal auquel le noble enfant aspirait.
Sans doute il ne lui est encore permis de suivre les exemples paternels
et d'imiter de hauts faits au-dessus de son âge qu'en se revêtant d'utt
masque tragique ; maïs il se console à la pensée que ces exercices privés
auxquels il se livre chaque jour, enfermé de par la volonté de son père
dans les murs étroits d'une école, le mettront à même de se distinguer
bientôt sur un plus vaste théâtre. Ces labeurs obscurs préparent les tra-
vaux éclatants de sa vie publique. Et ne convient-il pas à la dignité
princière de n'en remplir les devoirs qu'au jour où la main est devenue
assez ferme pour conduire le timon des affaires ? Ce jour-là, il serait aussi
honteux au Prince en fonction de paraître aux regards des peuples sans
être accompagné d'un cortège d'honneur, de vertus et de savoir, que de
s'avancer sans escorte militaire. Il devra, en effet, se montrer à la fois
prince et chrétien. « Prince, ajoute Enghien, c'est la nature qui m'a
imposé ce rôle ; chrétien, c'est la religion ; prince et chrétien réunis, c'est
vous, mon illustre Père ; aussi, suis-je ravi de soutenir aujourd'hui sous
vos yeux, au moins pendant quelques heures, un personnage d'emprunt
qui vous prouve à la fois notre piété par les sentiments que nous expri-
merons, sans ternir pour cela votre nom. Par ces joyeux divertissements,
nous préludons à une vie plus sérieuse ; c'est l'innocent essai de nos
efforts dans l'avenir, en vue de reproduire l'image de votre dévouement
à l'Eglise et aux saintes causes. Croyez-vous qu'il ne soit pas venu jus-
qu'ici, le bruit des citadelles hérétiques tombées sous vos coups ? Pour
théâtre vous aviez la France, Dieu pour inspirateur, et pour spectateur
l'univers '. >
Un argument, ou prologue général, et des sommaires particuliers en
tête de chacun des cinq actes permettent, à défaut du texte même, de
reconstituer ce curieu.x drame dans ses moindres détails. I! mériterait
même d'être l'objet d'une étude spéciale. Placé entre les mystères du
moyen âge, réfugiés dans les collèges, et la tragédie classique qui, dans
quatre ans, produira le Cid, et dans huit ans Polyeiicle martyr, il offre
< une ingénieuse tissure », pour parler avec Corneille, de faits histo-
riques empruntés aux Vies des Pires de RosweyJe, et de fictions
poétiques imaginées par l'auteur, sans doute Paul Ragueneau, le régent
de seconde. A la pieuse légende regardée par la critique de Tillemont
i.
\
i.Jeurnai lia Savants, fdvrii
i II de Bouibon, Canàé
Condif dans les Eludes^ 15 octobre 1892.
895. pafic 115.
prolcslaats, v
r noue aitjde : Le Père du grand I
ÉLÈVE ET ACTEUR. 29
et des Bollandistes ' comme d'une authenticité douteuse, au moins dans
sa dernière forme, le dramaturge de Sainte-Marie ajoute un peu de
merveilleux et beaucoup de péripéties nées du jeu même des passions.
La scène se passe au pays des Scythes, dans la cité des Almiridiens,
ville que les géographes modernes n'ont pu identifier. Le jeune Astion,
fils d'Alexandre, prince des Arimaspes, a été élevé loin des délices de la
cour paternelle. Tout jeune, sa piété, victorieuse des attraits du monde,
l'a poussé au désert. Là, accompagné de son fidèle gouverneur Epictète,
il couvre la pratique de la religion chrétienne des dehors de la philo-
sophie. Mais il lui est plus facile de cacher sa naissance que sa foi. Il vit
sous Dioclétien, et bientôt une horrible persécution est excitée par
Alexandre lui-même, qui persuade au préfet romain Latronianus de sévir
contre les chrétiens. Ils sont tous recherchés et jetés aux fers. Le
vieillard Epictète comparait le premier. Après lui s'avance Astion, le
royal adolescent, âme et héros de la pièce, représenté par le duc d'En-
ghien. Sa fierté se rit des juges, et déjà, se croyant exaucé dans ses
souhaits les plus ardents, il encourage au suprême combat son âme avide
de mourir, lorsqu* Alexandre, qui court le monde à la poursuite de son
fils disparu, arrive inopinément au tribunal. Sa joie éclate en retrouvant
son Astion, et son désespoir en le retrouvant chrétien. Il se jette aux
pieds du préfet pour demander la grâce de son enfant, à la condition,
qu'il suppose facile, de le ramener au culte des idoles. Alors, laissé seul
avec Astion, Alexandre emploie, afin de le fléchir, tous les moyens au
pouvoir de la nature et du démon : larmes et prières, sarcasmes et magie.
Un magicien, qui a contrefait le visage d'Epictète, feint d'avoir renoncé
au Christ, et invite Astion à l'imiter. Astion, indigné de l'infamie de son
gouverneur, résiste à ses discours insidieux, et, plein d'horreur pour une
liberté achetée au prix de l'honneur, il rentre joyeusement dans son cachot.
Nouvelle comparution devant Latronianus. Astion, pour avoir refusé
d'offrir aux dieux l'encens mis dans sa main, est condamné au bûcher.
Une source merveilleuse jaillit des flammes et rafraîchit le saint martyr.
A la vue du miracle, la fureur de Latronianus ne connaît plus de bornes,
et il charge le propréteur Vigilantius d'essayer sur le patient les plus
affreux supplices. Un second prodige convertit ce bourreau. Epictète et
Astion se rencontrent ; ils s'expliquent. Eclairés sur le stratagème qui
les a séparés l'un de l'autre, tous deux confessent généreusement IcChrist.
En tombant décapité, Astion a triomphé à la fois de la cruauté du
tyran Latronianus, entraîné aux enfers par les furies, et de la douleur
de son père Alexandre, éclairé par une apparition céleste. Cette conver-
sion du roi des Arimaspes couronne le cinquième acte. Dans ce person-
nage, en qui l'auteur avait analysé sous toutes ses formes l'amour
paternel avec sa sensibilité et ses émotions, décrivant à plaisir sa lutte
intérieure entre l'amour pour son fils et ce qu'il croit le devoir, nul doute
I. Acta SS^ juillet, tome II ; Acta SS, EpictiH presbyteri et AsHonis monoM (fête le
8 juillet).
30
LE GRAND CONDÉ.
que les spectateurs n'aient reconnu et acclamé plus d'une fois Henri II
de Bourbon-Condé, le plus aimant et le plus vigilant des pères.
Le public dut goûter aussi la richesse et le déploiement d'une mise en
scène qui comportait près de quarante personnages. Nous les repro-
duisons tous ici avec leur nom et leur lieu d'origine. Aucun autre docu-
ment ne nous a appris les noms des camarades de classe du grand Condé;
parvtnt-on à en découvrir encore *, aucun n'effacera la leçon d'égalité
qui se dégage du mélange de tant de noms, de provinces diverses et de
toute condition.
AsTiON LOUIS DE BOURBON, duc d'Enghien.
EpicTÈTE,compagnond'Astionetmartyr René de Mailly, de Picardie.
Alexandre, père d'Astion .... François Simon, de Bourges,
ViGiLANTius,propréteurdesAlmiridiens Jacques Duval de Bonneval, d€ Normandie,
Un ange Biaise du Boisbreil, de Limoges,
Areophilus \ / Jean de Monstrœil, de Paris.
Clius 1 [ Henri Labbe, de Bourges,
Flavius / \ Charles Riglet, de Bourges,
Agapitus (Nobles enfants chrétiens ] Jean Drouet, de Bourges,
Chrysanthus [ ] Pierre Baraton, d* Yssoudun.
Eugenes i I Henri Poncher, de Paris.
Amyntas ] [ Louis de la Lustière, de Bourges.
Argirocomus / \ François Math eau, de Bourges,
LatronianiuSj préfet de Scythie. . . Claude Deschamps, de Montluçon,
Ariabignes \ ( Paul Agard, de Bourges.
Razates [ | François Cocquelin, de Paris,
Atamantus ) ( Louis Pinson, de Bourges.
Le faux Epictèie, magicien .... René de Mailly, de Picardie,
L'oracle de Mars. Charles de Saint-Fargeol, du Bourbonnais,
Deiphobe, fiamine de Mars .... Jean Girard, d* Yssoudun,
Un aruspice Pierre Quillon, de Châtillon,
Un pope Louis Pinson, de Bourges,
Eulalius \ / Henri Poncher, de Paris.
Talaus J ( Henri Labbe, de Bourges,
Asterius 1 \ Jean Drouet, de Bourges,
Climenes [ ) Jean de Monstrœil, de Paris,
Diophites j \ Charles Riglet, de Bourges.
Phlogius I I Louis de la Lustière, de Bourges,
Cleon J I Pierre Baraton, d* Yssoudun.
Euphemius / l François Matheau, de Bourges,
Batanes, centurion Charles de Saint-Fargeol, du Bourbonnais,
Puzites, geôlier . • Jean Magistry, de Guéret,
Phlebotomes, garde du prétoire . . . Antoine Rubion, de Bourgs,
Louis Pinson, de Bourges.
f UHIES \ Jean Magistry, de Guèret,
Pierre Quillon, de Châtillon \
1. Georges Filsjean, d' A vallon, est cité comme € un des écoliers que Condé avait pris autrefois
à Bourges pour les attacher à sa personne. Il le fit capitaine de ses^ardes. > Baudoin, Ancien
hôtel de Condé^ p. 131.
2. Il est à remarquer que les acteurs sont moins nombreux que les rôles. Plusieurs faisaient double
personnage, et donnaient, en outre, quelque prologue : le prologue général était lu par Paul
Agard ; les cinq prologues particuliers furent dits par Biaise du Boisbreil» Louis de la Lus-
tière, Jean Drouët, Jean de Monstrœil et Charles de Saint-Fargeol.
JÊLÈVK KT ACTEUR. 31
Quel fut le succès d'Enghien? II est probable que le Duc ne réalisa pas
seulement, aux yeux de son père» ces antithèses prophétiques de son
compliment : € Mes supplices feront les délices de votre affection ; mes ^
larmes, votre joie ; mes sanglots exciteront votre applaudissement '• >
Toute l'assistance dut être enlevée, comme naguère au Hyacinthus libe-
ratus.
Mais, derrière ce résultat extérieur, où Tamour filial et l'amour paternel,
peut-être aussi Tamour-propre, trouvaient leur compte, à côté de l'avan-
tage plus relçvé de faire pénétrer dans l'âme du jeune Prince, et, par lui,
dans le cœur de tout un auditoire d'enfants et de parents, les plus purs
sentiments de l'héroïsme chrétien, n'y avait-il pas encore un réel bénéfice,
au point de vue scolaire, à familiariser assez un simple humaniste avec
le latin, pour qu'il fût capable de débiter de mémoire, dans la langue de
Térence, un rôle aussi soutenu ?
La réponse à cette question fut donnée quelques mois plus tard, à la
distribution des prix, par le duc d'Enghien lui-même. A la fin de cette
année de seconde, comme l'année précédente en troisième, il remporta
le premier prix de prose latine.
Des applaudissements toujours croissants saluèrent sa gloire qui
grandissait *.
1. < Tormenta nostra delicias amori tuo facient ; lacrymae voluptatem ; gemitus plausum
excitabunt. >
2. < Dux Enguineus Illustrissimus primum prsetnium solutse orationîs in solemni distributîone
praemionim, ut in 3* superiore, sic etiam hocanno in schola humanitatis, pari certe cum dignitate,
major! cum gloria plausuque reportavit. > Uttera annua^ 1632.
Sn octobre 1632, M. le Duc, âgé de onze ans accomplis,
. inaugura sa quatrième année de collège et entra de plain-
pied en rhétorique. Pour la première fois, il changeait de
[Professeur. Paul Ragutneau quittait l'enseignement, afin
■ de commencer ses études ecclésiastiques en vue du
, sacerdoce. Mais ce n'était là qu'une demi séparation.
GrAce à la Faculté complète de théologie fondée par M. le Prince à
Sainte-Marie, un scolasticat de la Compagnie se trouvait annexé au
collège. Le régent de grammaire et d'humanités du duc d'Enghien,
redevenu écolier à son tour, suivit les cours presque sous les yeux de
son ancien élève {1632-1636), et eut sans doute de fréquentes occasions
de se rencontrer avec lui, sans sortir du règlement.
Le régent de rhétorique du duc d'Enghien lut le P. Pierre Bourdïn.
C'était un philosophe et un mathématicien succédant à un homme
d'action '.
I. Né à Moulins le 37 seplembre 1595, entré nu noviciat en octobre 1613, Pierre Uourdio
avait prononcé ses derniers v(eu« à Bourges le 1 ; aoùi 1630. Quatre ans professeur d'humaniiés
et sept ans de rhétorique, il enseigna di»-huit ans les mathématiques à Paris et à la Flèche, et
mourut à Paris le 27 décembre 16^2 ou 1653. La rhétorique du duc d'Ent;hien terminée, il quitta
Bourges pour la Flèche, En 1636, on le retrouve à Paris, au collège de Cleimoni (depuis Louis-
Ic-Grand); son cours de maihématiques professé cette année existe à la Bibliothèque nationale.
Ms. lat. 17 8âi 2. Il ne cessa de composer dei manuels ou encyclopédies élémentaiies sur toutes
les sciences enseignées alors. Voir la Bib/iolk>ijui des écrivains S. /. Nouv. édit., in-4, par le
F, Sonimervogel, '.II, col. 2g. J'ai eu sous les yeux tes Prima geôtntlria tUmenta, 1639, ia-13;
son Diuinev PerspeiHve militaire, 165;, in 8 ; son Arckitectvte rnilUaiit atuc vn Abrégé de la
pratique de giomrliiemililairf, 1655, in-8 ; son Cours de tHalhémaliçue, 3' édit., 1661, in-8 ; enfin
son Sol Jlamma, sivc Iractatut de sole, 1646, in-12, ouvrage dédié au prince de Conti (et non au
prince de <-on U), L'auteur y explique les lâches du soleil, par comparaison avec l'écume de la
mer, et cherche à démontrer la fi»ué de la terre. Pierre Bourdin, malgié son réel talent d'expo-
silion à l'usage des élèves, ne serait plus connu s'il n'avait écrit les Septièmes objecligns tm
Ditiirtatiott touchant la philosophie première, contre le doute méthodique de Uescailes. Elles
fîguren', ave-:: les réponses de ce philosophe, à la suite des Méditations. Cf. Rentli Des-Caries
opéra, Amstetdam, 1670, in.4, pp. 76 a 164. — Voir sur cet admirateur passionné d'Aiistoie et
son opposition à Oescartes./eCu/fl^ Henri IVde La Fllehe,^as\K P. Camille de RochemoQLeix.
Le Mans, Leguicheun, 1889, in S, t. IV, pages 6a et suiv.
LAURÉAT DE RHÉTORIQUE.
f Argilly, 15 oct. 1632.... Me mendés toustes nouvelles de la ville et
du retour de mon fils de Mouron et de la santé de ma fille et du petit '. >
C'est en ces termes que M. le Prince s'informait de la clôture des
vacances et de la reprise des études de Louis de Bourbon, sans oublier
ses deux autres enfants, Anne-Geneviève, la future Madame de Longue-
ville, et Armand, prince de Conti.
Une fois de plus, la saison du repos s'était donc écoulée dans le
château splendide, arsenal et trésor, qui, d'année en année, se dressait
plus formidable et recelait des ressources plus considérables.
Nous aurions voulu reconstituer cette magnifique demeure seigneu-
^f-rIM*'T^-
Château de jyûNTSOND.
(Avant sa destruction par Louis XIV.)
nale, telle qu'elle existait à cette époque, et nous étions étonné que ce
travail n'eût encore tenté aucun érudît de la contrée. Un manuscrit de la
bibliothèque de Bourges s'offrit alors à nous, intitulé : La Splendeur de
Montrond au commencement du dix-septième siècle (1621 à 1634) '. A
mesure que nous le parcourions, il nous semblait revivre au milieu de la
maison vouée à la garde et à l'éducation des jeunes princes ; nous
r^ardions défiler tout < le train >, depuis le gouverneur, M. de Mautour,
qui avait vu naître le duc d'Enghîen, jusqu'aux plus modestes serviteurs,
i. Dûuûrdtia Groue-Tour, fol. 56.
3. Bibliothèque de Bourges. Ms. 396 du catalogue Ornant.
UsnodCoaiW. 3
LE GRAND CONDÉ.
Le Breton, Verjus, La Masele. Grâce aux « estais des paiements >,
nous pouvions recomposer le personnel, l'habitation et le mobilier, et nous
assistions, devant les aires des oiseaux de proie, les chiens et les chevaux
de la vénerie, aux joyeuses parties des enfants.
Quelle fête pour M. le Duc d cire entouré de soldais et de sergents,
de ne rencontrer partout que des images de guerre ! Les inventaires
qui nous décrivent les magasins de munitions et les dépôts d'armes,
ne sont pas de sèches énumérations de mousquets et de pistolets, d'ar-
quebuses à mèche ou a routt. de fauconneaux de fonte ou de fer. A côté
des piques, des boulets et des caques de poudre, il y a tout un musée :
fusils d'Italie et épées en acier de Damas, vieux canons aux armes de
Bourbon et Navarre, couleuvrines du seizième siècle aux noms de
i Sueilly » et d'Estrées, et, dans la Grosse-Tour, < deux paires d'armes
complettes. dorées, l'une pour Mgr le Prince et l'autre pour Mgr le
Duc. »
Là, chaque jour présentait un plaisir nouveau, tant il y entrait, chaque
année, d'acquisitions diverses et de curioaités. Maïs l'été et l'automne de
163: furent la période la plus féconde pour l'accroissement du trésor.
Nous pensons que l'on ne pourrait pas se faire une idée de ces merveil-
leux arrivages, si nous ne citions une page des registres d'entrée. Ne
serait-ce qu'au point de vue de l'histoire de l'art français à cette époque,
ce document vaudrait d'être publié ; notre but est de faire connaître
quelques-unes des magnificences sur lesquelles s'ouvraient les yeuxrj
éblouis de M. le Duc en vacances.
Dans l'inventaire des meubles, vases et vaisselle d'argent, du 23 juillet
1632, il n'est question que des objets moins précieux ; mais celui du 25
novembre donne la liste « des vesselles d'or et argent apportées par Mon-
seigneur de son voyage de Bourgongne '. > Or, veut on savoir en quoi
consistaient « les dons et présans à luy faicts aux entrées de quelques
villes de son gouvernement ? » C'est d'abord € un bassin d'or pur, dans
le fond duquel sont trois figures relevées en bosse représentant Monsei-
gneur, Madame et Mgr le Duc, aînsy que les vers latins autour le signif-
fient : sur les bords, les armes et plusieurs histoires anciennes pesant dix
marcs, trois onces et deux gros. ;& Ce sont encore deux dambeaux « d'or
pur vermeil l> et aux armes,
Beaune a offert € 2 salières d'or pur ciselées, avec chacune 3 nymphes
par le dessus... » Auxonne, autre petite ville : i. une aiguière de même
métal. » Saint-Jean-de-Losne : « 2 assiettes quarrées d'or pur, souste-
nues chacune de 4 petits lyons à visage de femme. > Semur s'est dis-
tingué ; c'est une cité galante qu'habite l'allégorie. Elle a donné : « un
vinaigrier d'or pur ciselé au fetz duquel est un cupidon tenant un cœur
en sa main droite, et en l'autre son arc, duquel le bûcheron hache une
teste de serpent sur le col duquel il y a un autre cupidon aislé tenant le
frain mis en la gueule dudit serpent, qui est une petite chesnette d'or,
I
I
I. Splendeur dt Manlrond, p. 233 et %\
ULURÉAT DE RHÉTORIQUE. 35
et de sa main droite un trident. '» Le présent de Nuits n'est qu'un sucrier
d'or pur ciselé, € soutenu de trois petits lyons, et surmonté d'une Mi-
nerve ; > celui de Bellegarde : une boîte à sucre, d'or pur vermeil, sup-
portée aussi par trois lions d'or. Mais Autun s'est mis en frais d'imagina-
tion. Sa grande fontaine d'argent vermeil ciselé, de deux pieds de haut,
est à jour ; un bouquet se met au-dessus et quatre autres petites pièces
la font jouer. Avallon est la ville pieuse du duché de Bourgogne. Dans
sa coquille d'or est représentée € la Nativité de N.-S. >
Toutes ces pièces d'orfèvrerie, renfermées en leurs étuis de maroquin
rouge ou de cuir noir, couverts de fleurs de lis dorées et doublés de soie
verte ou de velours cramoisi, allèrent trouver à Montrond la < Nef
d'or, » venue en 1629, et € l'autre vesselle d'or et d'argent > qui les
attendait. Six mois après, le 2 mai 1633, c'étaient les hommages de
Dijon, Chalon, Bourg-en- Bresse, Belley, Mâcon, Arnay-le-Duc, Bar-
sur-Seine, Tournus, Châtillon, Montbard, Charolles, formant un amas
de plaques, coupes, flacons, chandeliers, tasses, assiettes, cuillers, four-
chettes, bassins, cupidons et lions. Chalon avait la palme pour i sa
Déesse néréide représentant la Saône, tenant soubz sa main droite une
source dont sort une rivière... » et une médaille avec cette inscription :
Henric. Borb. Cond. prim. Reg. sang. Princ. Burgund. et Btturig. Pro-
rex. Au revers : i un Hercule sortant de sa langue plusieurs chaisnettes,
qui tiennent par les oreilles les peuples qui sont autour de luy '. >
Quel que soit pour des yeux d'enfant l'attrait de tout ce qui brille,
M. le Duc avait le caractère trop haut pour ne pas mettre au-dessus des
jouissances du faste, les plaisirs de l'intelligence. Son entrée en rhétori-
que sembla lui apporter ces pures satisfactions. Sa lettre latine du 23
octobre 1632 est un chant de triomphe ^ Le style épistolaire y monte à
un enthousiasme fictif dans la forme, réel au fond : € Vous av^z gagné
d'abord Auxerre et moi j'ai été admis en rhétorique... ; vous avez atteint
ensuite Dijon et moi le pays de la poésie et de l'éloquence, dont la
richesse sont les belles-lettres. Tu deinde Divionem processisti, ego ora-
toriœ poeticœque supellectilis, totiusque humanioris doctrifus divitem regio-
nem. » Tout l'or récolté par M. le Prince le rendrait moins heureux ! Çà
et là, le jeune rhétoricien sort de l'antithèse et de l'amplification, pour
exprimer une pensée personnelle avec une énergie toute romaine. Des
sentences d'un tour philosophique dénotent un esprit mûr et réfléchi.
1. On trouverait peut-être quelques détails inconnus sur Montrond, dans un poème latin inédit
du P. Jean Aubery, dont le Bibliothécaire d'Auch a bien voulu nous envoyer le titre exact : Afons
Roiundus apud BoioSy Henrici Borbcnii Condat\ primiregia stirpis Principis^ castrum. Biblio-
thèque d'Auch, Ms. — Ce poème de 1.252 vers est différent de deux autres : Henrici Boràonit
in Oalliam Narbonensem iter.,. et in Celticam reditus^ imprimés au dix-septième siècle, et du
poème sur les Sables d'Olonne. Il en existait autrefois à Chantilly un exemplaire Ms. ainsi que
le prouvent les Recherches sur la Bibliothèque du ^rand Condé suivies du catalogue des manus-
crits qui se trouvoient dans cette bibliothèque^ publiées par Le Roux de Lincy, 1860, in 8°, p. 26,
n** 247. Le Roux de Lincy est d'ailleurs fautif et incomplet et les Archives de Mgr le duc d'An-
maie possèdent des catalogues anciens plus détaillés et plus exacts.
2. Histoire des Princes de Condé^ par Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 560.
LE GRAND CONOÉ.
L'ardeur avec laquelle le duc d'Enghîen se jeta dans ces études, supé-
rieures à la capacité d'un enfant de onze ans, lui rendit fructueuse une
année stérile pour d'autres. Il nous en reste deux monuments considé-
rables par leur étendue et leur valeur. Le premier est un volumineux
recueil de prose et vers portant ce titre pompeux : Palatium ghria cet-
cisshni Principis Henrici Borbonii Condcei.^X religieusement conservé
depuis trois siècles aux archives de Cdndé. Quelle a été la stricte part
de l'écolier dans ces compositions, c'est le secret du P. Pelletier.
L'exubérance du sentiment filial y est touchante. L'enfant, les yeux
sur son père, ne volt que lui, n'entend que lui, n'écrit que pour lui. Mon-
trer au grand jour et faire éclater aux regards de la France et du monde
les vertus et les exploits paternels, c'est le but qu'il déclare se proposer.
Le plan de l'ouvrage, simple dans ses maltresses lignes, est surchargé
de détails. Nous n'en indiquerons que les principales divisions. Deux
personnages allégoriques, Suada, l'Eloquence, et Eudoxia, suivante de
la Gloire, introduisent l'enfant dans un palais érigé à la gloire de Henri II,
et le dirigent, en l'instruisant, à travers les trophées. Narrations et dis-
cours, descriptions et dialogues ne sont que des thèmes ingénieux à
exercices de mémoire ou des prétextes faciles à moralités. Tous les
termes techniques de la langue y passent et repassent, relatifs, les uns
aux costumes ou aux jardins, les autres à la statuaire ou aux médailles, à
la peinture ou à l'architecture. Les emblèmes et inscriptions qui ornent
fresques et statues, portraits et tapisseries, sont innombrables. Tous les
marbres, obélisques et pyramides, colonnes et arcs de triomphe, bavar-
dent beaucoup. Il ne s'agissait pas d'être bref, mais de graver de bonne
heure dans l'esprit d'un écolier les leçons qui d'un fils de héros feront un
héros lui-même : Nnt>iqua»i id maiuriiis inchoari qiwd œtcnium esse
debcat. Le jeune prince, ayant traversé une enfilade de péristyles et de
portiques, s'est arrêté ravi devant les statues des grands hommes mêlés
aux empereurs, et s'écrie : Papee ! quantum est illustri esse nattim pâtre .'
11 devait renverser les rôles.
Le second monument de la rhétorique du duc d'Enghien est ce
fameux traité qu'au dire de Desormeaux ', n'ayant que onze ans, il
composa lui-même et dédia au prince de Conti son frère. Le Regin<e
eloqz'entiie palativm, sive exetcitattoncs oraloriœ, ne fut imprimé qu'une
dizaine d'années plus tard, en 1 64 1 ', et ne parut qu'en 1 663 avec le nom
du principal auteur, le P. Pelletier. L'édition prînceps forme un superbe
in-folio, orné au frontispice du portrait des deux princes, par Grégoire
Hurel. Delà main droite, le frère aine, en costume très mondain, per-
ruque retombant sur la fraise, haut-de-chausses et manches à dentelles,
I. lUstoirt de Louis dt Baui boa, second ifu nom. î* éd. Paris, 1768, in-i: . , ,
3, Dans l'épUre on lit : ( CoUeclos otim studiorum meonim fruciu; ad te nunc mîito. > iMdù- ]
vicvs Barbenivî Engvitnninsivm Dvx^ amcmtissimo Jratri svo Armandii Borbonio, primipi dt\
Confy.
i
LAURÉAT DJS RHâTORIQUE. 37
■ ■ ■ ■ ■ * ■ ■ »
fait signe à Conti d'avancer sans crainte. Mais le frère cadet, raide dans
sa soutane et son collet» se contente de ramener son long manteau. Un
ruban auquel est suspendue une croix pectorale est passé dans sa cein-
ture \ Son père l'avait déjà fait d'Eglise et destiné au cardinalat
Les nombreuses éditions et contrefaçons du PalcUivm prouvent sa
vogue au dix-septième siècle ; mais il ne détrôna point la Rhétorique du
P. Cyprien Soarez, recommandée par le Ratio. En 1670 on donnait
Pelletier en prix à la Flèche '. Etrangers et Français s'en emparèrent
tour à tour pour démarquer ou rétablir le texte. L'origine de cette singu-
lière querelle est dans les éloges de nos rois Henri IV et Louis XII I, ou du
Parlement et de Richelieu, par lesquels Pelletier avait cherché à inculquer
à l'enfant l'amour de sa patrie. Les éditeurs de Mayence s'avisèrent, sans
toucher au corps du texte, de substituer le nom de l'empereur Ferdi-
nand à celui de Louis XIII, les Allemands aux Français, et le Conseil
aulique au Parlement. Leur Richelieu n'étant pas encore né, ils suppri-
mèrent purement et simplement le panégyrique du Cardinal. Rare
mérite de ce traité : il n'est point banal. Je ne sais si l'on trouverait dans
un second ouvrage de l'époque les caractères des diverses nations de
l'Europe aussi finement esquissés. Ce n'est point ici le lieu de l'analyser
plus au long. Les lecteurs curieux le trouveront amplement étudié dans
une étude assez récente de M. l'abbé Davin. qui l'a jugé ainsi : < Au-
jourd'hui, c'est encore à mon avis, avec la Rhétorique d'Aristote, le meil-
leur livre pour une forte rhétorique ^ >
Ces études de belles-lettres, que le talent du P. Pelletier avait su
mettre à la portée d'un enfant, étaient sans doute entremêlées de quel-
ques leçons d'histoire. Le célèbre P. Petau, ancien régent de philosophie
à Bourges, et alors une des gloires de l'érudition au collège de Clermont
à Paris, crut devoir en exciter le goût chez le jeune Prince en lui faisant
l'hommage, par une solennelle épître dédicatoire, de son Livre de raison
des temps ou Rationarivm temporvm ^ La réponse du duc d'Enghien fut
d une lurbanité exquise. Cette lettre inédite est la première écrite en
français que nous connaissions de lui :
Monsieur et Réuérend Père
Pai recen le linre que vous m'auez faict Thonneur de me dédier, et comme je m'en re&>
•ent extrêmement vostie obligé, sachant bien que je ne pouuois receuoir vne telle courtoisie
1 . La Bibliothèque nationale possède de cette édition un bel exemplaire aux armes. Réserve
X, 459-
2. Voir à la Bibliothèque nationale un exemplaire de l'édition 1663, à reliure fleurdelisée (Ré-
serve, X, 1113), avec un autographe du P. Charles Pajot, du 18 août 1670, attestant que l'élève
de seconde, Louis Fiortan Desnos, 4 mérité ce second prix de narration latine, offert par le roi.
Le P. Pajot était lui-même auteur d'un Tyfocinium eloquentiœ qui avait dépossédé dans les clas-
ses la Brevis summa de Soarez. Il réservait le P. Pelletier pour les grands jours !
5. L'Education de Molière^ dans le journal le Monde^ 27 septembre 1878.
4. Dionysil Petavii Avrelianensis^ «S"./., Rationarivm temporvm^ in partes dvaSy libros decem
trivtvm, Jn quo ^tatum omnium sacra profanaque kistoria Chronologicisprobaiionibus muniia
summaiim traditur. Parisiis^ Seb. Ciamoisy, 1633, in- 12 de 502 pages. BibL nat. Inventaire, G,
32.350.
3B
LE GHAND CONDÉ.
dVne personne de plus grand mérite, je souhaitte infiDiinent l'occasion de vous tesmotgner
quevous ne Tarez pas perdue lors que vou s me l'auez voulu faire. Je scay bien que je ne suis pas
assez scauant pour vous rendre le contantement que je debuois vous rendre en la lecture de cet
excellent ouurage.n'estant pas encore en termes d'embrasser si aisément tant de choses qu'il
en comprend ; mais si je ne puis dauaniage, pour le moins vous assuré je que je ra'effot-
ceray de posséder l'épître que vous m'auez addressée, et qu'à force de la lire et de l'appren-
dre, je recognoistray lousjours de plus en plus que vous m'auez obligé, pourueu qu'il vous
plaise d'adjouter à tout cela l'assistance de vos saintes prières pour moy, afin qu'auec la'
grâce de Dieu je puisse imiter les vertus et l'innocence de mon patron saincl Louys ; c'e»t
la demande que je fais à tous ceux de vostre Compagnie que je cognois, laquelle je veu
seruir vn jour, si Dieu m'en donne le>pouuoit et vous en particulier,
Monsieur et Réuérend Phre
Vostre plus affectionné amy à vous seruir
Louis de Boorbon.
A Bourges, 6 feb. 1633.
Au dos .■ A Monsieur et Réuérend Pfere Petau
de la Compagnie de Jésus.
A Paris ■.
Les jeunes gens d'aujourd'hui se plaignent volontiers du surmenage
causé par la surcharge des programmes. Leurs manuels d'histoire sont-
ils donc plus bondés de faits et hérissés de dates que cette chronologie
universelle ?
XJt'ptlre qui avait valu au P. Petau une si jolie réponse, renferme, à
côté de considérations sur l'honneur fait aux beaux-arts et à la littérature
par les princes qui daignent s'en occuper, un portrait moral du duc d'En-
ghien à onze ans. Son esprit pénétrant et sûr, sa promptitude à tout
saisir, l'ardente émulation qui le portait au premier rang, sa vivacité au
milieu des batailles de la vie scolaire, y sont heureusement dépeints *.
La ressemblance était trop frappante pour qu'aucun malveillant son-
geât à contredire.
Mais le Jésuite avait osé féliciter l'écolier de ce que, contrairement
aux habitudes des princes du sang, lui, vrai fils de France et par la race
et par le caractère, avait, soit de plein gré, soit par obéissance, préféré
aux agréments et aux délices de la vie de cour, l'honneur aristocratique
entendu à la manière des héros d'Homère, c'est-à-dire : faire mieux que
les autres. Petau n'avait pas hésité à mettre en contraste, d'une part, les
grands qui font venir à domicile les maîtres de la science, et qui s'en
servent par manière de distraction ou de passe-temps; d'autre part, ceux
qui, assidus à se rendre chaque jour dans la maison commune des bonnes
lettres, n'y revendiquent d'autre privilège pour eux-mêmes que celui de
n'en avoir aucun.
Un pareil coup droit porté aux préjugés de l'époque faisait la partie
I. Pafiitrt de Candé, série M, t. IV, fol. S. Celle leitre, conservée longtemps au collège de Cler-
innnt, à faris, reparut en i£;6 dans la vente du Cabinet Parison, Catalogue, n" zoo.
3, Rationarivm Umporvm, local.
i
i
LAURÉAT me RHÉTORIQUK. 39
belle aux défenseurs des idées régnantes. Un rîval de Petau, le chro-
nologiste Lapeyre, s'empressa de 99 constituer leur avocat. Il lui sembla
que son rival avait prêté le flanc à une facile critique, et tout aise d'avoir
saisi le défaut de la cuirasse, il lançi^ contre l'auteur du Ràtionarivm,
auquel d'ailleurs il devait une réplique^ deux pamphlets des plus vio-
lents : le Berger chronologique * et l^Ariadne^ celle-ci « dédiée au fils
aîné du premier Prince du sang '. » Daas le Berger, l'éducation égali-
taire reçue par M. le Duc à Sainte- Marie était l'objet d'un assaut en
règle. Lapeyre a la loyauté de citer son adversaire et de le traduire en
regard ; ensuite il le commente :
PfiTAV
En son Epistre dédicatoiro
Illvstris- a Ties-Illvs-
simo Principi D. tre Prince Monsei-
Enguiennensium Bovrbom Duc
Dvd d'Angukm.
Lapeyre
Ce nom est sainct et sacré, et vous n'en sçauriez jamais dire tant de Men que nous n'en
croyons encores beaucoup davantage. Mais si ce grand Prince est aussi mal instruit en
toutes les autres sciences que vous voulez l'instruire en celle des Temps, U but déplorer
sa jeunesse d'estre si inutilement employée.
Ce n'est là que le commencement des aménités. L'admiration du P.
Petau pour M. le Duc, d'autant plus supérieur aux autres qu'il s'est
constitué leur égal, fait éclater la mauvaise humeur de son antagoniste :
(N'avoir) rien de propre que les autres n'ayent... Voilà le centre et l'aboutissement où se
1. Le Berger chronohpçve, contre le prétendu f^eant de la Science des temps. Ou défenses sans
artifice pour la nuë venté^ contre les de/fis et les menaces inutilles du R, P, Denis Petav, Jésuite,
insérées au premier livre de son Rationarivm temporvm^touchant les deffauts qtàil dit estre en la
Sainte Chronologie du Monde, divisées en i Ç4 articles, Auec 13 DémonstrcUions claires et naifues
de ses erreurs et confusions sur V ordre des Temps, le tout iustifié suiuant la Saincte Ecriture,
contre ses fausses maximes. Par laqves d'Avzoles Lapeyre, fils de Pierre d'Auzoles et de Marie
de Fabry d'Aùuergne. Régnants les Tres-Chrestiens Louis XII 1 et Anne d'Espagne. Dédié à
Monseignevr de la Vrilliere, secrétaire d*Estat. Paris, AUiot,i633.In-8 de624 pages. Bibliothèque
nationale, G. 11.568. L'avis au lecteur est daté : Paris, 28 juillet 1633.
2, DAriadne ov Fitet secourable povr se desveloper des embarrassemens nouueaux du R. P.
Denis Petau, iesuite d* Orléans, et sortir promptement de ses labyrinthes chronologiques, à la honte
et confusion du Monstre des Temps, appelé Rationarivm. V2,x laqves d'Auzoles Lapeyre, etc.
Paris, 1634. In-S*" de 50 pages. Bibliothèque nationale, Imprimés, G. 11.605. Le département des
Estampes possède un portrait du duc d'Enghien tenant en main VAriadne de Lapeyre. Il a été
découpé dans une plus grande estampe au centre de laquelle figure Lapeyre lui-même, avec en-
cadrement formé par les divers personnages auxquels il avait dédié ses nombreux ouvrages. Au
bas, la légende suivante : Ceste taille douce est tirée de l'original d'un tableau faict par le S* Ber-
nard peintre, auquel sont représentées toutes les Majestés, Eminences, Altesses et Grandeurs aux-
de ses protecteurs.
40 I-K GRAND CONDE.
Téduisect toutes les louanges que le P. Pelau donne à ce jeune Prince. Que si Monseigneur
son père, plus par coirplaisanct que par réce;silé, ne l'eust obligé d'aller dans les classes
des Jésuites, el d'y vbHr comnit lu moindres, jamais le Pfcte ne se fust ad«îsé de luy donner
les louanges qui luf sont deues.
Mais quelles que soient les raisons de Henri II de Bourbon, l'auteur
Le p. Denis Petao,
de 1.1 Compagnie de Jésus. (D'après Michel Lasne.)
du Berger prend la liberté de représenter à Sa Grandeur un fait de la
plus vieille expérience :
Jusques ^ uainlenant pour les Princrs, on n'a pas veu grands miracles sortis de ces
Esiholes communes, où l'on \oît une infinité de mauvais exemples parmy le giand nombre
des (nfanis, et lesquelles sont ordonnées plus pour les jiauvres que pour les Roy s et
souverains, ny par conséquent pour n os Princes du Sang de Fiance qui sont audessui de
plutieurs Souverains,
/-
LAURÉAT DE RHÉTORIQUE.
Jne fois parti en guerre, le brave érudit chevauche à travers l'anli-
quité grecque et rencontre ies alliés les plus inattendus dans cette
affaire. C'est Alexandre le Grand qui eut Aristote « pour luy tout seul >,
42 LK GRAND GONDÉ.
qui né pour les grandes choses, se moquait de Linus, et le tua d'un coup
de sa lyre sur la tête, ce précepteur s'étant oublié jusqu'à lui reprocher
que € ses compagnons estoient plus sçavants que lui. :^ Lapeyre conclut
hardiment de cet acte de brutalité que < les grands ne peuuent ny ne
doiuent souffrir de compagnons. >
Ainsi font les héros païens, fîls des dieux ; ainsi à plus forte raison les
héros fils des rois très chrétiens.
Nos Princes descendent d'une race saincte et sacrée, que s'il se peut il ne les ÙLUt
jamais mesler avec le commun ; lors que nous sommes nourris de viandes ordinaires, les
dieux se repaissent de Tambrosie et du nectar ; et quant aux classes, on apprend à décliner
Musa, et à joindre l'adjectif avec le substantif. Les grands Princes comme Monseigneur le
duc d'Anguien, doivent en mesme temps apprendre à gouverner les Empires, et à faire
choses dignes de leur naissance.
Mais ce sujet n'est pas de la matière du nostre, Sa Grandeur (le Prince de Condé) me
pourra dire que ce n'est pas à moy à me mesler de luy donner aucun conseil....; aussi
n'est-ce qu'en passant, sçachant bien qu'au basaage qu'est Monseigneur son fils, il me
pourra dire qu'il se seit de ces basses classes comme on se sert pour quelque temps de
toutes sortes de nourrices, desquelles on se deffait le plustost que l'ont peut, quoi que
pour ce regard deux ou trois hommes de sçavoir et de haute preud'homie seroient meil-
leurs pour un Prince que dtx millions de classes communes.
Cette curieuse controverse livrée autour du nom et de la personne
du duc d'Enghien, entre partisans de l'éducation publique ou de
réducation privée pour les princes, n'avait pas encore été, croyons-
nous, signalée '. Elle prouve quel empire gardaient certains préjugés
de naissance sur la société du dix-septième siècle et quel courage il avait
fallu à Henri II de Bourbon-Condé pour les surmonter en faveur de
son fils.
Aux dons de l'esprit si remarqués en M. le Duc, le P. Petau préférait
avec raison les qualités non moins remarquables du cœur : cette fleur
de pureté et ce reflet d'innocence que ne ternissait aucune tache ; une
nature trai table et souple, se pliant à la formation ; un caractère droit et
aimable, et, à l'égard de tous, même des plus humbles, une grâce
souveraine et un ton toujours affable ; enfin, une piété sincère et agis-
sante *.
Ne faut-il pas voir ici une discrète allusion à la nouvelle marque
donnée par le Duc, en cette année 1633, ^^ sa foi et de sa religion ? Il
avait sollicité la faveur d'être admis parmi les membres de la Congré-
gation de Notre-Dame, et, les épreuves ordinaires subies, on l'avait
entendu prononcer la formule solennelle de consécration, acte touchant
1. M. le chanoine Vital Chatellain va jusqu'à affirmer que Lapeyre, après une première querelle
chronologique avec le P. Pétau, au sujet de la Doctrina temùorvm (1627}, < ne souffla plus >(?).
Il est vrai que Fauteur de cette biographie fait du duc d'Enghien un élève des Jésuites de
Paris i^V), Le P, Denis Peiaud* Orléans, jésuite. Sa vie et ses œuvres, par J.-C. Vital Chatellain,
chanoine missionnaire. Paris, 1884, in-8, pp. 249 et 253.
2. Rationarivm temporvm, loc, cit.
LAURÉAT DE RHÉTORIQUK. 43
et noble exemple où plus d un s'était édifié et s'édifie encore \ < Les
deux Princes du sang royal de France, Louis, prince de Condé, et
Armand, prince de Conti, écrivait le P. Grasset, firent... l'honneur
de la Congrégation. L'un et l'autre, élevez sous la protection de la
Mère de Dieu, à Bourges et à Paris, y ont donné durant plusieurs
années de grands exemples de vertu ^ > En 1884, lors du troi-
sième centenaire de la confirmation des congrégations de la Sainte
Vierge par Grégoire XIII, centenaire célébré dans le monde entier,
on rappela que Bossuet et Fénelon, Condé et Villars furent congré-
ganistes.
La rhétorique de M. le Duc ne pouvait se terminer sans un prix
aussi distingué que son mérite d'écolier hors pair. Selon toute pro-
babilité, c'est à la distribution de cette année scolaire 1633 -1634, qu'il
reçut des mains du P. Jean- Baptiste RolHn le très curieux volume
qui peut être regardé comme son prix d'honneur. Nous en eussions
ignoré l'existence si le plus libéral des savants et le plus prévenant
des bibliothécaires, M. Léopold Deliste, ne nous l'ayait spontanément
révélée.
La réserve de la Bibliothèque nationale possède parmi ses joyaux
historiques l'ouvrage suivant : Traictê de l'Amovr de Diev. Par
François de Sales, Ëuesque de Geneue. A Rouen, chez lean- Baptiste
Behovrt, rue aux Juifs, près le Palais, m.dc.xxix. Auec Approbation K
La reliure pleine, en maroquin olive, d'un vert entièrement passé, est
semée de fleurs de lis de l'époque, et ornée sur les plats des armes de
Bourbon-Condé entourées des colliers de Saint- Michel et du Saint-
Esprit. Sur le premier feuillet de garde on lit cette inscription manus-
crite :
Illmtrissimo Principi Ludouico
Borbonio oh mirificam dicendi
graiiam et scribendi In
Schola principatum
hoc proemium Rec^
Collegii Bit,
J, B, Rolinus
Servus obse
guetis.
offert.
Ce prix décerné à Louis de Bourbon, « pour sa grâce merveilleuse
dans l'art de dire et sa supériorité dans l'art d'écrire, » nous le montre
1. 4 Sodalitium Purificatse Virginjs auxit hic annus nobili sobole ; quippe Enguineus albo
sodalium, anno setatis suae duodecimo, adscribi petiit et solitis experimentis rite perfunctus,
solemnî nuncupata formula, magno sensu pietatis, exemplo magno Deiparae... familise nomen
dédit. > Littera annua, 1633.
2. Des Con/>régatians de Notre-Dame, Paris, 1694, in-8, p. 120.
3. Bibliothèque nationale, Réserve, D, 17599.
44
LS GRAND GONOÉ.
-f rince dans l'acception antique du mot : de sa primauté d'excellence
découlait sa primauté d'honneur '.
I. Les raisons qui nous font rapporter à l'année 1634 ce prix offert par le P. RoUin au dac
cPEngbien^ sont les snivantes : le P. Rollin ne fut reaeur de Sainte- Marie qne pendant les trois
années consécutives (mars 1^31-32, 1632-33, 1633-34 vacances), répondant à la fin de la troi-
sième, à la seconde, à la rhétorique et à la logique de M. le Duc ; or, les Lettres annuelles^ qui
nous apprennent quels furent ses prix de troisième et d'humanités, passent sous silence celui de
rhétoiique, silence qui s'explique mieux dans le cas d'on prix hors concours. D'un autre côté, ce
n'est pas l'année d'après, en classe de philosophie, qu'il eût été question ^éloquence et de style :
dicendi,,., et scribendi.,., — Jean-Baptiste Rollin, né au diocèse de Lyon, le 11 février 158;,
entré dans la Compagnie le 17 avril 1603, à Avignon, avait fiait ses derniers vœux à la Flèche, k&
21 décembre 1618. 11 fut dans ce même collège professeur < de rhétorique et d'histoire >
(1613-1619). Recteur à Eu, puis à Bourges, il le fut encore à Moulins et à Orléans, où il mourut
le 21 décembre 1648, à la suite d'un refroidissement contracté dans la chaire de Saint-Paul. Il
exerça le ministère de la parole à Paris, Alençon, Tours, et prêcha PAvent ouïe Carême dans les
principales villes du royaume. Le 8 juillet 1643, ^ prononça, d'après la Gazette (p. 600), < une
éloquente oraison funèbre >du roi Louis XIII, dans l'église Saint- Louis de la Maison professe
de Paris, devant l'archevêque de Toulouse et vingt évêques.
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,,^^
gapitrc Quatrième-
LOSOPHÏE ET DROIT.
(1633-1636.)
u commencement de la première année de philosoijhîe de
M. le Duc (1633-1634), son entourage fut en partie
: changé. Le "P. Gérard Pelletier était inamovible ; mais
■ qui fui son soci'us? Jusqu'à cette époque aucun document
^ officiel ne nous en a transmis le nom. Désormais ce sera
ie P. François Gouihière, religieux modeste, de plus de
vertu que de santé, qui venait de faire, à la Faculté de Sainte-Marie,
ses quatre années de théologie {1629-1633). Comme it est le seul socius
dont Lenet a retenu le nom, il ne serait pas impossible qu'il ait suivi les
cours du scolasticat en résidant à Jacques-Cœur avec le P. Pelletier .
Le professeur de logique fut le P. Claude Boucher, qui remplit dans
la suite les plus hautes charges de son Ordre, sauf le généralat ".
L'amour de M. le Duc pour l'égalilé et sa régularité à suivre le
régime commun ne coûtaient guère en rhétorique au brillant élève. En
logique, cette assiduité lui sourit moins. Avant de franchir l'obstacle, îl
essaya de le tourner.
I. C Henri, prince de Condé, choisiL.. le père Peiletier et le maitte Goutter, jdsui les, l'un Toit
austt-rc el l'auire fort doux. > Mémoires, p. 424 .
3. Claude Boucher, né à Paris, le 11 fiévrier 1603, entré au noviciat le 13 «eplembre 1618,
prononça ses derniers vœux à Paris, le 13 août 1636. Après avoir enseigné la gramniaiie, la
philosopliie el la théologie, il fut recteur du collège de Bourges (1646-1649), sodus du provincial
rie Fiance, provincial lui-mSnne, préposé delaMaison professe du faubourg Saîni-Anloinc, enfin
assistant de France ii. Kome, de 1661 A 16S2, La douzième con^r^Ë^'"'" générale qui élut, le 5
i*ui1kt de celte dernière année, le P. Chartes de Noyelle comme général de l'Ordre, lui substitua
e P. Paul Fontaine. Trop âgé pour quitter Kome et devenu piesque aveugle, le P. Bouclier
continua d'y résider et y mourut le 25 novembre 1683. Le P, Talon, qui, de Paris, tenait le grand
Condé au courant de ses Doiivelles, lui annonça la mort de son vieux profe-seur.VoIr Papiers 44
Ceadé, série P, t. 80, fol. 279 : 1. 89, (bl. 16 et t. 93, fol. 308. Le P. Claude Boucher paraît n'avoir
écrit aucun awnAVfiiSommervogtl, t. I, col. 1863), mais les Papiers dt Condé contiennent ses
lettres adressées du Gesu à M. le Prince à partir de i66[, série P,t. 24, fol. 408 : i. 2S, fol. 86,
«c Sur BoniAleàla congrégailoa génératede I6}i-i6ï3, où l'exclusion lui fut donnée par la
cour de France à cause de son attachement \ Condé pendant 1a Fronde^ voir notre article des
£ttide4, 15 mars 1891, page 38; et note 3.
LE GRAND CONOÉ.
Les cours de philosophie se partageaient, à Bourges, en deux parties,
d'une année chacune : la logique et la physique. Dans la première
rentraient la morale avec les éléments des sciences physiques et mathé-
matiques ; dans la seconde, la métaphysique. Pour fond de l'enseignement,
la scolastique ; pour méthode, la dispute ou argumentation orale. Des
quatre e.xercices en usage constant: leçon ou classe, rZ/t'/rV/w; quoti-
dienne, sabbatine ou revue de la semaine, et mcnstruaU ou revue du
mois, cette dernière épreuve était la plus redoutée. Elle durait toute
une journée et avait lieu en présence des professeurs de philosophie
réunis et de leurs élèves. « Autant de répondants que de professeurs ;
mais chaque répondant avait deux adversaires, un de sa classe et un de
la classe supérieure '. » M. le Duc tâchA-t-il d'esquiver cette corvée ; sa
fierté fut-elle inquiète d'avoir à disputer publiquement avec des élèves
plus avancés ou avec ses maîtres? Le P. Pelletier, plus humaniste que
philosophe, et qui n'avait jamais enseigné dans ces classes, en compre-
nait-it moins l'utilité, ou bien, par pure condescendance, essaya-t-il d'en
faire dispenser son élève dérouté ? Toujours est-il que. s'il faiblit, M. le
Prince ne transigea pas ; « Dittes au P. Pelletier que je veus que mon
fils soustienne les thèses du mois covime les autres '. :& En logique, à
Bourges, les choses ne se passèrent donc pas autrement qu'au collège
de la Flèche, oîi, d'après Descartes, « l'égalité que les Jésuites mettent
entre (les jeunes gens), en ne traitant guère d'autre façon les plus relevés
que les moindres, est une invention extrêmement bonne pour leur ôter
la tendresse et les autres défauts qu'ils peuvent avoir acquis par la
coutume d'être chéris dans la maison de leurs parents'. » ; sauf qu'avec un
père tel que Henri II de Bourbon, ce péri! n'était pas à craindre.
L'année scolaire 1633- 1634 ne se termina point sans que le duc
d'Enghien soutint ses premières thèses publiques de philosophie'. La
séance eut lieu en juillet, au collège Sainte-Marie. Les conclusions
défendues par le jeune logicien portaient naturellement sur toute la
logique et aussi sur l'éthique et la physique. En géométrie, il avait à
démontrer quelque propriétés de la ligne droite, du plan et des solides.
Précédées d'un portrait de Richelieu, ces thèses sont dédiées au grand
ministre, à qui les princes rendent honneur. M. le Prince, qui décidément
entendait que son fils ne fût pas seulement ce qu'on appelle aujourd'hui,
avec trop de dédain, un fort en thème, mais encore qu'il se formât le
jugement et s'exerçât à l'art de raisonner, assista en personne à la soute-
nance, moins pour encourager le défendant qu'afin de contrôler le
sérieux de la dispute. Il n'est pas inoui, même quand les choses se
1. P. de Rochemonleix, Histoire de la FUcke, I. IV, p. 25.
1. Dattier de la Grnae-Tow^icA. 61. H. le Prince à Graiset. Dijon, y difcembre 1633,
3. P. de Rochemonteix, t, IV, p. 2
4. L'unique exemptaire qu'il maél^ àonn^ de vaîrse trouve au cabinet des livres de Chantilly, 1
On lit à U lia : Profionebat Lvdoviivs de Bourbon, dvx d'EngvieH, in colU^io Biluricensi, SacU- I
ta:is letv, die— mentù luUi, Anna 1634. ParisJis, Apud Petrvni Rocolei, Bibliopolam. In-4 coal
chiETré.
{
PHILOSOPHIE ET DROIT. 47
passent le plus en forme, que la lutte n'existe o^^ pour la forme. Il suffit
à celuî qui est sur la sellette, ou plutôt sur lestrade (suggestus), de
s'entendre au préalable avec quelques compères avec lesquels il convient
des questions à débattre. M. le Prince, soucieux d'écarter l'ombre
même du soupçon de connivence, n'agréa d'autres attaquants que ceux
désignés par lui-même, nommément et séance tenante. Toute complicité
était, aux yeux de tous, rendue par là impossible. Grand fut l'honneur
qui en rejaillit sur le Prince et son fils, ainsi que sur les maîtres.
Après de tels exemples, les Lettres annuelles, toujours à l'enthou-
siasme, déclarent que € l'on ne s'étonnait plus de rien à Sainte-Marie. >
Talent, piété, vertu, savoir étaient l'apanage du duc d'Enghien ; joie et
admiration, le privilège des professeurs '.
Le Père général lui-même s'unissait de Rome à ces sentiments. Ses
paroles sont un écho direct des informations reçues par lui des Jésuites
de Bourges ou même de M. le Prince. Dans sa dernière lettre adressée
au P. RoUin, dont le triennat rectoral touchait à son terme, il s'exprime
ainsi : < Le principal honneur de votre collège est bien ce jeune Prince,
et par son talent et par son savoir, devant lesquels tout le monde est
frappé d'étonnement. Pour moi, j ai pris un vif plaisir au récit que Votre
Révérence m'a envoyé de ses ^/^«/^j publiques, que son père en
personne est venu relever par sa présence. De ces débuts, nous pouvons
espérer, avec la grâce de Dieu, quelque chose de grand, lorsque Tâge
et rhabitude du bien auront affermi sa vertu '. »
L'année 1634 1635, M. le Duc suivit le cours de physique. Son
régent lut encore le P. Claude Boucher, qui cumula avec ses fonctions
de professeur la direction de la grande congrégation des externes. Ce
maître se concilia pour longtemps l'affection et la confiance de son élève.
Il sera son confesseur à Paris et son correspondant à Rome.
Une soutenance plus importante que la première devait clore cette
deuxième et dernière année du cours ; c'est l'examen appelé dans l'école :
de Universa philosophia. Programmes gravés, invitations répandues à
profusion, nombre et habileté des argumentants, dispute à coups de
syllogismes et en latin, tout concourait à la solennité et à la difficulté de
cette joute. Les Conclusions duraient parfois jusqu'à deux jours.
En bon général, M. le Duc se prépara de loin à la lutte, et, comme il
fera aux plus beaux jours de ses campagnes victorieuses, il ne voulut
f
1. < In re litteraria, post ingenium et exemplum Illmi Ducis £nguinei,nihil hic miramur : in eo
crescunt in dies omnia : ingenium, pietas, virtus, doctrina. Publiée e suggestu thèses e loçicoy sub
anni finem, puer annorum tredecim propugnavit. Aderat celsissimus et optimus parens D. Pro-
toprinceps, atque ut omnes aditus aut gratiae aut ejus suspicioni excluderet, neminem admisit
thesium oppugnatorem, nisi quem in ipso disputationis articule nominatim citaret. Eventus gra-
tissimus patrifuit, fîlio gloriosissimus, nobis omnibus optatissimus. > Litterce annuit^ 1634.
2. < Magnum decus istius collegii est juvenis princeps, et ingénie et doctrina, in quitus homines
admiratione obsiupescunL Ego vero magnam animi voluptatem cepi ex iis qua: R. V. narrât
de publicis dispuiaiionibus, qu2iS etiam praesentia sua parens cohonestavit . Ex his principiis
magnum aliquid sperare possumus, cum divina gratia, cum setas et probi mores virtutem corrc-
boiarint. > Viielieschi à Roîlin, 19 juin 1634. Communication du P. Van Meurs*
LE GRAND GONO^
rien laisser à l'ennemi de ce qu'il pouvait lui enlever par prévoyance,!
mais non par surprise. Trois ou quatre mois d'avance, il s'est déjà jeté
tout entier dans les apprêts et sur toute la ligne. Le 4 avril 1635, Pelle-
tier écrit à son père : « Monseigneur, Puisque Monsieur le Duc continue
si constamment k donner du contantement à V. A., estudiant parfailie-
ment bien, et ne voulant jamais se départir de ses volontés, j'ay cru estre
obligé de rendre se fsi^) tesmoignage à la vérité et à V. A. Il se prépare
sur toute la philosophie qui n'est pas un petit ouvrage, il se porte très
bien, grâces à Dieu, et nous laisse des grandes espérances de piété et
de capacité pour l'avenir '. »
Le jour où le P. Pelletier écrivait ces lignes était le mercredi saint.
Cette semaine consacrée à la mémoire des souffrances du Sauveur fut
doublement triste pour le collège Sainte-Marie. Le successeur du
P. RoUin, à peine installé depuis la rentrée de 1634, le P. Louis Lalle-
mand, se mourait. Rollîn était un orateur; Lallemand un ascète. Le
lendemain jeudi, « jour de la Sainle-Cène », le pieux recteur rendit dou-
cement son âme à Dieu dans ce collège de Sainte-Marie, oïl dès les
premières années de sa jeunesse il s'était donné tout à lui. La ville de
Bourges lui fit de touchantes funérailles '.
L'avenir, même le plus prochain, ne démentit pas les espérances fon-
dées par le P. Pelletier sur le travail de M, le Duc, La soutenance at
Universa philoiophia eut un grand retentissement. Cette fois, ce n'était
plus au ministre, mais au roi que les thèses étaient dédiées. Le portrait
de Louis XIII, gravé par M. Lasne, figure en tête du recueil imprimé
des positions. Une longue et pompeuse épitre, emphatique et alambiquée j
d'expression et de pensée, offre au monarque « les prémices d'une vïel
impatiente de lui être dévouée ^ î
L'espace nous fait défaut pour résumer les vingt-sept assertions 1
d'étique, les vingt-sept assertions de physique universelle, les quinze!
assertions rfe J^/«H(/d, les quinze autres de Gaieraiione et Corruplione,\
ou de la transformation des substances corporelles, les quinze sur les!
Météores ei les vingt-sept de Anima, suivies des quinze conclusions!
I. Papiers de Condé, série M, t. V, foi. 87.
i. Voir les plus amples détails sur le P. Louis Lallemand, dans l'ouvrage si souvcnl réédité :
itf Vit it la doUrine spirituelle du Pire L. Lalltmand, de U Compagnie de Jésus. Paris, Michâllet,
1694.
3, Ce second recueil de thèses in-4 est beaucoup moins rare que le précédent. A-i-il existé
aussi une pancarte gravée et imprimée P Nous croyons avoir reconnu à la Bibliothèque naiiotiAle,
Estampes, parmi tes portraits, le frontispice qui répond aux vers latins de Dnujat : In Lvdûvtet
Borhonii Ani^iennai dviis, huhc prinâpis Condiei, intra puÈertalem de Phihsopkiadisputatttis
imagiitem. An. 1635. (Imprimés Yc 1346.) Il est à remarquer que les vers de Doojatont été com-
posés, ou du moins publiés bien après coup, au plus tât en I6.t6, époque où le duc d'Enghîea
devint ptmce de Condé {nnne prineipis Condaî). Ce qui n'a pas empêché M. A- Floquet, avec
plus d'innaginaiion peut-être que d érudition, de décrire un 4 curieux tableau peint sur l'heure
pnr l'ordre du prince Henri de Boutbun, > où < le duc d'Engbien triomphait, reconnaissable pour
tous, vif, bouillant >, etc., et qu'on < devait admirer longtemps à Chantilly >. Études sur Batsuet.
I.[,p.ii6 et suiv.— Le Roux de Lincy, dans ses Rechfrckes sur la bibliolhique du graatd Comdé, p,i,
pousie la fantaisie plus loin ; il fait soutenir au duc d'Eaghien ses thèses de philosophie en S^-
bvnnt et place le tableau à Gentiity, ce qui ne l'empjche pas de se téfécer à Floquei.
PHILOSOPHIE ET DBOIT.
métaphysiques. Les assaillatUs avaient beau jeu pour choisir leur terrain
et tendre des pièges au répondant. M. le Duc les réduisit à lui tresser
des guirlandes et à lui apporter des couronnes. Le cercle des disputants
(U'apifs une esiatnpe de la Cakographie du Louvre.
fcompwsait de prélats et de personnages de distinction ; ^^ le Prince
«ait présent, non en spectateur, mais en juge. Enghien fut superbe, soit
dans l'exposition des thèses, soit dans la défense. Son triomphe surpassa
toutes les attentes '.
îs et phîlosophisp stadium hoc anoo ILL"*"' Dux Eiigtiieneus (erminavii omnino
i.quem celsissimi Parenlis fEregia ergn nos volumas merebatur cl opéra in filium
sira repetebai. )sin liiicrario ciirriculoq^uanlmn nobi tj taie gène ris, tant it m îngenii
ardote, diligeniiic constaniia, omnes anieveriii. At<iiie illi cerle adores
LE GRAND CONDÉ.
L'Université de Bourges lui consacra un recueil de félicitations ; M. le
Duc y était comparé, pour sa précoce sagesse, au jeune roi Salomon ',
Dix mois après (30 mai 1636), le P. Charlet, assistant des Jésuites
de France, écrivait de Rome à M. le Prince : < Encore dois-je prier
V. A. que je lui puisse tesmoïgner l'extrême joye et contantement que
j'ay receu de i'honeur que m'a fait Monseig"^ le Duc d'Anguîen, de
m'avoir enuoyé de ses thèses qu'il a défendues si honorablement. Elles
m'ont ravi et tous ceux à qui je les ay fait voir '. >
Le duc d'Enghien n'oublia jamais ces rudes mêlées scolasliques. Près
de quinze ans plus tard, un soir de janvier 1648, le vainqueur de Rocroi
honorait de sa présence, au collège de Navarre, la Tentative de Jacques-
Bénigne Bossuet. L'on sait qu'il eut peine à se contenir dans son rôle
de simple témoin, et faillit descendre lui-même dans l'arène pour en
venir aux mains avec un si digne adversaire. Cette scène, une des plus
belles du grand siècle, avait eu son prologue dans les Conclusiofts de
Sainte-Marie de Bourges.
Au lendemain de la dernière distribution de prix ou d'un examen
final, il n'est pas rare qu'une réaction se produise. Si longtemps l'écolier,
impatient du joug, a soupiré après la liberté sans entraves ! A la mono-
tonie du règlement journalier vont succéder des semaines et des mois de
vie accidentée. Au bout de la route rîante qui s'ouvre sur l'inconnu,
l'horizon semble fuir et refuse d'enfermer plus longtemps dans un cercle ■
étroit rêves et aspirations. ■
Par contre-coup, ceux qui jusqu'ici ont veillé sur le jeune homme pen-fl
dant son temps de collège, prennent l'alarme. Une vague inquiétude'
s'empare d'eux à voir se dérober aux soins d'une tendresse ombrageuse
celui auquel ils croient leur appui encore indispensable.
Les nombreux Pères qui composaient le personnel de Sainte-Marie
de Bourges échappèrent-ils à cette impression .' Ne contemplèrent-ils
point à travers un nuage de tristesse cet enfant de race royale, six ans
l'orgueil et la joîe de la maison, qui s'éloignait pour aller, bientôt peut'V
être, là où de hauts destins l'appelaient !* I
La fierté et l'espoir l'emportèrent. Le passé leur garantissait l'aveninfl
Us eurent foi dans M. le Duc. Voici le témoignage des Lettres annuelles,
sorte de bulletin de sortie qui résume les années d'études et prophétise
la carrière de gloire. On dirait un commentaire anticipé du grand mot
de Bossuet : « La piété est le tout de l'homme. >
lemoiscosque ptiitasophiœ disputaiores altulerunl : in quibus clarlssimoruin episcoporuiiietnobi-
lium viiocum (cœtus) : nec specUiore modo sed arbllro ceUîssinno Parenie. Quœ mirilîca ejus
eruditio esi, sîve cum impiif^iiaiel adversarios, sîve cum plaeiia ip;e sua propugnaret, vieil om-
nium et abseniium DpÎDiones et prxseniium admiratiouem. Ltltera annua, 163;.
1. Publica grululalio Acadrmia BUuricemis oh ftlicem studiorum apulytim lllustrisiimi PriK-
cipii Ludovid Borbonii, Enguinensium Ducis, duobus Paneg^/riaf et Dialogo inoraU, eut lilulus
i
('634163;)
Ubbe.
3. Papien de Cotid/, série
des deux professeurs de ihétoriquc de Sainie-Marie
:,i. VIK, fol. 114-
12. Piice attribuée a
Bt éiait en celte 1
l'autre, le P. Pbillpi
PHILOSOPHIK ET DROIT. 61
Instruit. Esprit et caractère formés, où domina une piété digne d'un prince très chrétien ;
il en est tellement imbu qu'elle épanouit en lui les plus brillantes vertus. Débuts d'un heu-
reux augure qui promettent pour la suite des prodiges. Son âge tendre et sa culture avan-
cée, les solides fondements de ses progrès, feront de lui, au jour où il sera un homme, le
puissant soutien de la religion et du royaume. De tous les devoirs du chrétien, il n'en est
aucun dont cet enfant modèle n'ait pratiqué l'entier accomplissement et au-delà. Assiduité
aux sermons, fréquentation de la Sainte Table, dévotion à la Sainte Vierge, prière du
matin et examen de conscience du soir sont pour lui des obligations sacrées. Il s'en acquitte
dans la vie publique et privée, devant les siens et devant ses concitoyens '.
Dans ces conditions de vie profondément chrétienne, des vacances,
même commencées au soir des Conclusions triomphantes,et sans perspec-
tive de fin prochaine, n'offraient point apparence de péril. Mais à la
sauvegarde surnaturelle de la piété, M. le Prince était là pour faire join-
dre à son fils le préservatif naturel du travail. Changement d'études,
c'est presque l'unique repos que connut M. le Duc accouru à Montrond
dès la fin de juillet, tandis que ses camarades attendaient la distribution,
plus lente à venir alors que de nos jours, entre les murs des classes. Le
philosophe d'hier était maintenant étudiant en droit, mais étudiant d'au-
tant moins libre qu'exempté d'inscriptions à prendre, il ne dépendait
pas de la rentrée de novembre. Au mois d'août, il se mettait à l'œuvre,
et le droit n'était pas seul à figurer au programme. Le plan des études
nouvelles est tracé tout entier dans cette lettre du P. Pelletier à M. le
Prince :
Monseigneur,
Le désir que j'ay de ne manquer en chose qui dépende de mon devoir fait que je reçois
toutes les occasions que Dieu me donne pour rendre compte à V. A. de la parfaitte santé
de Monsieur le Duc et de l'heureux succès et progrès de ses estudes. Nous avons desjà
achevé le premier livre des Institus, et presque l'aritmétique, advançons en l'histoire qui est
de longue haleine, et en la lecture de laquelle il prend plaisir ; aussi est-ce une belle échoie
où se font les hommes. Les festes, je luy explique les controverses sur les épistres de
St Paul, pour luy monstrer le chemin de la bienheureuse éternité, puisque c'est là où toutes
ses actions doibvent viser pour correspondre à la grandeur de sa naissance. Aussi est-ce là où
tout le monde le porte par souhaits, par prières, et par services. Je prie Dieu qu'il le conserve
et me rende assé heureux que d'y contribuer tousjours quelque chose, afin que je me puisse
dire en vérité ce que je suis
Monseigneur
De Vostre Altesse,
Le très humble, très fidèle et très obéissant serviteur en N. S.
G. Pelletier, de la Comp« de Jésus.
De Mon-Rond.
2 sept. 1635.
A Monseigneur.
I. Ac doctrinam çiuidem, subacto ingénie, superavit pietas ; christianissimo Principe dignam
sobolem sic irrigavit, ut in omnem verae virtutis gloriam efflorescat : Isetissimi ortus mirifîcas
progressiones aspromtttunt et grandibus illius «tas tenera praestructa rudimentis religioni regno-
que magnum incrementum ab viro fore consignât. Nam quibus christiani officii partibus pueri
excellentissimi pius animus non praefuit, modo verum etiam superfuii, cum audiendis concionibus,
usurpandis cœlestibus epulis, colendae sanctissimse Matri, salutationis raatutinae serotinseque dis-
cussionis penso et soluto, publice civibus, privatim suis prxluceret. Littera annua, 1635.
52 X.E GRAND CONDÉ.
Matières de cet enseignement supérieur, choix et influence des
maîtres, distribution du temps entre les divers exercices valent bien
qu'on s'y arrête.
La piété du duc d'Enghien ne devait point être pure affaire d'impres-
sion passagère comme les habitudes d'enfance. La transition du collège
dans le monde demandait une foi éclairée par la raison, et initiée aux
objections régnantes. Henri II de Bourbon-Condé voulut qu'on lui fit
voir « la plus grande partie de l'Écriture sainte : tant ce bon prince
craignoit que monsieur son fils ignorât quelque chose ' >. La question
biblique, bien que sous une forme différente, alors comme de nos jours
agitait les esprits. Protestants et catholiques discutaient sur l'interpré-
tation du texte sacré pour en faire dériver leurs doctrines opposées de
la justification. Si dans la docte ville de Bourges les réformés avaient
rencontré en M. le Prince un ennemi déclaré, on se souvenait encore
que Calvin avait étudié à l'Université, et tout levain d'hérésie n'était
pas étouffé. M, le Uuc n'avait qu'à étendre la main pour trouver dans la
bibliothèque de Montrond, à côté d'ouvrages ascétiques par des Jésuites
et des Grandeurs de Jésus par BéruUe, le « Combat ckrestien de
Du Molin, ministre », oublié là en 162 1 par le vieux huguenot Sully '.
Le cours de religion était donc adapté aux exigences de l'époque et du
milieu.
Rompu à l'argumentation scolastique et à l'usage subtil des distinc-
tions, M. le Duc avait d'ailleurs un penchant naturel pour la controverse
et ne pouvait que prendre intérêt à ce mode d'exposition des vérités
chrétiennes. Sa vie durant, il conserva ce goût qu'il transportait dans
tous les ordres des connaissances divines et humaines. A lui plus qu'à
d'autres la discussion était d'un grand secours. Le bon La Fontaine
appelait cela ses contestations. < Elles sont fort vives, dit-il, et font
honneur aux sujets... Il aime extrêmement la dispute, et n'a jamais
tant d'esprit que quand il a tort... Il n'est point plus content que lors-
qu'on le peut combattre avec une foule d'autorités, de raisonnements
et d'exemples ; c'est là qu'il triomphe ^ » Le P. Pelletier avait décou-
vert, cinquante ans avant La Fontaine, cette tournure intellectuelle de
son élève.
Le professeur de droit était un personnage aussi grave que sa toge,
orné de grandes qualités et déparé par de moindres défauts. Ce docteur,
que Lenet proclame sans ambages 1' « homme le plus fameux de son
siècle» et qui était assis depuis 1612 dans la chaire de Cujas, en l'Uni-
versité de Bourges, se nommait Edmond Mérille, qualifié <ï Conseiller
de Sa Majesté, doyen des docteurs et professeurs es droîcts >. Sans
parvenir à la hauteur écrasante de son plus illustre prédécesseur, il avait
I. Lenet, Mànairts, p. 435.
a. Splrnâtur de Montrond,^. 317 t\passim.
3. Comparaison d'Alexandre, de César et de M. le Prince (le Erand Condé), Œuvres de La
Fûtttaùu, ià.. H. Régnier, t. Vlll, p. 315.
PHILOSOPHIS KT DROIT. 53
attiré dans la capitale du Beriy de nombreux écoliers, même de Belgique
et d'Allemagne, tant que la guerre de Trente ans n'avait pas fermé les
chemins '. Dans sa biographie du P. de Champs, Souciet lui fait honneur
de la vive piété qui lui avait inspiré, au milieu de ses doctes travaux,
la composition de Notes philologiques, approuvées par Urbain VIII, sur
la passion de y ésus- Christ \ L'auteur s'y propose d'éclairer, par l'histoire
des institutions et le texte des lois romaines, le récit comparé des quatre
évangélistes en grec et en latin, et il fait preuve de connaissances pré-
cises et de bonne critique. Mérille était ami de la Compagnie, affinis
nosterK Au revers du portrait : confiance exagérée en son mérite et
vanité puérile. La présomption démesurée de ses forces le mit aux prises
avec le jurisconsulte François Osy d'Orléans, et le fit déchoir de sa
renommée ^ Sa vanité lui dicta, dans son autobiographie, une pompeuse
définition de soi. Bourdaloue, qui a fait autant d'honneur à Bourges que
Mérille, laissa à la postérité le soin de le surnommer le € prédicateur
des rois et le roi des prédicateurs > ; Mérille la prévint en se proclamant
lui-même : Prince des docteurs et docteur du Prince ^ Sa nomination
auprès de M. le Duc fut l'occasion de ce joli mot.
Raynal ^ s'est quelque peu mépris, après Lenet ^ sur l'étendue des
attributions de Mérille, réduites en réalité à l'enseignement des premiers
éléments du droit ^ et exercées sous la haute surveillance du P. Pelle-
tier, toujours directeur des études du duc d'Enghien. Cette subordina-
tion fut une source de conflits.
Installé au château de Montrond, Mérille se montra peu empressé à don-
ner ses leçons au royal étudiant. Il avoue lui-même que, depuis bientôt
quarante ans, il n'avait pas revu les éléments du droit. Cependant que
n'eût-il pas fait pour son incomparable élève^? Mais l'heure octroyée à sa
1. La source la plus abondante pour l'histoire de Mérille est un travail moitié latin, moitié
allemand, paru dans le GutuUinf^iana, Halle, 1716, in-8, p. 216-257, et intitulé : Von Emundo
Merillio unddessen Schrifften.
2. Nous en avons vu les deux éditions les plus anciennes : Emvndi Merillii ivrisconsvlti con-
stHarii re/^iSj Antecessoris in Academia Biturigum Primicerii, Noiœ phiîologicœ in Passionem
Christi, Parisiis, Qvesnel, 1632, et Helmestadt, 1657. In-8. L'ouvrage est dédié à Charles d'Au-
bépine, marquis de Châteauneuf, chancelier sous Louis XIII et de nouveau pendant la Fronde,
dont le château s'élève encore aujourd'hui non loin des ruines de Montrond.
3. De Pi ta P. de Champs.
4. Voir le Dispunctor ad Merillivmy avctore Osio Aurelio, Aureliae, 1642. In- 8.
$. Vita Emundi Merillii fier ipsum scrifita, dans Thaumas de la Thaumassière, Histoire de
Arf7,p. 71.
6. Raynal, t III, p. 448.
7. Mémoires, p. 425. — Lenet, qui parle quelques lignes plus haut en témoin oculaire, ne sait
rien que par ouï-dire de ces vacances de Montrond.
8. Thaumas de la Thaumassière avait dit au contraire fort exactement : < Dum in Academia
nostra ^us civile interpretatur, hoc ei gloriae contigit, ut serenissimo Piincipi Ludovico Borbonio
firimajuris elemenia traderet. > Edmundi Merillii elogium^ ofi. cit.^ p. 69.
9. Préface de l'auteur en tdte de l'ouvrage suivant, qui doit être ràgardé comme le dévelop-
pement de ses leçons données à M. le Duc : Emvndi Merillii ivrisconsvlH^etcCommentarii prin-
cipales (c. a. d. composés pour le prince) in libros quaivor institutionum imperialivm, instituti
amto Domini 1636^ atatis auctoris 58, professianis 36, etc, Parisiis, Dvpvis, 1654. In-4. Nous
n'avons eu sous les yeux que cette seconde édition, revue par Claude Mongin sur les manuscrits
de Mérille ; mais on y trouve reproduite la préface de la première édition parue à Bourges en
1649.
LE GRAND GONDÉ.
partie était défavorable : devant se prendre chaque jour sur l'après-midi,
elle fut parfois sacrifiée. M. le Prince, qui, de loin, avait l'œil à tout, en
eut connaissance et fit retomber son blâme sur Pelletier, supérieur res-
ponsable. Le Père s'excusa : « Monseigneur, que si cette dernière faute,
procédée plustôt de mon ignorance que de mon péché, mérite pénitence,
je supplie V, A. de croire qu'il m'est bien aysé de la corrij^jer. et repren-
dre ce que M. Mérille a jusques à cette heure obmis ; aussi bien n'a-
voit-il pas de leçons prestes. Tout ce qu'il fait ne sont que les simples
définitions et divisions des Insiituies, se promettant de les composer et
mettre au nette ; ce, dit-il, en dessein de les enseigner publiquement dans
les écholes l'année prochaine '. î>
Mérille jugeait plus malaisé que le P. Pelletier de rattraper le temps
perdu. M. le Prince le pressa. Les lettres de Son Altesse ne troublèrent
point la quiétude de l'heureux Instiiutaire. plus soucieux de son cours
de rentrée que de ses répétitions de vacances. Deux jours après, le P.
Pelletier en gémit : « J'ai leu les lettres de V. A. à M. Mérille lequel m'a
dit luy vouloir escrire ; cependant j'ay esté d'avis de faire simplement les
commandements de V. A. sans attendre, me persuadant qu'elle ne chan-
gera pas aysément de dessein '. »
En dissentiment avec le directeur des études sur la régularité des
leçons, Mérille tombait d'accord avec celui-ci sur l'augmentation des
heures de repos. Il entrait alors pleinement dans les sentiments du bon
Père, en homme qui comprend les enfants. « Mons"" Mérille, écrit Pel-
letier, à la date du 22 septembre, s'est estonné qu'on déniast à ce petit
Prince si obéissant, ce que V. A. auoit ordonné pour ses récréations et
santé, et m'a dit que j'estois obligé d'y prendre garde, puisque personne
ne s'en mesloit '. » Mérille n'en était pas tenu davantage pour quitte de
ses obligations. Pelletier, à qui nous sommes tenté ici de donner tort,
lui reproche de ne pas convertir son cours en fastidieuse dictée. Hors de
la dictée, pas d'enseignement ! 4 Monsieur Mérille ne dicte point d'écrits
à Mons"" le Duc ; il m'a dit en avoir écrit à V. A., quand je luy a (sic)
leu ses lettres, et m'a adjousté qu'elle s'en devoit se fier (?) en luy. Ce-
pendant Je transcris le Compendmm qu'il en donne, qui est un ordre
contenant seulement les définitions et divisions des livres, s Mérille, tout
en plaignant sa peine et en gémissant de n'avoir pas à prendre la parole
devant de vastes auditoires, était fier de savoir exposer oralement sa
science ; ce que son enseignement y perdait peut-être en méthode, il le
gagnait en clarté et en vie '.
Aussi l'on avançait. Le 7 octobre. le P. Pelletier le constate : « Nous
taschons de ne point perdre de temps. Il (M. le Duc) est au 3"^ livre des
I
i
I. Pelleuer à M. le Prli
t. VI, fol. 193.
3. Le mtme au même,
fol. 195.
3. Ibid. , fol. 123.
4. f//tr, op. cil., p. 71.
). Monlrond, 15 septembre 1635. Papiers de Condé, série M,
jmrond, 17 septembre 1635. Papiers de Condê, série M, t, VI,
PHILOSOPHIB KT DROIT 65
Instttutes.^ Ce progrès charmait particulièrement l'actif étudîant,heureux
de s'instruire et aussi d'épuiser le programme, pour se livrer plus à loisir
au plaisir de la chasse. En quinze jours, il avait presque achevé ce troi-
sième livre et était parvenu au titre de Mandata. Là-dessus, il commit,
en latin, le plus innocent jeu de mots, et envoya à M. le Prince une lettre
badine '.
Le maître de mathématiques du duc d'Enghien était l'habile ingénieur
Sarrazin, qui, depuis plusieurs années fixé à Montrond ^ avait eu soin de
« fortifier insensiblement ceste place ^. » Selon Lenet, M. le Duc < com-
mença alors à apprendre les mathématiques. > Il faut plutôt entendre qu'il
les repassa. Nous nous souvenons que, dans les thèses soutenues par
Louis de Bourbon logicien en 1634, une partie était tirée de la géomé-
trie. En ces vacances de 1635, il revit d'abord l'arithmétique, puis la géo-
métrie. Aux premiers jours d'octobre, il en était arrivé au deuxième livre
d'Euclide ^; le 22, il achevait le troisième < avec une répétition de l'arith-
métique et des sinus '. »
L'histoire appartenait au P. Pelletier. Il préparait soigneusement sa
classe, qui avait lieu dans la matinée et durait une heure. M. le Duc
va-t-il au parc, c'est pour son professeur «grand contantement et repos,
ayant par ce moyen plus de temps pour revoir l'histoire et en faire comme
un abrégé pour souslager sa mémoire ^ ^ Le duc d'Enghien apprenait
ainsi « l'histoire de France et la romaine ^ » Celle-ci était sans doute
étudiée tantôt dans le texte original des auteurs anciens, tantôt en fran-
çais ; une seule fois Pelletier parle de traduction. Les historiens romains
devaient être d'ores et déjà familiers au latiniste de Sainte-Marie. Vers
la fin des vacances, il arrivait au 5^ livre de la première décade de Tite-
Live, avec le Florus de la version de Coeffeteau *. Coeffeteau, proclamé
dans une thèse récente de Sorbonne un des fondateurs de la prose fran-
çaise •, perfectionnait l'écolier cicéronien dans sa langue maternelle, bien-
tôt non moins utile pour lui que celle de Rome.
Telle était la part des exercices de l'esprit dans la vie à Montrond.
Quelle était celle des exercices corporels } Nous touchons ici à une ques-
tion qui faillit mettre le feu aux poudres de la petite place et divisa les
représentants de M. le Prince en deux camps.
1. Essai sur la vie du grand Condé^ par le Prince L.-J. de Bourbon- Condé. Paris, 1806,
in-8*, p. 252.
2. Voir aussi la Splendeur de Montrond^ où il est qualifié € mathématicien. >
3. Lenet, Mémoires^ p. 447.
4. Pelletier à M. le Prince. Montrond, 7 octobre 1635.
$. Le même au même. Montrond, 22 octobre 1635. Papiers de Condé^^ùt M, t. VI, fol.
332.
6. Papiers de Condé, série M, t. VI, fol 222.
7. Lenet, Mémoires^ P* 42$*
8. 7 octobre.
9. Nicolas Coeffeteau^ dominicain^ évêque de Marseille (l 574-1623), par Ch. Urbain. Paris, Tho-
nn, 1893. ^^^^ le chapitre vu : La Traduction de Florus et V Histoire romaine. Il n'eût pas été
hors de propos d'y rappeler que Coeffeteau fut un des livres de classe du duc d'Enghien.
56 LK GRAND CONDÉ.
Le P. Pelletier ne tolérait point, malgré Mérille, que l'heure de droit
romain fût supprimée, et tenait pour l'exacte observation du règlement
d'études. Mais il se rendait compte qu'un adolescent de l'âge du dut:
d'Enghien — il avait eu quatorze ans le 8 septembre — avait besoin de
grand air et de mouvement. La complexion de Louis de Bourbon n'était
rien moins que forte. Leriet, qui avait eu l'honneur d'être «cogneu de luy
dès le temps qu'il estudioitaux humanJtés.etmesme d'entrer dans ses plai-
sirs et sa familiarité, » ne donne qu'une raison pour laquelle, au sortir du
collège, M. le Duc retourna à Montrond : < encore trop délicat pour
les exercices violans '. > Maigre et pâle, à en juger par touS les portraits
de ses premières années, il était loin d'avoir une complexion vigoureuse.
Son père craignit les entrai nements de son ardeur et recommanda une
sage prudence même dans les jeux. La lettre du P. Pelletier, datée du
1 5 septembre, est dans ce sens. « Monsieur le Duc se commande grande^
ment dans ses exercices qu'il prend sans aucune violence et avec beaU'
coup de modération, et j'assure V. A. qu'il ne fut jamais dans si grand
respect ni désir de luy plaire, comme il fait le seul sujet de ma consola-
tion, puisqu'en faisant vos volontés très justes, il fait celles de Dieu. II
employé exactement le temps qu'elle a ordonné pour les exercices, sans
en rien relâcher. > Mais, aux yeux du directeur, il n'y avait pas assez de
détente dans tout l'ensemble de cette existence déjeune prince vouée à
un travail continu et à une réclusion nuisible 11 eût souhaité plus de
promenades. Ici, il se heurta à la résistance du brave La Buffetîère,
chargé de l'éducation de M. le Duc. Le portrait de ce gentilhomme dau-
phinois par Lenet donne la clef de \ imbroglio qui va suivre : « Doux et
quelque vertu, bon homme, fidèle et bien intentionné, et qui savoit suivre
au pied de la lettre tout ce qu'il (M, le Prince) ordonnoit pour la con-
duite de son fils '. > La Buffetière se déclara contre ce qu'il regardait
comme un excès de promenades ; il est vrai qu'elles retombaient sur luî,
ce qui l'excuse amplement. De là de véritables scènes de famille, aux-
quelles les doléances du P, Pelletier n'enlèvent pas tout leur comique.
Le médecin, M. de Montreuil, prit, paraît-il, parti pour le P. Pelletier,
ainsi que Mérille, et l'affaire fut portée devant M. de Maulour, le gou-
verneur de la place. Mais La Buffetière ne céda point et son obstination
mit le pauvre Jésuite au désespoir.
Pour vaincre l'opiniâtreté de ce dernier, le P. Pelletier imagina que
l'innocence de M. le Duc serait plus puissante que son éloquence, et ce
fut l'enfant qu'il députa au vieux gentilhomme. Lui, insensible aux grâ-
ces, laissa éclater toute sa colère. L'explosion fut peu terrible. Après la
comédie, la tragédie ; mais suivie d'un heureux dénouement.
Il en fut de ces vacances comme de toutes les choses bien réglées
elles portèrent leur fruit ; la raison de M. le Duc mûrissait de plus en
plus sous celte paternelle discipline ; sa constitution débile acquérait de
PHILOSOPHIE KT DROIT. 57
la force ; le jeune homme remplaçait renfant. Sur ce thème du progrès
moral et physique de son petit Prince, le P. Pelletier ne tarit pas. Le
7 octobre, il rompt un silence de courte durée, pour redire « la parfaite
santé de M. le Duc > et les « perfections de son corps et de son esprit
qui se fortifient également. > Mais devant le spectacle de cette transfor-
mation qui fatalement arrachera bientôt à la tutelle de précepteurs vigi-
lants et à la compagnie de vertueux camarades, Tancien élève de Sainte-
Marie et le congréganiste de Notre-Dame, son cœur de père se resserre,
son regard se trouble et il ne peut s'empêcher de verser une confidence
de crainte dans l'âme de M. le Prince. Toute cette éducation si lente-
ment et si patiemment élaborée, tous ces efforts multiples convergeant
sur une seule tête si chère, allaient-ils donc se perdre et s'évanouir sans
laisser de trace, au souffle délétère des compagnons perfides et des liber-
tins de profession ?
Monseigneur,
.... Monsieur le Duc se porte très bien grâces à Dieu, obserue exactement et sans répu-
gnance l'ordre que V. A. luy a prescrit,tant il s'estudie à faire,avec tout respect et amour,ses
volontés, ce qui me donne des consolations bien sensibles, et me fait espérer que croissant
en aage, il se fortifiera contre les discours que les libertins du temps ont cous tu me défaire^ et
pourront, pour le divertir du devoir et obéissance qu'il est obligé de rendre à Vostre Altesse,
s'il veut estre béni de Dieu et aymé des hommes. C'est la leçon que je luy redis souvent
avec protestation : que tandis qu'il sera obéissant aux commandements de V. A. et aux
lois de Dieu, jamais il ne sera sans les bénédictions célestes. C'est le désir et le sujet (de
mes) vœux et (de mes) prières '.
Alarmes peut-être prématurées. L'heure de l'entrée dans le monde
n'avait pas encore sonné. De Montrond l'on revint à Bourges après trois
mois de vacances, et les études y continuèrent comme devant, sauf que
M. le Duc ne retourna plus au collège Sainte-Marie € matin et soir >
comme il avait fait pendant près de six ans.
Une des dernières préoccupations du précepteur en rentrant de la
campagne à la ville avait été la question dérèglement. A Jacques- Cœur,
i les heures de la prière, de la messe, des repas et des divertissemens % >
avaient toujours été distribuées à la perfection ; mais maintenant que le
manque de classes laissait une large lacune dans le cadre aux compar-
timents naguère si pressés, les leçons de droit et d'histoire devraient-
elles remplir tout entière la place demeurée vide } Le P. Pelletier con-
sulta par deux fois M. le Prince ^ La réponse fut dans le goût du duc
d'Enghien, qui remercia avec effusion son père de le taxer à deux heures
seulement par jour, et protesta facilement que, lui eût-on imposé davan-
tage, il l'eût accepté de bonne grâce ^ Auprès de lui. à Jacques-Cœur,
1. Montrond, i8 octobre 1635.
2. Lenet, Mémoire s ^ p. 424.
3. Lettres des 18 et 24 octobre, Papiers de Condé^ série M, t. VI, fol. 314 et 332.
4. Histoire des Princes de Condé^ par Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 562. M . U Duc à M. le
Prince. Btourges, 15 novembre 1635 (en latin).
LE GRAND CONDÉ.
demeurait le P. Pelletier, et le docteur Mérille y venait donner ses répé-
titions.
Je n'oserais affirmer que le P. Gouthière fit encore partie de la maison.
Sa santé ne s'était pas rétablie ; la vie allait se retirant, et il en avait le
sentiment. Sa sérénité ne l'abandonna point. Détaché de toutes les satis-
factions humaines, jusqu'à faire le sacrifice complet des affections légitimes
de sa famille, Gouthière n'envisagea plus que deux étapes : le troisième
an de probalion et la mort. Il était de Chaumont. En vain, au fond delà
Champagne, son vieux père et sa vieille mère voulurent le revoir encore
une fois et demandèrent à M. le Prince de leur envoyer quelque temps
leur fils. Le religieux, confus, s'était adressé à son tour au père de son
élève pour obtenir de ne pas entreprendie un voyage < entièrement inu-
tile '. >
Les pressentiments du P. Gouthière ne le trompèrent pas. Ses mois
étaient comptés. Il s'éteignit le 14 janvier 1634. En lui M. le Duc perdît un
éducateur qui était la conscience même, vivant dans la maison des grands
comme dans sa cellule de religieux '.
Un autre Jésuite dont le duc d'Enghien dut regretter l'absence, était
son ex-régent de philosophie, le P. Claude Boucher. Il avait quitté
Bourges vers la mi-septembre < pour aller lire ' la théologie à Paris i ;
mais avant son départ, le professeur nommé du collège de Clermont
était allé présenter ses adieux à M. le Duc, encore en vacances à Mont-
rond. Le P. Pelletier le cite à cette époque comme visiteur avec l'évêque
de Laon, Philibert de Brichanteau '.
Le recteur de Sainte-Marie, qui n'avait plus l'honneur de compter
Louis de Bourbon parmi ses écoliers, mais qui demeurait le supérieur
des Jésuites de Jacques-Cceur, était le P. Louis Le Mairat. L'année pré-
cédente {1634), il avait succédé au P. Louis Lallemand et offrait un
frappant contraste avec son prédécesseur. Celui-ci avait été l'homme de
la vie intérieure et l'âme invisible de sa communauté. Celui-là fut
l'homme du gouvernement extérieur et de la parole publique. Aimé de
M. le Duc. à qui il avait toujours témoigné de l'affection ', il allait
terminer, grâce à lui. une affaire depuis longtemps pendante. La part
prise par le duc d'Enghien à l'avancement de ces négociations n'a pas
encore été mise en sa pleine lumière. Le président Rolland a même
faussement attribué à M. le Prince l'acte de présence de son fils,
I. Gouthière à M. le Prince. MonlroTid, 7 sepiembre 1635. PapUn de Coudé, sirie M, t. VI,
fol. 161.
ï. Le Cursus -vifa du P. Gouthitre est des plus simples. Né le ii février 1607, entré au novi-
ciat de Paris le 8 octobre 1623, il repassa la rhétoritiue étant novice de seconde année et lit trois
ans de philosophie : logique, physique, métaphysique. Sa régence se borna à une classe de
cinquième à Amiens (1638- 1679). Après quatre années de théologie à Bourges ([639-1633), il fut,
comme nous l'avons dit plus haut, adjoint au P. Pelletier en qualité de socius.
3. Urr s'employait alors pour enseigner.
4. Pelletier i M. le Prince. Montrond, 17 septembre 1635. Papitrs de CotuU, série M, t. VI,I
fol. 195.
5. C'est ce que rappellera M. le Duc à son père, dans une lettre datée d'Avallon,i3 octobre 1636
Hiitôirt des Princtt de Condé, t. II!, p. 567.
%
PHILOSOPHIK ET DROIT. 59
En fondant à Sainte-Marie une Faculté de théologie, Henri II de
Bourbon-Condé n'avait accordé au collège qu'un bienfait stérile et plus
honorifique qu'efficace, si la collation des grades n'y attirait des élèves.
Or cette collation était subordonnée à l'incorporation dans l'Université,
et celle-ci refusait de recevoir les cinq nouveaux maîtres que les Jésuites
lui offraient. Les Jacobins, bien que vivant en bonne harmonie avec les
Pères du collège \ craignaient-ils la concurrence de nouveaux docteurs ?
Ils fournirent quelques membres à l'opposition ; mais le plus grand
nombre d'entre eux avaient déjà souscrit à une transaction honorable
pour les deux Ordres, dont chacun devait avoir désormais quatre voix
dans les assemblées de l'Université. Le décanat de la Faculté de théo-
logie était partagé entre réguliers et séculiers. En vertu delà transaction
du II août 1634, il appartenait une année au supérieur des Jacobins, une
année à celui de Sainte- Marie, et la troisième à un docteur étranger aux
deux maisons. On reconnaît dans cet accord l'influence toujours conci-
liatrice de M. le Prince '. Elle n'échoua guère que devant le Jacobin
Mathurin Régien, <L religieux de grand poids et de mérite > au dire des
siens et de <L beaucoup de fermeté ^ », vertu qu'il plaça dans une résis-
tance aussi vigoureuse que prolongée.
Son antagoniste était un écrivain de l'école de saint François de Sales.
Etienne Binet, provincial des Jésuites de France, avait dans ses écrits la
grâce, encore exagérée chez lui, de l'évêque de Genève, son modèle \
Il résolut d'en finir, en s'appuyant sur la volonté inflexible du prince de
Condé et sur le concours énergique du P. Le Mairat. D'abord, il vit le
P. Pelletier en passant par Bourges, et le précepteur écrivit à M. le Prince
pour « supplier humblement (Son Altesse) d'acheuer ce qu'elle a
ambrasse avec tant d'affection, l'union de la Théologie auec l'Université
de Bourges, laquelle ne peut estre que par son authorité, afin que les
PP. Jacobins n'y apportent plus de retardemens et oppositions ^. »
1. i Cestoit la coustume pour lors et qui s'est pratiquée encore longtemps après, d'envoyer les
Novices (Jacobins) chez ces Rnds Pères Jésuites pour y faire leurs basses classes. > Page 170
de V Abréf»é de V Histoire du couvent des Frères Prêcheurs de la ville de Bourges^ en Berry^ par
F, Antoine Gevry^ docteur en théologie y religieux du même couvent. A Bourses ^ le XXY Jan-
vier i6q6. Cette histoire, demeurée manuscrite, a été retrouvée dans la Bibliothèque de Saint-
PétersbourfT, et publiée par les soins de M. de I^ugardière et de l'abbé de Champgrand, en 1877
(Bourges, Sire). Elle ajoute beaucoup à Raynal, 2Linsi qv^iiVmtértsssLnie Monographie du couvent
des Jacobins de Bourges^ par M. l'abbé A. Menu (Bourges, 1873.) Un deuxième exemplaire a été
découvert depuis à la Bibliothèque nationale .
2. Oo lit au bas de l'acte : € Nous remercions les Pères Jacobins et ks Pères Jésuites de
s'estre accomodez de leurs différens à nostre prière et trouvons tout ce qu'ils ont fait fort bon,
en tant qu'en nous est Fait à Mouron, 12 Aoust 1634. Henry DE Bourbon. > Ap. Gevry, p. 164.
3. < Le Père Régien ne consentit qu'à peine à ce Traitté, quoyque le premier Prince
du Sang de France, à qui cette Maison avoit de très grandes obligations pour les charitez et
aumosnes considérables qu'il nous faisoit toutes les années, luy eust fait l'honneur de luy en
parler plusieurs fois en particulier, comme d'une chose qu'il souhaittoit et qu'il luy feroit plaisir.>
Ap, Gevry, p. 161 et 164. — Mathurin Régien, venu à Bourges le 26 mai 1591, docteur le
13 février 161 8, mourut le 16 octobre 1638.
4. Etienne Binet (1569-1639). Voir sur ses innombrables opuscules de dévotion la Biblio-
thèque du P. Sommervogel. éd. în-4*', t. I, col. 1488 et suiv.
5. Pelletier à M. le Prince, Bourges, 21 novembre 1635. Papiers de Condé^ série M, t. VI,
fol. 443.
1^ GRAND CONDÉ.
u
ne séance orageuse venait de se produire. Le P. Le Mairat, recteur
de Sainte-Marie, avait exposé dans l'assemblée générale son projet
d'union, mais sur sa déclaration que ie serment prêté par ses religieux ne
les obligerait à rien de contraire à leur Institut, il avait été accueilli par
une fin de non-recevoir. < Bref, ils n'ont d'autre but par leurs remises
que de nous lasser et ester le désir et les moyens de faire florir ta Théo-
logie que V. A. nous a fondée par sa bonté et libéralité. » Pelletier ne
hait pas les détails plaisants ; il signale l'attitude d'un Jacobin « Père à
à la jambe de bois, » qui se distingue par son opiniâtreté. Le Matrat,
plus digne de ton, et mieux informé pour avoir porté la parole au nom
du général Vitelleschi au milieu de l'assemblée, se félicite de l'assistance
bienveillante prêtée par François Broé, docteur en l'un et l'autre droit,
■et recteur de l'Université, mais termine par l'aveu du même insuccès,
« sur quoy et nostre Père Provincial et le susdit S"^ Recteur de l'Uni-
versité, qui désire avec passion ceste union, ont esté d'advis, que pour
maintenant il ne falloit passer oultre, ains attendre le retour de V, Altesse
à Bourges, la présence et authorité de laquelle viendroit aysément à
bout de tout '. »
A ces deux lettres françaises, parties de Bourges le même jour, était
jointe une supplique latine de M. le Duc à son père, éloquemment
écrite. La complication des affaires, effet ordinaire de la pluralité de
ceux qui les traitent, et la difficulté de réunir trop de têtes sous un même
bonnet de docteur, y sont exposées en un latin sententieux. L'appel final
à l'intervention souveraine du Prince est saisissant de brièveté et d'élan.
Un pareil langage tenu à l'assemblée eût peut-être changé la face des
choses. U la changea en effet dans une réunion ultérieure convoquée le
7 décembre en un local qui cette fois n'était point celui de l'Université
et sans costumes d'apparat. Le recteur Broé y avait amené le chancelier
Perrot et l'assesseur Voîllard. La Faculté de droit civil y était repré-
sentée par son doyen Mérille, et celle de droit pontifical par son doyen
Pinson. Le P. Le Mairat, doyen de celle des Arts, avait avec lui deux
docteurs de Sainte-Marie, les PP. René Chassebras et Jean Alexandre. A
Jacques-Cœur oïl il les avait solennellement rassemblés, le duc d'Enghien
était chez lui, et devant le fils du gouverneur de Berry presque tous les
récalcitrants s'inclinèrent. Ils reconnurent par acte signé que le serment
des nouveaux maîtres ne pouvait entraîner de dérogation a leur Institut.
Dès lors la dernière barrière opposée à leur réception était levée. La
présence de M. le Duc avait décidé la victoire '.
Le retour de M. le Prince au commencement de 1636 ne fit que
confirmer la victoire de son fils et dans des circonstances presque iden-
tiques. Au mois de mai. le provincial Etienne Binet regardait donc
1. Le Mdirat à M. le l'ïince. Bourges, 21 novembre 1635. Paii'eri lU Cotidf. série M.
l. VI, foL 445-
2. Le même au même. Bourges, 9 décembre i6j;. Ibid., fol. S'?- Sur celle séance du |
7 décembre 1635, voir le Compte rtidu du président Rolland qui cite l'acte et tes signataires f
mais commcl la grave méprise de substituer M . le Prince à son fils .
i
I
PHILOSOPHIE ET DROIT,
l'affaire comme définitivement conclue. Dans un français meilleur que
celui de ses confrères, il proclame la nouvelle obligation du collège
a tableau de C. le Brun,)
nte-Marie envers son constant protecteur. « C'estoit un coup réservé
à V. A., et je croi que nul autre ne l'eût sceu faire ni si bien ni de si bon
- eeeur. A la vérité, tant de bienfaits les uns sur les autres nous accablent,
et je ne sçai ce que nous pourrons faire pour n'estre point ingrats. ]
A Bourges le duc d'Enghien n'avait eu affaire qu'à la robe des doc-
teurs, mais des docteurs réunis des quatre Facultés, et il y aurait eu là
de quoi intimider moins résolu que lui. Bientôt c'est au milieu des
magistrats de Bourgogne qu'on le verra prendre séance avec le même
succès. Futur gouverneur de province, prince de sang appelé à si^er
dans les conseils de la couronne et les compagnies souveraines, il ne
pouvait donc que gagner à s'initier jeune à la science des lois. Homme
d'épée destiné à présider les hommes de toge, il aurait d'autant plus
d'ascendant qu'il parlerait leur langue, et serait moins étranger à leurs
idées. La connaissance approfondie que possédait Henri II de Bourbon,
son père, des lois du royaume et de l'ordre de la justice ', était une des
causes qui faisaient également aimer et respecter ce prince ; il importait
que M. le Duc marchât sur ses traces ; les études étaient dirigées dans
ce sens.
Mîis il semble que les Jnstitutes aient été pour lui une toile de Péné-
lope, toujours au point d'être achevée et toujours à remettre sur le
métier. Le 21 novembre, en annonçant que le P. Bînet était « repassé
de Molins par Bourges, pour faire la révérence à Monsieur le Duc ».
le P. Pelletier ajoutait : « Il a ce jourd'huy heureusement achevé ses hisii-
lûtes. M. Mérîlle luy fait des thèses sur les difficultés afin de l'exercer sur
icelles '. » Deux semaines plus tard, on termine encore un traité, celui
< des substitutions que Monsieur le Duc a écrit, ensuitte duquel nous
reuerrons les principalles questions et notions du droit, selon l'ordre que
Vûstre Altesse nous en a donné jusques à Noël, après lequel je ne sçay
ce qu'il plairast à V. A, qu'on lui enseigne. C'esi vn esprit auquel il faut
de l'employ. et je trouve qu'il n'en a pas trop d'une heure le matin et
autant le soir, ij je ne gagnois le temps qu'on l'habille pour luy faire
■quelque bonne lecture '. » Ce besoin perpétuel d'occupation, signalé
par le P. Pelletier, est un trait de lumière projeté sur le caractère histo-
rique du duc d'Enghien qui devance déjà le grand Condé,
Mais le droit le captivait peu. Satisfait sans doute de saisir les premiers
principes et d'effleurer les sommets, il ne prêtait aux détails qu'une
attention médiocre. Les enseignements de MériUe tombaient dans une
oreille distraite par des bruits de guerre vers la frontière de Bourgogne.
M. le Prince et le P. Pelletier tenaient à faire voir à M. le Duc < les
obligations et contrats ' ». Mérille se renfermait dans les substitutions,
prétendant que « c'estoit un traitté fort beau et difficile, auquel je
ne crois p^s, poursuivit Pelletier, que nous soyons pourtant bien
sçavant ».
Sans être grand clerc en ces matières juridiques, Louis de Bourbon i
1. Leitet, Mémoires, p. 423. _
2. Pelletier à M. le Prince. Bourges, 3i novembre 163;. Papiers lU Condé, série M, t. '
fol. 443
3. Le même au même. Bourges, 9 décembre 1635. Ibid., (ol. 517.
4. Le mfine au même. Bourges, za décembre 1635. lèid., fo). 555.
PHILOSOPHIB BT DROIT. 63
apportait son intelligence affinée par l'argumentation de Técole, et, plus
fort dans l'attaque que dans la défense, il poussait contre le docteur
Mérille des objections ou des difficultés à embarrasser le vieux maître '.
Par cette connaissance du droit, si sommaire qu elle fût, il acquérait
mieux que lesprit de chicane : un jugement mû par des principes supé-
rieurs et formé sur des notions rationnelles.
Cependant, avec ses forces croissantes et ses loisirs prolongés, il avait
senti éclore en lui une passion de son âge : il s'était épris de la chasse,
et, pour s'y livrer en prince, il avait gardé plus de chiens que son père
n'en tolérait. Le 9 décembre, un ordre formel fut envoyé de Dijon par
Henri II à Grasset, et M. le Duc, à qui cédaient les docteurs, dut plier
à son tour devant ces lignes impératives : € Dites à M. de la Bufetière
qu'il fasse casser les chiens de mon fils, ainsi que je luy ai escrit par le
messager ^ > Louis de Bourbon ne marchanda point sa soumission. Il
se débarrassa sur-le-champ de sa meute, à l'exception ide neuf chiens, le
nombre autorisé ^ Puis, fier du devoir accompli, il en informa son père
par une lettre latine où il fait d'abord un retour psychologique sur les
premières ardeurs des passions naissantes. Tout en philosophant si bien
au début, il ne s'aperçoit même pas qu'il laisse éclater à la fin une passion
nouvelle, non sans quelque analogie avec la première, mais autrement
puissante : le goût des armes et l'amour du commandement. Enghien se
souvient qu'il est né colonel. Il n'avait pas un an quand son père mettait
sur pied quinze compagnies à son nom ^ Aujourd'hui, il vient d'apprendre,
par un de ses officiers appelé de Beaujeu, qu'on les augmente de cinq, et
il recommande à M. le Prince de confier un des nouveaux étendards au
jeune de Busseuil K
Le caractère impétueux qui servira si bien son génie à la guerre et le
jettera en politique dans tous les extrêmes, est indiqué dans une lettre
du P. Pelletier relative à ces incidents. Le bon Père se montre là perspi-
cace et encore plus indulgent. Il s'empresse d'excuser le passé, heureux
qu'il est'de n'avoir plus à redouter les accidents de chasse.
Ce qui me console le plus, est que Monsieur le Duc ayme avec passion V. A. et luy
porte un extrême respect, accompagné d'une crainte amoureuse et filiale, et il est besoing en
ses temps qu'il preine ses affections ; il se trouvera désormais assé de flatteurs et complaisans
qui estudieront ses inclinations pour les suivre, et pleust-il à Disu que ce soit au bien. Une
chose sçay-je bien que tandis que j'auray l'honneur de le servir, jamais personne n'aura le
1. Au témoignage de Stample, cité par Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 325, on peut ajouter
un curieux exemple tiré du Gundlingiana^ p. 227. Il y est raconté que Mérille parcourait avec
son élève les Institutes et la Paraphrase de Théophile, Une des objections soulevées par M. le
Duc sur un point de droit est rapportée tout entière, et le biographe ajoute naïvement : < Mérille
n'avait jamais songé à cela ; il y trouva pourtant réponse. >
2. Dossier de la Grosse-Tour ^ fol. 71.
3. Dans la Splendeur de Montrond, il est question antérieurement d'une meute de 50 ou 60
chiens.
4. M. Jongleux, t. II, p. 131.
5. Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 563.
64 lA GRAND CONDâ,
poavoir de me (aire luy dire ou souffrir qu'on luy dise chose qui soit ou contre la gloire
de Dieu et son salut, ou contre le respect et obéissance qu'il est obligé de rendre à V. A.
s'il veut estre aymé et bénist de Dieu '...
Pourquoi ce renouveau d'inquiétudes morales ? C'est que la fin de cette
année 1635 était la fin d'un régime. Le premier voyage s'annonçait
Déjà l'on vidait Jacques-Cœur pour envoyer à Paris jusqu'aux vieux
habits de M. le Duc, promis en vain par lui à ses domestiques, et toute
sa garde-robe ^ si bien, écrit le P. Pelletier, i que le pauvre garçon n'a
rien du tout ^ >. Plus même une bûche de bois au logis, où l'on est réduit
à € brusler des fagots à la cuisine, et par tout en grande quantité >. Le
duc d'Enghien, les regards fixés au loin sur la cour, semble ne plus rien
apercevoir autour de soi. Sa lettre du jour de l'an à son père exprime
le regret de ne contenir aucune nouvelle à lui communiquera Sans qu'il
dise quoi, ni peut-être qu'il le sache, quelque chose lui manque. Pareille
gêne chez le P. Pelletier, qui s'enquiert de quelle manière il emploiera
bientôt les après-midi de M. le Duc, une fois ses Institutes achevées.
Quant aux cours de philosophie, on en est à les relier ^
L'apprentissage de la vie réelle s'impose. Enghien est presque un
homme : « Monsieur le Duc se fait grand et se fortifie et quant au
corps et quant à l'esprit; c'est chose miraculeuse comme il opine judicieu-
sement, quand pendant l'histoire je luy propose ce qu'il pourroit dire au
conseil ou de guerre ou d'autres affaires. » Les études purement théo-
riques commencent à le lasser. Tandis que Pelletier demande à quoi
l'occuper pendant ses après-dîner, lui de son côté prie son père de le
délivrer bonnement alors de tout travail ; surtout il désire n'avoir plus à
écrire en latin. De fait, cette lettre est la dernière de lui que nous possé-
dons dans cette langue. La correspondance de M. le Duc avec son père
sera désormais rédigée en français ; mais elle ne sera plus datée de
Bourges. Pour la dernière fois les Lettres annuelles de Sainte- Marie nous
entretiennent de « l'heureuse éducation du Prince ; depuis sa sortie du
collège, son zèle pour la science et la piété ne s'est point ralenti ; non
seulement il fleurit encore, mais il se développe par l'exercice et son
savoir s'étend de jour en jour ^ »
Tel est bien le bilan exact de ces six années d'éducation (janvier
i630janvier 1636). Des facultés natives supérieures ont été cultivées par
l'étude précoce d'une langue ancienne, perfectionnées par une philosophie
1. Pelletier à M. le Prince. Bourges, 22 décembre 1635.
2. Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 563.
3. Pelletier à M. le Prince. Bourges, 25 décembre 1635. Papiers de Condéy série M, t. VI,
fol. 561.
4. Essai sur la me du grand Condéy par le prince L.-J. de Bouit>on-Condé, p. 266.
5. Pelletier à M. le Prince. Bourges, 7 janvier 1636. Papiers de Condé^ série M. t. VII,
loi. 17.
6. 1635. Neque vero ab egressu Lycaei, doctrinae et pietatis studia conquievere : florent etîam
nunc et exercitatione elaborantur novisque adeo disciplinis augescunt. Huic fortonatx principis
educationi, etc.. Littera annuœ.
PHILOSOPHIE ET DROIT.
«5
complète, ornées et enrichies par des connaissances élémentaires en
mathématiques, en histoire et en droit. L'instrument de Tesprit s'est
formé. Le cœur a trouvé son épanouissement normal dams i'observaaion
exacte du devoir et la pratique sérieuse de la religia&u Tout cda, loin
des influences pesdleatieUes de la cour, dans un milieu modeste, parmi
des gens sincèrement vertueux.
L€ grand Coadé
■ cr cy qr g- gr t
îjgf*
ijapitre CintiuièmB.
(-TOUJOURS prévoyant, M. le Prince n'avait pas attendu que
son fils eût quitté Bourges pour régler avec la Compa-
gnie la question du précepteur de « Messieurs ses
enfants». Sa lettre du 31 décembre 1635. adressée au
P. Etienne Charlet, assistant de France à Rome, obtint
la réponse la plus favorable. Le 2S janvier 1636, Charlet
'informait que Mutius Vitelleschi mettait à sa disposition
le P. Pelletier « non seulement pour cesi'année, et lui-mesme et le
P. Caussin pour tes suiuantes ', 5) mais encore tous les Pères de la Com-
pagnie de France, Charlet termine en remerciant le Prince de l'honorable
témoignage rendu par lui « au bon P. Musnier' >. Ce religieux gagnera
de plus en plus la faveur de Henri II et remplacera le P. Pelletier
un jour qui n'est pas éloigné. Il sera le directeur de la jeunesse succédant
au directeur de l'enfance. Pour le moment il prêche avec succès à Dijon ;
ce qui est un des bons titres à. l'estime de M. le Prince, en tout temps
fort préoccupé de fournir de dignes prédicateurs les chaires de ses deux
gouvernements, Bourgogne et Berry. Vitelleschi, plus au courant que
personne de cette louable sollicitude, ne manque pas de renchérir sur
son assistant et de souhaiter dans Mugnier un Chrysostome ^ Vœu
stérile. Le seul discours qui nous reste de cet orateur est l'oraison funèbre
de Henri II, son protecteur, composée avec plus de cœur et d'onction
que d'éloquence et de goût V
-e. Rome, 28 janvier i6j,fi.Papiers dt Coud/, série M, t,VlI,fol.59.
iS, à JoinviUe, diocèse de Châlon;, entré dans la Compagnie le
aîire des novices le P. Philippe Nicaud, l'un des correspondant s
I ElienneCharlctiM.lePrin
2. Hubert Mugiiier, né en iji
24 octobre 1616, avait eu pour ir
de M. le Prince.
3. Mmius Vitelleschi à M. le Prince. Rome, 3oJanviei 1636. Papiers de Cciuî/, loc. cit., fol. 70.
4. Discavrs tvangeliçve prononcé à Vailery, U ij lanuier 1647. Dans les Cérémonies tt;
tEnlentment de Monseigneur Henry de Bourbon, Prince de Condé,K\K. Nom avons analysé
celle Oraison funèbre dans notre étude sur le Pire du grand Cond^,ies damiers éciilitl It menu-
ment dt ton eaur conservés à ChantUly. Paris, Dumoulin, 1S92, |
STAGE EN BOURGOGNE. 67
€ Le 29 (janvier) arriva en cette ville le Duc d'Anguien, fils a!né du
Prince de Condé, pour faire sa première révérence au Roy \ » La Gazette
annonça ainsi la venue de M. le Duc à Paris, et sa présentation à
Louis XI IL M. le Prince et M^^^ la Princesse étaient déjà à la cour.
Louis de Bourbon n'oublia point, au milieu d'un monde si nouveau pour
lui, ses habitudes chrétiennes et ses devoirs envers Dieu. Pouvait-il
laisser passer, sans faire ses dévotions, cette fête de la « Purification
Notre-Dame » qui lui rappelait la Patronne de sa congrégation de
Bourges } Du château de Saint-Maur où il se trouvait avec son élève,
le P. Pelletier écrivit Tavant-veille : € Il désireroit se confesser au Père
Boucher, à cause qu'il n'en cognoist pas d'autres, et qu'il a plus de con-
fiance en luy qu'en qui que ce soit. Si V. A. l'agrée, je prieray ledit Père
de venir icy samedy matin ^ > En s'y rendant du collège de Clermont,
le P. Claude Boucher, tout à la joie de revoir son écolier de logique et
physique à Sainte-Marie, ne pouvait guère songer que de ce même
palais partirait l'étincelle qui ferait éclater la Fronde, et que dans le .noir
donjon de Vincennes, voisin de l'élégant Saint-Maur de Philibert de
Lorme, Louis de Bourbon, jeté au cachot comme prisonnier d'Etat,
n'aurait aucune démarche plus pressée que de redemander son même
confesseur et pour ce même jour de la Chandeleur 3.
Au sortir de Montrond, dit Lenet, « le prince son père luy fit faire un
petit voiage en Bourgongne pour le deslasser de tant d'application qu'il
avoit eu à de différentes estudes * i^. Ce voyage n'eut lieu en réalité qu'au
retour de Paris. Mais pourquoi rendre déjà à la vie provinciale le jeune
homme accompli, si bien fait pour être admiré de la cour et de la ville ?
Sans doute pour ne pas lui laisser perdre, dans une atmosphère de flat-
terie et de frivolité, des vertus encore frêles. Une pensée politique
devait se joindre à cette considération morale. Henri II faisait reposer
sur son fils l'agrandissement de la maison de Condé, et, avec sa haute
raison éclairée par l'expérience, il se rendait compte que la première
condition pour acquérir de l'influence dans une contrée est d'y résider.
Le duc d'Enghien était depuis longtemps populaire dans le Berry ; la
Bourgogne à son tour ne verrait point ce jeune prince, à l'éducation
presque achevée, sans se prendre pour lui de sympathie et lui vouer son
espérance. Les peuples, comme les individus, aiment toujours ceux qu'ils
ont aimés enfants.
La première ville importante du duché où il s'arrêta fut Auxerre.
D'après un historien de la ville, « le 14 février (1636), toute la milice
bourgeoise, et soixante jeunes gens organisés en cavalerie, allèrent
jusqu'à Nangis, au-devant de M. le Duc d'Enghien. Les autorités le
1. Gcutette^ 1636, p. 76.
2. Pelletier à M. le Prince. Saint-Maur, 31 janvier 1636. Papiers de Condé^ loc, cit.^ fol. 72.
3. Histoire dis princes de Condé, par Mgr le duc d'Aumale, t. VII, pièce* et documents, p. 461.
De Bar à Mazarin. Vincennes, 25 janvier 1650. < Il (Monseigneur le Prince) désire encore pour
confesseur le Père Bouché, jésuite, le jour de la Chandeleure... >
4. Leoet, Mémoires^ loc. cit.y p. 447.
L.S. CRAHD CONDÉ.
reçurent à la porte du poni. et le conduisirent à l'hôtel de M. le Prince
de Condé son père, où le Maire, au nom des habitants, lui offrit quatre
lambeaux d'argent massif qui avaient coûté 580 livres '. » Les archives
municipales, complètes au dernier siècle, détruites en partie ou disper-
sées depuis, n'ont pu fournir qu'un seul élément de contrôle. C'est le
procès-verbal de la délibération du corps de ville du mercredi 1 3 février :
€ Sur l'aduis qui nous a esté donné que Monsieur le duc d'Anguien, filz
aisné de Monseigneur le prince gouuerneur de Bourgoigne, doit arriuer
en ceste ville d'Auxerre. a esté conclud que les cappitaînes, lieulenans
et enseignes de chacun quartier seront mandez de se trouuer en l'hostel
de ville, à ce jourd'huy, une heure, afin d'aulser auec eux sur la récep-
tion dud. seigneur. 9 Le résultat de la réunion qui eut lieu en effet, fut
une assignation de rendez-vous : <• Capitaines, lieutenans et enseignes,
chacun en leur quartier, aduertiront les sergens et caporaux de se trouver
auec leurs soldats auec armes et équipage nécessaire dans la grande
cour de S'-Germain, le jour de demain, heure de midy, pour aller se
transporter jusques au bout du parc... > En cas de contravention,
l'amende était de cinquante livres parisis pour les officiers, vingt pour
les soldats'. L'hôtel où descendit M. le Duc dut être cette maison du
chanoine Lemuet que la ville avait louée en 163?, pour cinq années,
moyennant deux cents livres par an, pour y recevoir M. le Prince
lorsque, dans son « désir de contribuer au bonheur des habitans », il
croirait convenable d'y résider. Le vendredi 15 février, M. le Duc fut
l'objet, à son départ pour Dijon \ des mêmes honneurs qu'à son arrivée.
La capitale de la Bourgogne se promettait bien de lui faire une entrée
solennelle ; mais tout autres étaient les intentions de M. le Prince : il
avait déclaré par missive envoyée de Paris le 31 janvier, et lue à la
Chambre de ville le mardi 6 février, ne vouloir pour « Monseigneur le
Duc Danguien son fils..,, ny poisle, ny entrée, ains seulement une
simple réception en armes sans tirer ' ». Le Conseil de ville passa outre,
alléguant ses dettes de reconnaissance envers le gouverneur, et résolut
de rendre au fils les mêmes honneurs qu'au père en septembre 1633.
Tout le détail de la fêle est décrété : réunion de la milice, arcs de
triomphe, présent. Exprès est dépéché à M. le Prince pour l'aviser de
l'ordonnance. Pendant ce temps, les Dijonnais, croyant lui plaire d'autant
plus qu'ils tiendront moins compte de son interdiction, commandent
« deux porlicles de menuiserie >, font choisir et acheter les «; estoffes
nécessaires au poisle » et « chercher ez boutiques des orphefvres...
quelque pièce digne d'estre présentée ». Ce n'est pas que la ville soit
I. Histoire de la TÏlle dAuxerrt, jusqu'aux Elats-Génirimx de J789, par M. Cb.aidao. s vol.
m-B, 1834-35, 1. II, p. tïB.
T.. Registres lits Mlibératiam, I. XV (13 octobre l63«-]4 octobre 1637)- « Du mercredy tteii"*
feburier 1636. > Non» n'^tuiiin» pas pu leirouvcr celte pièce sans l'obligeance de M. Moiwd, -
archjvisie de l'Yonne.
3, Chardon, p. 121 et lap. La dcstinaiion n'étMi point Paris.
4. Archives municipales de Dijon. Regiitrts des d/liiàiiratious ikJa Chambre ikviile{t&yi-i6]f>^\
B. 273 ; fol- 338, 23a, )38. ■
i
riche après une série d'années calamileuses; elle empruntera à iniérêl et I
détournera les deniers de l'octroi « destinez pour les grosses murailles ». I
Elle en fut quitte pour les frais du courrier exprès, lequel rapporta I
une nouvelle missive de Son AUesse défendant absolument la présentation I
du poile, des clefs et d'un cadeau. Le Conseil, ayant entendu cette pénible 1
lecture (12 février), délibéra sur le meilleur parti à tirer de la manifestation
compromise ; appel fut adressé, pour le samedi 19, à la population.
Ce jour-là, en effet, vers deux heures de l'après-midi, le vicomte- 1
maieur. les échevins et les orficiers avaient avis certain de la venue du }
duc d'Enghien.et se portaient à cheval au-devant de lui ; ils le rencon-
trèrent dans ta campagne, près de Daix, à cinq quarts de lieue. M. le
Duc s'avançait i dans un carrosse, accompagné d'environ trois cents 1
gentilshommes, tant cavaliers que habitants, » sous la conduite du 4
marquis de Tavannes, lieutenant du gouverneur. M. Moreau, commis!
de la magistrature, fit son compliment : le retranchement de la pompe I
extérieure par laquelle la ville avait prétendu faire éclater ses sentiments,
n'avait en rien diminué l'affection des cœurs. Cette pensée juste fut I
délayée en des phrases traînantes. « A quoy (M. le Duc) ayant faict '
response qu'il les remercioit de l'honneur qu'on luy faisoit et qu'il 1
serviroit les dïcts habïtans tant en général que en particulier >, on '
remonta à cheval.
Il faisait si froid que le cortège dut s'arrêter quelque temps dans une
grange, près de Talant. Là. trois mille hommes, divisés en deux bataillons,
attendaient sous les armes, tous mousquetaires ou piquiers ayant à leur
tète les capitaines des sept paroisses. Le jeune Prince les passa en revue,
et vers la porte Guillaume ils le saluèrent par une salve.
Cependant le canon du château tonnait, les décharges de mousqueterie 1
et les acclamations se mêlaient joyeusement sur tout le parcours. Arrivé l
au € Logis du Roy î, Enghien mit pied à terre avec les cinq cents
cavaliers de l'escorte, puis devoirs et soumissions recommencèrent au
dehors jusqu'à six heures et demie du soir. Les commis, échevins,
procureur-syndic, secrétaire, pénétrèrent encore dans la chambre de Son
Altesse et se firent présenter par Tavannes en débitant de nouveaux '
discours. M, le Duc répondit par un remerciement dont le texte nous 1
intéresserait plus aujourd'hui que les longues tirades, inutilement conser-
vées, des harangueurs d'office. 11 témoigna «avoir un grand contantement 1
de ce qui s'étoit passé à la dicte entrée et de l'honneur qui luy avoit esté ]
faict ». C'est tout ce que nous apprend le scribe qui tenait la plume à la
Chambre de ville. Le greffier du Parlement n'en dit pas assez non plus
pour confirmer Lenet, nous montrant le jeune Prince qui, bientôt rejoint j
par son père, et mené par lui dans les compagnies, i respondoit avec !
une hardiesse et une grâce non pareille >.
Les Pères du collège des Godrans n'avaient pas été les derniers à saluer 1
le fils du gouverneur. Le P. Mottet, que M. le Prince aurait aimé y I
garder comme recteur, malgré de lourdes charges, écrit dès le lendemain J
STAGS £N BOURGOGNE. 71
20 février : « Nous auons eu Thonneur de faire la réuérence à Monsei-
gneur le Duc et luy offrir nos cœurs et nos seruices comme biens
paternels, et je ne sçais dire à V.A. que j ay pleuré dejoye, le voyant, et
beaucoup avec moy. Nos muses se préparent à le recevoir. Il a fait
rhonneur au P. Mugnier de luy promettre de le venir ouyr dimanche.
Nous nous sommes entretenus fort longtemps aujourd'huy le P. Pelletier
et moy... J'espère le voir souvent et luy rendre tous les services qui me
seront possibles '. >
Le P. Hubert Mugnier était un des Jésuites les plus marquants et les
plus anciens du collège des Godrans. A peine sorti du noviciat, il y avait
fait son juvénat en 1618-1619. L'année suivante, il y débutait par une
classe de sixième. Puis il avait successivement professé, deux années
consécutives chacune, celles de quatrième(i620-i622),d'humanités(i622-
1624) et de rhétorique (1624-1626). L'usage était d'envoyer à Rome,
pour leurs hautes études, les sujets les plus distingués de l'Ordre ;
Mugnier, après y avoir suivi les cours de théologie, y était demeuré
encore deux ans en qualité de pénitencier(i626-i632). Enfin il était rentré
aux Godrans pour s'asseoir dans ces chaires de logique et de physique
où venait de passer le moins philosophe des régents, lé futur auteur de
Saint Lovys^ Pierre Le Moyne ^
.En la présente année, Mugnier était exclusivement appliqué au minis-
tère de la chaire, surtout dans la chapelle du collège. Nous croirions
volontiers que, pour rendre à M. Le Duc sa politeisse du dimanche 23
février, il l'invita à quelque séance littéraire pour le 2 mars.
Quelques jours après, Enghien prenait séance au Parlement de Bour-
gogne avec son père ^
Le palais des Ducs, demeuré moins intact en sa splendeur grandiose
que Jacques-Cœur en sa gracieuse unité, fut le nouveau logis du duc
d'Enghien et sa maison de travail. (Là, il continua ses mathématiques ;
il commença à apprendre l'italien ; il alloit à des classes peu pénibles et
àmonter quelques chevaux aizés. Colin, qui avoit commencé à luimonstrer
à danser, luy fit continuer cet exercice. >
Les trop rares lettres de cette période sont frappantes par la fermeté
de la phrase et la noblesse des sentiments. C'est d'Auxerre que Louis de
1. Mottet à M. le Prince. Dijon, 20 février 1636. Papiers de Condé^ îoc. cit^ fol. 118.
2. Voir notre Etude sur la vie et les œuvres du P, Le Moyne. Paris, Picard, 1887, p. 12 et 14.
Le Moyne avait rimé : le Poète philosophe à Monseignevr le Prince. 1632, s. l, in- 24.
3. < Le 10 Mars 2636, en la grand'chambre est entré M. le Prince, gouverneur de ce pays, et M.
le duc d'Anguien, son fils, ayant les dits Princes chacun l'espée au côté et se sont assis, sçavoir
le dit Seigneur Prince en la chaise couverte de velours, proche la fenêtre basse du côté de la
chapelle, et le dit Seigneur d'Anguien au rang qui est du côté au-dessus de M'* les conseillers.
> Quatre dé M" les conseillers étant sortis au devant des dits Seigneurs jusque sur le perron
du Palais et entrans en cette chambre. M'* se sont levés et découverts L'audiance a estée
tenue, à laquelle les dits Seigneurs princes ont assisté : ils étaient assis à la droite de M** les
Présidents ayant chacun un carreau de velours sous eux ; et l'audiance finie, ils sont sortis du
même côté, et ont esté suivis de quatre des M'* les conseillers jusque sur le perron du palais.
> Il y avait au ban de la noblesse plusieurs gentilshommes. > Registre de plusieurs choses mé-
morables qui se sont passées au Parlement^ p. 121. > (Bibliothèque de Dijon.)
LE GRANC CONDË.
Bourbon avait écrit à son père : « Si j'ay reçeu des honneurs et tesmoi-
gnages d'affection dans les villes de vostre gouvernement, je vous en
dois après Dieu les remerciemens. Je ne veu pas que tous ces apptau-
dîsseniens me fassent oublier de ce que je suis '...:& C'est de Dijon que cet
€ enfant de désirs », comme il s'appelle lui-même par réminiscence
biblique, envoie à son père celte lettre, vrai miroir des agitations de
son âme : « Monsieur, Je lis auec contantementles héroïques actions de
nos Roys dans l'histoire, pendant que vous en failles de très dignes pour
la grossir, en me laissant un bel exemple et une sainte ambition de les
imiter et ensuivre, quand l'aage et la capacité m'auront rendu tel que
vous me désirés'. ^ Pour comprendre ces généreux élans, i! faut savoir
que les hostilités contre la Franche-Comté étaient déclarées depuis
quarante-huit heures, et que ce jour-là même le prince de Condé, à la
tête d'une armée forte de vingt-cinq mille hommes et de trente-deux
canons, arrivait en vue de DôIe pour l'investir.
Le duc d'Enghien était imf)uissanl à contenir son ardeur, mais les
gens de sa maison se chargeaient de le calmer. A sa bouillante épltre le
médecin Montreuil joignait ce froid billet qu'eût signé un médecin
de Molière : « Monsieur le Duc continue ses estudes, ses exercices, et
ses promenades à son ordinaire. Sa santé est entièrement bonne. Suis
bien aise que nous l'ayons purgé et saigné deuant ces grandes chaleurs '. >
Montreuil ne veut rien savoir de ce qui se passe à dix lieues de là, et
de Dijon il n'aperçoit pas Mont-Roland.
Les nouvelles de la Comté arrivaient fréquentes, mais c'était presque
autant de déceptions. L'héroique population dôloise, loin d'être épou'
vantée par les bombes, alors d'invention récente, ripostait à une
canonnade furieuse par des sorties et se laissait écraser dans les ruines
de ses maisons avec un courage mêlé d'enthousiasme espagnol et de
gaieté française. Sous la plume de Mgr le duc d'Aumale, ce mémorable
siège semble un chapitre de celui de Saragosse, Voici comment il en
dépeint la levée : ^ Le jour de l'Assomption, au moment où les troupes de
secours entraient dans Dôle, l'intrépide archevêque (de Besançon) se fit
porter sur le toit de Notre-Dame, au milieu des débris de la tour
effondrée par les bombes. Quand il vit d'un côté l'arrière-garde des
Français s'éloignant, et de l'autre les Lorrains qui arrivaient, il entonna
le Nunc dimittis ; ce furent ses dernières paroles; il expira peu après '. >
L'on devine ce qu'un caractère impressionnable, inquiet et fougueux tel
que celui d'Enghien dut souffrir durant ces trois longs mois. Lui, avide
de guerre et ambitieux de gloire, était rivé sur place à la chaîne de ses
1. La ietlre du duc d'Ecgh;
ments, p. 564) nous semble
d'Auxcrrre, avec celles de Dijon, ei
I. Hislùire lies princes de ConiU, .
3. MoQtrcuit à M. le Prince. Diji
303.
( Histeirr des princes de Cend/, t. 111, pièces et docu-
datée. Elle eit en conlradictian avec les aicbivu
iissi avec la lettre du P. Moltct cilde plus haut,
Ul, pièces et documents, p. 364.
i 1636. Papier* d* Cond-.', série M, t. Vlll. fol
4 . Histoire des prinees de Condt, t . 1 1 1, p . ïfo
STAGR KN BOURGOGNE. 73
travaux littéraires. N'était-ce pas TinactiQn même à côté des dangers et
des souffrances du lieutenant-général de larmée de Bourgogne, de cette
armée où se battait le régiment d'Enghien ?
Le précepteur partageait les craintes, sinon la fébrile impatience de
son élève. Sa lettre exprime des frayeurs presque mortelles.
Monseigneux^
Sur Fespérance qu'on nous avoit donné que V. A. devoit estre icy dans peu de jours»
Monsieur le Ducs'estoit préparé pour argumenter en filosofie devant elle, me tesmoignant
assé de répugnance de le foire en son absence, résolu néantmoins de suivre ses volontés, s'il
les apprend. Monseigneur, je demande humblement pardon à V. A. si je luy dis qu'elle
donne de grandes appréhensions à ses bons serviteurs apprenans les dangers ausqueles elle
s'expose. Pour moy je puis dire en toute vérité^ qu'ayant sceu qu'elle s'approchoit si près
des murailles qu'on la pouvoit voir et mirer, n'avoir dormy une heure de bon sommeil, ne
me pouvant rassurer, ny me distraire de ceste juste appréhension : hélas, mon Dieu, que
deviendroit Monsieur le Duc, si quelque accident arrivoit à V. A. ! Je prie la divine bonté
détourner tous les dangers qui la peuvent menacer. Vostre personne, Monseigneur, est
trop chère et considérable pour aller chercher des occasions. Je la supplie vouloir excuser
mon impertinence et l'attribuer à l'affection que je suis obligé d'avoir pour sa conservation.
De Dijon,
7 juin 1636 '..
Le prince de Condé restait seul à ne pas s'émouvoir. Les inquiétudes
des siens étaient pourtant fondées :
Monsieur mon Père,
Le^ noms des morts et blessés que j'apprends souvent redoublent mes justes appréhensions
et me sollicitent à importuner le ciel par mes prières pour vostre conservation qui m'est si
chère et nécessaire, et vous supplier très humblement d'avoir un soin particulier de vostre
santé à laquelle je voudrois pouvoir contribuer, puisque je suis
Monsieur mon Père
De Vostre Excellence
Très humble et très obéissant fils et serviteur
Louis de Bourbo»':
De Dijon,
12 juin 1636.
Le P. Charles Seîglîère,: vice-recteur du collège des Godrans, unissait
bientôt ses prières et ses supplications à celles du palais des Ducs. Il a
reçu un avis confidentiel, communicable au Prince, que sa personne est
en danger s'il « ne change de quartier et ne se retire des coups ^ y. Le
P. A. de Voysins, un des correspondants familiers, parle plus clair encore
et invite Condé à imiter bonnement l'exemple du grand maître de
l'artillerie La Meilleraye^ < qui est logé si loin. Et peutestre mesme en
s'approchant (V. A.) se peut mettre plus à couvert \ >
1. Papiers de Comté^ série M, t. VIII,. foL 276.
2. Lettre inédite, liid.^ fol. 298.
3l SeÎRlièreà M. le Prince. Dijon, 29 juin 1^36^ IbidyUA. 422.
4. Voysins au même. Dijoii, dernier juin 1636. Und^M. 434.
74 LE GRAND GONDÉ.
Malheureux, mais brave, dompté par la maladie, mais plus fort que la
mort, M. le Prince continua de coucher sous une hutte où pleuvaîent les
boulets, et de refuser à M. le Duc l'accès du camp devant Dôle. La
consigne fut inflexible. Enghien se soumit : € .... Il faut que j'apprenne
à vous obéir, leçon que je ne veu jamais oublier, puisque Dieu me
l'apprend et commande et que c'est toute ma félicité '. > Félicité morale
et puisée à la source de la résignation religieuse. Le 6 juillet, il écrit en
revenant « de la congrégation » : « J'estois allé me communier, en
intention de vous obtenir de Dieu les grâces nécessaires pour vostre
conservation ^ >
Si le moral d'Enghien se soutenait, il n'en était pas de même de ses
forces physiques. Le passage des gens de guerre et l'affluence des gens
de la campagne réfugiés en ville, y avaient amené une de ces contagions
désignées alors sous le nom vague de /fesie, et qui pendant un demi-
siècle demeura endémique en Bourgogne. Le 7 août, le P. Pelletier
donne tous les détails d'une altération dans la santé de M. le Duc, de
nature à inspirer quelque crainte. € Mais grâces à Dieu, son mal de
teste n'est qu'ordinaire, et quelque humeur acre et mordicante qui luy
fait plaindre l'œil gauche, sans qu'il paroisse rien. > Suit la description
des remèdes, en formules d'apothicaire. Elle défie toute citation. Le
résultat de ces belles ordonnances a été nul, même fidèlement suivies :
« Il s'estoit levé ce matin, mais après la messe la douleur de son œil l'a
obligé de se coucher. Il n'a point du tout defiebvre.J'ay creu néantmoins
devoir advertir V. A. de sa légère indisposition. Je me doubte qu'elle est
causée par les chaleurs, et appréhension qu'il a de la maladie qui court ;
je vouldrois qu'on ne luy en parlast jamais. On dit que les villages circon-
voisins commencent à estre forts affigés, et que les paysans entrent
librement dans la ville pour y vendre leurs fruits, ce qui pourroit accroistre
le mal \ »
Au milieu de ses propres souffrances M. le Duc n'oubliait pas celles
beaucoup plus grandes de son père, atteint de la gravelle :
Monsieur mon Père,
Je suis affligé des peines et inquiétudes que vous a données ma légère indisposition ; j'en
ay esté quitte pour deux jours d'un petit mal de teste et d'œil dont je suis tout à fait guary
grâces à Dieu. Je le prie de tout mon cœur vous conserver parmy tant de dangers qui me
donnent plus de peines d'esprit que mon mal qui n'est rien à l'égal de ce que vous souffres.
Je vous rends humbles grâces et suis
Monsieur mon Père
Vostre très humble et très obéissant fils et serviteur
Louis DE Bourbon \
1. M. le Duc à M. le Prince. Dijon, 24 juin 1636. Histoire des princes de Condé^ t. III, pièces
et documents, p. 565.
2. Le même au même. Dijon, 6 juillet 1636. /^/V/., loccit,
3. Pelletier au même. Dijon, 7 août 1636. Papiers de Condé^ t. IX, fol. 288.
4. Lettre inédite, s. l. n. d. Ibid.y t. XI, fol. 208. Nous croyons la place de cette lettre indiquée
ici par l'identité d'objet avec celle du P. Pelletier.
STAGE KN BOURGOGNE. 75
Cette compassion éprouvée par M. le Duc à la pensée des douleurs
paternelles était si vive que le P. Pelletier, toujours prêt à vanter le bon
cœur de son élève, ne le croyait pas susceptible d'une affection filiale
aussi prononcée. Une des manifestations les plus coutumières à Louis
de Bourbon de ses sentiments d'enfant bien né, était de faire porter à
son père de petits cadeaux. Un jour il lui adresse « deux pastés d'un
faon de biches que des lévriers ont courru par rencontre *. > Un autre
jour, il vient de recevoir d'une ville de Bourgogne affectionnée à M. le
Prince un autre présent de bouche et le lui expédie avec ce billet gra-
cieux :
Monsieur mon Père,
J'aurois une grande satisfaction si j'étois en estât de pouvoir souslager vos peines, au
moins le fai-je de volonté. Monsieur Pirot d'Âvalon m'a fait présent de truffes fort belles
que j'ay creu vous devoir estre envoyées. Je vous supplie les avoir pour agréables, puisqu'elles
TOUS sont offertes par celuy qui veut estre toute sa vie
Monsieur
Vostre très humble et
très obéissant fîls et serviteur
Louis de Bourbon '.
Le conseiller Pirot -avait-il accompagné ses friandises d'une lettre
d'invitation ? Ces truffes du pays rappelèrent-elles à M. le Prince qu'il y
avait à une vingtaine de lieues de Dijon site salubre, chasses superbes,
population dévouée ? Isolée et comme perdue dans les collines du
Morvan, la petite cité d'Avallon offrait ces précieuses ressources. Depuis
1632, année de sa réception solennelle, M. le Prince y jouissait d'un
modeste hôtel, restauré à son usage et propriété d'une noble veuve
bizarrement qualifiée Mademoiselle la Grand-maire ^ C'est là qu'il
n'hésita pas à envoyer son fils, aux vacances de septembre, tandis que
lui-même défendait péniblement la Bourgogne contre l'invasion des
Impériaux.
€ Gaigner les cœurs, > telle est la recommandation qu'emportait
M. le Duc et qu'il promit de garder inviolablement : « Je ne sçaurois
dire, écrivait-il, avec quelle joie Mademoiselle la Grande- Maire m'a
reçue en sa maison et les bons traittemens qu'elle me fait ; je m'estu-
1. Histoire des princes de Gondé^ t. III, p. 565, loc, cit
2. Lettre inédite, s. 1. n. d. Papiers de Condé^ t. X, fol. 247. Ici encore le parallélisme constant
de sujets qui règne dans les correspondances de M. le Duc et du P. Pelleiier, nous fait adopter
cette date comme probable.
3. Barbe Imbert de l'Arbaleste» épouse en premières noces de Georges Filsjean, seigneur de la
Chaume, s'était remariée à Robert Y\xqX^ grand- maire de Dannemarie. Veuve une seconde fois,
elle avait conservé de sa dernière union le titre sous lequel nous la connaissons. Voir, pour ce
détail et quelques-uns des suivants, uninémoire publié en 1887 dans le Bulletin de la Société
d^ études d*Avallon^ pp. 109-149, par P. -M. Baudoin : Ancien hôtel des princes de Condé à
Avallon, Nous en avons constaté Texactitude sur les pièces originales, gracieusement mises à
notre disposition à la mairie de la ville, et si bien décrites dans VInventaire analytique des
e^rchives d^ Avallon^ antérieures à I7Ç0^ rédigé par M. L. Prot. Avallon, Odobé, 1882, in- 4.
Te I-B GRAND CONDlt.
dieray à luy apporter le moins d'iti commodités que je pourray '. » Cet
art de se gêner soi-même pour ne point gêner autrui, Louis de Bourbon
en appréciait la délicatesse, puisqu'il cherchait à le pratiquer ; mais il en
expérimenta la difficulté, et le bon propos parait avoir été suivi de
quelques chutes sur lesquelles le P. Pelletier fut accusé d'avoir fermé
les yeux. « Monseigneur, Jaçoit que V. A. soit assez adveriie delà
parfaitte santé de M. le Duc, j'ay cru pourtant en deuoir confirmer sa
croyance, et l'assurer qu'il garde exactement les ccmmandemens et suit
ponctuellement les enseignemens qu'elle luy donna le jour qu'il sortit de
Dijon, ausquels s'il contrevenoit, je ne manquerois pas d'en donner advîs
à Vostre A. pour l'assurer que je n'adhère aucunement par des lasches
complaisances à ses humeurs et inclinations, comme mes haineux l'ont
voulu faire croire ; faute qui ne me seroit point pardonable, que de
fomenter et nourrir ses petites façons de faire ei saillies que je sçay estre
messéantes à un prince et dont je l'ay tousjours aduerli auec la liberté et
commandement que m'en a donné Vostre Altesse'... »
M. le Prince fut bientôt à même d'en juger par ses yeux. Condamné
aux eaux de Pougues. il s'arracha à Dijon dans un moment de crise et
vint les prendre au château de Mailiy, près Auxerre. Son fils l'y rejoignît.
Puis le gouverneur, rappelé par les progrès des Impériaux, retourna à
son poste, et M. le Duc à Avallon, pour la plus vive satisfaction du
P. Pelletier, dont la sollicitude devint de tous les instants du jour et de
la nuit : « Nous sommes bien joyeux que Monsieur le Duc soit icy de
retour en parfaitte santé, après auoir pris les plaisirs innocents de la
chasse avec Vostre Altesse... Je veu me promettre de son bon naturel
un surcroît d'affection, pour les choses qu'il sçaura estre des volontés de
V. A. et pour son bien,.. Monseigneur, je ne sçaurois vous dissimuler un
déplaisir et une peine d'esprit que j'ay de voir Monsieur le Duc seul la
nuit, à la discrétion d'un valet de chambre, et de quelques valets de
garde-robbe, non que je me deffie d'euxj mais s'il arrivoit quelque
accident pendant la nuit, qui le souslageroit ? Je m'estois résolu de
coucher en sa garde-robbe, s'il y eût eu un matelas ou de !a paille, sans
m'incomnaoder, car quelles incommodités ne sçaurois-je souffrir à vostre
service qui ne contante mon affection ^ ? »
Les nombreux touristes qui excuraionnent chaque année sur les rives
encaissées du Cousin sont en quête de paysages tourmentés ou de ruines
pittoresques. M. le Duc y respirait le « bon air..., l'air fort bon et
tempéré >, si profitable avec l'exercice à la santé du corps ; mais il était
impuissant à y trouver le repos de l'esprit.
Parmi les artUctions du temps, qui fourniraient à Hiérémie sujet de nouvelles iBraentatïoos,
1r raeitleure que je puisse écrire à V, A. est lo parfeitte santé de Monsieur le Duc, leqildr
tn'a donné pendant deux ou trois jours de grandes appréhensions, voyant qu'il ne mangeoit
I. Histoire des princes de Condi, I, 111, p. ;66.
:. Pelletier à M. le Prince. Avallon, i6 septembre i6jâ. Papiers de CaruU, I. X, fol. 1x4.
3. Le même au même. Avallon, 18 octobre 1636. fùid., fol. 318.
V,/: '1. -•*,
78 LK GRAND CONDÉ.
ny ne dormoit à Tordinaire ; son esprit de plus fort inquiété pour avoir, à ce qu'on m'a dit,
rencontré, retournant de la chasse, un homme languissant soub un arbre^ et pour ne pouvoir
divertir sa pensée des périls où il vous croit. Je fais mon possible pour le rasseurer, bien
aise pourtant de cognoistre son bon naturel et la tendresse d'affection qu'il a pour V. A.
Aussi en a-t-il bien sujet. Il a repris le logis de Madamoyselle la Grandmaire, la chambre
estant plus hors de bruits que celle où il couchoit. Il y a deux ou trois malades de nouveau
soupçonnez de contagion en cette ville. On m'a dit qu'il y avoit force flux de sang à
Auxerre ; je m^nformerai au vray de nos Pères ce qui en est. Ils m'ont écrits la mort du
Père Rousselet, recteur ', d'une fiebvre continue '.
L'humble logis où M. le Duc venait de rentrer existe encore aujourd'hui,
et garde pour les érudits son nom â! Hôtel de Condé.
Moins on a et plus on aime le peu qu'on a.
Les Avallonnais n'ont pas oublié. Lorsque, au sortir de la curieuse
église Saint Lazare, on passe sous le massif beffroi en se dirigeant vers
la statue de Vauban, Ion remarque sur la droite une ancienne maison, au
fronton triangulaire en forte saillie au-dessus de la porte. Entrez sous le
porche, traversez une cour qui n a rien de spacieux, pénétrez dans le
corps d'habitation flanqué d'un lourd escalier, rien ne vous frappera
vivement. Mais descendez dans la seconde cour avec son échappée sur
le vallon des Minimes et les pentes boisées du plateau des Chaumes,
reposez-vous sous ce mûrier noirci et amputé qu'on dit plusieurs fois
séculaire ; donnez un coup d'œil aux salles basses et voûtées des offices
et admirez l'immense étal, fait d'une seule pierre, reposant sur ses trois
supports ; l'on vous racontera que cette sorte de dolmen poli servait à
dépecer le gibier des merveilleuses chasses dé M. le Duc et de son père.
Le temps adoucit tout. Dans l'hôtel de Condé, transformé depuis vingt
ans en école communale, ne s'ébattent plus que de petites filles rieuses,
et sur la longue table à trancher elles jouent aux osselets ^
Le manque de sommeil et l'effroi causé par l'apparition de 1' € homme
languissant ^ dans ce pays plein de légendes, ne furent pas les seuls
incidents fâcheux de la villégiature du duc d'Enghien. Les domestiques
de sa suite mirent sa patience à l'épreuve, et apprirent à leurs dépens
qu'il savait faire le maître.
Monsieur mon Père,
Je suis toujours avec vous, puisque mon esprit vous suit dans les dangers où vous estes,
non sans grande appréhension. Plaise à Dieu que les prières que je luy adresse pour vostre
conservation soient aussi efficaces que je l'en supplie de tout mon cœur. La Guérinières a
pris son temps lorsque j'estois à la chasse, mardy, pour ouvrir mon cabinet et y prendre
dans ma cassette quatre ou cinq pistoles, avec Buade qui gardoit la porte, tandis qu'il faisoit
1. Jean Rousselet (i $91-1636), né à Reims, fut recteur du collège de Metz et de celui d' Auxerre,
où il mourut le 30 octobre, à peine entré en charge. De Backer a mis par erreur : Auiun,
2. Le même au même. Avallon, 30 octobre 1636. Ibid., fol. 418.
3. Sur THôtel de Condé voir une charmante page, mais écrite d'une plume qui embellît ce
qu'elle touche, dans Un Coin de Bourgogne (le pays d'Avallon)^ par M. R. Vallery-Radol. Paris,
Ollendorff, 1^93, p. 161. Nos remerciements publics à M. Chambon, ancien professeur au collège
d'Avallon, notre aimable guide dans la vieille demeure, ainsi qu'à M. Delestre, bibliothécaire, et
à M. Jordan.
STAGS EN BOURGOGNE. 79
sa maio. Il est du tout incorrigible et dit qu'il n'aura jamais affection pour mon service. Il
ne sert que pour donner mauvais exemple. Je Tay fait chastier, mais il est si peu sensible
et à rhonneur et aux coups que les remèdes sont inutiles. Pour moy je ne veu vivre qu'au-
tant que je seray dans le respect et devoir que je suis obligé de vous rendre, estant
Monsieur mon Père
Vostre très humble et très obéissant
fils et serviteur
Louis de Bourbon '.
D'Avalon, 30 oct. 1636.
Les vacances tiraient à leur fin, et, sî giboyeux que fussent les bois
du Morvan ou la plaine d'Annéot, le P. Pelletier songea au retour ou
plutôt à la retraite devant le fléau qui gagnait. Il en écrivît au P. Claude
Mérigot, Jésuite du collège d'Auxerre.
Les lettres du P. Pelletier ne brillent point par leur style ; le français
en est lourd, inégal, chargé d'archaïsmes et de répétitions ; on ne se
doute guère à le lire qu'on vit en l'année du Cid ^ ; mais Pelletier parle
simplement et sans pédantisme. Il voit parfois ceux qui ont vu la cour.
Claude Mérigot crut de sa dignité de faire des phrases pour exposer
l'état sanitaire d'Auxerre, et balança une série d'antithèses, imitées,
croiraît-on, des stances de Rodrigue, sur les déchirements de son âme.
€ V. R., répond-il à Pelletier, a mis mon cœur dans deux mouvemens
contraires quasi en mesme instant ; je veux dire dans deux passions fort
diverses d'espérance et de crainte, l'espérance faisant espanouir mon
cœur, et la crainte le ressérant ; l'espérance ouvroit mon cœur à la joye,
m'imaginant de^à la présence de ce brave prince que j'honore et chéri
tendrement ; la crainte le refermoit de peur que quelque maladie ne
nuisit à sa santé si prétieuse que nous devons désirer de perdre la nostre
pour conserver la sienne. Dans ce double mouvement, je diray franche-
ment ce qui est de la pure vérité, pour ne me point rendre coupable. Je
me suis donc enquis de Monsieur le Président, M. le Maire, Messieurs
les médecins et semblables, et ay appris qu'il y avoit eu quelque quantité
de diarrées, de dysenteries, de petites véroles, de fiebvres pourprées,
quoy que quelques uns d'entre eux disent que ce n'est pas grande
chose ^ > Sauf ces derniers cas qu'il cite ici, le P. Mérigot conclurait
volontiers que tout le monde se porte pour le mieux dans cette bonne
ville d'Auxerre, malgré ses maisons serrées au pied de ses églises et de
ses monastères dominant les bords pleins et tranquilles de l'Yonne. Les
maisons contaminées ne sont que « deux environ > ; encore les tient-on
fermées et les surveille-t-on bien ; enfin, elles sont situées dans un quartier
écarté, et la peste qui y est entrée vient d'ailleurs, « ce qui fait qu'on ne
s'en met pas beaucoup en peine. » C'est le dernier mot de M. le Maire,
I. Lettre inédite. Papiers de Cotiiléy t. X, p. 415.
7.. Le Cid fut représenté vers la fin de novembre 1636.
3. Mérigot à Pelletier. Auxerre, 9 novembre 1636. Ibid.y foL468.
80 X.S GRAND CONDÉ.
et Thonnête correspondant le rapporte « avec la mesme naïveté > qu'on
le lui a fait entendre.
Phénomène singulier : Auxerre, si ravagée par la désastreuse épidé-
mie de 1633, respirait maintenant à Taise dans sa vallée ouverte. Avallon,
derrière son rempart de forêts et de collines enchevêtrées, était de plus
en plus envahi par la contagion : € Il y a en tout 12 a 13 maisons in-
fectées, et environ trente personnes mortes au plus, ou Messieurs les
Eschevins nous ont desguisés la vérité. Le plus grand mal est vers la
porte d' Auxerre... Toute nostre appréhension est au train espandu par
la ville. Il seroit aussi aisé de tenir le vent renfermé que Messieurs les
Pages. V. A. sçait qu'elle-mesme les ayant fait mettre en séquestre à
Dijon, ils ne laissèrent pas de trouver la liberté... Il (M. le Duc) a esté
quelques jours se plaignant à moy d*une pesanteur dont je m'apperœvois
assé pour ne le voir manger ny dormir à son ordinaire..., toujours ^vec
quelque appréhension de la maladie, encor que je face mon possible
pour en divertir sa pensée \ >
D'heureuses nouvelles de Dijon étaient venues cependant apporter
. à Tesprit perpétuellement agité du duc d'Enghien la diversion qu'il sou-
haitait. Grande avait été sa joie d'apprendre que son père, naguère
humilié par Téchec devant Dôle, venait d'être plus heureux dans la
défense que dans Tattaque* L'enfant remercia Dieu des succès et des
€ glorieuses entreprises > de Henri II.
Mais ce ne fut pour lui qu'une éclaircie ; il ne pouvait détourner les
yeux de l'affligeant spectacle qui l'entourait, et le P. Pelletier, tremblant
pour les jours de son élève, était plutôt propre à augmenter ses alarmes
qu'à les calmer. Le précepteur, jugeant la position intenable, prit un
parti extrême ; il supposa l'autorisation de quitter Avallon avec M. le
Duc et toute la suite :
Monseigneur,
L'extrême appréhension où le mal nous a mis ne nous donne pas le loisir d'attendre les
ordres de V. A. pour sortir M. le Duc de cette ville, à cause que la peste s'espand dans
toute la ville. Un des «schevins a esté si peu avisé que d'entrer dans le logis ; la peste
estant en sa maison ; je veu croire qu'il ne le sçavoit pas ; elle a pourtant esté recognue
dès la nuit mesme, qu'il vous a vu et pailé longtemps dans la sale. De plus vîs-à-vis la
porte du logis de la Grand-maire^ ce matin un garçon cordonnier a esté recognu contagié,
et plusieurs autres endroits de la ville, si bien que nous avons creu devoir esloigner une si
* chère personne qu'est Monsieur le Duc et le mener au chasteau de Mailly ... Ce qui aug-
mente ma crainte est le voyage de M. Champion et le sieur Pirrot, eschevins qui seuls
avoient le soin de mettre ordre dans la ville, si bien que désormais chacun recèlera son
mal, en danger de tout perdre. J'ay donc mieux aymé faillir en cecy par une prudente
précipitation, que d'attendre qu'un délays nous face- gémir à l'éternité \
M. le Prince aimait qu'on demandât ses ordres, et non qu on les pré-
vint. Dès le lundi 24, après Tétape de Mailly, le duc d'Enghien arrivait
1. Pelletier à M. le Prince. Availon, 13 novembre 1636. Ibid^ fol. 490.
2. Le même au même. Avallon. 15 novembre 1636. làid.^ t XI, kH 12.
STAGE SN BOURGOGNE.
81
à Auxerre. Quelques jours plus tard, Pelletier devait écrire une lettre
d'excuses pour avoir donné < sujet de fascheries > au père informé et
mécontent de ce déplacement. M. le Duc est € en parfaitte santé > à
Auxerre. € On nous a assuré que la peste s'estoit grandement espandue
dans Avalon ; on n'en parle quasi plus icy '. »
Le séjour se prolongea le mois de décembre.
Avec la sage et tenace obstination qu'il portait en tout, M. le Prince
était parvenu à son but. Malgré les deux fléaux inséparables qui déci-
maient la Bourgogne, guerre et peste, il avait maintenu son fils une
année entière dans la province qui saluera bientôt en M. le Duc son
gouverneur. Alors Enghien ne sera plus pour elle un inconnu ; elle
l'aura vu, non au feu, ce qui eût été pour lui la fête des fêtes, mais au
devoir obscur et laborieux. Avant de savoir commander, il a appris à
obéir. En paraissant piétiner sur place, il n a pas laissé d'avancer.
— I ■ ■
I. Pelletier à M. le Prince. Auxerre, i**^ décembre 1636. /âtW.y fol.87.
Le (rasd Coudé.
IS*l
ffouis DE Bourbon ne pouvait cepeodant s'éterniser enJ
province. I
Le 14 janvier 1637, il était arrivé à Paris', où son père
l'avait précédé d'une semaine", et. le roi se trouvant ce
■ jour-là à Saint-Germain, il « alla saluer Son Éininence >
■ ; cardinal de Richelieu. Peu après, il redevenait élève et
com mençaii ses études militairesà l'Académie royale pour la jeune noblesse.
Cette école supérieure vit la répétition, sur un théâtre plus brillant,
des succès de M. le Duc à Sainte-Marie. Au lieu du collège de Bourges, ,
lointain rendez-vous de hobereaux et de roturiers, c'est Paris, centre I
unique et point dt; mire du royaume. Lenet a décrit la splendide affluence
produite par la présence de M. le Duc dans cette école aristocratique et
il a admiré les calculs si bien vérifiés de Henri II. « Il voulut que |
l'émulation parmi la plus haulte noblesse de France, qui accourut en <
foulle en cesie académie, au bruit que le prince y entroit, fist en sa per-
sonne le mesme eftcLt qu'elle avoit faict au collège, d'où il estoit sorti j
le plus capable de tous ceux qui y esioient avec luy. L'on n'avoil point |
encore veu de prince du sang eslevé et instruit de ceste manière vul-
gaire ; aussi, n'en a-t-on point veu qui ayent, en si peu de temps et
dans une si grande jeunesse, acquis tant de sçavoîr, tant de lumière et -
tant d'addresse en toute sorte d'exercices.... Le prince, son père, habille
et éclairé en toute chose, creut qu'il seroit moins diverti de ceste
occupation, si précisément nécessaire à un homme de sa naissance,
dans l'Académie que dans l'Hostel, et creul encores que. l'y meslant
parmi tant de seigneurs, et tous gentilshommes, qui y esioient et qui y
enlreroient pour avoir l'honneur d'y estre avec luy, seroient autant de
serviteurs et d'amis qui s'attacheroient à sa personne et à sa fortune*. >
1. Gautrt, 1637. p. 40.
2. Iitd,f.it.
3. L«Dei, .V/m«irts, p. 448.
A L'AGADÉMIS ROYALE. 83
Ces amis, dont Lenet n a pas daigné insérer les noms dans ses
Mémoires, nous avons eu la bonne chance d'en retrouver la liste oubliée
parmi ses € premiers brouillons de notes pour servir à l'histoire du grand
Condé. > C'étaient : € M^ de Nemours, de Luynes, les deux Sénessé',
Tavanes, Fiesque, AUuy ^ Gesvre, Gramont, Nangis ^ >
L'<Hostel> auquel avait été préférée, pour le domicile du duc d'En-
ghien, l'académie de la vieille rue du Temple, était Thôtel de Condé,
situé dans un tout autre quartier, entre le Luxembourg et Saint-Sulpice.
Louis de Bourbon, séparé de son père et de sa mère, fut mis en un
logement proche de l'école, avec toute sa suite accrue en nombre et en
importance.
Sa € petite maison :> se composait de plusieurs personnages à nous
bien connus, tels que le gentilhomme de chambre La Buffet ière et le
P. Pelletier, € aumosnier >, auxquels Lenet ajoute, confondant à son
habitude bêtes et gens : l'écuyer Francîne, deux pages, un contrôleur,
quatre valets de pied, deux valets de chambre, un cocher, un postillon,
six chevaux de carrosse, quelques chevaux de selle et un chef de chaque
office. Il omet, dans ce caravansérail, le médecin Guénauld.
Les académies ou collèges d'armes du dix-septième siècle sont une
des institutions les moins connues de nos jours. L'histoire critique des
systèmes et des méthodes d'éducation a passé auprès d'elles, dans ses
tapageuses explorations, sans daigner les apercevoir. Le Dictionnaire de
pédagogie leur accorde à peine quelques lignes dédaigneuses et peu
exactes. Il traite d' < assez étrange ^ l'usage qui fit prévaloir alors le
nom d'Académie appliqué à des écoles n'ayant, selon lui, d'autre objet
€ que des arts d'agrément ou des exercices du corps, tels que l'équita-
tion, l'escrime, la danse et certains jeux^ ». On y apprenait cela et plus
que cela, nous le verrons bientôt ; mais posons d'abord, sans essayer de
le scruter à fond, le problème des origines.
D'après Belleperche ^ l'honneur d'avoir créé la première académie
revient à Henri IV et le titre de fondation est € l'arrest du conseil de
sa Magesté de l'an 1594 >. Elle était située €en lieu propre et très beau,
le logis du petit Bourbon, aux faulx-bourgs Saint- Jacques, grands et
mieux aduenants. » Le conseiller et l'inspirateur de Henri IV avait été
le chancelier de France Hurault de Cheverny, salué comme € Tunique
mouuement et la première âme > de l'institution nouvelle'.
1. Beaufremont de Sénecé.
2. Escoubteau de Sourdis, marquis d'AIluye.
3. Afss. de Pierre Lenet ^ t. I, fol. 82. Bibl. Nat. fr. 6702.
4. Dictionnaire de piUa^o^ie et dHnstruction primaire de M. F. Buisson, »887, t. I, p. 11.
5. Avnom de Nostre Sei^nevr Sest's Christ (sic). U Académie dv Roy pour Ihnstruction de la
iêunesse, Haren^ve panégyrique desdiée à la Magesté du Roy Henry qvatriesme. Récitée à l*ower-
ture de son Académie, par le S. et Antécesseur ide Belleperche, cons. du Roy et l'Intendant pro-
fesseur (5 février 1598). Bibl. Mazarine, 33.727.
6. UAcaiiémie ov institution de la Noblesse Françoise où toutes les vertus reçmses à vn sei-
gneur de marque sont déduites avec vne curieuse recerche des plus belles et riches maiières qui se
puissent tirer des sciences divines et humaines, par Alexandre de Pont- Aymery, Seigneur de
Focheran, Paris, 1595. Bib. Mazarine, 32990.
84 LS GRAND CONDÉ.
Le premier organisateur et directeur fut Antoine de Pluvinel, le
célèbre écuyer de Henri III et de Henri IV, puis sous-gouverneur du
Dauphin Louis XIII.
C*était une conquête morale sur T Italie, et les contemporains l'accla-
mèrent avec un patriotique enthousiasme. € Toute la France, dit Pont-
Aymery,est infiniment obligée au sieur de Pluvinel qui par une incroyable
charité s'est dévotieusement offert à la noblesse pour luy servir d'eschelle
et de marchepied aux choses les plus eslevées et plus glorieuses, que la
vertu puisse assigner à ceux qui la recherchent. Il nous desrobe l'occa-
sion de courir en Italie, où nous allons achepter, avec une despence
incroyable, la seule ombre de la civilité, et nous en rapportons la masse
entière du vice. Ceux de Milan nous apprennent la tromperie ; le Boulo-
gnoîs nous enseigne le mensonge, le Vénitien nous rend hypocrite et
songeart, le Romain nous plôge en un océan d'athéisme et d'impiété et
le Napolitain nous change en un satyre... J avois oublié les Florentins
ennemis jurez des bonnes mœurs, etc. Nous pou vos maintenant oublier
ce chemin, et prendre les erres de l'Académie du sieur de Pluvinel, qui
nous fait veoir en gros, tous les exercices que l'Italie monstre en détail,
ayant basty un Parnasse aux Muses, et dressé un temple à la vertu :
car, à la vérité dire, il n'instruit pas seulement le gentilhomme en la pro-
fessiô du maneige, mais en la pratique des bonnes mœurs, sans lesquelles
toutes sciences ne sont que vanités. Aussi qui void ses escoliers, il void
le maintien des Anges, et les vives images des célestes perfections. O
heureuse Noblesse ! pour qui le ciel a faict naistre un tant sortable gou-
verneur. S'est-on exercé au maneige ? Vous avez le voltigement, l'escrime
et la danse, le tout sous des personnages que ledit sieur a sceu heureu-
semét choisir, et qui sont, hors de controverse, les premiers en leur art.
Vous y avez encore les mathématiques, la peinture et le lut, sous les
plus excelles maistres que l'on puisse désirer ; en sorte, que j'estime n'y
avoir maison en Europe, tant accomplie ou famille mieux ^ordonnée. Les
jeunes seigneurs y peuvent estre introduits dés l'aage de dix à onze ans ;
là où ils ne peuvent et ne doivent aller en Italie qu'ils n'ayent de dix
sept à dix huict ans : de façon qu'ilz auront apprins sous le sieur de
Pluvinel estans fort jeunes, ce qu'ilz vont chercher demy homes en
Italie. >
Une intéressante étude biographique, récemment parue \ a remis en
lumière le « Dessein d'une académie >, tel qu'il fut exposé en 1612 dans
une leçon d'ouverture. Le plan de Rivault est tout pratique, mais aussi
fort élevé. L'école de hautes études imaginée par l'auteur pour les jeunes
gens qui perdent leurs loisirs à la cour, comprend deux catégories : les
uns se destinant aux armes, les autres à la diplomatie ou à l'administra-
tion. Les exercices corporels, loin de prédominer, semblent au contraire
relégués au second plan. L'apprentissage auquel on s'exerce est plus
I. David Rivault de Fkurance et Us autres précepteurs de Louis XI 11^ par Tabbé Aogaste-
François Anis. Paris, Picard, 1893.
A L'ACADÉUIB ROTALE. 85
moral que physique. Les élèves devront acquérir les connaissances néces-
saires ou bienséantes à leur profession, afin de polir leurs vie et moeurs.
Les uns au courage joindront l'esprit chevaleresque, et aux vertus mili-
taires les qualités de l'homme du monde. Les autres, ceux qui prétendent
aux emplois civils, se formeront à parler en public avec hardiesse et
abondance, cultiveront l'art du geste et se rendront dignes en tout de
paraître aux conseils privés ou d'État.
L'œuvre projetée fut-elle réalisée? Elle méritait de l'être, à en juger
Lk Cardinal de Richelieu.
(D'apris une Médaille de l'Histoire de France.
Calcographie du Louvre.)
par son curieux règlement. Mais le biographe de Rivault semble n'y
voir qu'une idée heureuse et fugitive, une semence jetée en l'air et
retombée dans les parterres de Conrart, où le germe développé devint
après vingt-trois ans l'Académie française de Richelieu.
Ne pourrait-on pas aussi bien dire qu'elle se fondit avec l'Académie
royale de Pluvinel et de Benjamin, celle-là même qui recevait le duc
d'Enghien comme écolier ; et le futur programme d'études du jeune
Prince ne se rencontrerait- il pas déjà dans l'esquisse d'une académie
idéale, tracée par Pluvinel ?
L.E GRAND CONDÉ.
La discussion de ce plan forme le plus intéressant entretien de V/tis-
Iti'clion dv Roy en l'exercice de monter à cheval, publiée par René de 1
Menou ', son disciple et admirateur, cinq ans après la mort du maître.
Comme Belleperche et Pont-Aymery, Pelletier' et Rivault, Antoine
de Pluvinel avait gémi sur l'oisiveté qui était pour la jeune noblesse la
mère des vices et des désordres. 11 déplorait de la voir < passionnément
désireuse d'estre instruite à la vertu, à la civilité, à la courtoisie, aux
bonnes mœurs, à la propriété >, mais obligée de s'expatrier pour men-
dier cette instruction à l'étranger, surtout en Italie, d'où ta plupart
revenaient aussi ignorants qu'ils y étaient allés. Pour arracher nos ]
nationaux aux maîtres cupides qui les exploitaient au loin, il avait sup-
plié le roi de fonder en France quatre académies : à Poitiers ou à Tours, i
à Bordeaux, à Lyon et à Paris.
Le côté financier de son projet n'est pas le moins bien présenté. La I
noblesse était pauvre, relativement à ses besoins : i. il n'y a aujourd'huy j
que ceux qui ont quantité de bier.s qui puissent faire instruire leurs enfants 1
aux bonnes mœurs. > Pour la pension d'un jeune gentilhomme et de sa j
suite, il faut « cinq cens escus par an, sans compter les habits et aultres \
choses nécessaires S- Les maîtres seront subventionnés ; autrement, ils
sont obligés de s'atlirer des élèves au prix d'une coupable tolérance. Le
logis sera grand et spacieux. Au manège, il y aura au moins vingt che-
vaux avec gens pour les panser. Le personnel comprendra outre les
officiers et serviteurs un tireur d'armes, un maître à danser, un voltigeur,
un mathématicien et un homme de lettres.
L'ordre à apporter dans ces * écoles de vertu > sera le suivant : toute
la matinée, exercice d'équitation.
L'après-midi sera consacrée quatre jours de la semaine, les lundi,
mercredi, vendredi et samedi, à tirer des armes, danser, voltiger et faire
des mathématiques ; les deux autres jours, mardi et jeudi, l'homme de
lettres devra traiter en présence de toute cette jeunesse assemblée :
« Premièrement de toutes les venus morales, ensemble des exemples
qui se tirent des histoires tant anciennes que modernes pour les esclair-
sir : et après les avoir instruits de ce qui dépend des mœurs, passer à la I
Politique, comme la partie la plus nécessaire : et là-dessus leur monsirer
la forme qu'il faut tenir pour gouverner les Provinces, les villes et les
places que Vostre Majesté leur peut remettre entre les mains, soit pour ]
comander, soit pour obéir : comme quoy servir son Maistre, soît en 1
Ambassade, soit en quelqu'autre affaire particulière : bref, tascher par ]
i, L'/ttstnirtfoit dv Roy en l'exercice de mcnfer 4 cheval. Par Messire Antoine de Pluvinel,
EscuyerprincinHl de sa Maiesté. Imprimé à Paris, au dépens de Crispin de Pas Pe vieux, à J
Vtrectil, 1625. In-fol. Celle édilion, faiie sur le Ms. de Pluvinel, e%i ia première cnmplae. Dans I
le Matteige rayai (ttl^X dont on peut loir, h la léserve de la Uibl. nal, (S. 86, 2), lexemplaire J
même de Louis XIII, le pio^rramme de l'Académie Fait défntit. 1
J. La Nùurniute de la nob/ear, Oà s/inl refii/Mnties cnmmr en vn Tableau loutet les plut I
Mlet vertus, ^ui peuvntl accomplir uh jeune Gentilhomme. Par le S' Pelletier. Pans, Mai
P.-itisson, t6o^ fol. 96" . Dib. Muarine, 35254-
A L'ACADÉMIE ROYALE. 87
ce moyen de les rendre capables de bien servir leur Prince, soit en paix,
soit en guerre. >
Chaque mois il y aura grandes manœuvres. Un jour de fête, < après
le service de Dieu, > un nombre suffisant de cavaliers armés de toutes
pièces courront la bague, rompront en lice ou sortiront en campagne.
Là, on leur apprendra € la manière d aller au combat, le moyen d atta-
quer une escarmouche, la forme de se retirer, bref tout Tordre de la
guerre >. Ils combattront tantôt à cheval, tantôt à pied, construiront des
forts de terre qu'ils attaqueront ou défendront selon leur force ; ainsi
leur enseignera-t-on € à bien attaquer une place et à la bien deffendre > ,*
enfin, on donnera le commandement <L alternativement aux uns et aux
autres, afin de les rendre tous dignes de bien commander et bien obéir. >
L'école de Paris, splendide auprès de celles de province, se trouvait
exposée aux regards de la cour, des ambassadeurs et des étrangers. La
cour s'intéressait aux premières évolutions de la jeune noblesse, comme
la foule d'aujourd'hui suit dans les revues nationales les bataillons de
nos écoles militaires. Lorsque Louis de Bourbon fut académiste, elle s'y
rendit assidûment. € Tous les jours destinés au travail, dit Lenet, rien
n'estoit capable de Ten divertir. Toute la cour alloit admirer son air et
sa bonne grâce à bien manier un cheval, à courre la bague, à dancer et
à faire des armes. Le Roy mesme se faisoit rendre compte de temps er.
temps de sa conduite par Benjamin. >
Ancien écuyer de Louis XIII ', Benjamin était l'héritier direct, avec
son fils, le baron du Pré, des traditions de Pluvînel. € Le premier plan
de l'Académie que le Sieur de Pluvinel dressa à Paris pour Tutilité com-
mune de tout ce Royaume, écrivait Pelletier en 1604, a si bien servy de
modelle aux autres, qu'à son imitation ceste eschole y est encores aujour-
d'huy ouverte par le sieur de Benjamin, au mérite et capacité duquel il
ne se peut rien désirer, tant il s'aquitte dignement de ceste charge '. >
Trente années de plus dans les mêmes fonctions avaient usé les forces du
vieux maître, sans lui rien ravir de son prestige moral. Un des derniers
élèves qui venaient de passer par ses mains avant M. le Duc était Antoine
Arnauld, fils aîné d'Arnauld d'Andilly. Ce fervent janséniste, qui, de
capitaine d'infanterie et de cornette de carabins, devint ecclésiastique et
vicaire d'Henri Arnauld son oncle, l'évêque d'Angers, nous a laissé un
excellent portrait du directeur de l'Académie du Temple. € En sortant
de l'Académie, dit-il (1635), je reçus de M. de Benjamin des témoi-
1. < Mené (le dauphin I^uis XIII) en carrosse à la rue des Bons-Enfants, à l'académie de
M. Benjamin, écuyer du roi. > Journal d'Héroard^ t. I, p. 4 [4.
2. La N&vrriture delà noblesse, — On peut voir encore sur Pluvinel, apprécié com-ne écuyer,
un article très élogieux dans la Revue des Deux-Mondes^ 15 avril 1894, p. 884 : Le^ Méthodes de
dressage du cheval de selle^ depuis la Renaissance jusqt^ à nos fours^ par M. F. Musany. < Son
Mani\(e Royal^ contenant les discours qu il fit au roy pour lui apprendre l'art de bien monter à
cheval, est rempli de réflexions fort judicieuses, dt)(nes d'un philosophe autant que d'un écuyer. >
Cette phrase est la meilleure réponse aux plaisanteries de Tallemant des Réaux, accusant Plu-
vinel de n'avoir été € guères plus subtil que ses chevaux >. Historiettes^ 3* éd., 1834, t. I,
p. 149.
88 LE GRAND CONDÉ.
gnages d'une amitié vraiment paternelle, et des avis pour ma conduite,
dont je lui serai éternellement obligé. C'étoit un homme extraordinaire
dans sa profession, et quoi qu'il fût fort exact à faire faire tous les exer-
cices, on peut dire que c'étoit la moindre chose qu'on apprit chez lui. Il
s'applîquoit particulièrement à régler les mœurs ; et jamais personne ne
fut plus propre à former les jeunes gens à là vertu, soit en louant à pro-
pos ceu:^ qui faisoient bien, soit en reprenant fortement les autres, et
imprimant en tous un respect dont on ne pouvoit se défendre, tant
il sçavoit tempérer sagement la bonté qui lui étoit naturelle, par une
sévérité nécessaire >
Peu avant la sortie de labbé Arnauld, un autre élève plus célèbre, mais
sur lequel n'avait pas eu de prise la direction ferme et sage de l'école, avait
précédé M. le Duc. Le frivole et romanesque Cinq-Mars avait fait admirer
là une « physionomie > qui semblait présager sa prochaine élévation.
Bel écuyer et homme de bien, Benjamin n'avait pas à former que des
cavaliers habiles et des jeunes gens accomplis. Le règlement établi par
Richelieu en 1636, et la fondation à perpétuité par le cardinal de vingt
bourses de mille livres en faveur de vingt gentilshommes tenus ensuite
de servir le roi deux années, dans le régiment des gardes, dans la marine,
<L ou autrement selon son bon plaisir, > imposait aux académisles pourvus
par cette libéralité une instruction militaire plus étendue et plus variée.
Outre les exercices ordinaires qui leur étaient communs avec les autres,
« comme de monter à cheual, voltiger, faire des armes, les Mathémati-
ques, Fortifications et autres, > ils devaient être encore <L particulière-
ment instruits à quelques heures réglées es principes de Logique, Phy-
sique, Métaphysique, sommairement en langage François : mais pleine-
ment la Morale et à une autre heure commode de l'aprèsdinée... aussi
sommairement de la Carte géographique, des notions générales de l'his-
toire universelle, et l'establissement, déclinaison et changement des Em-
pires du monde, transmigrations des peuples, fondemens et ruines des
grandes villes, noms, actions et siècles des grands personnages, comme
aussi de Testât des principautez modernes, singulièrement de l'Europe,
dont les intérests nous touchent de plus près, par leur voisinage ; sur
tout au long, ils apprendront l'histoire Romaine et Françoise ^ >
1 . Mémoires de M, l\ibbé Arnauld^ contenant quelques anecdotes de la Cour de France^ depuis
i6j4jusqi^à 1675- Amsterdam, 1756. In-8, t. I, pp. 20 et 30.
2. Le Règlement de ^Académie royale respire d'un bout à l'autre une hauteur de vues digne
du fondateur de la Sorbonne et du Collège royal de Richelieu. C'est un des plus beaux monu-
ments pédagogiques de Tépoque. Nous le citons d'après le Mercvre françois^ t. XXI, p. 278 et
suiv. — Il complète l'ordonnance du roi provoquée par Richelieu, en 1629, au camp de La Ro-
chelle, et qui, d'après Montzey, serait la véritable charte de fondation de l'Académie royale mili-
taire, ou institut spécial pour les exercices de guerre. L'Académie de la rue Vieillc-du- Temple
n'en aurait été qu'une annexe. Cf Institutions décote militaire jusqté en ijSg^ par C. de Mont-
mie royale de marine, fondée à Paris en 1669. — Voir encore le vicomte d'Avcncl, qui prête à
Richelieu, en 1636, < le projet de fonder une académie de mille gentilshommes, > mais assure
qu'il ne l'exécuta pas. > Richelieu et la monarchie absolue^ t. I, p. 293, n. i.
A L'ACADÉMIK ROYALE. 89
Ce que Richelieu édictait n'était point lettre morte. Les lettres du duc
d'Enghien à cette époque, lettres rendues trop rares par les fréquents
séjours de son père à Paris, confirment pleinement que telles furent,
moins la philosophie, les matières des études. L'histoire continua donc
pour lui, comme à Bourges et à Dijon, d'occuper une large place ; c'était
l'un des exercices quotidiens : <L J'écris tous les jours sous le P. Pelletier
qui me dicte un 2^ entretien de la prudance d'un prince, avec les exam-
ples de ceus qui ont estes grands et prudans capitaines, afain que j'ap-
prenne de leur conduite à me randre tel que vous me désirés et digne
de la continuation de vos bonnes grâces '. "^
Les mathématiques appliquées et la géographie figurent aussi au pre-
mier plan : 4: J'ay commencé à tracer sur le papier des fortifications, j'ay
achevé le compas de proportion et le toisé et commancé les fortifications.
Je m'estudie aussy à la carte du monde, affain que je n'obmette rien de
tout ce qui m'est nécessaire vour vous contanter et servir '. »
L'équitation ne lui parait pas moins utile à ce service de son père qui
deviendra un jour le service du pays, et il souhaiterait que Benjamin et
du Pré son fils, malades, et, avant peu d'années, l'un emporté par la
mort et l'autre réduit à la retraite ^ « fussent en leur parfaicte sancté, »
afin, écrit-il, € que je montasse plus souvent à cheval » Il était adroit
et élégant cavalier. La course de bague, en laquelle Benjamin et du Pré
excellaient tous deux ^ fut aussi le triomphe de M. le Duc. Dans cet
exercice, qui demande une main sûre de la lance, le corps droit et tendu,
tout un maintien solide et gracieux, il remporta non sans fierté le prix :
c'était € un assés jolis bidet K >
Enfin l'éducation religieuse était assurée pour M. le Duc par la pré-
sence du P. Pelletier, et la pratique, par le concours que lui prêtait, en
1. Histoire des princes de Condé^'^2x Mgr le duc d'Aumale, t. III, p. 569. Pièces et docu-
ments.
2. C'est sans doute à cette période qu'appartiennent au moins deux des trois seuls ouvrages
écrits de la main de Coudé et composés par lui, qui sont mentionnés dans les Recherches, Le
Roux de Lincy : n** 17, Traduction du Cctiilina de Salluste ; n° 51, Livre d* arithmétique et de
géométrie; n® 52, Usage du compas de proportion.
3. Du Pré mourut à la fin de décembre 1639. M. le Duc annonça cette perte à M. le Prince et
lui en exprima ses < sensibles desplaisirs, > dans une lettre s. 1. n. d. Papiers de Condé^ série M,
t. XVIII, fol. 4^1. Le père de du Pré lui survécut et ne se retira qu'en 1642. Gazette^ 22 mars 1642,
p. 248. Le Maneige r^^x/ contient de nombreux portraits en pied de Benjamin, écuyer du roi, et
de du Pré, son fils, page de la grande écurie. Les traits fins et allongés de Benjamin, vrai type
à la Henri IV, contrastent avec l'air épais de du Pré.
4. Mémoites de Michel de Afarot/es, Amsitréanif 1755. In- 8, t. III, p. 209.
5. Longtemps le duc d'Enghien fut un maître à tous les jeux d'adresse et de souplesse. On en a
remis dernièrement en mémoire un trait plaisant de voltige. < Un juge de village lui étant aile
au-devant pour le haranguer dans son chemin, comme il s'inclinait profondément pour lui faire
la révérence, le duc, qui était dispos, sauta adroitement par-dessus le corps du juge, et se trouva
derrière lui. Le juge, qui avait une envie extrême de débiter sa harangue, selon la maladie de tous
les mauvais orateurs, se retourna sans paraître ému de cette capriolle (sic)y et pour empêcher le
duc d'en refaire une semblable, il le salua en s'inclinant moins qu'il n'avait fait ; mais le jeune
prince, qui n'en voulait pas demeurer là, ayant mis ses deux mains sur les épaules du juge, sauta
une seconde foi?, et l'obligea, par ce moyen, de se retirer tout confus. > Histoire de Louis de
Bourbon^ II du nom^prince de Condé, Cologne, 1693, in- 12, à!2LpThsVIntermédiairey 10 juin 1894,
page 6ia
90 LE GRAND CONDÉ.
qualité de confesseur, un Jésuite célèbre : le P. Nicolas Caussin. Le
drame où figurèrent des acteurs tels que Louis XIII, Richelieu et M^^^
de La Fayette, a son écho dans la correspondance de M. le Duc, et nous
sommes heureux de pouvoir publier ici une lettre qui eût été un régal
d'érudit pour Victor Cousin. Avec quelle maligne satisfaction le biogra-
phe de M"*« de Hautefort eût saisi sur le vif Thomme simple et honnête,
courtisan maladroit et directeur imprudent, qui accuse dès la première
heure les qualités et les défauts, cause de sa chute plus rapide encore
que sa fortune ! Ce prêtre, ne soupçonnant point Tintrigue autour de lui,
et osant bientôt s'attaquer à la politique despotique au dedans, anticatho-
lique au dehors, de Richelieu, s'est dépeint en quelques lignes. Confiance
naïve en soi, familiarité trop facile avec le roi, présomption dans les
démarches qui ne redoute aucun désaveu, autant de traits permanents
de caractère que l'occasion fera grandir. Remarquons surtout le cardinal
s'imposant par le choix du confesseur à la conscience du duc d'Enghien,
comme il pèsera bientôt sur sa vie entière par la désignation de sa fian-
cée. Caussin s'adresse à M. le Prince.
Monseigneur,
J'ay esté appelle pour confesser le Roy au jour de PAnnonciation Nostre-Dame, ce que
j'ay fait, et Dieu par sa grâce m'y a fait trouver tant d'agrément et de bon succès que
Monsieur le Cardinal m'arresta le mesme jour pour confesseur de Sa Majesté, sans toutefois
qu'il voulût que l'on donnast chaudement la nouvelle au bonhomme^ de peur de lui donner
quelque inquiétude. Suivant l'ordre que V. A. ra'avoit donné, je nomroay le P. François
Tacon *, conftsseur de Monsieur de Nesmond 3, pour ouyt la confession de M le Duc en
mon abstrnce, et sachant que c'estoit un esprit très paisible, je lui dis que cela estoit selon
vostre volonté.
Toutefois Afonsieur le Cardinal nia dit que je pourvois continuer mon office auprhde Mon-
seigr vostre fils sam diffiadtè. Quand j'aurai l'honneur de voir V. A. je luy dirai les particu-
liarités de mon élection et l'assurerai de bouche que ce changement ne change rien en moy,
mais que vous recongnoissant inviolablement porté au service du Roy, je serai plus que
jamais.
Monseigneur,
Vostre très humble et très obéissant
serviteur en N. S.
N. Caussin *.
De Paris, ce
27 mars 1637.
Le bon religieux, qui croyait si aisé de diriger la conscience d'un roi
sur qui régnait Richelieu, ne laissa pas de conserver plusieurs mois ses
1. /^é?«///»ww^ s'employait couramment dans le sens du vieillard; mais Louis XÏII n'avait
alors que trenie-six ans.
2. J<?suiie peu connu. En 1660 il était encore à la Maison professe de Paris. Cf. Etude sur la
vie et les œuvtes du P, Le Moyne^ p. 468.
3. Théodore de Ne-mond, surintendant des affaires de M. le Prince (1631), reçu en la charge
de pré>ident à iporiier, à Paris, le 20 décembre 1636, en remplacement de Lamoignon, son beau-
père. {G.i2ette^ 1636, p. 824.) n a sa notice dsiVisV Histoire des princes de Condé^ t. lll, p. 203.
4. Papiers de Condé^ séiie M, t. XI, fol. 378.
A L'ACADÉMIE ROYALE. 91
candides illusions. Le P. Pelletier le revoyait sans doute quelquefois,
quand le confesseur de Sa Majesté pouvait, avec l'autorisation du cardi-
nal-ministre, exercer les mêmes fonctions auprès de M. le Duc. Il témoi-
gne, plus de six mois après, de cet optimisme aveugle mêlé à la satisfac-
tion de faire pratiquer autour de soi de hautes et nobles vertus. € Le
P. Caussin, écrit-il, se plaist à suivre la Cour. S'il la peu rendre aussi
sainte en effect, qu il la fait en idées dans ses écrits ', il ne sera pas
mauvais orateur. Je le soushaitte de tout mon cœur •. > La vocation et '
rentrée au couvent de Tangélîque Louise de La Fayette (19 mai) prouvent
que la sainteté florîssait en effet dans l'entourage le plus intime de
Louis XIII; mais l'heure vint bien vite où, pour obéir au cri de sa cons-
cience émue par la misère du peuple et par la division de la famille
royale, le religieux, fidèle à Dieu et dévoué à sa patrie, crut devoir
dénoncer au souverain la tyrannique oppression du ministre et se perdit
(8- II décembre). Le duc d'Enghien ne put même pas voir une dernière
fois son directeur, enlevé brusquement un matin, en vertu d'une lettre
de cachet, et conduit à Rennes par un exempt, en attendant Quimper-
Corentin. Il informa son père de ce départ par ces simples mots : < J'ay
appris que le pauvre père Caussin n'estoit plus à la cour et qu'on y avoit
mis le père Binet à sa place ^ »
Cette glorieuse disgrâce du confesseur du roi eut lieu vers la dernière
fête d'automne, la Conception Notre-Dame ; mais en la fête du prin-
temps (Annonciation) qui avait marqué si différemment l'entrée en faveur,
la seule conséquence dont se fût ressentie la maison de M. le Duc, avait
été le remplacement du P. Caussin» prédicateur d'un carême d'ailleurs
fort avancé, par le P. Pelletier : i. Je croirois manquer à mon devoir si
je laissois partir monsieur de Vilargois... sans vous mander comme le
roy a choisi le père Cossîn pour son confesseur. Il m'est venu voir depuis
et m'a dit que cela n'ampêcheroit pas que je ne me confessase à luy ; il a
laissais sa chère de Saînt-Médéric au père Pelletier qui y réussit for
bien et que j'y ait esté entandre aujourd'hui ^ > Ces quelques mots,
envoyés à l'adresse de M. le Prince à Dijon, étaient datés du lundi saint,
29 mars. Le samedi saint, 3 avril, le P. Pelletier écrivait à son tour cette
lettre, qui montre les fruits salutaires opérés dans son élève par les péni-
tences de la sainte quarantaine.
Monseigneur,
Les meilleures et plus véritables novelles que je puisse donner à V. A. sont celles de la
parfaitte santé de Monsieur le Duc, et l'assurer qu'il n'a jamais tesmoigné tant de désir d'obéir
et contanter V. A. ; aus«ii se range-t-il à tout ce qu'on veut ; il n'a point rompu son karesme,
V. A. a sceu comme le P. Caussin a esté commandé d'aller trouver le Roy et rooy de
1. Allusion à la Cour saine fe ouPInshtvfion chrestiemie des Grands avec les exemples de ceux
quidams les cours ont fleury en saincteté. Paii<, 1625. Cf. Sommervogel, in-4'*, t. II, col. 906.
2. Papiers de Condé, série M, t. XII, fol. 287.
3. M. le Duc à M. le Prince. Paris, 18 décembre i6yj,Ibid.y fol. 409.
4. M. le Duc au même. Paris, 29 mars 1637. làid,^ t. XI, fol. 381 .
92 LE GRAND CONDÉ.
suppléer à ses prédications de Saint-Merry ; en suitte j'ay creu qu'elle ne trouveroît pas
mauvais que je changeasse l'heure de l estude du matin en une du soir jusques après les
Pasques... Le jour que Madame vient voir Monsieur le Duc à l'Achadémie, elle dit tout haut
qu'elle avoit demandé congé. A quelques jours de là, il fut disner avec elle ; je ne sçay s'il
ne fit pas d'assé bonne grâces ses complimens aux dames qui y viendrent, mais elle luy dit
qu'il n'estoit pas nécessaire qu'il y allast souvent. Le jour d'hier, St-François de Paule, il
fut avec elle au sermon des Minimes où Mons*^ de Lingendes prescba, et comme je m'ap-
prestois pour luy aller faire sa leçon après disnée, il m'envoya un valet de pieds pour
m'advertir qu'il m'en dispensoit, et qu'il alloit tenir un enfants sur les fonds de baptesme
avec Madame. Monsieur de Benjamin est allé en sa maison des champs proche Aaxerre
pour 15 jours '.
Louis de Bourbon gauche et emprunté dans le monde ! C'est bien le
détail de cette lettre le plus à noter.
Mme la Princesse pouvait se rassurer sur ce défaut passager de son
fils ; il devait se corriger vite : ses airs d'écolier mal dégourdi ne lui
durèrent pas ; ils disparurent même sitôt, qu'à part les témoins immé-
diats du changement, on ne semble pas avoir soupçonné que le jeune
prince ait eu à se former aux manières gracieuses. C'est ainsi que Lenet ^
nous le montre, dès son arrivée à Paris, qui commence à se plaire au
cercle de M"^^ sa mère, à l'hôtel de Condé, s'y rendant le plus assidu
qu'il lui était permis, et y prenant « les premières teintures de ceste
honeste et galante civilité qu'il a toujours eue et qu'il conserve encore
pour les dames. >
Cependant les règlements de l'Académie lui avaient sans doute rare-
ment permis de sortir pour aller dans le monde. Uae seule fois, en l'hiver
de 1637, on trouve mentionnée sa présence au théâtre, dans une repré-
sentation offerte par Richelieu à la cour. Le jeune académiste y assista
entouré de toute sa famille ^
En attendant qu'il acquière la politesse mondaine sous l'influence
maternelle, le sentiment qui le dominait encore était un ^respect très
profond pour son père ; on peut en juger par cette lettre à lui adressée,
qui nous conduit des vacances de Pâques à celles de la Fête-Dieu ; elle
est écrite au château de Saint- Maur, et, lorsqu'on songe au parc déli-
cieux couvrant alors de ses ombrages la boucle de la Marne, on ne peut
guère s'empêcher ensuite, à lire M. le Duc, de constater que ce senti-
ment filial intense nuisait un peu chez lui non seulement à son affection
envers sa mère, mais encore, ce qui est moins grave, au sentiment de la
nature.
Monsieur mon Père,
Le peu de séjour que vous avés faict dans tous les lieus où vous avés esté, depuis que je
n'ais eu Thonneur de vous voir, m'a faict retarder jusque ici à me donner l'honeur de vous
escrire^ ce que je vous prie très humblement n'attribuer pas à manque d'affection ni de
respect que je vous assure de conserver toute ma vie au point que je connois y estre obligé.
1. Pelleiier à M. le Prince. Paris, 3 avril 1637. IHd.^ p. 393.
2. VAvev^U de Smyme. Tragi-comédie, Par les cinq avthevrs. Paris, Courbé, 1638.— Gazette^
1637, p. 128.
A L'ACADÉMIE ROYALE. 93
J'ay appris que vous aviés estes un peu indisposé» dont j'ay receu un sensible déplaisir qui
n'u pu estre diminué que par l'assurance qu'on me donna aussitost que Dieu vous avoit
incontinant ranvoié vostre parfaite santé que je luy prie par sa grâce vous vouloir conserver.
Je suis venu passer les festes à Saint-Mort et y séjoumeray encort quelque temps, M. Gué-
nost aiant jugai appropos de me baigner pour me donner une plus parfaicte santé que je
ne souliaite que pour estre plus en estât de vous obéir et vous faire paroistre que je suis
Monsieur mon père
Vostre très humble fîls
et très obéissant serviteur,
Louis de Bourbon '.
Nous ne savons si les mêmes divertissements hygiéniques attirèrent de
nouveau M. le Duc pendant les grandes vacances dans cette magnifique
maison des champs, où le roi, toujours courant de château en château,
ne dédaignait point parfois de descendre. Aux premiers jours d août,
Louis de Bourbon était encore à Paris et figurait avec son père dans
une imposante cérémonie, aussi militaire que civile, en cour de Parle-
ment : la réception du vieux maréchal de La Force, nommé du cet pair,
pour plus d un demi- siècle de services ^
Il n*est pas téméraire de supposer que cette solennité de grand appa-
rat ne fut pas le seul spectacle auquel il assista durant cette époque de
repos et de plaisir, et qu'il se mêla à des assemblées moins austères.
Vers la fin de ces vacances de 1637, il était déjà quelque peu rompu à
rhabitude du monde et il en goûtait les divertissements. A peine rentré
à l'Académie pour y faire sa seconde année, il voulut assister à une pièce
de société jouée en famille par sa sœur. M^^^® de Bourbon, la future
duchesse de Longueville, âgée de dix-huit ans et l'idole des salons,
exerçait sur lui, plus jeune de deux années, un redoutable ascendant ;
Mme la Princesse elle-même était entrée dans le complot ; mais il fut
déjoué par l'inflexibilité de Benjamin et du P. Pelletier.
Monseigneur,
Les meilleures novelies que je puisse donner à V. A. est la santé parfaitte de Monsieur
le Duc, lequel eut hier un déplaisir qu'il fit assé paroistre. Madame envoiant sçavoir de
ses novelies, luy avoit fait dire tout bas qu'elle l'envoiroit quérir pour le divertir avec une
petite comédie que Mademoiselle sa sœur représentoit avec d'autres. Monsieur Benjamin
m'en avoit touché un mot le jour auparavant, et nous trouvions qu'il ne lui estoit pas expé-
dient de converser encor trop souvent avec les femmes et les filles^ car enfin on y prend feu à
la longue ; il fît donc dire le matin à Monsieur le Duc, comme il se promettoit d'aller
trouver Mons' de la Ville-auz-Clercs à Nijgon ^ où il l'attendoic, qu'il s'estoit trouvé extra-
ordinairement indisposé la nuit, et partant qu'il ne pourroit sortir de tout le jour, ce qui
rompit la partie ^..
L'affaire devait aller loin. Jamais la duchesse de Longueville ne par-
I. Lettre inédite. M. le Duc à M. le Prince (Saint- Maur,4 juin i6yj).Papiers de Condé, t.XII,foI.68.
2. Geuette, 1657, p. 467.
3. Nigeon, sur la paroisse de Cbaillot.
4. Pelletier à M. le Prince. Paris, 2 octobre lùyj, Papiers de Condé^ série M, t. XII, fol. 2S7.
94 LE GRAND GONDÉ.
donna les griefs de M^^ de Bourbon. De ce fait obscur date l'inimitié
de l'illustre Mère de l'Église contre la Compagnie de Jésus et son atta-
chement pour Messieurs de Port- Royal. « L'éloignement qu'elle avoit
pour ces pères (jésuites), rapporte Rapin, étoit fondé, à ce qu'on dit,
sur la malhonnêteté du P. Pelletier que le prince de Condé, son père,
avoit mis auprès du duc d'Enghien, son frère, pour ses premières études,
comme un homme uniquement à luy, dont il étoit sûr et qui n'avoit nuls
égards pour la princesse de Condé, sa mère, ny pour elle-même quand
elles vouloient voir le petit duc '. >
Grâce à cette fermeté rigide de M. le Prince et des maîtres, ni l'attrait
des fêtes mondaines ni le charme des compagnies galantes n'avaient
encore eu de prise sérieuse sur Louis de Bourbon, et jamais ils ne le
fascinèrent assez pour lui faire perdre de vue le but plus noble qui le
passionnait. La pensée que son père, nommé le 7 octobre 1637 comman-
dant de Tafmée de Guyenne, sera de nouveau prochainement à l'ennemi,
réveille en lui son amour de la guerre. Comme au temps du siège de
Dôle, le voici repris de velléités de servir.
Monsieur mon père,
Mes lettres vous vont au devant, puisque vos commandements me defTandent d'y aller
en personne pour vous randre mes respects et obéissances et vous assurer de l'excès de
mes désirs et justes passions à vous servir icy et partout où vos ordres et vos commandemans
vi^ attacheront, J'ay esté bien joieus d'apprandre l'estat de vostre parfaite sancté que je prie
le ciel vous conserver, affain qu'il me laisse F Dbject de mon bonheur et le subjet des obéis-
sances et services que je veu vous rendre inviolablem^ toute ma vie puisque je suis.
Monsieur mon père,
Votre très humble et très obéissant fils et serviteur,
Louis DE Bourbon *.
De Paris, ce 21* octobre 1637.
Une lettre écrite deux mois après exprime plus qu'une inquiète
espérance , ce n'est pas une demande, mais une offre, avec la calme
assurance d'être non exaucé, mais agréé. < Si je n'avois appréhantion
de vous faire croire que je voulusse devancer vos volontés, estant obligé
de les suivre inviolablement toute ma vie, je vous dirois volontiers que
je suis désormais en estât de vous randre les services ausquels Dieu et
la nature m'obligent ^ » L'enfant de désirs est maintenant prêt.
Je ne crois pas que M. le Prince eût jamais accepté la proposition de
son fils, si elle eût été formellement contraire au règlement de l'Académie.
Mais bien que Richelieu eût expressément fixé la durée de l'école à
deux ans entiers pour les vingt gentilshommes élevés gratuitement,
elle pouvait être abrégée pour les autres. Comme « je n'y devois être
1. Mémoires du P, René Rapin^ t. II, p. 151.
2. Lettre inédite. M. le Duc à M. le Prince. Paris, 21 octobre 1637. Papiers de Condé^ série
M, t. XII, fol. 326.
3. Le même au même (Paris). Ibid,^ fol. 409.
A L'ACADÉMIS ROYALE.
95
que six mois, raconte Tabbé Arnauld, M. de Benjamin s'appliqua avec
toute l'affection possible à me faire si bien employer ce tems que je n'en
sçusse pas moins en sortant de chez lui que ceux qui y passoient des
années entières. > A coup sûr Benjamin avait dépensé autant et plus
de zèle encore pour M. le Duc, et la seconde année de son plus bril-
lant élève, bien qu'écourtée ainsi que la première, pouvait être regardée
comme moralement achevée au printemps de 1 638.
Or, une occasion superbe s'offrait de mettre l'académiste sortant du
Temple à même de prendre rang dans la carrière sans courir trop tôt
les risques où se fût jeté, à la guerre, un jeune homme de seize ans et
demi. Le jugement pas plus que la valeur n'avait attendu chez lui le
nombre des années ; il était capable de jouer déjà son rôle utile dans
l'État mieux qu'en simple soldat ou en volontaire. En quittant Dijon
pour aller se mettre à la tête de l'armée du Midi et opérer contre les
Espagnols, Henri II laissa au duc d'Enghien le gouvernement tempo-
raire de la Bourgogne.
Ôapitre HEjiticme.
^*^
^
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT.
ïdi>£3^-
iTiNÉKAiRE que suivit le nouveau gouverneur fut sans
doute à peu près le même qu'en son voyage de Paris
à Dijon {février 1636). Arrivé à Avallon, il écrivit à son
père, qui à Vallery lui avait laissé des ordres, cette lettre
déjà d'un ton différent des précédentes et dans laquelle,
^ à travers les marques sommaires de déférence, perce le
sentiment d'un homme en place.
Monsieur,
Outre le desplaisir que j'ais de n'avoir plus l'honneur d'estte auprès de vous, le doute
où je suis de voslre sanclé m'affligera exirêaiemcnt jusque à ce que je sois asseuré de vos-
Ire parfaite disposition. J'ai receu la commission que le roy m'a donnée avec t'arest du
parlement que l'on m'a renvoie en cette ville. Je tascheray en toutes occasions de vous
lesmoigner mon obéissance et que je veus estre toute ma vie.
Monsieur,
Vostre liés tiumble et Irës obéissant
fils et serviteur,
D'Avalon, ce 6 avril 1638.
Louis de Bourbon ■-
Quelques jours après, M. le Duc, muni de sa commission de pouvoirs
ainsi dûment enregistrée au Parlement de Paris, faisait son entrée en
qualité de gouverneur intérimaire dans la capitale de cette Bourgogne
qui, deux ans passés (1636), l'acclamait pour la première fois. Lui-même
rendit compte à son père, en termes brefs, de sa réception au grave
sénat où il avait alors pris séance.
Monsieur,
Je cioirois avoir beaucoup manqué si j'avois perdu une occasion sans vous randre me,
debvoirs et vous assurer de mon très humble service et vous dire que j'ay esté au parlcmen
I. Lettre inédite. M, le Duc ^ M. le Prince. Avalon, 6 avril 1638. Papitrt dt Cendé, série M,
A.PPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT. 97
OÙ j'ai receu tous les honneurs et tesmoignages d'afTection possibles. Depuis ma dernière
lettre, il n'est rien arrivé qui mérite vous entretenir davantage. J'ai satisfaict aux ordres
qu'il vous a pieu m'envoier. Je seray extrêmement en peine jusque à ce que je sache l'estat
de vostre bonne sancté et que soies content du soins que je prans à vous obéir qui sera
tousjours ma principale estude af&in que vous cognoissiés comme je suis.
Monsieur,
Vostre tiès humble et très obéissant
fils et serviteur,
Louis DE Bourbon '.
De Dijon, ce 25 avril 1638.
Le P. Pelletier n'avait pas suivi son glorieux élève. Nous pensons,
sans pouvoir laffirmer, qu'il convient de rapporter à Tépoque de la sortie
de rÂcadémie et du départ de Paris la lettre par laquelle il remerciait
Henri II de sa confiance dans le passé et faisait valoir respectueusement
ses droits à la retraite. Avec le regret de quitter le noble enfant dont
neuf ans il avait 'partagé la vie, il écrivait :
Monseigneur,
J'ay si souvent expérimenté les effects de vostre grande bonté que je serois le plus in-
grat homme du monde, si, et devant Dieu je ne taschois d'en recoignoîstre les txcez, sur
les sacrés Autels, et ne m'en louois publiquement devant les hommes. C'est la considéra-
tion. Monseigneur, qui m'a fait prendre la liberté de supplier V. A. d'agréer ma retraitte,
afin de vaquer à moy-mesme et désormais me disposer à bien mourir, après avoir eu l'hon-
neur de rendre quelque petit service à V. A. en la personne de Monseigneur le Duc, à
l'instruction duquel comme je n'ay jamais esté beaucoup utile ny propre, maintenant le
8uis-je moins que jamais.
Il y a long temps que j'avois importuné mes supérieurs de prier instamment V. A. de
Êdre chois de quelqun de nos Pères, qui pût s'acquitter plus dignement de ceste charge,
si importante au bien de toute la France ; mais le ciel ne m'a pas jugé digne de cette con-
solation et nos Pères n'ont point voulu se rendre importuns à V. A. n'ignorants pas. les
obligations infinies que nous luy avons, pour estre le vray père et protecteur de nostre
Compagnie, et il est vray que quand nous aurions employés toutes nos industries et usé
toutes nos vies à son service, encore luy serions-nous redevables. C'est le sentiment de tout
ce corps. Monseigneur, que vous honnorez de vostre bienveillance, et comme membre
d'icelay, quoy qu'indigne, je veu m'essayer d'en estre recognoissant, si V. A. se daigne me
favoriser de sa grâce, et m'octroyer l'humble requeste, que je luy en présente, par cette
lettre, n'ayant jamais osé luy dire de bouche, bien que j'en aye eu plusieurs fois le dessein.
Mon esprit estant en son repos, ce sera lors que j'enverray incessamment vers le ciel mes
prières pour sa prospérité. Je la supplie donc par sa bonté ne me point refuser ceste faveur
et repos que je luy demande^ puisqu'elle m'a permis jusques à cettlieure de me dire.
Monseigneur,
De Vostre Altesse,
Le très humble, très fidèle et très obéissant serviteur,
G. Pelletier, de la Comp* de Jésus '.
M. le Prince ne consentit pas à une séparation définitive. Si Pelletier
n'était plus à la hauteur de Louis de Bourbon sorti de page, il avait plus
1. Lettre inédite. M. le Duc à M. le Prince. Ibid,^ fol. 196.
2. Pelletier au même (s. 1. n. d.), série M., t. XXXIV, fol. 264.
Le grand Condé. 7
98 L£ GRAND CONDÉ.
encore que par le passé les qualités nécessaires à l'éducation d'un jeune
enfant. A l'attention de tous les instants, au soin des plus petites choses
qui l'avaient toujours recommandé pour ce rôle, l'âge avait joint une
bonté presque maternelle. Il continua auprès du prince de Conti, Armand
de Bourbon, élève du collège de Clermont à Paris, l'office qu'il cessait
de remplir auprès du frère aîné.
La place du prêtre et du religieux ne restait pas vide dans la maison
du duc d'Enghren. Henri II avait déjà mis la main sur le ?• Hubert
Mugnier, son prédicateur favori. Le provincial de Champagne, Claude
Tiphaine, qui réclamait le secours d'un tel orateur pour conquérir par la
persuasion la ville de Troyes, jusque-là presque fermée aux Jésuites, ne
put sans doute le ravir à la chaire d'Arnay-le-Duc en Bourgogne'.
D'Arnay, Mugnier passa dans le Conseil du nouveau gouverneur, à
Dijon.
Afin d'initier son fils avec plus de sécurité aux choses de l'adminis-
tration, d'ordinaire très complexes dans les pays d'états, en face surtout
d'un parlement et d'une cour des comptes d'une fidélité suspecte, et à
portée d'une frontière infestée par les bandes ennemies, M. le Prince
l'entoura de conseillers capables de l'éclairer et de le diriger, mais non
d'étouffer ses talents, ni d'entraver son essor.
Certes, Henri 1 1 avait pu user parfois à l'excès de son autorité pater-
nelle ; mais dans les conditions où nous allons le voir dicter ses comman-
dements, il emploie son pouvoir pour imposer l'expérience à l'aventure,
la prudence à l'irréflexion, la loi de Dieu aux passions.
Instructions au sieur Girard mon secr*^^ pour porter à mon fils en Bourgogne.
Lorsque mon fils assemblera son Conseil pour prendre résolution sur les affaires qui se
présenteront, il y appellera Monsieur le Marquis de Tavannes, quand il sera à Dijon ;
Mons^ le premier président, M^ d'Orgeval, intendant de la justice, M. de La Buffetière,
M. l'évesque de Chaion, et M. de Ternes : un ou deux quand ils seront à Dijon et led.
S*^ Girard....
Qaand le Conseil de mon fils le jugera à propos, il pourra faire un tour à Bourg-en-
Bresse, de dix ou douze jours de séjour, et hors de cela il ne bougera de Dijon, et néant-
moings ne fera led. voyage que par advis de son Conseil.
Mon fîls continuera ses mathématiques, et pour cet effet le S*^ advocat de Cugny sera
prié de ma part de le veoir demie heure par chacun jour pour les luy montrer.
Le père Mugnier logera dans le Logis du Roy et couchera au cabinet de mon fils et
aura une chambre audict Logis où couchera son compagnon ou son valet, à savoir celle où
logeoit le père Pelletier, ou celle à costé de la salle haulte où je mange le soir.
Ledict père Mugnier fera lire tous les jours à mon fils pendant une heure quelques livres
de rhistoire, de Tescriture Ste ou de piété.
Quoy que je destine ledict père Mugnier pour confesseur de mon fils, néantmoings puis-
que je désire qu'il veille présentement sur les mœurs et déportemens de mon fîlz, il luy
choisira cependant un confesseur au collège des pères jésuittes de Dijon.
Il fera continuer à mon fîlz ses dévotions et l'emmènera à la Congrégation pour le moins
de deux premiers dimanches du moys Tun.
I. Tiphaine à M. le Prince, Pont-à-Mousson, 30 décembre 1637. Ibid.^ t. XII, foL 436.
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT. 99
Mangeront à la table de mon Ris : le P. Mugnier et son compagnon ', M. de la Buffetière,
le S*^ Girard, M. de Francine, M" de Montreuil, et M" le chevalier Quarré quelquefois....
Le P. Mugnier et M. de la Buffetière empescheront d'aucthorité que mon fîls n'aille à la
chasse pendant la chaleur et lorsqu'il y voudra aller il partira de bon matin pour retourner
à neuf heures, et ne sortira après le digner qu'à quatre heures pour le plustost *.
Toute l'âme de M. le Prince est dans ce monument de sa vigilance
paternelle ; on y retrouve d'un bout à l'autre et son zèle ardent pour la
religion et cette prudence qui faisait de lui, à défaut d'un grand capitaine
ou d'un grand politique, un sage administrateur, et ce menu soin des
choses de l'économie domestique, qu'il entendait mieux qu'aucun
seigneur de son temps. On dirait quelque feuillet détaché d'un de ces
testaments ou de ces livres de raison d'autrefois, mélange de nobles
déclarations et de prescriptions minutieuses, de traditions d'honneur et
de recettes empiriques.
Par quelques-uns de ces côtés, le P. Mugnier représentait exactement
M. le Prince, et, plus que le P. Pelletier, il était sa ressemblante image.
Ce n'était pas, comme son prédécesseur, un humaniste épris de vers
latins et de figures de rhétorique, s'occupant d'histoire, réglant les études
et comprenant l'existence en régent de collège qui ne vit que par son
élève et pour son élève. D'une capacité plus haute, d'un esprit plus
large, d'un tempérament plus actif, il aura des relations avec les person-
nages les plus divers de la cour et de l'armée, au palais des Ducs à Dijon,
à l'hôtel de Condé à Paris ; à la fois directeur de conscience, intendant
de maison, aumônier de régiment, il saura traiter avec Richelieu, M. le
Prince, et même avec M^^ de Longueville^ avec les étrangers, les
familiers et les domestiques, sans embarras, sans complaisance ni défail-
lance. De caractère plus ouvert, il sera plus tolérant avec le monde ; par
son dévouement moins prolixe de déclarations, mais non moins riche en
effets, il gardera son ascendant sur Enghien, le surveillant sans le
fatiguer, le morigénant sans le rudoyer. La période des passions
commençait, et durant ces heures de crises violentes, causées par
l'emportement des sens ou l'exaltation de la vanité, il était bien néces-
saire de lâcher un peu les guides, sous peine de voir M. le Duc se briser.
Pendant neuf années consécutives (1638-1647), le P. Hubert Mugnier
sera le nouveau mentor de Louis de Bourbon ; il restera attaché à ses
pas dans son gouvernement, dans ses villégiatures et ses séjours aux
eaux, ses voyages et ses campagnes, présent à tout, même aux sièges
et aux batailles de son armée victorieuse.
M. le Duc, âgé, en avril 1638, de seize ans et demi, n'était plus un
écolier, au sens moderne et strict du mot ; mais l'action de son directeur
1. Le P. Mugnier eut successivement pour compagnon (1640- 1644) le Frère coadjuteur Denis
Bonnette, né le 6 juillet 161 3 à Dijon, où il mourut le 19 avril 1680 ; et le Frère René Ferry ou
Féret 11644-1647), né à Reims le 10 août 1597, mort à La Flèche le 12 décembre 1662.
2. Papiers de Condé^ t. XIII, fol. 136. Minute.
3. Voir Pépître dédicatoire du P. Mugnier : < A Madame la Duchesse de Longueville, à son
retour d'Allemagne, > en tête du Grand secret de lapolitiqve chrestienne (1647).
100 LE GRAND CONDÉ.
n'en fut peut-être que plus étendue* Par son assiduité ininterrompue» ses
conversations et son entrain, son art de concilier les partis les plus
opposés, sa franchise à tout dire, son courage à payer de sa personne,
Mugnier fut son suprême éducateur.
Cette sorte d'éducation complémentaire offrirait plus d'un intéressant
tableau à qui l'examinerait à loisir ; mais une telle étude nous entraînerait
trop loin ; nous nous contenterons d'esquisser quelques traits et de noter
quelques scènes. Ainsi verrons-nous se produire déjà au grand jour les fruits
précoces du travail lent et caché dont nous avons suivi toutes les phases.
Une première série d'épisodes que nous n'avons pas à rappeler ici, est
celle de la vie militaire à Dijon, en cet été de 1638. Le portrait de M. le
Duc, parant, à force de prudente sagacité et d'entreprenante activité,
aux périls et aux souffrances d'une interminable petite guerre de dévas-
tation et d'escarmouches, de surprises et d'enlèvements, d'attaques de
bourgs ou de châteaux, a été rendu, avec la vérité que donne seule
l'expérience, par le prince qui, bien jeune aussi, commanda, en des
circonstances presque analogues, nos troupes françaises d'Algérie*
Pendant cette première moitié du dix-septième siècle, les années se
suivaient avec une monotonie à la fois triste et joyeuse. Durant la belle
saison, campagnes aux frontières, mais aux frontières non encore recu-
lées ; durant la saison mauvaise, rentrée dans les quartiers pour les
soldats, dans la vie de plaisirs pour les chefs. L'hiver de 1639 fut très
gai, malgré les Lorrains aux portes, dans la capitale de la Bourgogne.
Peut-être la société distinguée de cette ville toute parlementaire ne
regretta- t-elle qu'à demi l'absence de M. le Prince ; ses façons bourgeoises
et ses goûts populaires lui faisaient préférer les tavernes des écoliers aux
salons des gens de qualité. C'était une tout autre fête de recevoir un
gouverneur instruit et élégant, spirituel et lettré comme Enghien,
et de lui être présenté dans les salles de l'antique palais des Ducs, rajeuni
et comme éclairé par sa présence.
La correspondance très fournie du P. Mugnier initie à tout ce qui se
passa au logis de décembre 1638 à mars 1639, surtout aux affaires
domestiques. Les affaires d'État, il n'en sait rien, écrit- il ', que « par
réflexe >, et il croit que <L d'autres plus sçavants > en informeront Son
Altesse. Il semble que tout d'abord il n'était pas très fixé sur le détail
de ses fonctions ; mais après une visite de M. le Prince, qui eut lieu
vers le jour de l'an et fut l'occasion de nouvelles instructions orales et
écrites, il n'éprouva plus aucune gêne à cumuler ses offices de directeur
et d'intendant. < Je trouve tous ceux de la maison souples à vos volontés.
M^ le Duc qui se porte très bien est le premier en cela comme en toute
autre chose. Il assista vendredy dernier (7 janvier) au Parlement, pour
honorer la réception de M*" le Marquis des Varennes ' et le premier plai-
1. Voir pour la première partie du séjour à Dijon, les lettres du P. Mugnier à M. le Prince
des 5 décembre 1638 ; 9, 16, 22 et 30 janvier ; i", 7, 19, 24, 26 février ; 5 et 13 mars 1639. Papiers
de CotuU^ série M, i. XV, fol. 89 à 293.
2. Roger de Nagu, marquis de Varennes, chevalier d'honneur da Parlement de Bourgogne.
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT. 101
doyer dufils de M^ Malteste '. > Un gouverneur est un personnage décoratif
qui ne doit manquer aucune séance solennelle. Il préside même des thèses^
Ces journées étaient peut-être assez fastidieuses ; mais il y en avait
d'autres, et les soirées compensaient : € Monsieur le Duc se porte très
bien, Dieu mercy, et sans flatterie fait tous les jours de mieux en mieux
et me tesmoigne un respect plein d'amour aux volontés de V. A. Jeudy
dernier quelques jeunes hommes de la ville vindrent au Logis danser
devant luy un petit ballet. Il donne ce soir le bal. Madame la Première
Présidente fera les honneurs du logis pour recevoir les dames. > (i6 jan-
vier.) Ce bal officiel qui permit à la présidente Bouchu de trôner au
logis du gouverneur, laissa dans la magistrature dijonnaise un vif
souvenir. Lenet ne lavait pas oublié après vingt ans.
Mais chacun crut de son devoir de rendre ; et bientôt Louis de Bour-
bon fit le tour des salons de la ville. Collations, soupers, ballets et ces
défis de coups de dés, appelés momons, qu'on se faisait en masque, se
suivirent presque sans trêve. < Monsieur le Duc se porte très bien. Dieu
merci, passe le temps joïeusement dans les bals, momons et honnestes
compagnies. Quelques scrupuleux de Dijon, et mesme de nos pères,
m'ont reproché tels divertissements, jugeants que je ne les debvois pas
permettre, à cause du masque. Je me suis deffendu avec de bonnes
raisons dont l'une est la modestie que M^ le duc m'a promis de garder
en telles actions et la résolution qu'il a de faire en cela comme en toute
autre chose la volonté de V. A. > (22 janvier.)
La question était une question de mesure, et le P. Mugnier seul avait
qualité pour la trancher en pleine connaissance de cause. Deux ans
pénitencier à Rome, il n'ignorait pas plus que d'autres sa morale ; repré-
sentant de Henri de Bourbon-Condé, il devait procurer l'exécution de
ses ordres et élever son fils en prince. Or, l'on ne s'imaginerait pas
facilement aujourd'hui quelle place occupait la danse dans la haute
éducation de la noblesse. Les déclamations du maître de M. Jourdain
sur l'excellence et l'utilité d'un art si nécessaire, les considérations de
Louis XIV établissant en i66( une Académie royale de danse, pour
fournir ses corps de troupe et ses corps de ballet de gentilshommes
adroits et souples, ne sont ni plus emphatiques ni plus surprenants
que le langage de Pont-Aimery ou de Pelletier cinquante ans plus tôt.
Pont-Aimery la range après la voltige et l'escrime. Pelletier veut qu'on
l'apprenne fort jeune, et il tient que de tous les exercices de l'adolescence
€ il n'y en a pas un seul qui la face plus paroistre, ne qui luy donne plus
d'accèis aux bonnes compagnies. > Il raille celui qui reste i planté contre
1. Claude Malteste, né à Dijon, en 1620, de François Malteste, fut avocat, puis conseiller en
1643 ; écrivit, à la manière de Saint«Simon, des Anecdotes du Parlement ou Histoire secrète de
cette Compagnie durant la Fronde^ mourut en 1696.
2. Le d'^nartement des Estampes de la Bibliothèque nationale possède un frontispice de thèse,
gravé par Grégoire Huret, où Ton voit Henri II, le duc d'Enghien et le prince de Conti repré-
sentés en pied ; dans le fond, la ville dç Dijon. D'après une note manuscrite peu ancienne, ce
personnage serait Pierre Palliot dédiant un de ses ouvrages ; un autre exemplaire qui est
sous nos yeux Tidentifie avec René Palliot.
I£ GRAND CONDÉ.
la tapisserie > ou ne regarde que « par-dessus l'espaule des autres >. ce
qui est « plus propre à un valet de chambre qu'à un gentilhomme. >
Toutefois il recommande le juste milieu et non l'excès, défend de courir
de bal en bal et veut que l'on s'y trouve i quelquesfois, mais rarement
et que ce soit tousjours aux plus honorables, > Louis XIV. prenant part
si longtemps aux ballets de la cour, suivait l'exemple de son père. En
1639, Louis XIII, déjà vieilli et malade sans retour, ne verra pas de
meilleur moyen pour rassurer le royaume que de danser « son ballet >. k
Saint-Germain et à Rueil, ni de plus sûre nouvelle pour menacer l'Europe
que cet entrefilet de la Gazette : « Sa Majesté tesmoigna par son adresse
et agilité, véritables effets de sa parfaite santé, qu'elle ne sçaît pas moins
donner le prix à toutes ses actions que le remporter". > Avec le duc d'En-
ghien, la petite cour de Bourgogne ne le cédait pasen 1 638 àcellede France.
Durant le carnaval, qui se comptait alors de la fête des Rois jusqu'au
carême, les réjouissances ne firent plus que se succéder. Les Pâques ne
tombaient que le 24 avril. Dès le 30 janvier, Mugnier écrivait : < Je loue
Dieu de la bonne et parfaite santé de M. le Duc qui passe son carnaval
joieusement. M, Perret ' luy donna l'autre jour souper. M. Bossuet ' l'a
suivy, et puis M. le comte de Beaumont. M, de La Buffetière n'y a
jamais voulu assister, alléguant pour raison que cela l'incommodait à la
santé et n'estoit pas dans la bienséance de son aage, et que sa bourse n'y
pouvoit suffire, puisque tels soupers se jouent et qu'il a desja perdu deux
ou trois fois. Cependant M. le Duc est seul avec M. Francine. Il m'a
voulu obliger d'y aller. Je me suis contenté de faire le commandement de
V. A, et de le visiter, feignant d'avoir quelqu'affaire avec luy. Je me suis
informé de M. Comeau, et d'autres, comme le tout se passoit ; tous m'ont
asseuré qu'il n'y avoit en cela rien à reprendre. » (30 janvier.)
En effet, rien n'était en souffrance dans les devoirs essentiels du
gouverneur, et ces repas de cérémonie donnés en son honneur par les
magistrats du parlement ne lui faisaient perdre de vue ni ses obligations
de chrétien, ni celles de soldat. Une fois de plus, il accomplit ostensi-
blement ses dévotions de congréganiste fidèle, en la fête toujours chère
à son cœur du 2 février. « Monseigneur, je suis trop heureux de pouvoir
mander à V. A. que M. le Duc dans une pleine et parfaite santé continue
ses exercices de piété et de mathématiques. Le jour de la Purification, il
fit le matin ses dévotions en la congrégation. Je preschay l'après-disner
à la Sainte Chapelle où il assista. Ayant eu advis que deux mille chevaux
de l'ennemy paroissoient, il a redoublé ses soîngs pour la garde de la ville
et a visité tous les jours les portes, et ayant treuvé une négligence notable,
il en a adverty M. le Maire, après avoir repris fortement et efficacement
ceux qu'il trouva à la porte, si négligents qu'il leur emporta leurs armes.
Pour le jeu, je l'ay adverty, je croy qu'il suivra les volontés de V, A. et jus-
I. Cautti, 1639, p. 116.
3. René Pcr[et,conseilleret commissaire a
3, Claude Bossuet, conseiller, nommé vicoi
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT. 103
qu'à présent je ne me suis apperceu d'aucun désordre en cela.> (7 février.)
Ce n'était pas seulement les mathématiques, mais la fortification que
M. le Duc étudiait. Les Remarqties sur les plans des villes capitales et fron-
tières du duché de Bourgongney Bresse et Gex^ à Dijon, le j^ janvier 1640,
par Louis de Bourbon, duc d' Anguien, dédiées à son père, devaient l'occu-
per déjà, tant il y figure de notions précises et de détails d'observation'.
Les ouvrages d'histoire contemporaine l'intéressaient vivement.
L'échec devant DôIe, en 1636, pesait toujours à sa pensée, et dans le
désir sans doute de réhabiliter le malheureux lieutenant-général de
l'armée du roi, il se tenait au courant des publications relatives à ce siège
néfaste. Il n'a pas réuni moins de quatre ouvrages : < l'un par monsieur
Boivin, l'un par monsieur Pètre Champvans, l'aultre par monsieur de
Beauchemin, et l'aultre qui est une déclaration de messieurs les commis
au gouvernemant du Comté. > La relation, encore si intéressante
aujourd'hui, mais si cruelle pour la vantardise française, du conseiller
dôlois Boivin avait particulièrement attiré son attention *.
Ce n'est que deux ans plus tard, lors d'un nouveau séjour de M. le
Duc à Dijon, que nous le verrons se jeter à corps perdu dans la lecture
des interminables romans tels que Ibrahim ou \ Illustre Bassa^ qui
commença en 1641 la réputation de Madeleine de Scudéry ^
I • Nous conjecturons que l'un des répétiteurs de M. le Duc vers celte époque fut le Frère
coadjuteur Jean du Breuil, né à Paris le 22 juillet 1602, et qui prononça ses derniers vœux le
15 janvier 1640, à Dijon, aux Godrans, collège qu'il ne quitta presque jamais. Son Eloge le
déclare instruit dans la mathématique et la perspective militaire. Il fit paraître en 1642 la première
partie de l'ouvrage qu'il avait composé sur cette science à l'usage du duc d'Enghien. Cf. l'épftre
aédicatoire de cette première partie : < A Monseignevr et très illustre prince Lovis de Bovrbon,
dvc d'Angvien, etc. > J'ai vu, à la Bibl. nat. (V. 10, 270), un exemplaire avec cette inscription :
Ex dono yoan. du Brueil Soc. lesv. C'est la vraie orthographe du nom. On trouve énumérées
dans Sommervogel, in-4, t. II, col. 144 et suiv., les diverses éditions et traductions de sa
Perspective practique nécessaire a tovs peintres, gravevrs, scvlptevrs, architectes, orfèvres,
brodevrs, tapissiers, et autres se seruans du Dessein, Par vn parisien, Religieux de la Compagnie
de lesvs. Paris, Tavernier, 1642, in-4, etc. Jean du Breuil mourut à Reims, le 27 avril 1670. —
Beaucoup d'autres ouvrages dédiés par des Jésuites au duc d'£nghien, plus tard le grand Condé,
sont mentionnés par Sommervogel aux articles : Monet, Labbe, Labbé, Nouet, etc.
2. Le Siège de la ville de Dôle, capitale de la Franche-Comté, — Comté de Bourgongne et son
hevrevse délivrance, racontés par M. Jean Boivin, conseiller de Sa Majesté en son souverain
Parlement, audit Dôle. A Dôle, Antoine Binart, 1637, in-4®
3. Qu'on en juge par cette note de libraire, qui révèle déjà dans le duc d'Enghien le grand
lecteur que sera Condé toute sa vie : « Mémoire des Impressions et Livres fournis le 1$ avril 1641,
à Monseigneur le duc dAngien, par P, Rocolet, imp, et libraire ordinaire du Roy, etc, :
Le 15 avril.
Romant de P Ariane, in-4®, ^'^^^ l^s figures . . 12 livres.
For est de Dodonne, in-4*» 5 >
Histoire Africaine, in-8®, 3 vol 7 >
Romant de rindamire,\n'%** 10 sols.
Dorisandre, in-S® 5 >
Romant d* Albanie, xn-Z^ 2 livres.
Romant de Mélusine, in-8® 5 sols.
Stratonice, in- 8® 3 livres.
Histoire de Henri VH, de Bacon, in-8® ... 2 livres, 10 sols.
Le 18 avril.
Illustre Bossai, in-|o, 4 vol 15 livres.
Astréf, premier tome 2 >
Même avec la remise exigée par le contrôleur, il y en eut pour cinquante livres sept sols.
Archives de Condé, M s.
104 LE GRAND CONDÉ.
Les jours gras approchaient. Un « amphithéâtre » fut dressé dans la
salle du palais {1639). C'était attirer le public, et il ne se fil point prier.
Plusieurs des jeunes gens de la bonne société, peut-être même du menu
peuple, avaient été les camarades de Louis de Bourbon. Passionné pouf
les exercices du corps, < ce maître enfant î avait joué souvent aux soldais
avec « les grands écoliers du collège >, dans son fort construit au pâtis
de Brai, près la porte Saint- Pierre. Gourmades et coups de poing,
taloches et horions pleuvaient dans la mêlée ; les fuyards étaient honnii
et les vaillants proclamés « bons enfants. » Le souvenir de ces simulacre»
de bataille demeura même légendaire et fut rimé en patois bourguignon'
par le Loret de la Bourgogne, Aimé Piron, l'auteur des A'ocls \ D'anciens
élèves des Godrans, sans doute aussi combattants du fort de Brai,
allèrent saluer à leur manière M. le Duc et le P. Mugnîer : « Mercredy
dernier, quelques jeunes hommes qui avoienl autrefois esté mes escolïers
et dansé des ballets sur les théâtres, voulurent rponstrer à M. le Duc
qu'ils se souvenoient mieux de la danse que du latin, et luy vindrent
danser un ballet qui pleust fort à M. le Duc, qui se porte bien. Dieu
mercy, et n'engendre point mélancolie, honorant les quartiers et les
meilleures compagnies de sa présence. » {16 février.)
Il n'y avait à bouder que le vieux La Buffetière, toujours maugréant,
depuis Montrond, contre les divertissements : en Berry contre la chasse,
en Bourgogne contre la danse. Et ici comme là-bas, c'était le religieux
qui se faisait l'avocat du diable, tf Je me suis informé de ses déportements
(de M. le Duc) dans les bals. Chacun m'asseure qu'il s'y comporte avec
une telle modestie et civilité qu'il n'y a rien à désirer. M. de Bèze le
traitta jeudy dernier, je donnay la bénédiction de table, et puis m'en
revins au logis pour tenir compagnie à M. de La Buffetière qui a
scrupule de se trouver en telles récréations qui seroJent permises à un
religieux, puisque M. le Duc en bannit les jurements et tout excès ou
offense de Dieu, et je sçay cela, de bonne part. Je me suis trouvé présent
au jeu trois ou quatre fois. Il a gardé l'ordre que V. A. a désiré. Si
quelquefois il présente ou reçoit quelque momon qui excède cett' ordr^
c'est que dix ou douze sont de la partie et font une somme totale. ï
Cependant Mugnier estimait qu'il y a un temps pour tout, et qu'avec
le carnaval la saison mondaine devait être close : « II me semble,
ajoute-t-il, qu'il est à propos que les bals, momons, jeux de dés et
soupers cessent en quaresme ; toutefois je me soubmets au jugement de
V. A. qui me servira de règle, sans me soucier de quoy que ce soit. »
M. le Prince ne se hâta point de répondre ; huit jours après, le Jésuite
insista. « Je prie V. A. de faire cesser les bals, momons, jeus de dés, de,
collations et de soupers. Il me semble que cela est expédient pour le bien
de M. le Duc en tout, j (5 marsj
Mugnier comptait sans les Etats de la province. Ils s'ouvrirent un
I. J. Durandeau, Aimé Piron, ou la vie HUéraire à Dijon pendant le dix-septiime siècle. Dijon,
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT, 105
mois plus tard, sous la présidence du gouverneur en titre, et la Gazette
ne crut pouvoir donner meilleure opinion du vice-gouverneur au grand
public qu'en enregistrant ses succès chorégraphiques. < De Dijon, le
4 avril. — Ce jour d'huy l'ouverture des Estats de Bourgongne a esté
faite en cette ville par le Prince de Condé, devant lequel le Duc
d'Anguyen son fils dansa le mesme Jour vn ballet, avec une agilité et
gentillesse admirée de tottte l'assistance. > La réunion des Etats du comté
d'Auxonne au duché de Bourgogne ne parut pas un plus grave
événement Le 13, Henri II partit pour le Berry \
Le passage de M. le Prince à Dijon mit fin aux tiraillements qui
venaient de se produire dans le personnel et sur lesquels nous devons
revenir.
Au commencement de mars, la santé délicate de Louis de Bourbon
avait laissé encore une fois à désirer. Son père, fort mécontent, crut à
des résistances du jeune homme envers son médecin Montreuil,
consciencieux administrateur de poudre d onguent et de casse. II était
écrit que toutes les scènes de Montrond se renouvelleraient à Dijon.
Mugnier accusa le médecin de ne point parler au Duc avec assez de liberté
et de franchise ; il eut à se défendre lui-même de flatterie et de complai-
sance, comme autrefois Pelletier.
€ L'adyertissement qu'il plaît à V. A. me donner... je le reçois avec tout le respect que
je dois à tous vos sentimens et à toutes vos paroles. Je n'escriray rien pour ma justification,
je diray seulement que je m'offire à V. A. pour luy rendre raison de toute ma conduite que
je recommande tous les jours à Dieu, et au bon Ange de M. le Duc dans la Ste Messe,
employant tous les jours pour k moins deux heures de considération sur mes actions et
déportemens. J'ay de plus cette consolation que si je fay quelques fautes, ce ne sont point
fautes de dessein et de mauvaise volonté, mais de foiblesse d'esprit et d'imprudence. Ce
qui me £ût espérer le pardon de vos bontés, vous priant de croire que je n'ay rien plus à
cœur que de servir M. le Duc suivant voz intentions, desquelles je ne me «épareray jamais
quand elles me seront connues. > (5 mars.)
En habile homme, le P. Mugnier passait de cette tirade à l'exposé de
sa gestion financière. Les frais de l'amphithéâtre compris, la dépense du
mois ne s'élevait pas à plus de « seize cents quinze livres, un sol, dix
deniers pour tout. > Vrai maître Jacques dans la maison de M. le Duc,
c'était lui en effet qui surveillait les comptes et présidait à l'économie.
Nous avons vu le directeur à l'œuvre ; au tour de l'intendant.
La première réforme porta sur la conduite des officiers et des domes-
tiques. A la fin de janvier, elle était réalisée : « Il n'y a plus dans la
maison d'yvrongnerie, ni d'autres tels désordres ; on ne joue plus dans
la gardérobe de M. le Duc, et les beuvétes ne s'y tiennent plus, personne
n'y entrant que les deux valets de chambre. > Les vols ou les détour-
nements étaient moins faciles à constater. ^ Je le tiens (La Verdure) pour
homme de bien, mais j'ay de la peine à comprendre comment estant que
I . CaMettty 1639. p. 200 et 236.
1 manteau
d'escarlatte, et autres habits glorieux, jouer pendant les collations avec
des avocats. J'ay surpris aujourd'huy Gérard cachant dans son lit jusqu'à
une douzaine de pains. Il m'a voulu faire croire que c'estoit pour donner
l'aumosne. > A côté de ces fripons, il y avait pourtant d'honnêtes
serviteurs ; tel le premier palefrenier demandant humblement une
casaque pour ses étrennes, suivant la coutume ; tel aussi le père Payen.
un vieux garde, sollicitant la faveur dont il jouit f depuis ^o ans qu*il
est au service de la maison », d'être admis à la table du commun. Mugnîer
en référa jusqu'à M. le Prince, mais il avait déjà pris de lui-même une
mesure capable de couper court à plus d'un abus : « Je tiens la clef de la
cave, et je réponds à V. A, que de ce costé-là, il n'y aura plus de
désordre, »
La réforme de la table de M. le Duc faisait naître autant de difficultés.
Diminuer la dépense et garder l'ordre établi par M. le Prince semblaient
choses inconciliables, surtout avec la cherté persistante des vivres dans
un pays ravagé par les partis des Impériaux. Mugnier eut le bon esprit
d'avouer ici son Incompétence et de s'adresser à plus au courant que lui.
Il paraît que Madame la première présidente ne faisait pas seulement
figure honorable dans le grand monde ; elle connaissait le prix moyen
des denrées, savait tenir une maison et serrer les cordons d'une bourse.
Le bon Père prit donc « par escrit le prix des viandes qu'on achète > et
le soumit à ses yeux clairvoyants. Il fut rassuré : la présidente lui affirma
t qu'en achetant les choses au marché, il n'y avoît point de tromperie,
et que toutes les pièces... valloient ce que les officiers... disoient. » Mugnîer
ne se tint pas pour battu. Ne pouvant diminuer le prix des plats, il
proposa d'en restreindre le nombre, « Je n'ay pas osé toucher à ia table,
mais il me semble que V. A. pourroît retrancher 3 pièces, et, de neuf
qu'on sert, six peuvent estre suffisantes, et huit plais se peuvent réduire
à six. Il faut, s'il plaist ainsi à V. A., que cela vienne de son commande*
ment que j'attendray pour le faire exéquuter. >
Les dépenses de table étant irréductibles. Mugnier se rejeta sur le
linge. Ici le gaspillage était patent. « Je me suis fait rendre conte du
linge qu'on avoit acheté pour cent escus. De vingt douzaines de serviettes
je n'en treuve de reste que six douzaines et demy, encore sont-elles toutes
rompues et ne peuvent plus servir qu'à la cuisine. Le Gascon, sur ce
défaut, ne m'a peu rendre autre raison, sinon que le reste estoit ou usé
ou desrobé. Il y a près d'un mois qu'on en prend à louage et qu'on donne
25 sols par jour. Oit en achcUroit, en peu de temps, de l'argent de ce
louage. Je me suis estonné comme le controlleur n'a donné advls à V. A.
de ce désordre. Il m'a dit pour excuse qu'il ne lesçavoit pas.» (16 janvier.)
Ce renouvellement de la lingerie était une grosse dépense et qui fit
d'abord reculer le père. « Je cherche du linge à achepter. Le trouvant
trop cher, j'attendray quelque occasion qui se présentera, comme j'espère,
dans peu de jours. Dubuisson me dit qu'il en faut 8 douzaines pour la
APPRENTISSAGE DU GOUVERNEMENT. 107
bouche de M. le Duc, 8 autres douzaines pour la suite, 4 douzaines pour
la cuisine. » (30 janvier.) Total: vingt douzaines et ce n'était pas suffisant.
< J'ay fait acheter 22 douzaines de serviettes, qui reviennent à sept
vingts neuf livres, huicts sols. Le Gascon s'ea est chargé, et s'est obligé
par escrit d'en rendre conte. Quand le linge estoit à V. A. on a perdu
20 douzaines de serviettes. Quand on Ta pris de louage, on n'en a pas
perdu une seule. La lavandière qui court par le Logis jour et nuit et qui
y couche lorsqu'elle fait la lessive, est un peu soubçonnée des serviettes
perdues. Si ce soubçon se trouve bien fondé, je tâcheray d'y remédier. >
(19 février.)
Que dire des choses qui de leur nature se consomment par l'usage ?
Le bois disparaissait. Mugnier réglementa la distribution, et chacun de
gronder contre le règlement (30 janvier). Mais les provisions sont
épuisées et l'on est encore en hiver (7 février) ; il ordonne d'en
amener. Peine inutile. « Voyant qu'on me donnoit des paroles pour du
bois, j'ay envoyé La Verdure sur les lieux et dans les villages qui ont
obligation de le rendre à Dijon. Il a fait si bien qu'aujourd'huy il en a
amené, quant à soy, près de 30 moules, de sorte que il n'en faudra plus
acheter. Il y a eu en cela une grande négligence. >
L'écurie jouait de malheur. La contagion s'y était mise. Trois bêtes
succombent coup sur coup : < Le Verdun > ; un autre cheval qu'on
absomme parce qu'il € avoit le pied gasté > ; et 4! la grande hacquenée. >
Le secrétaire Girard ne voit de remède que dans le changement d'air
et propose d'envoyer les survivants au petit Clairvaux. On s'y décide.
L'écuyer Francine croit découvrir la cause du mal dans le foin € tout
pourri et plein de poussière. > Enfin < on a parfumé l'escurie, je la feray
blanchir au plustot ; on ma dit qu'on travaille trop les chevaux à la
chasse. > (i^^^ au 26 février.)
Parmi tant de tracas administratifs où il apporte un soin, sinon une
compétence, que l'on n'eût pas espéré d'un prédicateur ni d'un régent,
Mugnier établit encore le compte de chaque semaine et n'oublie pas de
comparer les sommes, car la différence est à son avantage. La première
semaine de janvier 1639, la dépense monte à 494 livres, dix sols ; la
deuxième, elle descend à 389 livres, cinq sols, six deniers ; la première
de février, à 256 livres, dix sols, six deniers, et pour tout le mois elle
atteint 1.6 15 livres, un sol, dix deniers.
C'est Mugnier que M. le Prince charge de faire ordonner aux élus,
par M. le Duc, le payement des régiments de Conti et de Saint-Germain,
et de réclamer l'état de subsistance des troupes. Heureusement M. le Duc
s'en acquitta lui-même et fit marcher les commis. « Je loue Dieu, écrivit
Mugnier, de le voir agir comme il agît, non plus par procureur, mais
de luy-mesme. > (26 février.)
A la fin de cette année 1639, le Logis, réformé matériellement et
moralement, offrait le spectacle d'une maison modèle. Louis de Bourbon
se conduisait avec la maturité d'un vieux gouverneur, < très sage en sa
106 LK GRAND CONDÉ.
conduite, obligeant et gaignant les cœurs d'un chacun, > travaillant à
mettre la paix entre tout un monde de parlementaires, d'intendants et
d'avocats du roi ; tel cédait € pour l'amour de Monsieur le Duc > ; tel
autre ne voulait avoir jamais d'autre mattre que son père et lui'.
Lui-même se vante modestement auprès de M. le Prince d'apporter
toutes ses € diligences et assiduités > à tous ses € exercices et
fortifications ^ , et les Lettres annuelles des Godrans se glorifient de ce
que, parmi les cinq congrégations des Messieurs, des Prêtres, des
Ecoliers, des Ecrivains et des Artisans, la première, composée des
notables de la ville, a jeté un éclat particulier, pour avoir été honorée de
la présence de 4: TIU"^® prince Louis de Bourbon, notre vice-gouverneur* >.
Nous avons regret de quitter Dijon avec M. le Duc II venait d'y
vivre sa dernière idylle. Aux vacances, il avait reçu le roi, de passage
avec Richelieu, et il écrivait à M. le Prince : « Je suis le plus heureux
garçon du monde ^. > Parole naïve et qu'aux plus beaux jours de bonheur
apparent il ne répétera plus.
En avril 1640, deux ans après son arrivée en Bourgogne, il était rafale
à Paris, et déclaré, malgré lui, fiancé à Claire- Clémence de Maillé- Brézé,
nièce de Richelieu. Puis il s'engageait comme volontaire dans l'armée de
Picardie qui allait investir Arras. Il avait dix-huit ans.
1. Mugnier à M. le Prince. Dijon, 8 décembre 1639. Papiers de Condé, série M, t. XVI IL
fol 399.
2. Litiera annuœ^ 1640. Divionense collegium : < £ sodalitiis quinque, quod virorum est
primarionim, emicuit splendore singulari, cohonestante prseter csetetos Illustrissimo principe^
Ludovico Borbonio, progubematore nostro. >
3. Voir, sur cette réception, V Histoire des princes de Condé^ t. III, p. 370.
gapitre Buitièrae.
flh 31 Sh E 3^ ^ qj. 4i. t:;^ ck S. y^^4f
DÉBUTS A LA GUERRE.
ous n'avons plus le droit de parler éducation. Ce serait
donner à croire qu'un prince qui fut un homme avant le
temps demeura au contraire enfant après l'âge. On nous
permettra pourtant de suivre encore quelques années,
dans les chrétiennes manifestations de sa foi, fruit de son
éducation, ce fils de France resté fidèle au Dieu de ses
ancêtres et dévot envers Notre-Dame.
Il commença, comme un chevalier antique, à mettre sa nouvelle vie
sous la protection de la Sainte Vierge. Le sanctuaire de Notre-Dame de
Liesse fut le théâtre de sa veille des armes. De Vervins, il n'en était qu'à
quelques lïeues, et un souvenir touchant l'y appelait. € J'aurois tort,
écrivait le P. de Ceriziers, en 1632, dans sa description du célèbre
pèlerinage, si j'oubliois de dire que l'Aisne de Mgr le Prince doit sa.
naissance à la Vierge, ou du moins que Madame sa mère ne tient la vie
que de son assistance. Je puis donner ce témoignage pour véritable,
puisque je l'ay pris moy-mesmes de la bouche de cette grande Princesse,
et que sa reconnaissance est marquée dans une des plus riches statues
de cette sainte maison '. > Au retour, M. le Duc écrivit à son père cette
phrase simple, mais touchante dans la circonstance, qui termine la
première lettre de son entrée en campagne : « Je revins hier de Nostre-
Dame de Liesse où j'ay faict mes dévotions '. > N'est-il point permis de
croire qu'aux pieds de la madone de Liesiie les prières du futur vainqueur
de Rocroi pour le triomphe de la France furent visiblement exaucées ?
< Il semble que le Dieu des armées, écrit Mgr le duc d'Aumale, en
1. /magx de Nostrt-Dam* d* Liesse, ou son Histairt avthentiqvt. Par vn Religieux de la
Compagnie de lesvs. Première partie. Reims, Constant, 1632, in-S. — Cerïtiers est l'auteur d'an
Portait di Son Altesse séréttissimt MoHseineur le duc qui feisait partie du cabinetdes Mss. de
Cbantilly. Voiries Recherches sur la àiàliothique du grand Cond/, suivies du catalogue âts Mss.
' " 'e Lincy, p. 23.
[. le Prince. Vervins, fmai \b»p, Papiers dt Condé,\tnt M,t XIX, fol. 284.
LE GRAND CONDÉ.
dirigeant ses pas à travers la Thiérache jusqu'à la Meuse, de Vervins à
Givet, ait voulu lui faire connaître les bois et les landes, la région
tourmentée où, trois ans plus tard, il remportera la plus éclatante des
victoires. Et ce n'est pas seulement le terrain que la Providence lui
révèle ; elle met sous ses yeux, dès le premier jour, ses futurs lieutenants
de 1643'. »
Au siège et à la prise d'Arras {9 août), il se distingua par « ses,
héroïques et vertueuses actions ' î.
Félicité au retour par Louis XI 1 1 et Richelieu, il regagna la Bourgogi
pour y reprendre encore, en l'absence de son père, commandant 1
Languedoc, l'expédition des affaires administratives. Le 9 décembre, le
I*. Mugnier écrit à M. le Prince : « Je prie la divine bonté de vous
ramener icy bien tost et en bonne santé. Je croy qu'elle aura de la
consolation de voir Monseigneur le Duc qui donne tous les jours des
preuves de sa piété envers Dieu, de son obéissance et affection envers
V. A., de sa sagesse en sa conduite, de sa bonté envers tous. Elle en
sçaura les particularités ',,, »
Le 9 février 1641, l'union entre la nièce du cardinal-ministre et le fils
aîné de Henri 1 1 de Bourbon-Condé était célébrée à Paris, pour la plus
vaniteuse satisfaction de Richelieu, pour le plus grand malheur du duc
d'Enghien. Quelle scène, au soir de cette journée où l'ancien évêque
crotté de Lnçon a gaspillé un million en fêtes, que le bal ouvert par
M. le Duc, la tête pâle et s'avançant avec la reine, tandis que Madame
la Duchesse — une enfant de treize ans — s'embarrasse dans sa robe et
tombe, au milieu des rires ! Quel lendemain que cette maladie violente
où l'on désespéra de la raison et de la vie du jeune Prince ! De toutes
les tyrannies que l'ancien étal social imposait aux grandes familles, celle
de la volonté paternelle, pesant, au nom de calculs intéressés, sur le
choix entre époux, était une des plus contraires à la loi chrétienne et
morale. Louis de Bourbon n'aima de longtemps cette femme; le plus
triste résultat fut qu'il aima ailleurs. Désemparé au souffle des passions,
il sera plus brave sous le feu des ennemis que sous le feu des libertins,
ses nouveaux camarades ; plus maître des champs de bataille que de son
propre cœur. Et pourtant n'était-il pas fait pour s'unir à qui l'aimait et
avait tout son amour, celui dont le chaste roman avec Marthe du Vigean,
la future Carmélite, égale en idéal l'affection de Louis XI 1 1 et de Louise
de La Fayette?
Enghien guérit. Le F. Aubery, le chantre épique de son enfance, en
fit des vers latins '. Le P. Pelletier en écrivit à M. le Prince sur < la
resjouissance publique de tout Paris, voire de toute la France..; preuves
assurées des bonnes volontés qu'on a pour luy et de l'opinion que tous
1. Hisleirt dts princes de Condé, t. 1 1 1, p. 430.
2. L.e P. Jean Filleau, provincial de Lyon, \ M. le Prince. Tournon, 27 août 164g. Papien
Cond^, série M, t. XX, fol, 172.
3. Mugnier à M. le Prince, Dijon, 9 décembre id^o. Ibid., i. XXr, fol. 346.
4. Aubery ï M. le Prince, Toulouse, 28 avril 1641. Papiers dt Cendé, série H, I. XXII, fol. J
>es^J
DÉBUTS A LA GUKRRE. 111
ont conceu de ses vertus, qui est un acheminement à la vraye gloire ' ».
Quant à M. le Duc, c'est à Dieu qu'il s'était adressé dans sa maladie ;
il ne fut pas ingrat envers Celui qui l'avait ramené des portes de la mort.
Le 3 mai, il n'avait pas encore fait sa première sortie de convalescent et
toussait d'une manière inquiétante, que le P. Mugnier nous le montre
prêt à accomplir de pieuses promesses envers la Patronne de la France
et celle de Paris : € Il s'acquitera de son veu dimanche, s'il plaît à Dieu,
se communiant à Nostre-Dame, et lundy à S^^-Genefviève '. » Nul doute
qu'il n'ait profité de son séjour à Paris pour fréquenter de nouveau la
Congrégation de la Maison professe au faubourg Saint-Antoine. < Nous
conservons précieusement dans les archives, dit le P. Crasset, la signature
du Prince de Condé qui voulut y être reçu l'an 1637 ^ » Son affiliation
datait donc de son entrée à l'Académie royale du Temple.
Mais en ce mois de mai de Tannée 1641, il honorait de sa présence
l'église de la Maison professe dans la plus solennelle des circonstances.
Le nouveau préposé de la communauté était le P. Louis Le Maîrat, le
dernier recteur de M. le Duc à Sainte- Marie de Bourges. Le Mairat,
toujours homme de décision et d'énergie, venait d'achever la construction
de la belle église dédiée à saint Louis, dont Louis XIII avait posé la
première pierre le 27 mars 1627. Richelieu en avait fait construire le
portail. Le roi et son ministre vinrent assister à l'inauguration, le 11
mai 1641. La Gazette ne consacre pas moins de trois pages à la relation
de la magnifique cérémonie *. Assistaient douze ou quinze prélats,
Gaston d'Orléans, les ducs d'Enghien et d'Angoulême, les ambassadeurs
de Portugal, de Savoie, de Venise et de Gênes, les principaux ministres
et seigneurs, les uns se distinguant par leur titre, les autres par leur
suite. Louis de Bourbon se signala par sa distinction personnelle et sa
piété. < Le jeudi, jour de l'Ascension, écrit le P. Mugnier, on fit
l'ouverture de nostre Eglise de S*-Louys. Monsieur le Cardinal dit une
messe basse, communia de sa main le Roy, la Reyne et Monsieur. Après
cela on chanta une grande messe. Monsieur le Duc assista à toute la
cérémonie. Pendant la matinée, il entretint les ambassadeurs de Portugal
et Catalogne, parlant latin avec eux, ce qui a esté fort remarqué et
loué^ ; après disner M. de Lingendes prescha ^ et puis on dit les vespres
où Monseigneur le Duc assista pareillement et fut veu de tout le monde,
chacun bénissant Dieu de sa santé \ » Cinquante années du siècle ne se
1. Pelletier à M. le Prince. Paris, i*' mai 1641. Ibid,, fol. 317.
2. Mugnier au même. Paris, 3 mai 1641. Ibid.^ fol. 337.
3. Des Congrégations de Notre-Dame , Paris, 1694, in-8, p. 121.
4. Gazette^ 164 1, p. 262, et Uttera annua^ Parisiis, 1641.
5. Ceci prouve que s'il n'était plus indispensable, comme un siècle plus tôt, à tout ambassadeur
de savoir Uen parler latin, la culture de la vieille langue ecclésiastique était encore répandue
dans la société internationale. Voir La Diplomatie au temps de Machiavel, par M. de Maulde
de la Clavière, 1892, t. II, chapitre intitulé : Langue diplomatique.
6. Le sermon de Lingendes, évêque de Sarlat, a été conservé dans le Afs, intitulé : R/cii de ce
qui se éassa le jour de V Ascension 164,1, Bib. nat., f fr. 23061, fol. 97-100.
7. Mugni«r à M. le Prince. Paris, seconde lettre du 12 mai 1641. Papiers de Condé. série M,
t. XXII, fol 405.
112 LE GRAND GONDÉ.
seront pas écoulées que dans cette même église, réunissant encore les
personnages de TEtat et les grands d'une autre cour, aura lieu le service
funèbre de Louis de Bourbon. Son cœur y sera déposé auprès de celm
de Henri 1 1 son père, et Bourdaloue prononcera sur les vertus de ce
grand cœur son plus éloquent discours \
M. le Duc avait hâte de faire sa deuxième campagne. A peine rétabli,
il partit pour Tarmée. Le P. Mugnier plus que personne désirait sans
doute Tarracher au milieu amollissant de l'hôtel de Condé et à la société
libertine des petits-maitres. < Il y a plus de douze jours qu'on ne parle
plus icy, ni de comédies, ni de violons, ni de bals, ny de compagnies de
femmes. Pour ce qui est des jeunes gens de la cour, ils sont presque
tous absens. > (12 mai.) Vers la fin de juin, Louis de Bourbon rejoignit
l'armée de La Meilleraie devant Aire. < Le 27, les ducs d'Enguyen et
de Nemours arrivèrent au camp avec une compagnie de Suisses. > Ce
simple entrefilet de la Gazette nous livre en passant le nom du plus
détestable camarade de M. le Duc ^
Il servit aux sièges d'Aire, de La Bassée et de Bapaume, qui furent
prises par nos soldats. En septembre, Mugnier demanda pour lui quelque
repos. « Monseigneur le Duc se porte bien, surmontant tout en ce qui
est des fatigues de la guerre. Il seroit toutefois à désirer qu'on le
rappellast bien tost. J'espère que cela se fera. Nous sommes icy de
retour à la Bassée que l'on fortifie, après avoir fait un voyage de feus et
de flammes dans la Flandre jusqu'à Lisle qui a vu brusler ses. fauxboui^
et mille autres désastres 3. »
Richelieu proposa les eaux de Forges pour M. le Duc ; il y fut envoyé.
Dans la solitude relative de Tarrière-saison, loin des pernicieuses
influences inévitables dans les camps, le directeur de conscience de
M. le Duc essaya de le rendre lui-même à lui-même. Dès le jour de
l'arrivée, il entama avec lui la question de ces mauvaises compagnies
qui lui étaient si funestes.
Il m'entretint hier près de deux heures seul à seul. Je luy ay parlé à fond de ses affaires
et de ses intérests. Il m'a promis de faire des merveilles. Je croy qu'il tiendra sa parole et
j'ay une cognoissance très parfaite qu'il n'y a que la contagion de 5 ou 6 frippons qui le
noircisse. Je les ay attaqué puissamment, Monseigneur le Duc qui seul au commencement
m'arrestoit, l'ayant souffert patiemment Cela a bien réussy, et si ces gens-là ne me veulent
point de bien, ils sont contraints de me craindre. Toute l'armée qui l'a sceu m'en a donné
mille bénédictions, et son £m. mille remerciements... Le séjour de Paris et de l'hostel de
Condé ne vaut rien du tout à M. ns' le Duc. Si après les eaux V. A. treuve quelque
expédient pour l'employer ailleurs, ce sera un grand bien ^
Une perte fâcheuse en soi, mais peu regrettable pour Enghîen, vint
1. Le 26 avril 1687.
2. Gazette^ 1641, p. 530. — Histoire des princes de Condé, t. III, p. 648. M. le Prince à
Chavigny. Pézenas, 8 juillet.
3. Mugnier à M. le Prince. La Bassée, 6 septembre 1641. Papiers de Condé^ série M, t XXV,
fol. 161.
4. Le même au même. Forges, 10 (?) septembre 1641. Ibid., fol. 265.
DÉBUTS A LA GUERRE.
nitement donner à réfiéchîr au jeune Prince. Mugnier ne pleura point
sur ce deuil. « Il (M. le Duc) estoït fort gay... quand la nouvelle de la
mort de Monsieur de Nemours l'a surpris et troublé. J'adore plus que
jamais la Providence de Dieu sur Monsieur votre fils ; tout ce qui se
peut souhaiter pour le conserver et le rendre bienheureux, cela se fait
visiblement... '. »
Les conseils salutaires de Mugnier, les divertissements honnêtes de
Forges et le bon effet des eaux opérèrent une heureuse réaction morale.
Père le constatait avec joie aussitôt de retour à Paris, au commence-
tnent d'octobre :
Monsieur le Duc n'eut jamais meilleure volonté. Di manche il se vint confesser dans ma
chambre au noviciat ' et aprîs il se comniuaia dans nostre Eglise. Après il me voulut
1. Mugnier i M le Prince. Forges, i6 septembre. Ibid., fol. 31&. — La nouvelle de la mon de
Nemours est le seul incident du s^iour du duc d'Enghien, relaté par M. F. Bouquet dans son
tiaportanie Hii/oire dti taux ds Foi gei . Rouen, 1S9J, iu>ti. La correspondance du P. Mugnier
ne manque pas de détails.
3. Rue du Pot-de-For-Saial-Sulpice, nonloûi de l'hdtcl de Condé.
eniTttenir et parler de ses afiiiùes ; je lu^ dis tout ce qae je peu là-dessus; maînlenant donc
qu'il a gagné son juhUi, je prie V. A. oublier tout ce quipourroil \aj «voir despieu, C'ttl
meare un demy mirade gu'il S4 iomporSt comme il fait ; une petite lettre de sa part le
réjouiroit bien fort et luy donnernîl courage de tousjours (aire de mieux en mieux '.
De Paris on alla à Mello. M"'^ la Duchesse, qui se préparait à
accomplir à Notre-Dame de Liesse un i veu fait pour la sanié de M. le
Duc, » tomba gravement malade de la petite vérole. Son mari fit enfin
paraître envers elle de l'affection, et ne craignit pas < de la visiter ' >.
L'année 1642 n'offre guère que la répétition des mêmes alternatives,
soit dans la vie intime, soit dans la vie militaire, de Louis de Bourbon.
H fit campagne à l'armée du Languedoc. De Narbonne, Mugnier
écrit à Perrault : « Je ne double point que Son Altesse ne fasse part des
bonnes nouvelles que je luy mande de Monseigneur le Duc. Je voudroJs
qu'elles fussent encore meilleures, et que les effects des bonnes volontés
parussent. Ce sera quand il plaira à Dieu ■. » Le plan du directeur était
d'entourer le jeune Prince de quelques personnes sûres, « d'honneur et
de cœur... par forme de volontaires, qui seroient pourtant domestiques. >
Le 4 décembre, la mort de Richelieu délivra M. le Duc moins d'un
protecteur et d'un oncle que d'un mailre tyrannique à son foyer et d'un
rivai dans l'Etat. Maïs, avant de disparaître, Richelieu, qui avait mesuré
à sa juste valeur le mérite de son neveu, l'avait désigné à Louis
XI II comme un des deux généraux en chef.
Rocroi était devenu possible.
Au printemps de 1643, le duc d'Enghien, commandant l'armée de
Picardie pour le roi très chrétien, se dirigeait sur le point envahi de la
frontière, et sauvait la France en détruisant sans retour les « tercios
viejos > du roi catholique. Cette journée nationale eut son épisode
religieux immortalisé par Bossuet : « Le prince fléchit le genou, et
dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui
envoyait. > C'est bref, comme le sublime. A côté de cet éclair instantané,
la lettre du P. Mugnier projette une lumière plus diffuse et plus douce-
On y admirera au repos la figure du Prince dans la beauté de son double
acte de religion : prière et action de grâces.
< EXTRAICT d'une LETTRE DU PÈRE MEUGNIER, CONFESSEUR DE
MONSEIGNEUR LE DUC. »
< Je ne vous ay point mandé les particularitez de la grande bataille,
et de la signalée victoire dont il a pieu à Dieu honnorer Monseigneur
le Duc. Je sçay que vous les sçavés d'ailleurs. Je ne puis toutefois que
ne vous en marque quelques-unes que j'estime sur plusieures.
» Premièrement, c'est que Mondict Seigneur.avant que d'entrer au corn'
bat, se confessa, offrit à Diku, mais de bon cœur, toute la gloire de l'action.
1. Mugnier à M. le Prince. Paris, 8 octobre 1641. Papiers lie Coniii\ série M, t. XXVI, fo!. 10.
1. Le même au mËme, Paris, 15 cctobre. J6i<i.. fol. 50.
3. Le même k Perrault. Narbonne, 27 avril 1642. Jbid., t. XXVII, fol. 216.
DÉBUTS A LA GUERRE. 115
> 2. Qu'à la fin, la première chose qu il fist fut de se mettre à deux
genoux, à la veiie de son armée, et de rendre grâces publicques au Dieu
des batailles duquel il advouoit tenir la Victoire. *
> 3. Qu'il n'y a eu ny escadron, ny bataillon, où il n'ayt paru pendant
le combat qui a duré six heures, avec une telle présence d'esprit qu'il
fault que Dieu y ait travaillé.
> 4. Dans sa Victoire, il a faict paroistre tant de modestie que je ne
la puis pas assez admirer. Me rencontrant au milieu de plus de deux
cens espagnols blessez que je confessois, et leur ayant faict crier : Vive
Monseigneur le Duc ! il leur imposa silence et me dict : « Mon père,
> ayez soing de ces pauvres blessez, et puis venez à Rocroy pour chanter
» le Te Deum et remercier Dieu. > Ce que je fis.
» 5. Le soing qu'il a eu des blessez n'est pas croyable, et, je ne puis
cxplicquer la grande bonté et charité qu'il a tesmoignée dans cette
occasion, les embrassant avec des tendresses dont le souvenir me faict
à présent pleurer de joye.
> 6. Il est infatigable dans le travail, sérieux dans ses entretiens, et
agissant en tout de luy-mesme. Il agit avec tant de prudence et de
science qu'il estonne les plus vieux et les plus expérimentez dans le
mestier. Je vous prie d'asseurer Monseigneur et Madame de tout cecy
qui est la pure vérité et prier leurs Altesses de l'exhorter souvent par
leurs lettres à se conserver plus qu'il ne faict... '. >
Assurément la parole de Bossuet plane au-dessus de tous les commen-
taires. Ce fidèle récit d'un témoin oculaire a peut-être l'avantage de la
ramener des sphères oratoires, toujours suspectes d'exagération, au
niveau de la réalité, et la réalité ne lui est pas inférieure. Qui sait si plus
d'un lecteur sceptique n'accusait pas le magnifique orateur de nous avoir
donné un Enghien de parade ? L'histoire a le droit de reprocher à
l'évêque de Meaux de s'être tenu en deçà, non d'avoir été au delà du vrai.
Il existe deux trophées de Rocroi : l'un est la merveille de Chantilly ;
je ne l'ai pas visité sans admiration ; c'est bien ^ tout ce qu'a pu faire la
magnificence et la piété pour honorer un héros. » L'autre esc moins
connu. A ses pieds je n'ai jamais prié sans émotion. Dans une vieille
église conventuelle d'Amiens, aujourd'hui en démolition ', on vénère
une Madone commémorative sous le vocable de Notre-Dame de la
Victoire. Cette belle statue de marbre blanc, due au ciseau délicat de
Nicolas Blasset, l'auteur de \ Enfant pleureur, est \ ex-voto du duc
d'Enghien en 1643. La Vierge tient d'une main une palme symbolique,
de l'autre une couronne de fleurs ^
Une autre marque de la gratitude du vainqueur de Rocroi envers le
1. Dossier de la Grosse-Tour^ fol. 140. Copie.
2. L'église Saint-Remi. Les travaux de reconstruction dérobent actuellement la vue de la
Vierge de Condé.
3. Voir Nicolas Blasset, archiiecte amiénois, sculpteur du Roy (lôooiôjç), par Louis Duthoit,
Amiens, 1873, î°'^) P* '^i ^^ ^^^ recherches historiques de M. l'abbé Frechon, daaislt Dimanche ,
12 octobre 1884, p. 284.
116 LE GRAND CONDÉ.
Ciel fut la religieuse organisation qu'il donna à son armée. L'Espagnol
repoussé de la frontière, il entraine ses troupes , supérieurement
disciplinées, au siège de Thionville, et après trois mois d'efforts sans
trêve il prend cette imprenable place. Outre le P. Mugnier, il y avait
dans les rangs, au rapport de la Gazette^ nombre d'aumôniers. Ils faisaient
si bonne besogne « qu'aucun régiment n'entroit en garde qu'il n'alloist
auparavant dans la chapelle du camp y recevoir la bénédiction du Saint-
Sacrement et pratiquer tant en général qu'en particulier tous les actes
de piété par la direction de six Pères Jésuites et autres Religieux
distribuez dans les quartiers. >
Le lo août les Français pénétrèrent dans Thion ville, et ce fut encore
un édifiant et noble spectacle de voir « le Duc d'Enghien..., accompagné
des Officiers généraux... et des volontaires, marchant depuis la porte de
la ville tousjours le chapeau à la main jusques à l'entrée de l'église
principale, aux portes de laquelle il fut receu par les Ecclésiastiques
revestus de leurs chappes et harangué par le Curé en langue latine^
auquel il respondit en mesme langue. Puis y fut chanté le Te Deum et
les prières faites pour leurs Majestez '. »
Le duc d'Enghien se montrait, à Thion ville comme à Rocroi, ce que
l'avait fait son éducation : un capitaine chrétien ami des belles-lettres *.
i. Gazette, 1643, P* ^8 et 700, et Littera annua^ 1642-43-44. Collegium VitXKCi%^{Metz),
< Missi sunt très e nostris ad obsidionem Thionis-villae ( Thionville), quam tum dux Anguianas
inceperat ; a quibus navata impigre opéra periculosissima, quibusque locis, in aggeribus, in
fossis, in nosocomio, in excipiendis morientium confessionibus, sublevandis ;ï'grotis, sepeliendis
demortuis, perferendo ad moribundos sanctissimo sacramento (1643). ^ Communication due au
R. P. Van Meurs, dont l'obligeance nous a servi tout le cours de ce travail.
2. Pour les lecteurs désireux d'apprendre ce que devint le P. Mugnier, je pourrais ajouter
qu'il s'afTaira beaucoup dans cette prise de Thion ville, assurant le bénénce de la capitulation
aux ecclésiastiques, religieux et habitants, puis prêchant à la procession générale du 15 août. Il
continua à partager la vie des camps avec Louis de Bourbon jusqu'en 1647, après Fribourg,
Nordlingen et Dunkerque. Il rentra alors dans le ministère apostolique (1648-1650) et consacra
ses loisirs à écrire pour le duc d'Engbien,devenu prince de Condé (1646), une curieuse réponse
aux espïits- forts intitulée : La Véritable Politiqve dv Prince chrestien, à la confvsion des sages
du monde^pour la condamnation des Politiques du siècle (Paris, 1647, in -4). Recteur du collège
de Sens depuis un an (1650-1651), il mourut le 25 septembre 1651 à Reims, où il s'était rendu
pour la Congrégation provinciale de Champagne .
■ cr tr ir «r =r '
HENRY-JULES DE BOURBON,
DUC D'ENGHIEN (16461686),
PUIS PRINCE DE CONDÉ.
{D'après une estampe de la chalcographie du Louvre.)
« ^ 4- 4>- ^ c- 4
îjïijpitrc DeubièmE.
''rSJ'
A. TRAVERS LA FRONDE.
(1650-1653.)
« n n'est pu vatAas puUgé di
que le prince son père, t
(Spuiheim, Rilalisndi la Cour di FraHci
■690. i
tj gtt tttutfâ AND's que le vainqueurde Rocroi, obstiné à combattre
ir la France, se dérobait aux ovations de Paris et
I la cour, il lui était né le 29 juillet (1643) un fils,
; plus beau du monde > comme tous les enfants '.
nouvel héritier de la maison de Condé reçut le
l 2 de duc d'Albret et fut porté à son père, par
_..,ibol, au camp devant Thionville '. Le baptême
ne fut différé que de quelques mois. Était-ce un
un indice que Henry-Jutes de Bourbon serait moins grand prince que
Louis XIV et que son père, pour qui l'on avait attendu des années ? La
cérémonie eut lieu le 12 décembre suivant. Inscrit aux registres de la
paroisse Saint-Sulpice, l'acte a existé jusqu'aux incendies de ia Com-
mune. Le texte, relevé par Jal, nous apprend que ce jour-là fut baptisé
i Henry-Jules, fils de h* et puiss' seig"" Louis de Bourbon, ducd'Anguîen,
et de dame Claire- Clémence de Maillé- Brézé, sa femme. Le parrain,
Eminentissîme et Révérend Jules-César Mazarini, cardinal ; la marr.,
dame Charlotte- Marguerite de Montmorency, femme de Monseigneur le
Prince '. 'S> Retenons ce prénom de y ides , plus tard nous pourrions nous
y méprendre. Au temps de la Fronde, il sera désavoué, à l'égal d'un
outrage, et remplacé par le nom de Louis. Débaptiser et rebaptiser fut
un peu la manie de toutes les révolutions.
A bien prendre, saint Louis valait mieux que Jules-César.
Wi. Hittairt des fitiitcis de CondJ, par Mgr le duc d'Aamale, l. IV, p. îig.
Sx l-enel. Mit, i. I, fol. 76.
■3. Jal, lymù
ciilr'çue de biographie ei d'histoire, p. 41!
120 HENRY-JULKS DE BOURBON.
Passons sur la première éducation. L'enfant grandit au bruit des
triomphes paternels. Il s apprit à parler en prononçant les mots difficiles
de Rocroi, Fribourg, Nordlingen et Lens, auxquels Turenne avait mêlé
Sommershausen. En 1646, à la mort de Henri II de Bourbon, son
grand-père, en même temps que Louis de Bourbon, duc d'Enghien, son
père, était devenu prince de Condé, lui- même échangeait son titre provi-
soire de duc d'Albret contre celui de duc d'Enghîen, qu'il gardera
jusqu'en 1686.
A Tâge de sept ans, où les princes sortaient des mains de femmes, la
Fronde lui avait ménagé de dures épreuves. La politique troubla pro-
fondément une enfance qui promettait d'être plus sereine.
Reportons-nous au printemps de l'année 165 1, qui amena uneéclaîrcie
entre deux orages. Après treize mois de détention, Condé va être rendu
à la liberté par Mazarin (13 février) et il rentrera en vainqueur à
Paris (16).
Bien que les Français de la Fronde n'eussent point l'électricité à leur
service, leurs nouvelles à sensation voyageaient assez vite. Celle de la
délivrance imminente des princes n'avait point tardé à parvenir à Mont-
rond, résidence forcée de Madame la Princesse, Claire-Clémence, et du
duc d'Enghien son fils. Du fond de ses cachots successifs de Vincennes,
Marcoussis et le Havre, Condé avait toujours entretenu de mystérieuses
correspondances et appris tout ce qui se faisait dans le royaume, à Mont-
rond comme ailleurs ; mais que sont devenues ces instructions si inté-
ressantes à connaître que, au dire de Lenet % M. le Prince prisonnier
avait envoyées pour l'éducation de son fils, et auxquelles va faire allusion le
premier précepteur de M. le Duc, le Docteur Bourdelot '? Si ce person-
sonnage, bien connu que par les lettres de Gui- Patin et de M"^® de
Se vigne, était d'une science médicale douteuse et d'une religion équi-
voque, il faut bien lui reconnaître ici un dévouement sincère dans
l'acquittement de son double devoir professionnel, et un singulier discer-
nement de l'ensemble de qualités et de défauts formant le caractère du
jeune enfant confié à sa garde. Tout le duc d'Enghien tient dans cette
lettre, la plus ancienne que nous possédions, sur son éducation. Un
demi-siècle n'y changera rien. Voici donc en quels termes le précepteur
rend compte à Condé de l'accomplissement de ses fonctions :
Monseigneur,
Je suis trop glorieux de Tagréement que V. A. tesmoîgne des soings que je prends pour
la santé, et pour Tinstruction de Monseigneur le Duc Ils ne peuvent estre ny plus assidus
ny plus fidelles et je vous puis dire que Dieu les bényt.
1. Lenct, AIss^ t. I. Notes inédites.
2. Pierre Michon, dit V abbé Bourde h t^ né à Sens, le 2 février 1610, était entré dans la maison
de Henri II de Bourbon-Condé en qualité de médecin, et y avait fondé, après i64i,une Académie
de savants. Le grand Condé Pavait conservé à son service, puis attaché à celui de son fils. Voir sa
notice dans le Moréri,
A TRAVERS LA FRONDE. 121
S. A. se fortifie tous les jours, et, depuis l'indisposition légère qu'il eut à Milly, je luy ay
esté fort peu utile pour la médecine, mais comme il ne fault pas tout d'un coup cesser de
Êûre les choses accoustumées, au premier jour je vas le purger par précaution, et je m'asseure
jusques tu printemps il se pourra passer de toutes sortes de remèdes.
Les progrh de ses études sont merveilleux^ et je ne sçaurois escrire si souvent à V. A que
je ne luy en fasse sçavoir toutes les fois quelque advancement considérable. Je l'ay mis
dans le Despautère dont il apprend les reigles avec la plus grande facilité du monde. Il en
sçait les eiplications paifaictement, et le samedy que nous faisons la répétition de toute la
sepmaine, c'est un congé pour luy ; car les ayant fort bien apprises, il n'a que faire pour
les répéter d'aucune préparation. La pratique des reigles de ses concordances quand il fait
ses thèmes, c'est ce qui luy donne le plus de peyne. Je ne luy en fais composer qu'une fois
le jour, et les ay mesme accourcis à cause de la grande contention qu'il y apportoit dont
l'aultre jour je le vis fatigué. Il ne compose pas à la légère. Il s'y applique entièrement, tt
est honteux quand on luy monstre qu'il a fait des fautes, c'est une honte qui ne le rend pas
interdit. Il a une addresse admirable à la dissimuler, et en toutes rencontres il est presque
impossible de le défaire. Mais je voy bien qu'il faict tout son possible pour ne pas faillir.
Un page qui travaille à la mesme composition faict des solécismes assés grossiers. S. A. les
corrige et cite la reigle à l'instant sans se faire trop valoir, ny sans aventage de ces fautes-là
qui sont bien souvent bien ridicules.
J'admire à l'aage qu'il a son honnesteté, et sa discrétion, toutes ses actions sont fort
civiles, et tout ce qu'il dit marque une grande retenue quand on le raille, ce qui arrive assez
souvent, et il y est fort aguerry. // ne faict jamais de reparties désobligeantes^ il se deffend si
bien que la raillerie tombe (ousiours sur quelque aultre. Lorsque j'ay spi la lettre où V. A.
me faisoit l'honneur de parler de moy et de me commander de ne point perdre de temps
pour ses estudes, je luy dis qu'à cet ordre il y avoit une invention jointe qui faisoit estudier
à merveilles et qui réveilloit souvent les escoliers le matin, ce qui fut confirmé par quelque
personne qui estoit bien aise de voir comme il prendroit la chose. Après avoir dit que vous
i'aimiés trop pour vouloir qu'on le chastiast sans avoir failly et après s'estre longtemps
defifendu avec beaucoup d'esprit, il me tira à part, et me dit : Je me soucie fort peu de la
guerre que vous m'faites, ne m'avés vous pas appris vous-mesmes que non bisogna mottegiar
su il veto 1 Si l'affaire estoit vray, vous ne la pousseriés pas tant. C'est pourquoy je m'en
moque. Toute la compagnie qui sceut ce qu'il m'avoit dit, admira son jugement.
Il cite Caton et des sentences latines, et depuis qu'il a leu le Galathée il remarque parfai-
tement toutes les fautes qu'on faict contre la civilité et la bienséance. Il me les faict com-
prendre sans que personne s'en aperçoive, et de ces sortes de choses-là je ne trouve quasi
plus de subjects de le reprendre.
Tout le monde admire sa dévotion à l'église et sa sagesse en compagnie, où il est respec-
tueux, complaisant et considéré dans ses parolles, ne voulant pas seulement rire des choses
où il panse que quelque personne de la compagnie soit le moins du monde intéressée. Ce
pas qu'il n'a3rt l'humeur fort gaye. Quand il est avec des gens qui ne sont que pour son
divertissement, il n'y a rien de joly qui ne s'imagine. // a donné à ses va'efz des noms
flaisanSj mais qui leur sont à tous fort convenables, S*il s'est passé quelque chose de
ridicule parmy ces gens-là, il le raconte fort agréablement.
Il employé bien tout le temps que je luy laisse pour sa récréation. Mais sitost que je
l'appelle à l'estude, il la quitte sans regret et tesmoigne avoir grand plaisir de toutes les
belles choses que je luy enjoigne. Il en prend le sens d'abord et les exagère luy-mesme \
Il ne m'a jamais rien dit qui ne fût judicieux, et, s'il y a de l'obscurité dans un discours, il
en véult estre parfaitement éclaircy.
11 possède certainement tout ce qu'il a appris, et si sa mémoire se fortifie comme elle a
commancé, il n'y aura pas son pareil. Il retient désià facilement deux ou trois sentences ou
vers latins qu'on luy dit en se couchant, et je voy qu'il est pour en retenir bien daventage à
la facilité qu'il a acquise depuis un mois. Je suis ravy qu'il ayt ceste sorte de mémoire qu'on
appelle réminiscence qui est sans comparaison bien plus belle que l'aultre ; elle promet
■
I. Exagérer, dans la langue du dix-septième siècle, signifie amplifier, développer, pour orner
le discoars.
122 HENRT-JULES DE BOURBON.
quelque chose de grand, et, par les cognoîssances que j'en ay je puis asseurer V. A. que
monseigneur le Duc sera quelque chose de rare, i
C'est une âme d'une haulte élévation qui a desjà des sentîmens fiers mais avec cela qui
est candice et bonne. Il ne sçauroit souffrir un mensonge et aune amitié pour les siens la
nompareille. Il vous honore à un point que je ne puis vous dire. Madame sa mère en
reçoit toutes les consolations imaginables. Avec queb sentiments ne parle-t-il pas de mes-
sieurs ses oncles et de madame sa tante. Mais il a des tendresses incroyables pour monsieur
de Conty '. S'a tousiours esté son bon oncle qui en jour de sa vie ne luy a rien refusé.
Cette amitié-là aux racines qu'elle a prises sera une amitié éternelle. Il suit très volontiers
son exemple, quand je le veux encourager à l'estude et que je luy dy le vers de Virgile :
Te pater ^neas et avunculus exHtet Hector,
A la vérité, pour luy faire aimer la vertu, je ne cherche point d'exemple hors de sa maison.
Il ne souhaitte au monde que l'honneur de vostre estime. Quand la nature ne luy inspi-
reroit pas ce senlimentlà, c'est le plus raisonnable qu'il puisse jamais avoir. C'est elle qui
sans double donne le prix aux choses. Pour elle, je quitterois toutes les approbations du
monde, et j'auray trop de fortune, si je la pouvois acquérir en qualité
Monseigneur de
Vre très humble très obéissant
et très fidelle serviteur
BOURDELOT
Adresse :
A Mouron, ce premier
febvrier 1651 '.
Despautère, Caton, Cîcéron, tous ces auteurs trop célèbres nous
intéressent moins que le petit traité de civilité puérile et honnête désigné
ici sous son nom universellement populaire au dix-septième siècle, le
Galatée de Giovanni délia Casa. Traduit en diverses langues et souvent
réédité, il était, dans la pensée première de son auteur, destiné aux
princes italiens de la Renaissance ; mais depuis longtemps il avait passé
toutes les frontières et formé nos aïeux les plus bourgeois à la douceur
des mœurs et à la bienséance. Jean de la Case y discourait pour eux
<: des façons et manières de faire, qu'on doit suivre ou éviter en la com-
mune conversation et ce sous la personne d'un vieillard illitéré, qui
enseigne un sien jeune enfant. > Il leur apprenait à avoir horreur des
gens « malplaisants et rébarbatifs > plus que des scélérats ; leur prescri-
vait d'éviter à l'égal d'un crime tout ce qui est désagréable à autrui,
comme d'être endormi, de bâiller, de « s'accoustrer et orner son corps
autrement que les autres, > de faire attendre la compagnie, de se mettre
en colère ou de contredire. Il leur insinuait l'horreur des discours hors
de saison,des mensonges,du parler et marcher arrogant et <: piafTeux >, de
la vantardise et de la bassesse des propos contraires à l'honneur de Dieu
1. Armand de Bourbon, prince de Conti, frère du grand Condë.
2. Mss de Lenet, t. IV, f. fr. 6705, fol. 52. Il est à remarquer que cette lettre est égarée parmi
les portefeuilles de l'intendant de Condé, tandis que toutes les autres se trouvent à Chantilly.
Ecrite le i'^ février 165 1 ,eile ne parvint sans doute pas à M. le Prince avant sa sortie de la prison
du Havre le 13, et fut conservée par Lenet, qui jugea difficile de la remettre où à qui elle revint
A TRAVERS LA FRONDE. 123
OU du prochain. Il ne leur recommandait rien tant que de modérer sa
langue < en contredisant, en disputant, en conseillant, en corrigeant, en
se moquant, en gaussant et raillant, ou en contrefaisant, en récitant
joyeusetés, en choisissant des mots propres, se servant de la langue
maternelle ou bien d'une autre. > Il leur conseillait de se préparer à ce
qu'ils avaient à dire, de former leur voix, de prononcer suivant les règles,
de fuir le babil, de ne pas interrompre les autres et de ne pas demeurer
muets lorsqu'ils parlent à leur tour. Enfin il jugeait les voyages fort
utiles. Ce multiple enseignement, il l'avait résumé en deux distiques
qui valent sans doute tous ceux de Caton :
Cum pietate dididsse fideîiUr artes ;
Cum linguis, mores composuisse graves^
Noscere et exiernos mores urbesque^ futuri
Principis hoc studium qui neget esse boni ' ?
C'est bien le programme, — les voyages compris, — que remplira le
duc d'Enghien.
En ce moment sa maison, confinée à Montrond, venait de s'augmenter
par l'adjonction d'un gouverneur, le comte d'Auteuil, personnage tout
différent de Bourdelot, grave, érudit, pieux, sincère, mais violent,
original et mauvais courtisan. Son collègue en annonça l'arrivée à Condé,
sorti depuis deux jours de sa prison du Havre, bien qu'on l'ignorât
encore en Berry,par une lettre qui, avec la précédente du i^"' février, est
le vrai point de départ de nos informations sur les études du petit
Henry-Jules de Bourbon '.
Depuis la dernière que j'ay escritte à V. A*, Monsieur le Viconte d'Auteuil est arrivé, qui
sans doute vous aura confirmé par ses lettres tout ce que je vous ay mandé de Monseigneur
le Duc ; j'espère qu'il fera des progrès encor plus visibles dans ses meurs, en de si bonnes
mains que les siennes. Pour sa santé elle est au meilleur estât du monde ; il a esté purgé il
y a huit jours par précaution, comme je l'avois mandé à V. A^ Il continue d'estudier avec
chaleur et gayeté. Il compose fort poliment et si vous avés agréable, parfois il vous escrira
latin, et quand je confronte ses termes avec ceux de Cicéron, il comprend desjà fort bien
1. Nous n'avons pu en rencontrer aucun exemplaire à la Bibliothèque nationale, mais nous
avons sous les yeux cette composition polyglotte : Le Gaîatée, premièrement composé en Italien
par 1, de la Case^ et depuis mis en FrançoiSt Latin, Allemand et Espagnol ^Kt Jean de Fournes,
1609. Petit in- 16 de 919 pages. La littérature des Livres de civilité, fort peu explorée jusqu'ici,
vient d'être l'objet d'études pleines de finesse et d'érudition, publiées en partie dans la Revue des
Deux- Mondes^ par M. Edmond Bonnaffé.
2. Charles Combaut, comte d'Auteuil, petit-fils de Gilbert Combaut, grand audiencier de la
Chancellerie (f 1626), fils de Charles Combaut ('J' 1620) et de Marie Pajot, avait épousé, vers
1626, Louise de Lameth de Bournonville. Sa sœur, Magdeleine Combaut, se maria au président
Nicolas Perrot d'Ablancourt, célèbre par ses traductions. Sur les prétentions généalogiques du
comte d'Auteuil (qualifié indifféremment comte, vicomte ou baron), voir son Historiette dans
Tailemant des Réaux, 3' édition, in-8°, t. V, p. 19 et suiv. Nous aurons occasion de revenir sur
Auteuii, à propos de ses ouvrages d'érudition historique. Il en avait déjà fait paraître plusieurs.
Voir dans les Mss de Lenet, t. IV, fol. 16, Lettres et traités, une lettre d'Auteuil à cet intendant,
par laquelle il avait sollicité sa protection de M*"*" la Princesse ; elle éclaire d'un vrai jour son
entrée dans la maison de M. le Duc. Condé qui ne le conservera pas, n'avait sans doute pas
en l'initiative de ce choix fait un peu en dehors de lui .
124 HENRT-^ULES DE BOURBON.
en latih. Je comance à luy doner pour ses thèmes des versions de Cicéron qu'il met en
l'élégance de la phrase, et l'imite de luy-mesme le jour suivant
Il ne monstre plus de répugnance à composer, qui est une marque du plaisir qu'il y
prend et de l'habitude qu'il y a desjà prise.
Ses estudes le mettent desjà en estât que V. A^ aura joye de le voir ; il a un désir pour
cela incroyable^ et un emportement pour aller au devant des courriers qu'on ne le peut
retenir. Après vostre liberté il ne nous restera rien au monde à souhaitter. Pour un jour qu'elle
retarde, je donerois d«x ans de ma vye. Elle est à V. A^ et j'ai trop de bonheur d'estre
Monseigneur
Vostre très humble très obéissant
et très fidelle serviteur,
BOURDELOT \
A Mouron, ce 15 féb. 165 1.
Thème d'imitation et composition latine en style cicéronîen, tels sont
les deux exercices indiqués par ce rapport ; ils forment la base intelligente
de la formation littéraire d'un enfant de sept ans et demi. Il est visible
que leffort exigé par tout travail d'expression de la pensée, dans une
langue ancienne et apprise, rebutait parfois lenfant, et que le mattre avait
à le pousser dans cette voie. Il n'y épargna point sa peine et dès main-
tenant Ton peut augurer qu'elle réussira. Henry-Jules gardera en français
ce goût, contracté dans son enfance, du style élégant et poli. Déjà il
aime à recevoir de jolies lettres et à y répondre.
Le retour de Condé à la cour arrivait à souhait pour faire pleuvoir à
Montrond et à Paris les félicitations. M™^ et son fils le duc d'Enghien
en eurent leur part.
Il y en avait pour M. le Prince ', celles par exemple des officiers du
régiment de Condé lui écrivant de Montrond, le 18, afin de l'assurer que
de ses plus fidèles serviteurs aucuns ne ressentaient une plus parfaite joie
de sa liberté. € Nous serions allés tous an cors la tesmoigner à V. A.,
ajoutent-ils ; mais l'honneur que nous avons de garder Madame et mon-
seigneur le Duc nous fait espérer que vostre Altesse aura bien agréable
nostre séjour, coy que ce soit avecq beaucoup d'impatience de nostre
part ^ ; > et les braves gens déléguèrent un Monsieur de Saint-Aubin;
afin de les représenter. Le siège présidial de Bourges envoya aussi ses
compliments ; l'on peut lire au bas de sa missive, parmi les noms
des officiers, la signature du conseiller Bourdalouë, père du prédicateur.
Il y en avait de Guyenne pour M"^® la Princesse. Elle éprouva un
vrai bonheur en apprenant « la continuation des bonnes volontés de
M^'s de Bourdeaux ^ » envers son mari.
1. Papiers de Condéy série P, t. X, fol. 20.
2. Ce titre, réservé au premier prince du sang, avait passé à Condé en 1646 ; depuis la même
époque celui de M. le Duc, qui jusque-là avait été le sien, désigne son fils^ le duc d'Enghien.
3. Ibid.,io\, 45.
4. Lenet à Condé. Montrond, i""^ mars 1651. Ibtd.^ fol. 175. La lettre des jurats de Bor-
deaux à M"*" la Princesse se trouve dans les Mss de Lenet, t. IV, Lettres et traités^ 165 1,
fol. 108.
A TRAVERS LA FRONDK.
II y en avait de ces mêmes frondeurs Bordelais pour Enghîen :
< Monseigneur le Duc se porte à merveille, écrit Lenet à Condé. Il est
tout glorieux de l'amitié de Bourdeaux dont il a reçeu ce soir quantité
de lettres qu'il a leu luy-mesme et a dit vouloir faire response à tous ses
bons amis qui metesmoignent l'estre si fort de vous son bon papa '. >
L'enfant n'y voyait pas plus loin.
Mais des protestations épistolaires eussent paru trop platoniques. A
Paris, les princes délivrés étaient l'objet de toutes les prévenances et de
toutes les ovations ; réception à la cour et au parlement ; soupers, bals
et comédies un peu partout ; < visite de toute la terre en leur hôtel de
Condé \ >
La province imita la capitale, et ce ne fut pas une petite fête dans la
grande et bonne ville de Bourges. L'allégresse, moins renfermée dans
les palais, descendit dans la rue et, plus expansive, fut aussi peut-être plus
sincère. Les Berruyers n'avaient rien perdu depuis vingt-cinq ans de leur
goût pour la parade
et la liesse. La seule
différence entre au-
trefois et maintenant
était à l'avantage de
la génération pré-
sente, plus attachée
encore que la pre-
mière à la maison de
Condé. La série des
glorieuses batailles
qui avaient amené la
paix de Westphalie
n'était-elle pas l'œu-
vre du petit Duc que tout le Berry avait connu élève à Sainte-Marie de
Bourges ? Combien de fois poêles et historiens du pays l'avaient redit
dans leurs dithyrambes en prose ou en vers ' !
Si le nouveau Duc n'était pas personnellement célèbre, ne portait-il pas
déjà ce « beau nom d'Anguyen * > sous lequel s'était illustré son père ?
C'est à ce titre que son entrée dans la capitale do Berry en mars 1651,
suivant à peu d'intervalle la rentrée de Condé à Paris, présente un spé-
cial intérêt. Et puis il n'était pas seul ; sa mère le conduisait, et ces ova-
tions décernées à un enfant et aune femme prenaient un caractère plus
1. Même lettre.
2. T>iiba\sson-Aubeaa.y,yûitnM/ dei ^uerrei civiles, t. II, p. II.
3. Voir notamment dans la Bibliotk>iftu des écrivains de la Compagnie de Jésus, par De Backer
et Sommervogel, les articles du P. Labbe (Philippe), Bourges (collège de] et Labbé (Pierre). Ce
deraier ^laii de Clermont-Ferrasd.
4. Gatelte, lâsr, n'38, p. 309 et «liv. Extraordinaire du 35 mars 1651. Les resiouisjancts
faiUs dMU la ville dt Bourges, pour la délivrance des Princes tt à l'entrée de la Princesse de
Condiet du duc d'Anguyen en la mesme ville.
ancienne gravure.)
126 HENRY-JUI-BS DE BOURBON.
touchant. Le gouvernement lui-même n'avalt-il pas calmé maintes fois
les provinces soulevées contre l'autorité royale en leur montrant uni
régente et un jeune roi, Louis XIV et Anne d'Autriche? Des deux côté
on se ralliait autour de l'image de la faiblesse et de l'innocence, forte
de leur naturelle séduction. La première affaire de Bordeaux l'avait fai
voir avec éclat '. La fêle de Bourges, qu'il nous faut enfin décrire, fu
un gage de cette disposition populaire.
Comme Dijon, autre ville jadis ducale et longtemps gouvernée ps
les Condé, Bourges comptait plus de cinquante clochers. Tous se mireo
joyeusement en branle. Il n'en fallait pas tant pour donner lesignal d'ui
chômage universel. En une demi-heure les boutiques se ferment, excepti
les merceries mises au pillage. Rubans et taffetas sont enlevés par les
manifestants désireux de se parer d'écharpes aux couleurs de Condé
bleu et Isabelle. Bientôt les trompettes et les fifres jettent leurs note!
aiguës, les tambours battent aux champs et le bruit de l'escopetteru
répond aux sonneries des églises.
Danses publiques : feux de joie.
Le lendemain, iS février, on songea à la décoration ; cent vingt fais
ceaux de lauriers furent alignés en pilastres sur toutes les avenues.
Enfin, le dimanche 19, cinq cents cavaliers se portaient sur la routi
de Montrond au-devant du duc de Bouillon, qui ne fit que traverser
Bourges pour se rendre à Paris. 11 y eut messe à la cathédrale et banquet;
Mais M™^ la Princesse, retenue par une malencontreuse indisposition)
ne vint pas, en sorte que les lauriers durent rester plantés sur la voie e
les malheureux bourgeois sous les armes, plus de deux semaines, jusqu 'ai
mardi 7 mars '. Mais alors quelle revanche ! Maire, conseiller élu, éche
vins, officiers et sergents environnés de la jeunesse à cheval se portenl
à trois lieues hors des murs au-devant de la princesse de Condé et di
duc d'Enghîen. Les dames mêmes s'y étaient donné rendez-vous ei
carrosse. Drapeaux et enseignes bottaient ; le canon de la ville ripostai
à la Grosse-Tour. Dans le cortège, ce n'était pas seulement Bourges
mais La Châtre et Saint-Amand. Aux casaques de velours rouge dea
archers de la maréchaussée berrichonne s'assort issaient les robes de soie
verte des Saint-Amandinois transformés en gardes du corps,
Mme Ja Princesse parut d'abord en carrosse, puis elle descendit poui
remonter en une litièr e « ouverte de tous costez » afin de mieux recevoii
1. C'est une des scènes les plus célèbrci de la P'ronde que M°" la Princesse ei le duc d'En-
ghien demandant aide et refuge au parlement de liordeaux aussitôt après remprisonnemeni de
Condé. Goulas lu raconte ainsi : < Madame la Pi incesse, le lendemain de son arrivée, se pr^enia
au parlemctil, et ayant salué ces Messieurs, les larmes aux yeux, ei fort bas, les conjura de les
mettre, elle et son fils, en ia protection du Roy et de la cour ; et le pelit prince allait à lo«s /« J
préiidenli, et leur demandait la libertJ de son papa. > Mi'moires de N icotas Goulas, genlilhommi
ordinaiie de la Chambre du duc d'Orléans, [. III, p, 213.
2. Le S mars, d'après Le Large, à qui nous empruntons les renseignements qui complitent __
Gasetle. Voir Lhroniques berrickoKKes du XVI l' siècle. Journal des Le tarff (/(>Jj^-/(îp.^), publMj
par M. Henri Jon>;leuit. Bourges, 1S81 et sulv, — Le 6 mars, d'après Lenei, dont l'iniéressa '
lettre à Condé, llourges, 9 mars, offre nombre de détails à comparer avec les relations que 1)1
avons suivies. Ms, de Lenel, I. IV, Ltllrts et IraiUs, fol. 139, minute.
A TRAVERS LA FRONDE. 127
les compliments. Elle se rendit au palais archiépiscopal, dont Mgr Anne
de Lévis de Ventadour, son parent, n'avait pas encore pris posses-
sion.
€ Le Duc d'Anguyen venoît après, à cheval, à la teste de ses gentils-
hommes et de ceux de la province et de la ville, tous bien montez, ayant
à son costé le comte d'Anthlieil \ son Gouverneur : et, Tinfanterie après,
ensuite de leur descharge : le peuple souhaitant par ses acclamations
toutes sortes de prospéritez au Roy et à ces Princes. > On remarqua
que le duc d'Enghien gouvernait son cheval « en homme d'un plus grand
âge que le sien. »
Laissons à la prolixe Gazette l'énumération des arcs triomphaux et des
pyramides à panonceaux. Les fontaines, qu'on ne faisait pas encore lumi-
neuses, versaient au lieu de torrents de clarté des flots de vin du crû ;
< un rocher artistement écaillé par l'industrie des Jacobins » en répandait
avec abondance. Un Te Deum solennel fut chanté à l'orgue de Saint-
Etienne par la musique « qui n'est pas des moins délicates du Royaume. >
Le mercredi 8, messe à la magnifique cathédrale encore, et tenue sur
les fonts baptismaux d'un enfant dont M. le Duc est parrain.
L'église et la place publique ayant eu chacune sa fête, ce fut au tour
du collège Sainte- Marie, pour qui c'était presque une réunion de famille.
Les Jésuites qui ne furent jamais taxez de perdre les occasions de tesmoigner leur affec-
tion à ceux qui leur en ont donné sujet, comme a toujours fait la Maison de Bourbon, firent
représenter une Tragédie Françoise faite à propos de la délivrance des Princes par vingt
de leurs £scholiers des meilleures familles de la Province : Au sortir de laquelle la Maison
de ville leur fit une belle collation.
L'avocat Le Large, à qui nous devons un récit plus succinct, rapporte
seulement de la <: tragy-comédîe » qu'elle fut « très belle, > mais il ne
prodigue pas, comme la Gazette, cette épithète à la collation publique
donnée par la ville. Il semble que l'usage de piller les buffets ne soit
point particulier à la démocratie moderne.
Bien que la table fût destinée à la <: grande et célèbre compagnie » qui
suivait M°^« la Princesse, elle fut « mal conservée > et ensuite « plus tost
consommée qu'elle nel'eust veue. > Il lui fallut manger < à part dans une
chambre avec grande incommodité accause de l'abondance du peuple. >
Après que les invités et la foule se furent ainsi offert à eux-mêmes le
banquet servi en son honneur, ils lui offrirent, la nuit venue, un ballet
dansé par la plus adroite jeunesse de la ville et composé de dix entrées,
sortes de tableaux vivants qui figuraient le Désordre chassé par le retour
du Bon temps. Les mœurs théâtrales y paraissent assez simples et les
efforts d'imagination peu considérables.
Dans laquelle représentation, de dessous une toille sur laquelle estoit peinte une nuit
fort obscure, éclairée seulement par les incendies, accompagnez de meurtres, vols, harpies
I. Sic y povLX Auteuii,
128 HENRT-JULKS DE BOURBON.
et autres oiseaux funestes, comètes et autres signes et effets de la guerre, sortit pour la
première entrée le Démon du désordre ; lequel ayant fait paroistre pour la seconde un
Tambour et un Trompette ; la troisième, fut des soldats pillans et rançonnans leurs hostes :
la quatrième fut Toutrage fait à une païsanne par les mesmes soldats et goujats : à la
cinquième, parut un Héros qui les écarta tous à coups ait froide : et ayant ensuite produit le
bon temps, qui fît l'entrée sixième, l'obscurité se trouva métamorphosée en un beau jour,
et des tables couvertes de bouteilles, de jambons et d'autres mets plus délicieux^ instnimens
de musique, danses, jeux et autres sortes de divertissements, qui furent représentez
par les entrées suivantes en Tune desquelles parut un Ingénieur faisant un beau feu d'artifice :
en suite de quoi le peuple se resjouissant en public, le Démon se voyant vaincu par
la force, eut recours à ses ruses, mais estant découvert il fut chassé et banni pour jamais,
laissant le bon temps triompher : qui fut la conclusion de cette bouffonnerie.
Le jour suivant (jeudi, 9 mars), les fêtes reprirent de plus belle. < La
Princesse et le Duc d'Anguyen ayans disné en public eurent le soir le
divertissement d'un feu d'artifice allumé sur le boulevard qui est vis-à-vis
du Palais de rArchévesque >, mais, ce qui n'était point prévu, une
fusée alla s'attacher à la couverture d'une église voisine et y mit le feu.
Cet incendie fut d'ailleurs trouvé de bon augure. On s'en rendit maître
et le bal ne fut pas empêché. Pour qui savait la politique générale,
c'était danser sur un volcan. La princesse avait-elle le pressentiment
d'une nouvelle guerre civile ? Elle partit aussitôt pour aller 'rejoindre
M. le Prince à Paris « avec grand desplésir et non sans larmes >. En
route, elle tomba malade à La Motte \
Deux jours après (samedi, 11 mars), le duc d'Enghien reprit le chemin
de Montrond. il pleuvait. Un faiseur d'impromptus tira de ce contre-
temps 4; des vers fort gentils > et rima cette idée banale « que comme l'air
avoit été serain, et le Ciel monstre une face amiable pendant le séjour
du duc, il sembloit pleurer son départ et son absence de cette ville de
Bourges. »
Seul, séparé de sa mère et laissé au soin des gens de sa maison, il ne
tarda pas à être souffrant et chagrin. Les études en pâtirent. Mais le
médecin Bourdelot trouva remède au mal et les études remontèrent.
A Mouron.
Monseigneur
La santé de Monseigneur le Duc est tout a fait confirmée ; il comance à manger à son
ordinaire. La force lui revient et la gaytté, s'estant fort diverty depuis quatre ou cinq jours.
Quand il est gay, il en apprend sans comparaison mieux ; cela lui donne de rintelligence
et de la mémoire .... ^
L'heureuse influence du printemps et de l'air de mai, si doux à respirer
au milieu de l'immense vasque de verdure d'où émerge le château,
achevèrent en peu de temps le rétablissement.
On n'avait pas attendu cette amélioration dans, sa santé pour fiancer
1. Lenet, Métnoires, p. 524.
2. Bourdelot à Condé. Montrond, 3 mai 165 1. Papiers de Condé^ série P, t. XI, foL 80.
A TRAVERS LA FRONDE. 129
le petit Duc ; fiançailles toutes politiques, qui devaient resserrer lalliance
entre deux chefs de la Fronde, Condé et Gaston d'Orléans. Aussi, malgré
la reine qui approuvait « le mariage de Mgr le duc d'Anguien avec
la troisième fille du second lit de S. À. R. >, le parti de la cour regardait
d'un mauvais œil cette union entre les deux maisons princières les plus
proches du trône et surtout les plus puissantes : € L'on fait tout ce qu'on
peut pour les diviser ou leur oster leurs principaux serviteurs, > écrit un
correspondant au courant de ces intrigues '. Les choses avaient avancé
quand même. € M. le Prince, raconte Dubuisson-Aubenay dans son
Journal, a fait dresser le contrat de mariage de son fils, le duc d'Enghien,
avec M^'® de Valois, deuxième fille de M. et M"^^ d'Orléans, lesquels il
presse de le signer et faire signer par la Reine. Le sieur d'Auteuîl-
Combaud, gouverneur de ce Prince, vient à Paris, apportant des lettres de
sa part à M., M"^^ d'Orléans et à M^^ de Valois, sa maîtresse, pleines
de compliments d'enfant. Le vrai sujet de sa venue à Paris est pour
régler la maison de ce petit Prince '. > La très jeune fiancée n'était pas
encore baptisée et ne le fut que deux mois après (mercredi 21 juin) 3.
On alla jusqu'au contrat de mariage (samedi i^^ juillet), qui fut passé
et signé en présence de Gaston d'Orléans et de Marguerite de Lorraine,
sa femme, de Condé, de M^^^ de M"^® de Longueville et de toute la
cour, au Palais-Royal \ Témoins illustres pour un projet d'union si
fragile ! Mais la preuve que du côté de Gaston ce mariage avait été
sérieusement envisagé, c'est qu'il en discuta fort les conditions. 4[ Il s'y
trouvoit de la difficulté, mesme assez grande, dit Goulas, car Mgr
vouloit que M. le Prince mariast son fils comme son principal héritier et
luy donnast tout, et M. le Prince disoit cette clause trop dure, étant si
préjudiciable à ses autres enfants, s'il en avoit ; il désiroit de pouvoir
disposer de cinq cent mille écus en leur faveur. Ils convinrent enfin, et
leur alliance fut résolue entre eux, mais peu agréée de la cour, qui voyoit
avec grand'peine cette liaison 5. > Était-ce afin de grossir la dot du
futur que le 22 mai on avait demandé pour lui à Rome l'abbaye de
Cluny }
Les événements se chargèrent de rompre une union contractée,
comme celle de Condé lui-même, sans l'assentiment possible des
intéressés ^ Le plus étrange est que Louis de Bourbon, violenté jadis dans
son choix par Henri II son père, ait imposé la même contrainte à son
fils.
Celui-ci, malgré les compliments galants envoyés à sa maîtresse, ne
1. Lettre à Lenet, dans ses Mss.^ t. IV, fol. 134.
2. Dubuisson-Aubenay, t. II, p. 61. Mercredi 3 mai.
3. Ibid., p. 78.
4. Ibid., p. 82 .
5. Goulas, Mémoires, t. ÏII, p. 348.
6. Françoise-Madeleine d'Orléans, dxitAfoiie^noiselle de Valois, née àSaint-Germain-en-Laye,
le 13 octobre 1648, baptisée avec s^lsçrux Afade^noiselle d'Orléans^ \t 21 juin 165 1, fut mariée
par procuration, au Louvre, le 4 mars 1663, à Charles-Emmanuel II de Savoie. Elle mourut
à Turin, âgée de 15 ans, en 1664. Cf. V Histoire de la maison royale, par le P. Anselme.
Le grand Condé* 9
130 HENRY-JULKS DE BOURBON.
s*occupait guère, sans doute, de Son existence. Bourdelot était auprès de
lui à Montrond, qui mettait la vîe réelle au point vrai et traitait presque
en bébé le prétendant à la main de Françoise d'Orléans.
Ce n'est pas qu'il fût destiné à rester auprès de Son Altesse en qualité
de précepteur. Condé voulait que son fils fût élevé par les mêmes
maîtres que ceux de son enfance, et le premier Jésuite auquel il songea,
fut cet Etienne de Champs, son meilleur camarade à Sainte- Marie de
Bourges. « Le sieur d'Auteuil-Combaud, gouverneur du duc d'Enghien,
écrit Dubuisson-Aubenay, à la date du 15 mai, est venu de Montrond,
pour régler sa maison, vers M. le Prince de Condé, son père, en cette
ville, et s'en va à Auteuil, près Beauvais, sa maison, pour ses affaires
domestiques, afin de repasser à Paris à la fin du mois et s'en retourner
à Montrond. où ce pendant le sieur Bourdelot est comme médecin avec
trois cents livres d'appointement, faisant aussi la charge de précepteur ;
mais on a choisi un père Des Champs, jésuite, pour l'aller faire
désormais \ >
En attendant l'arrivée du Père, qui paraît s'être fait désirer plusieurs
semaines, Bourdelot restait chargé d'apprendre à M. le Duc ses rudiments.
Il lui laissait entre les mains cette grammaire latine de Despautère
que la rancune de Molière a rendue odieuse dans la Comtesse d'Escar-
bagnas.
Monseigneur,
La santé de Monseigneur le Duc n'a jamais esté en si bonne estât qu'elle est, Dieu
mercy. C'est une fraischeur et une gayetté incroyables, il dort parfaitement bien, il a appétit
et est engraissé et bien fourny de chairs. Il est si porté à Testude, qu'il aprend par avance
les leçons que Ton luy donne ; dès qu'il est éveillé il demande le Despauûre. Son naturel
est tout à fait revenu. A la vérité c'est le plus beau naturel du monde et je ne souhaitte
autre choze que V. A*, l'eust veu une fois.
C'est
Monseigneur de V. A*
le très humble, très obéis-
sant et très fidèle serviteur
Bourdelot '.
A Mouron, ce 19 may 1651.
Despautère, avec ses règles abstruses sur les genres, et les Lettres de
Cicéron, traduites, analysées et récitées, ne formaient pas Tunique objet
des études de Henry-Jules. Son programme paraît avoir été plus
largement conçu que celui de son père un quart de siècle plus tôt, à
Sainte- Marie de Bourges. Le grand Condé avait attendu la sortie du
collège pour apprendre une langue vivante : l'italien ; dès maintenant son
son fils est à \allemand. Il semble en outre que cette nouvelle éducation
1. Dubuisson-Aubenay, t. II, p. 67.
2. Bourdelot à Condé. Montrond, 19 mai 1651. Papiers de Condé, série P, t. XI, fol. 145.
A TRAVERS X-A FRONDE. 131
soit plus mondaine. Sans parler de la danse, la question de la perruque
prend bien de Timportance. Il s'agit autant de parer la tête que de la
meubler.
Monseigneur,
La santé de Monseigneur le Duc est au meilleur estât qu'elle se puisse souhaiUer ; le
temps estant venu, je Tay fait raser ce matin, ce que je suis d'avis que Ton face quatre ou
cinq fois cet esté, affîn de luy faire venir les cheveux épaix et forts.
Il £aut profiter ce temps icy qu'il est acoustumé à la perruque et cette belle saison.
Il estudie parfaitteraent bien. Il répéta il y a quatre jours tous ses genres sans manquer
une faute et gagna le prix. Il récita hier ses épistres de Cicéron, aussi sms faute et avec
une intelligence parfaitte et construction raisonée par règles. Il continue à lire l'histoire, à
danser et à dire de V allemand^ où il fait de grands progrh. Madame de Changrand et sa
Nourrice, aux heures de récréation, le divertissent fort. Je suis.
Monseigneur, de V. A«
Le très humble et très
obéissant et très fîdelle serviteur
BOURDELOT '.
A Mouron, ce 26 may 165 1.
L'excellent Bourdelot avait lui-même les attentions d'une femme et
rivalisait de petits soins avec la dame de Champgrand ou la nourrice.
L'âge critique de la seconde dentition était venu et le digne précepteur-
médecin surveillait ce travail organique avec la même sollicitude que le
travail intellectuel. Sa lettre sur ce double sujet va nous le peindre tout
entier et son élève avec lui. C'est la dernière datée de Montrond ; elle
résume bien cette première période de l'éducation : commencement
d'instruction assez solide pour un si jeune esprit ; attention presque
coquette donnée à la formation du corps. Tout à l'heure on songeait à la
chevelure artificielle ; il est question maintenant de jolie bouche, mais
heureusement naturelle.
Monseigneur,
Jamais Monseigneur le Duc ne s'est si bien porté qu'il fait, n'y n'a tant eu de gayeté. Ses
dents de laict comancent à luy vouloir tomber : come il approche de la fin de ses huict
ans, c'est le temps à peu près.
Je m'aperceus hier qu'il en a une devant qui n'est pas ferme, et qui comancera la première.
C'est une choze à quoy il fault bien prendre garde quand on les sort pas à propos ; celles
qui viennent par dessous estant empeschées poussent à costé ou sur le devant ; c'est ce qui
fait les dens mal arrangées et une mauvaise fîgure à la bouche. Au reste, son ventre estant
fort libre, ayant grande fraischeur, apétit et dormant toutte la nuit, je ne pense pas de tout
l'esté qu'il ait besoin d'aucuns remèdes.
Il attend l'arrivée de V. A^ avec grande impatience. Il profite beaucoup dans ses
études. V. A® peut voir un de ses thèmes, come il les fait de luymesme. Après cela je les
corrige : il me rend raison de tous les termes l'un après l'autre, et je donne un meilleur
1. Bourdelot à Condé. Montrond, 26 mai 1651. /^iV/., fol. 235.
132 HENRT--JULES DE BOURBON.
tour à la phrase. Il se souvient de toutes les difficultés par dessus lesqueles on a desjà
passé. J'espère, quand V. A^ l'aura veu, qu'elle trouvera qu'à toutes les chozes qui sont de
son service, je m'y applique avec plus de passion que personne qui soit au monde. C'est
Monseigneur de V. A*
Le très humble, très obéissant
et très fidelle serviteur,
BOURDELOT \
Montrond, 27 juin 1651.
Ce service que Bourdelot ofTrait avec tant de protestations au prince
de Condé, il allait le rendre désormais à une souveraine. La reine de
Suède, Christine, le faisait demander et devenait à la fois sa cliente et
son élève. Il n*est pas improbable que les fonctions de précepteur du
duc d'Enghien furent confiées, comme il en avait été question, au Père
Etienne de Champs. Ce Père passa précisément à Bourges les deux
années scolaires 1650-1651 et 1651-1652, sans emploi spécifié dans les
catalogues. Il avait toute sa liberté pour s'adonner à l'éducation de
Henry- Jules de Bourbon, soit à Montrond, soit à Sainte- Marie. Le
collège qui avait naguère fêté le petit Duc, lors de son entrée dans la
ville, le posséda comme écolier quelques mois, sans doute les derniers
mois de Tété, à Tépoque où il atteignait ses huit ans accomplis (23 juillet
1651). Ce séjour fut trop court pour avoir laissé une longue trace dans
les annales de l'établissement. Cependant les Lettres anmielles n'ont pas
manqué d'en consigner le souvenir. « Nos classes de Bourges ont eu
l'honneur d'avoir pour élève assidu Mgr le duc d'Enghien, fils de l'illustre
prince de Condé, qui les a fréquentées durant quelques mois. Cet enfant,
à peine en sa neuvième année, a donné à ses condisciples et à ses maîtres
les marques d'un heureux naturel ^ »
Condé avait alors de plus graves préoccupations que de suivre ces
heureuses dispositions de son fils pour l'étude. Combattu à la cour par
l'action à distance de Mazarin, menacé dans les rues de Paris et jusque
dans son hôtel par les sicaires des vieux frondeurs, il se réfugiait à Saint-
Maur, en la nuit du 5 au 6 juillet.
Remis de sa fausse alerte et rentré dans la capitale le 23, il bravait
bientôt Louis XI V, par un affront peut-être involontaire, dans la rencontre
du Cours- la- Reine. Sa froide visite au roi (3 août) ne répara rien et fut
sa dernière apparition au Palais- Royal.
Ces événements étaient interprétés au loin avec plus de clairvoyance
que sur place. En cette même journée du 3 août, la princesse de Condé
revenait à Bourges, accompagnée de sa belle-sœur la duchesse de
Longueville. Combien son entrée y fut différente de la première ! La
Princesse logea à l'archevêché et la duchesse aux Carmélites, où elle se
1. Bourdelot à Condé. Montrond, 27 juin 1651. Ibid., fol. 458.
2. Ornavit scholas, Biturigibus» auditor celebris, dux Enguineus, illustrissimi principis Condaei
fîlius,qui mensibus aliquoteasdem frequentans, optimi ingenii, puer adhuc vix novennis, specimea
condiscipulis et magistris suis dédit. Liftera annuct, 1651.
A TRAVERS LA FRONDE. 133
mit en retraite ; « l'on ne fit pas grande exultance à leur arrivée, écrit
le bourgeois Le Large, d aultant que l'on pronostiquoit mal... et Madame
la Princesse s'en alla à Mouron le cinq aoust où l'on fist conduire grand
argent que l'on disoyt estre pour les frais de la guerre que les Princes
méditoyent. > Le duc d'Enghien y gagna de passer un mois de vacances
avec sa mère. Sa tranquillité allait être détruite sans retour pour plusieurs
années.
C'était la guerre, en effet, que Condé en personne amenait dans le Berry
vers le milieu de septembre. Mais elle coûta cher à Bourges et à
Montrond. Le souverain auquel il avait jeté le gant, était Louis XIV.
Proclamé majeur, le 7 septembre, le jeune roi, sans gouverner encore
par lui-même, était déjà capable de marcher à la tête d'une armée et
d'imposer le respect à ses adversaires comme à ses amis. En octobre, il
est à Bourges et s'établit à Jacques-Cœur. La Grosse-Tour, cette vieille
forteresse du temps d'Attila, orgueil et défense de la ville, est minée et
saute en écrasant les habitants. Montrond est investi et Persan y tient
pendant huit mois contre Palluau avec une obstination digne d'une
meilleure cause. Murailles et boulevards, ces théâtres des jeux guerriers
de Louis de Bourbon enfant, furent rasés sans pitié. En vain, Turenne
et Palluau lui-même intercédèrent pour la conservation de l'incomparable
place d'armes. La réponse de Louis XIV fut que € toutes sortes de
fortifications faites en son royaume étaient à sa disposition. > Douze
milliers de poudre y furent transportés ; vingt mines couvrirent la colline
de pans de murs, et pendant plus de trois semaines trois mille ouvriers
travaillèrent à réduire ces ruines en débris. On avait trouvé un matériel
et des approvisionnements considérables : plus de soixante pièces de
canon, cent milliers de poudre et de quoi armer quatre mille hommes \
Madame et M. le Duc n'avaient pas attendu le siège, ni ce terrible
dénoûment pour se retirer.
Les provinces du Nord leur étaient fermées. Ils descendirent en
Guyenne et reçurent pour la seconde fois à Bordeaux une hospitalité
enthousiaste et dévouée, pleine de charmes peut-être pour une héroïne,
mais encore plus de périls et de souffrances.
L'histoire de la deuxième Fronde bordelaise a été contée dans tous ses
détails par ses acteurs eux-mêmes, qui ne savaient pas écrire au vif
l'histoire de nos modernes révolutions. Conflit entre toutes les autorités,
incohérence dans toutes les décisions, complicité avec les ennemis de la
France, haine et jalousie entre les diverses classes de la société, intrigues
en haut, violences en bas, désordre et anarchie partout : Conii et
Duretête, le parlement, les jurats et TOrmée formaient les éléments de
ce chaos.
L'on s'imagine aisément ce que pouvait devenir l'éducation du duc
d'Enghien au milieu d'un pareil gâchis.
I. Voir sur cette destruction émouvante les Souvenirs du rigne de Louis XIV^ par le comte de
Cosnac, 1874, in-8°, t. IV, p. 99 et suiv.
134 HENRT-JULKS D£ BOURBON.
Sa mère n'est que la présidente honoraire du Conseil de gouvernement.
Elle se doit à lenfant qu'elle porte dans son sein et qui reçoit à son
baptême (lo février 1653) les noms de houis-Bordeaux de Bourbon. Le
duc d'Enghien ne vit pas longtemps ce petit frère. L enfant ne vécut que
sept mois. La mère, restée maladive, garda assez de courage pour
affronter les tumultes de Témeute et braver la mort frappant à ses côtés.
Le désordre général qui régnait dans l'administration avait sa
répercussion à Tarchevéché, qu'habitait la Princesse, et jusque dans
l'entourage de M le Duc. Ce n'était que divisions, dissentiments et
tiraillements. Les correspondances ne contiennent guère d'autres faits.
Ces plaintes réciproques sont instructives et jettent quelque jour sur
les intérieurs princiers de l'époque. Malgré les horreurs de la guerre
civile et la pénurie financière la plus aiguë, les gens étaient en nombre
dans le train du duc d'Enghien. On en juge par \Etat de la Maison
de Monseigneur le Duc dAnguien en Vannée 1653, que Lenet,
premier ministre et infatigable secrétaire de la petite cour, nous a
conservé \
Mettre l'accord entre tant de domestiques eût été aussi aisé que de
réconcilier la fronde bourgeoise et aristocratique de la Cité avec la
démagogie des faubourgs. Chacun tirait à soi. Les personnages les plus
proches de M. le Duc vivaient ensemble au plus mal. Les querelles du
gouverneur Auteuil avec l'écuyer La Fontaine et le contrôleur Desprez
donnent une idée de la confusion entre les pouvoirs. Lenet, maire
impuissant du palais, en appelait au loin à Condé ^ De son côté, M. le
Prince, réfugié déjà depuis plusieurs mois dans les Pays-Bas espagnols,
écrivait de Bruxelles par une lettre en date du 14 mai ; elle nous fait
connaître et l'incident mis par Auteuil à la charge de La Fontaine, et le
parfait désordre d'une maison où tout le monde agissait un peu en
maître, excepté le maître lui-même ^
Mais la Guyenne était loin du Brabant et Condé exilé n'avait plus le
pouvoir de faire respecter ses ordres dans ce foyer d'insubordination. Il
en est réduit à se répéter et même à céder, car il consent au renvoi,
peut-être pour raison financière, d'une partie de ce personnel encore
plus coûteux que récalcitrant. Le gouverneur Auteuil était déjà
abandonné en principe. M. le Prince ne cherche plus qu'un prétexte
spécieux pour s'en débarrasser et il espère que Marchin pourra prendre
soin à sa place, au moins de temps en temps, du duc d'Enghien : « S'il
me veut faire ce plaisir sans que cela le destourne de son application et
de ses soings pour la guerre, j'ay toute créance et toute confiance en
luy^ >
I. Manuscrits de p. Lenet ^ documents divers sans date, t. XXV, n* 124. Bibl. nat. Fonds
fr. 6727. Nous avons publié ce curieux document in extenso dans la partie de ce travail parue
aux Précis historiques, 1894- 1895. Tirage à part, fascicule i", pages 22-23.
2 Ibid., t. XIV, n*' 31, f. fr. 6715.
3. /^/V/., n°7i.
4. Condé à Lenet. Bruxelles, 31 mai 1659. Ibid,^ n* 141.
•^"•9^
A TRAVERS X«A FRONDE. 135
Le comte de Marchin, rude soldat et tout dévoué à quiconque portait
le nom de Condé, était digne de la confiance que lui témoignait son
maître. Grâce à son exubérante activité, son commandement militaire ne
l*eût peut-être pas empêché de cumuler la sinécure de gouverneur d'un
enfant, mais la succession n'était pas encore ouverte. Le 7 juin, Condé
en revient à son plan encore sans commencement d'exécution, et c'est à
Marchin lui-même et à Lenet qu'il écrit : < .. Je ne vous dis rien de
M. d'Auteuil ; il faut que vous cherchiez quelque moyen honneste de
vous en deffaire comme je vous l'ay mandé par mes précédentes. >
En attendant la formule honorable qui l'appellerait ^ à de nouvelles
fonctions, > Auteuil n'avait garde d'obéir aux injonctions les plus
formelles. Les présents n'avaient pas plus de prise sur lui que les absents,
la Princesse pas plus que le Prince. Il tournait la chose en plaisanterie
et Lenet citait ses jeux de mots à Condé :
4L M. d* Auteuil qui n'a pas jusques icy voulu defférer à la lettre que
vostre Altesse me fit l'honneur de m'envoyer touchant M. de La
Fontaine, et que Madame luy fit voir elle-mesme, dict que /es fontaines
esteignent le feu, mais que celle de Mgr le duc le mestra dans la maison de
Bourbon \ » Il ajoutait en homme qui sait la cour de France et la part
prise par les divers gouverneurs des rois dans leur éducation, qu'il
prétendait bien être « gouverneur comme l'estoît M. de Souvré et non
comme M. de Villeroy. » Or le maréchal de Souvré, gouverneur du
Dauphin Louis XI II, avait exercé sa charge dans la plénitude
incontestée de son titre, tandis que le maréchal de Villeroy, simple
doublure de Mazarin qui s'était réservé la surintendance, « n'étoit pas le
maître de la manière dont Louis XIV étoit élevé'. > Poursuivant son
parallèle, Auteuil déclarait que si Condé faisait de Lenet M. le Cardinal,
et de lui M. de Villeroy, il ne pourrait jamais s'y résoudre, i. Ny moy,
par ma foy aussi, > conclut naïvement Lenet, plus diplomate
qu'autoritaire. « Je suis d'advis que Vostre Altesse le laisse redevenir
comme M. de Souvré ; car elle sçait que je n'ay jamais voulu m'ingérer
en rien, ni pour rien dans les maisons.
> Il ne m'importe guère qu'elles soient les personnes qui les composent
et jamais homme n'a moins eu envie d'estre M. le C. Mazarin sur ce
M. de Villeroy-là que moy qui suis la personne du monde qui le hay et
qui l'ayme le moins. Voilà la vérité toute pure, ne prenant en cela non
plus qu'en toutes les affaires dont je me donne l'honneur de vous escrire,
ny part, ny quart, n'estant pas icy pour me satisfaire, mais pour vous
servir, obéir et faire obéir, sans considérer mes amis, ny ceux que votre
service et la fidélité que j'i ay peut faire mes amis. Tenez-vous en,
Monseigneur, pour tout assuré. » Condé, plutôt que de mécontenter un
de ses serviteurs, ne donnait tort à personne ; c'était une prime au
désordre.
1 . Papiers de Condé, série P, t. XI 1 1 , fol. 1 54 .
2. Motteville, Mémoires, éd. Riaux, t. 1*', p. 265.
136 H£NRT-JULES DE BOURBON.
Avec le contrôleur Desprez, et à propos d'étiquette de table, Auteuil
était sur le point d en venir aux voies de fait \ \j^ fronde des domestiques
fut à Tordre du jour dans la maison de M. le Duc tant que dura la fronde
des princes à Bordeaux.
Un tel état de choses eût été désastreux pour les études du duc
d'Enghien, si elles n'eussent relevé plus immédiatement du précepteur
que du gouverneur ou de Técuyer. La tâche d'instruire M. le Duc
incombait aux € deux jésuites > mentionnés dans \Etat de Lenet, mais
qu'il ne nomme point, ou plus exactement à l'un des deux, l'autre n'étant
que socius. Le premier, déjà attaché, quoique sans doute alors par un
lien moins étroit, au duc d'Enghien, écolier pendant quelques mois de
Sainte-Marie de Bourges, était François de La Falluère.
Très peu connu jusqu'ici, ce régent mérite de nous arrêter un instant.
Si souvent nous le rencontrerons à la suite de son élève que nous ne
pouvons totalement ignorer ses antécédents. François Lefebvre de La
Falluère, né à Tours, le 24 mars 16 19, était lors âgé de quarante et
quelques années. Il appartenait à une de ces familles bourgeoises
enrichies par le négoce qui, entrées dans la noblesse de robe, se
partagèrent jusqu'à la Révolution entre l'Église, la justice et les finances.
Chanoines et prévôts du Chapitre Saint- Martin ', trésoriers de France,
magistrats, ils occupèrent pendant deux cents ans en Touraine, à Paris,
en Bretagne des situations distinguées.
En 1668 le maire de Tours est Alexandre Lefebvre de la Falluère,
trésorier au bureau de la généralité.
Plus près de notre époque, en 1663, dans les fameuses Notes secrètes
sur le personnel de tous les parlemens et cours des comptes du royaume^
envoyées par les intendans des provinces à Colôert, figurent René Le Fevre,
seigneur de la Falluère, conseiller à la deuxième chambre des enquêtes
au parlement de Paris, « doux, gracieux, honneste homme, s'appliquant
entièrement au mestier. » Un autre La Falluère est conseiller de la
Tournelle au parlement de Bretagne, € bon juge, très capable, de grande
probité, aimant extrêmement l'ordre et la bonne discipline ^ »
La rigidité des graves parlementaires était tempérée dans cette
1. Lenet à Condé, Bordeaux, 3 juillet.
2. Dans le Cabinet des Mss de la Bibliothèque impériale^ par M . Léopold Delisle (Paris, i868,
in-40), page 460, il est question d'un projet d'achat de Mss de Saint-Martin-de-Tours pour le
cabinet de Colbert, où Messieurs de La Fuluère (sic) interviennent au nom du Chapitre. (Lettre
du P. du Molinet à Baluzt). Cette légère erreur typographique a fait déplacer le nom à la
table, tome 111, p. 468.
3. Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV^ Paris, 185 1, in-4*,
t. 1 1, pp. 49 et 73. — Voir encore sûr les comtes de La Falluère, Carré de Busserolle, ArmaricU
général de la Touraine. Tours, 1868, in- 8°, t. I'^ p. 548. — Armoriai général de d^Hozier^
Généralité de Tours, 1697, page 9, n®* 29 et 389 ; — et le vol. 139, dossier 3573, du Cabinet de
d^Hozier^ à la Bibl. nat., cabinet des titres. Cette dernière généalogie, quoique très incomplète,
est la plus considérable. Dans les Papiers de Condéy série P, t. 35, fol. 212, se trouve une lettre
de magistrat, signée Lcfeuvre de la Faluère et adressée à M. le Prince, de Moulins, 2 février
1667. — Une lettre du P. Bergier à M. le Prince, de Paris, 30 août 1681, contient cette phrase,
relative peut-être au même personnage : < J'ay reçu cet après-dîné M. le marquis de Persan qui
m'est venu prier de solliciter pour lui M. le Président de la Falluère. > Ibid.^ t 81, fol. 313.
A TRAVERS X-A FRONDE. 137
famille par la politesse de mœurs et le charme de caractère propres aux
Tourangeaux.
François était entré dans la Compagnie de Jésus le i^*" septembre
1637. Le professorat de la grammaire fut épargné à sa vocation toute
littéraire. Cinq ans, il enseigna les humanités. En 1651 il occupait à
Bourges, pour la première fois, la chaire de rhétorique, et il ne la laissa
que pour suivre ou retrouver bientôt à Bordeaux le duc d*Enghien. Ce
fut en sa présence sans doute que, le 9 mars 1653, il prononça dans cette
ville ses derniers vœux de religion.
Le précepteur n'était, en général, on s'en souvient, qu'une sorte de
répétiteur à domicile ; ses leçons privées n'empêchaient point, mais
suppléaient les classes publiques qu'elles complétaient. L'élève du P. de
La Falluère fut donc mis comme externe au collège des Jésuites de
Bordeaux.
En dépit des apparences, recevoir ce fils d'un prince en révolte n'était
pas beaucoup se compromettre ; la cour de France ne rendait pas un
enfant de huit ans responsable des torts de son père. Quant à la Compa-
gnie, elle était notoirement attachée par la reconnaissance à la maison de
Condé, et on lui eût plutôt reproché de ne pas témoigner à Henry-Jules
le même dévouement que jadis à Henri II et maintenant encore à Louis
de Bourbon. Mais, eût-elle dû s'exposer à éveiller la prudence ombrageuse
du P. Paulin, confesseur du jeune roi, elle eût quand même ouvert ses
portes aux fils d'un prince demeuré cher aux Français jusque dans ses
égarements politiques. A Rome, on comprenait les choses ainsi.
Le général de l'Ordre, Piccolomini, mort le 17 juin 165 1, n'avait été
remplacé que le 21 janvier suivant. Dès le lendemain de son élection,
son successeur Alexandre Gottifredi écrivit à Condé exilé :
AU SÉRÉNISSIME PRINCE DE CONDÉ
2 2 janvier 165a.
La grandeur des titres par lesquels vous avez bien mérité de notre Société, valeureux
Prince, m'est fort connue. Aussi aije conscience qu'il est du devoir de ma charge d'offrir
à Votre Altesse, âhs mes premiers débuts dans le généralat de la Compagnie, Thommage
de mon humble respect. Certes, le seul fait d'avoir récemment confié votre fils à nos soins,
pour être élevé dans la piété chrétienne et instruit dans les éléments des belles lettres,
constituerait, à défaut même de tout le reste, de votre part un gage d'extrême bienveillance
envers nous, et de la nôtre, l'obligation de la plus vive gratitude. C'est pourquoi, et afin que
nous puissions plus pleinement nous acquitter de ce que nous vous devons, sérénissime
Prince, votre bonté accoutumée nous viendra en aide, en nous continuant les marques
singulières de votre puissante protection. Quant à moi, je prierai avec instances le Dieu
très bon et très grand pour votre conservation et félicité '.
11 faut reconnaître cependant qu'un pareil empressement de la part du
I. Archives générales de la Compagnie. Lettres des PP. Généraux. Minute. Les pièces
suivantes sont de la même provenance. Nous traduisons ici du latin.
138 HENRT-aULES DE BOURBON.
premier supérieur de la Compagnie de Jésus à protesterde son dévouement
envers un prince passé à l'étranger, serait peu explicable si d'abord
Gottifredî, en parfait Romain de naissance qu'il était, n'avait été doué d'un
caractère € fort neutral > ; c'est le mot du bailli de Valençay, notre ambas-
sadeur à Rome. Maïs il nous semble avoir été plus qu'indifférent entre
le gouvernement français et Condé; il semble avoir franchi ici les bornes de
l'absolue neutralité dont il eût fait sa ligne de conduite en interprétant
plus sévèrement l'Institut. Quel mobile avait donc pu jeter, dès le
lendemain de son élection, ce religieux <L fort béning dans le fond de
l'âme » du côté de Condé, l'homme de tous les partis extrêmes ? Assu-
rément ce n'était pas l'intérêt ; Condé n'avait ni ressources présentes ni
espoir de succès C'était encore moins l'influence des Romains, chez
lesquels le parti de Mazarin dominait en dépit d'Innocent X. et impo-
sait presque la terreur \ Mais parmi les trois délégués de l'assistance de
France à la Congrégation générale qui élut Gottifredi, se trouvait, par
une fortune singulière, le plus aimé de ses professeurs de Bourges, ce
Père Claude Boucher, son régent de logique et de physique à Sainte-
Marie de 1633 à 1635. son confesseur à Saint-Maur en 1636, et au
donjon de Vincennes en 1650.
J'ai raconté ailleurs la lutte diplomatique, habilement engagée et
opiniâtrement poursuivie, entre Valençay, l'ambassadeur de Louis XIV,
et le nouveau général Gottifredi, pour obtenir l'exclusion du Père Bou-
cher € de toute supériorité dans les maisons de Paris, voir mesme de la
résidence de cette ville, > à cause de sa 4; partialité pour les intérests des
Princes de Condé et de Conti ^ > Le neuvième général de la Compagnie
avait résisté sans fléchir à la pression exercée sur lui par le représentant
du roi très chrétien, quand, le 12 mars 1652, il mourut dans le deuxième
mois de sa nomination. Le parti de Condé n'y perdit rien ; il avait la
prépondérance dans la Congrégation générale encore réunie. Celle-ci,
conformément à l'Institut, sans laisser la place vacante plus de cinq
jours, élut Goswîn Nickel, le 18 mars. Imitant l'exemple de son prédé-
cesseur, Nickel, qui avait déjà, étant vicaire général, recommandé la
Compagnie à Condé, écrivait de nouveau à M. le Prince, dès le jour
de son entrée en charge : « Si j'ai l'ambition de me monter le vrai héri-
tier du P. Gottifredi, c'est en ce qui regarde les témoignages de
respect dus à Votre Altesse. J'espère que votre singulière bienveil-
lance, confirmée par tant de preuves, ne fera défaut ni à ma personne ni
à la Société tout entière ^ » De toutes ces preuves la meilleure était la
présence du duc d'Enghien au collège de Bordeaux, et elle fut loin de
1. Voir la lettre adressée à Condé par les PP. Antoine Richeome et Honoré Fabri, < pœniten-
ciers dans St-Picrre de Rome pour la langue françoise. > Rome, 22 mai 165 1. Papiers de Cond/^
série P, t. XI, fol. 168.
2. Études^ 15 mars 1892, p. 387 et suiv.
3. L'original entier de celte lettre, dont nous n'avions publié naguère qu'un fragment d'après
la minute, se trouve dans les Papiers de Condé^ série P, tome !2, fol. 192. Goswin Nickel à Condé.
Rome, 18 mars 1652.
A TRAVERS &A FRONDK. 139
passer inaperçue aux yeux du général Nickel. Il daigna s'intéresser à
certains menus détails de la vie scolaire de Henry- Jules et correspondre
avec lui. Il lui fit même une sorte de don de joyeux avènement en
l'admettant dans l'intimité de la communauté.
J ai dit plus haut que M. le Duc était externe. Peut-être le terme de
demi-pensionnaire serait- il plus exact. Les rues, en effet, n'étaient ni
libres, ni sûres en ces jours de révolutions et de guerre : il y avait danger
à conduire et à ramener lenfant, deux fois par jour, de Tarchevêché au
collège.
On demanda pour lui la faveur de pénétrer pour le temps de ses
divertissements, non dans les cours de récréation, mais dans l'enceinte
réservée du jardin des Pères. Bien que les princes du sang eussent
droit d'entrée dans les maisons de TOrdre au-delà de la clôture, ce droit
ne pouvait s'exercer sans l'agrément du provincial. Celui-ci informa le
P. général de la grâce octroyée et Nickel répondit gracieusement au
Duc lui-même.
AU SÉRÉNISSIME DUC D*ENGHIEN.
15 avril 1652.
La lettre de Votre Altesse adressée en date du 2 mars à mon prédécesseur, enlevé à la
Société par une mort prématurée, a été reçue par moi comme un gage précieux de cette
bienveillance héréditaire envers la Compagnie que vous avez bien voulu nous attester
longuement. A ces sentiments nous nous efforcerons de répondre autant qu'il sera en nous
par nos services. Nous le ferons surtout durant tout ce temps où, marchant sur les traces
de votre père et de votre famille, vous ajoutez aux vertus de votre race et du sang royal
Fomement de la littérature. Votre présence dans nos classes est pour nous un honneur, un
avantagepour les belles-lettres, et un noble exemple donné aux princes non seulement devant
la France, mais aux regards de toute FEurope. Je iais que vous joignez Téclat du talent à
la passion ardente de l'étude. Je sais que vous faites luire en votre jeune âge la fleur de la
pié:é chrétienne. Que ne nous promettent pas de tels commencements dans un si grand
prince ?
En nous livrant de tout cœur à ces heureux souhaits pour la prospérité de la France et
de ses princes du sang, nous vous octroyons bien volontiers la petite faveur qui peut être
de nature à rehausser votre rang. Je vous accorde le libre accès dans le jardin de la maison
dont vous avez demandé la jouissance. Je félicite de son bon jugement le Père provincial
qui, suivant une haute convenance^ a regardé le désir de Votre Altesse comme une faveur
faite à lui même et a prononcé cette parole : que le caractère sacré et religieux de la clôture
reçoit par vous non une atteinte mais une consécration. Je prie le Ciel de répandre sur
Votre Altesse toute félicité.
Ne nous étonnons pas de cette importance attachée par le P. provin-
cial à la permission du jardin privé. Les simples questions d'étiquette
prenaient alors de bien autres proportions. La lettre de Condé réglant
la manière dont sqn fils devait vivre à Bordeaux avec le duc de Guise
et le reconduire à son carrosse, mais sans lui tenir la porte, donne la
.mesure de ce qu'on appelait alors € la dernière civilité \ »
I. Lenet, Mémoires^ y partie, liv. IV.
140 HENRY-JULES DE BOURBON.
Quant aux compliments pompeux du général Nickel sur les études
du duc d*Enghien, peut-être n'aurions-nous pas dû les faire sortir du
latin ; ils semblent quelque peu exagérés dans notre langue française,
amie de la discrétion, et détonnent un peu à nos oreilles modernes,
déshabituées de la phraséologie des superlatifs. Les contemporains
n'auront cependant jamais tenu un autre langage, et c'est un étranger,
fort impartial, l'envoyé du Brandebourg, Ezéchiel Spanheim, qui,
recueillant, quarante ans plus tard, le persistant souvenir des précoces
et brillantes études du duc d'Enghien, rendra de lui ce témoignage dont
nous avons cité les premières lignes en épigraphe : « // nest pas moins
partagé des dons de V esprit que le prince son pire. (Celui-ci) prit soin de
le faire cultiver et instruire dès son enfance dans tout ce qui pouvoit
contribuer à le rendre habile et éclairé au delà de la portée cTun prince
de sa naissance et de sa nation \ »
Le duc d'Enghien avait donc le droit de prendre les compliments de
Nickel au sérieux, et leur correspondance continua. On en vînt aux
petits cadeaux.
AU MÊME.
Octobre 1652.
Toutes les fois que Votre Altesse Sérénissime m'honore de ses lettres, j'admire eo son
âge si tendre un esprit viril et vraiment chrétien. C'est d'un homme sage et d'un véritable
fils de l'Eglise d'aimer la Ville éternelle et d'estimer ce qui émane d'elle.
J'envoie à V. A. S. les petits présents qu'elle a sollicités de ma pauvreté, à savoir une
parcelle de la vraie croix, des reliques des saints, deux indulgences de Saint Charles
Borromée et autant de cinq autres saints, qu'elle pourra appliquer ou donner à son gré.
Puisse-t-elle dans le don reconnaître l'affection du donateur !
Comme V. A. S. m'a laissé libre de remettre ou de ne pas remettre sa lettre au Souverain
Pontife, j'ai jugé préférable de la retenff. Il vaut mieux lui réserver le Saint-Père pour les
grandes choses alors que nous pouvons la satisfaire dans les moindres. Quant aux indul-
gences de Saint Charles et des cinq autres saints, elle peut en jouir en sécurité. En effet,
bien que le Souverain Pontife n'en accorde plus de cette sorte, il n'a point révoqué les
concessions existantes.
Gâté par ces premières douceurs spirituelles, le petit Duc, qui venait
d entrer en sa dixième année, parut digne de recevoir des faveurs plus
insignes. Sa lettre de nouvel an au T. R. P. Goswin Nickel lui valut
un diplôme de participation aux prières de toute la Compagnie, et des
félicitations pour la dignité dVmperator que, à l'exemple de Condé son
père, il avait conquise dans sa classe.
AU MÊME.
24 janvier 1653.
Je me suis d'autant plus réjoui de la lettre que V. A.S. a daigné m'adresser,que j'ai compris
par cette même lettre (et c'est l'avis unanime) qu'il n'y a rien en vous qui ne soit grand,
I. Spanheim, Helaiions de la Cour de France en lôço, Paris, 1882, in-8**, p. 86.
A TRAV£RS LA FRONDE. 141
excepté votre âge. J'ai vu la marque d'un savoir surprenant dans ce style plein d*élégance
et dans ce titre d^Imperator qui vous a été conféré à bon droit Que V. A. S., en reçoive
mes plus sincères compliments.
Votre piété n'est pas inférieure à votre instruction. Elle vous porte à solliciter une part
dans les mérites et prières de la Compagnie. J'acquiesce à la requête de V. A. S. et elle
recevra en son temps le diplôme de la faveur qui lui est concédée. £n attendant et à partir
de ce jour, elle a le bénéfice de cette communication.
Je joins à la présente lettre la parcelle de la vraie croix qui naguère avait été omise par
oubli, lorsque les autres reliques de corps saints ont été envoyées. Pour finir, je présente
mon respect à V. A. S. et prie le Seigneur de la combler davantage de jour en jour des
vrais biens.
Les félicitations adressées au style épistolaire du jeune Prince sont-
elles exagérées * ? Son rang àUmperator, qui n'avait pu être obtenu qu'au
concours, nous prouve qu'une fois au moins il était arrivé, et par le
mérite, à la têie de sa classe. Mais pour se prononcer sûrement, il serait
nécessaire d avoir ses lettres à Goswin Nickel sous les yeux. La question
est double. A supposer que ces lettres, telles qu'elles parvinrent au
destinataire, fussent écrites avec cette grâce aisée et délicate qui révèle
une main princière, étaient-elles Tœuvre de M. le Duc ou bien lui
avaient-elles été dictées ? Etant donné le peu d écrits qui nous reste de
lui et la difficulté du contrôle, il serait hardi de se prononcer catégori-
quement. J'inclinerais pourtant à croire quil composait à peu près
lui-même ses brouillons, que c'était là son attrait littéraire et son
exercice exclusivement préféré. Henry-Jules de Bourbon n avait pas le
génie vaste et pénétrant de son père, ni même l'ardeur emportée de
l'élève de Pelletier et de Mugnier ; mais, grandi dans ce monde de la
Fronde où les correspondances et les dépêches jouèrent souvent un
rôle supérieur à celui de la parole et de l'action, de bonne heure il aspira
d'instinct à bien tourner une lettre, et travailla sa plufne.
11 existe, à notre connaissance, soit aux Archives de Condé, soit à la
Bibliothèque nationale, pour cette période qui va de 1650 à 1653, six
ou sept lettres originales du duc d'Enghien enfant. La première paraît
être un brouillon sans date sur lequel une main étrangère a écrit plus
tard, et à tort selon nous, la date de 1653.
I. Elles sont assurément fondées, car voici ce que Nickel écrivait en même temps au P. de La
Falluère :
< 20 janvier 1633. — En m'informant de la piété du prince, de son degré d'instruction, de son
profond attachement pour votre personne, Votre Révérence a su embrasser en peu de mots beau-
coup de choses qui m'ont comblé de joie et d'admiration. Tout cela n'a pas été rapporté par vous
à la légère et sans fondement, ainsi qu'en témoigne la lettre dont S. A. S. m'a honoré. On y voit
en effet briller une élégance et une politesse dignes d^éloge dans une âme aussi tendre. Je félicite
W R. à qui est échu à cultiver un sol si illustre et si heureux. J'écris au sérénissime prince avec
quelle satisfaction je le rendrai participant de tous nos biens spirituels. J'admets aussi à leur
communication l'illustre comte d'Auteuil, et je le fais d'autant plus volontiers que dans ma
pauvreté religieuse je n'ai aucun autre moyen de payer de retour ses bonnes dispositions envers
la Compagnie. J'aurai soin de faire expédier en leur temps les diplômes de cette concession.
Cependant il jouira de la participation accordée à partir du présent jour. Je prie V. R. de saluer
humblement le comte d'Auteuil. >
Cette lettre accompagnait sans doute et même contenait la précédente, datée quatre jours
après, et attendit pour être expédiée en même temps.
142 HENRY-JULES DE BOURBON.
Ce fragment de composition peut être, à enjuger par récriture, haute,
irrégulière, incohérente, antérieur même à 1650. Nous le citons textuel-
lement, avec son orthographe presque phonétique et tout à fait enfantine.
Le destinataire est inconnu et ni le nom de Vallot, premier médecin du
roi, ni celui de Ondedei, lagent de Mazarin, ne suffisent à en éclairer les
vagues allusions. Les € niesse 1^ seraient-elles les fameuses nièces du
Cardinal ?
Je suis bien fâché de se qu'il est parti tant de monde. Je vous prie de croire pour se qui
est de la leire que vous disiés que Monsieur Valot m'a voit donnée idit qu'il ne se que cet
Mosieur, vous me pardonnes ci y il a lontems que je vous et escrit; je meurs d'enuie de vous
voir. Maman m'a dit que vous veniés dimanche ou lundi Pourtant je vous et escrit créiant
que vous ne vienderiés pas. £lle me disoit tou les jours que vous veniés ; elle m'auoit dit
aussi que vous enuoiés vos niesse devant vous, mes Ondedei m'a dit qu'il ne venoit point,
qui m'a obligé beaucoup '.
Contemporains de cette pièce, sinon plus anciens, sont deux petits
billets adressés par M. le Duc à Lenet et conservés par lui avec cette
mention : « Premières lettres de Mgr le Duc ». Elles sont sans date ni
adresse et offrent le même type d orthographe et d'écriture.
Voici la première :
Monsieur. Periculum in mora. Je vous prie d'exécuter mes comandemans. Puisqu'il y
va du service du roy, vous le ferés. Je suis asseuray de la fidélité de mon aumosnîer, comme
estant celuy en qui j'ay plus de confiance, come estant à luy à vous faire service.
Henry de Bourbon '.
Adresse :
A Monsieur
Monsieur Lenet.
Le second billet, qui concerne le même obj'et, est encore plus court.
La hauteur des lettres sans tige y est, comme dans le précédent, de dix-
huit millimètres. La disposition des lignes est meilleure.
Monsieur,
Prenés confiance à mon aumosnier, à ce qu'il vous dira de ma part et seurtout n'obliés
ce que m'avés promis et suis
Monsieur
Vostre serviteur
Henry de Bourbon '.
Ces lettres, écrites d'une main molle et traînante, seraient-elles bien de
1. Papiers de Cond/^ série I, t. IV, fol. 327.
2. Manuscrits iie P. Lenet, t. XXVII, Documents divers sans date, fol. 2. Bibî. nat., f. fr.
6729.
3. Ibid,^ fol. 4.
A TRAVERS LA FRONDE. X43
1650? Tout ce qu'il en faudrait conclure, c est que la lettre suivante, du 27
mars de la même année, a été revue et corrigée, mais non considérable-
ment modifiée. Elle est adressée au duc de Bouillon, un des chefs les
plus entreprenants de la Fronde, celui-là même qui, après larrestation
des princes, enleva Madame et son fils de leur retraite mal sûre de
Montrond pour les emmener au château de Turenne et leur frayer une
route, répée à la main, jusqu'à Bordeaux.
(Montrond, 27 Mars 1650)
Monsieur mon Cousin
J'ay appris avec plaisir, que vostre eschange est asseuré et fait ; vous voulés bien que je
m'en conjouisse avec vous comme prenant grande part en tous les iotérestz de mon général,
puisqu'il en a ptis en ceux de nostre maison et qu'il m'a reciieilly en mon particulier
dans ma persécution, ce que je n'oublieray jamais, ny les obligations que j'ay à mes chers
cousins, vos enfans, que j'ay me, et estime de tout mon cœur. Je suis
Monsieur mon cousin
Vostre très humble cousin et serviteur
Le Duc d'ANGUiEN.
Vous me pcrmettrés, Monsieur, que je rende mes devoirs à Madame de Boiiillon '.
En 1652 il commence, par une lettre assez banale, une correspondance
qui sera souvent plus littéraire dans son objet et sa forme, avec un bel-
esprit de la cour de Conti. Le poète Carpentier de Marigny fit d abord
partie du groupe d'écrivains tels que Guilleragues et François Sarasin,
qui étaient les délices de la petite cour de Bordeaux. Brouillé avec Sarasin,
il passa au prince de Condé et revint à Paris (13 juin 1652)'. Le duc
d*Enghien fut obligé par ce lettré, doublé d'un honnête homme et
officieux, qui s empressa de lui rendre service dès son arrivée dans la
capitale. Il lui envoya en retour ce billet :
Monsieur. Je vous remercie du soin que vous avez eu des commissions dont je vous
avois chargé, et de la lettre que vous avés pris la peine de m'escrire. Je vous prie de me
continuer vos bons offices partout, où je scay que vous me les avez desjà rendus, et de vous
assurer que je les reconnoitray tous jours par les marques de mon affection aux occasions
où je pourray vous tesmoigner que je suis
Monsieur
Vostre très affectionné à vous seivir
Henry Louis de Bourbon .
i>e Bordeaux, le 7^ juillet 1652.
W^Tixy-Louis, voilà le nom frondeur substitué au W^xwy-Jules du
1. Lener, loc. cit , fol. 325.
2. Date fournie par Maiigny à Lenet, Paris, 16 juin 1852. Cabinet historique^ t. !, p. 109. On
trouve dans ce recueil une longue cortespondance entre ces deux personnages.
3. y^/V/., série G, t. V\ fol. 299.
144 HENRT-JULES DE BOURBON.
baptême ! Mais le Duc lui-même s'y trompait encore, ou bien il faut
admettre que, suivant ses divers correspondants, il était ou pour la Fronde
ou pour le roi. Un petit billet, d'ailleurs insignifiant, adressé à Lenet,est
signé Henry- y ule \ Dans les lettres officielles, nous lavons déjà vu, ce
n*était ni Louis ni Jules^ mais Enghien. C'est ainsi que la signature
familière est remplacée par le titre ducal dans la dernière lettre datée de
Bordeaux, recommandation adressée à celui des généraux du roi qui
contraindra sous peu de mois la ville à capituler, Gaston de Foix de La
Valette, duc de Candale.
Bordeaux, le 21 mai 1653.
Monsieur,
Vostre civilité est si grande, et la réputation que vous en acquérez si publique, que je ne
doute point que vous n'accordiez obligeamment la courtoisie que je vous demande ; et
d'autant plus encore, que c'est icy la première prière que je vous ay faicte.
Ce sera en faveur de M*^ l'abbé de Gouyon, revenant d'Ausch et désirant s'en retourner
par icy, à Paris, qui appartient à Mons^ le comte d'Auteuil mon gouverneur.
Je vous supplie, Monsieur, de le traicter favorablement dans son passage ; de luy vouloir
accorder tous les passeports nécessaires pour cela, et s'il a même besoin de quelqu'un de
vos gardes, trompettes, ou d'autres assistances de votre part, pour venir plus seurement, de
ne luy pas desnier, pour l'amour de moy, qui ay cette personne en singulière recomman-
dation.
Dans toutes occasions, je vous tesmoigneray, en revanche que je suis avec beaucoup
d*estime,
Monsieur
Vostre très humble serviteur
Le Duc d'ANGUiEN.
A Monsieur
Monsieur le duc de Candalle, Pair de France, colonel de l'infanterie Françoise, gouverneur
pour le Roy, en Bourgogne et Auvergne, et général de ses armées. A Agen*.
Candale pouvait se montrer gracieux et courtois ; il allait être le maître
de Bordeaux. En cet été de 1653, ^^ cause de Condé était perdue. Sa
femme et son fils devaient songer à fuir ou à se rendre. L'infortunée
Princesse fondait en larmes à la pensée de se voir réduite à s'en aller par
mer avec Enghien retrouver son mari hors de France. Cosnac a raconté
cette « lugubre conversation » où Ton arrêta le dernier parti à prendre^
Conti possédait moins d'énergie qu une femme. Il proposa à Madame et
à M. le Duc une évasion nocturne, par les fenêtres de larchevêché
donnant dans les fossés de la ville. De là on gagnerait Tarmée d'Espagne
cantonnée à l'embouchure de la Garonne. Au moment d'agir, il eut la
1. Mss. de Lenet^ t. XXV, n*» 317. Billet sans date, signé : Henry Jule de Bourbon^ d'une main
encore enfantine, et commençant par ces mots : < Je meurs de peur que vous... >
2. Collection Gaignière, lettres originales, t. LX, n" 65. Bibl. nat., f. fr. 20479, fol. 65. A cette
lettre sont annexées des lettres du prince de Conti et du comte d'Auteuil sur le même sujet.
3. Daniel de Cosnac, Mémoires^ t. I", p . 86 et suiv.
A TRAVERS LA FRONDK.
145
migraine et se déroba. Il fallut signer le traité du 24 juillet accordant
premièrement €à Madame la Princesse et à Monsieur le Ducd*£nghien
son fils, à tous leurs domestiques, officiers de troupes, train et équipage >
de gagner par terre ou par mer les Pays- Bas. Le 2 août , la princesse de
Condé montait à Lesparre, accompagnée de son fils, le vaisseau qui les
conduisait vers la terre étrangère '.
I. Histoire des princes de Condé^ par Mgr le duc d'Aumale, t. VI, p. 316.
Le gnuMl Condé.
i'>
■ ^ p- W g- ■)■ .
y V — V^H^
Jiîipître Di):iBme.
^®»i
TROIS ANS A NAMUR.
(1653.1656.) .
Ça Mknnais a écrit : « L'exilé n'est jamais chez soi. » Celtei
mélancolique pensée est bien celle qui se dégage de l'é-^
tude suivie et attentive des six années {1653-1659) que
séjourna dans les Pays-Bas espagnols Henry-Jules de
Bourbon, le fils du grand Condé, lui-même banni. A
Bordeaux déjà, l'enfant avait passé deux ans éloigné de
son père, ce père que, suivant le mot resté historique, Mazarin lui
avait pris et que les magistrats du Parlement avaient promis, les larmes
aux yeux, de lui remplacer ; mais là, en Guyenne, il avait conservé sa
mère. En des temps plus faciles, Claire-Clémence eût peut-être
vécu moins rapprochée de lui. La gêne financière, conséquence forcée
d'une guerre civile trop inégale, en favorisant, surtout au déclin, la
réunion des maisons de M^'= la Princesse et de M. le Duc, avait
été sous ce rapport heureuse pour tous deux. Contraste bizarre.
Maintenant, lui va être matériellement plus près de Condé, et l'on ne
voit pas pourquoi il serait séparé d'elle. C'est désormais pourtant
que la distance morale va s'élargir entre chacun des trois person-
nages. Les journées de rencontre et de vie en famille seront rares sur
celle terre nouvelle, où la communauté de malheur, à défaut d'autre
lien, eût semblé devoir réunir en un même foyer le père, la mère el
l'enfant.
Ce n'est pas que le gouvernement de Sa Majesté catholique, repré-
senté à Bruxelles par les archiducs Léopold puis Don Juan d'Autriche,
n'ait entouré ces descendants de nos rois très chrétiens des marques-
sincères de la plus respectueuse sympathie. S'il refusait, par politique de
timidité et tactique défensive, au plus hardi des hommes de guerre. les
moyens efficaces de pousser une invasion jusqu'à Paris, si même il lui
ménageait l'or des galions d'Espagne, il lui accordait assez libéralement
les honneurs dus à son sang.
(
TROIS ANS A NAMUR. 147
Le départ du vaisseau Y Admirai, faisant voile de Lesparre * vers la
Flandre, n'eut lieu que le 6 août. Ce navire, — la réflexion est de M^^«
Gerbier, la cousine de Lenet, — contenait 4L force femmes et peu
d'hommes. Il n'y a que Tourville, Salnove, du Vouldyet le chevalier de
Rochefort qui accompagneront le petit Prince. Les autres sont
tous allés par terre trouver Monseignr le Prince. > Le manque de
cavaliers n'était pas le seul regret des dames ; les adieux avaient été
précipités : <L l'on n'a jamais veu une séparation si confusse qu'a esté
la nostre ". > Et quelle tristesse pour tous les passagers, pendant les
trois semaines de leur voyage par mer, de contourner lentement, de la
Gironde au Nord, cette belle terre de France, qui désormais n'était plus
la leur !
Le 27 août, ils débarquaient à Dunkerque, alors ville des Pays-Bas.
Toute la bourgeoisie de la cité sortit en armes pour recevoir dignement
Mme la princesse de Condé, M. le duc d'Enghien et leur suite, composée
en partie de deux bataillons d'infanterie espagnole. Au bruit des salves
du canon, ils se rendirent au logis du marquis de Lede, venu quatre ou
cinq jours d'avance préparer la réception ^
Dès le 7 septembre suivant, veille de la Nativité de la T. S. Vierge,
la princesse de Condé donnait aux Dunkerquois un bel exemple de
piété envers la Mère de Dieu : elle voulut elle-même suivre, avec le
duc d'Enghien, la procession de Notre-Dame Auxiliatrice, patronne
de la cité ; elle était accompagnée du gouverneur, le marquis de Lede,
du Magistrat de la ville et de plusieurs membres de la noblesse des
Pays-Bas ^
Quelles étaient les dispositions intimes des habitants de Dunkerque,
il serait malaisé de le découvrir dans les pièces officielles. Après la prise
de la place par Condé (1646V l'occupation française y avait duré six ans
jusqu'à sa reprise par Léopold (1652). Les Dunkerquois pardonnaient-ils
au vainqueur de Rocroi de les avoir rendus quelque temps français,
maintenant que lui-même défendait la couronne de Philippe IV et deman-
dait pour les siens leur hospitalité ? « Flamande de cœur, de race et
1 . Lesparre, petite ville située sur la rive gauche de la Gironde, à 16 kilom. de la mer et à 65
kilom. de Bordeaux.
2. M*"* Gerbier à Lenet, à bord du € Vis- Admirai, > 5 août. Manuscrits de P, Lenet, Lettres
et traités, suite de 1653, Bib. nat., fonds fr. 6716, fol. 67.
3. Relations véritables, 1653, p. 443. — Guillaume Bette, marouis de Lede, baron de Péronne,
etc., d'une ancienne famille flamande, qui prit part aux Croisades. Né, en 1559, de Jean Bette
et de Jeanne de Berghes, le marquis de Lede fut gouverneur de Dunkerque, amiral de la mer,
grand bailli de Gand, etc. ; il mourut à Dunkerque le 23 juin 1638, des blessures qu'il avait
reçues à la défense de celte place attaquée par Turenne. — Voir la Suite du supplément au
Nobiliaire des Pays-Bas et du Comté de Bourfrogne (par de Visiano), /djo /(^/. Matines, 1779,
in-8**,jp. 15.
4. Ce détail nous est fourni parles Litterœ Annuœ Collegii Dunkercani S./., qui s'expriment
ainsi : < In profesto Nativitatis B. V. ejus statua, a quatuor e nostris sacerdotibus delata fuit per
urbis plateas, insigni supplicatione, quam et cohonestavit Serenissima princeps Condaea, cum filio
suc Duce Ënghiensi, qui hue, Burdigala a Gallis capta, appulerant ; sequebatur et urbis gubema-
tor aliaque nobilitas. > Archives générales du Royaume de Belgique, à Bruxelles. Ad annum
1653.
148 HKNRT-JULES DE BOURBON.
d'esprit ', > telle était alors cette population que la bataille des Dunes
livrera de nouveau à Louis XIV et que Louis XIV remettra le même
jour à l'Angleterre (26 juin 1658). Cependant tous les soins furent pro-
digués aux nobles hôtes, qui envoyèrent € incontinent » un exprès,
M. Desloges, au prince de Condé, afin de lui donner avis de leur arri-
vée *.
Dunkerque, dans la pensée de larchiduc Léopold, n'avait jamais dû
être qu'un pied à terre pour les deux exilés. Avant même leur débarque-
ment, le Magistrat de Valenciennes, ville choisie par Condé pour la rési-
dence de la Princesse, avait reçu une lettre du gouverneur des Pays-
Bas prévenant qu'elle resterait quelques jours seulement à Dunkerque,
et ordonnant aux Valenciennois de la recevoir avec le duc d'Enghien,
de les loger et de les défrayer indéfiniment avec leur suite. Recomman-
dation était adressée de leur offrir une réception brillante, de tirer le
canon, bref de i faire toutes les démonstrations, comme si le roi lui-même
y estoît \ » Mais entre Sa Majesté catholique et M°^« de Condé, les
bourgeois de Valenciennes ne virent pas ou ne voulurent point voir de
rapport. Ruinés par la guerre, ils accueillirent mal ces ordres et n'eurent
plus qu'un but : éviter cette nouvelle charge. Un courrier est dépêché
par eux à Dunherque pour Philippe de Lannoy, comte de La Motterie,
afin de le prier de les dispenser de recevoir la princesse française. Elle
coûtait 200 florins (environ deux cent soixante francs) par jour et ils
avaient déjà été épuisés par le passage de tant de troupes ! La Motterie
promet d'en référer à Léopold, actuellement au camp de Rocroi. Mais
que faire, en attendant la réponse, de Madame la Princesse et de son fils ?
Dunkerque n'avait aucun désir de les garder ; Valenciennes leur fermait
ses portes. La Motterie imagina un expédient : les faire voyager. L'odys-
sée du petit Duc va continuer dans les Flandres comme en plein pays
de France au temps de la Fronde.
Vers le 12 septembre, sa mère et lui ont gagné Nieuport et se diri-
gent, qui l'eût cru, sur Bruges.
Soit compassion pour leur infortune, soit inspiration venue du gou-
verneur, Bruges se montra plus hospitalière que les villes précédemment
traversées. Les Relations véritables, gazette des Pays-Bas, racontent cet
accueil vraiment sympathique avec amples détails.
Le marquis Strozzi, intendant militaire, s'était porté en avant, à trois
heures de la ville ; les bourgeois, plus sédentaires, n'avaient pas franchi
les portes et préféraient faire sur place des décharges de mousqueterie.
£t parmi un grand concours de peuple qui remplissoit toutes les fenêtres et les rues de
1. Notes et documents four servir à l^ histoire des institutions ecclésiastiçues de renseigne-
ment secondaire à Dunkerque, à partir du X Vil* siècle, par l'abbé R. Flahaat, Dunkerque^
1894, in- 16, i** fascicule, p. 37.
2. LeneC à Marchin et à Fiesqae, Dunkerque, 10 septembre 1653. Mss^ t* XV, fol. 8r.
3. La Princesse de Condé à Valenciennes (1653- 1654), parle D' A. Lejeal^ p* 711 dans les
Mémoires historiques sur V arrondissement de Valenciennes^ t. I. Valenciennes» 18651 in-8*.
TROIS ANS A NAMUR. 149
■oo passage, attîié pai le désir de voir une si grande Princesse, Elle fut conduite au logis
du marquis où le Magistrat de cette ville et ceux de Flandre en corps lui furent aussitôt
bire leurs compliments. Le lendemain matin Elle fut faire ses dévotions et visiter les saintes
reliques particutiërement celles du Sang de Notre^Seigneur dans la Catédrale, à la porte
de laquelle le Révérend issime Evêque avec son Clergé la receut. L'apibs diné EU' assista
à la comédie qui fut représentée au collège des PP. Jésuites. Et le samedi après diné cette
Princesse aian en tout été traitée à la Royale et avec tous les honneurs et la magnificence
possibles partit pour Gand avec les mêmes cérémonies qu% son entrée aiant encor été
accompagnée jusques à mi-chemin par le marquis Strozzi auquel elle témoigna beaucoup
de satisiâction des devoirs qu'on lui avait rendus sous sa direction et conduite '.
OÙ s'arrêterait cette tournée de voyage ? A voir le Duc et sa mère
DUNKERQUE.
ainsi ballottés de port en port et de canal en canal, n?. dirait-on pas ces
épaves que le flot tour à tour emporte et rejette, reprend et dépose ? En
suivant le littoral de Dunkerque à Bruges pour pénétrer ensuite dans
l'intérieur jusqu'à Gand, ils ne prenaient pas en apparence la voie directe
et rapide vers Bruxelles, résidence du prince de Condé. Mais Bruxelles
n'avait jamais été leur objectif immédiat. Ils descendirent sur Tournai,
laissant à leur gauche la capitale des Pays-Bas, puis, se rapprochant de
la frontière de France, ils entrèrent enfin à Valenciennes.
La réponse de l'archiduc Léopold aux représentations du Magistrat,
transmises par le comte de La Motterie, avait été en effet formelle '. La
I. Relations véritabUt, 16^3, p. 45$.
3. Philippe, comic de Lannoy et de La Motterie, était (ils de Claude de Lannoy, chevalier de
ta Toison d'or, gouverneur de Namur, etc., mort en 1645. Le comte Philippe de Lannoy et de La
Motterie, maître d'h&iel de l'archiduc Léopdd et de don Juan d'Autriche, membre du conseil de
goerreet mesire de camp, fut tué & la bataille des Dunes, en 1658. — V. Annuairt <it la noblesse
de Btlgi9ue,asiaiK 1851, p. 21:.
150
HENRY-JULES DE BOURBON.
ville devrail débourser florins et écus et trouver un logis ; elle emprunta
au baron de Roisin une partie du palais démembré de la Salle-le-
Comte.
Le matin même du i8 septembre, jour de l'arrivée de la Princesse et
de son fils, le Magistrat avait reçu une autre missive émanant du Conseil
privé. On lui mandait au nom de l'Archiduc de faire les frais du souper,
y compris nappes, serviettes et ustensiles nécessaires. Obligés de s'exé-
cuter, les Valenciennois le firent de bonne grâce. Ils offrirent à la Prin-
cesse deux « pièces de toilette, » confectionnées avec ces batistes et
linons dont la réputation subsiste encore sur tous les marchés de la den-
telle.
L'entrée solennelle de Madame et de M. le Duc eut lieu le iS septem-
bre, presque à la nuit tombante. Quatre carrosses traînés par six chevaux
et escortés de quelques cavaliers formaient le cortège. Les Relations
véritables affectent de parler de deux mille bourgeois en armes \ Simon
Leboucq, chroniqueur moins officieux et plus précis, nous montre sept
compagnies bourgeoises allant hors de la ville et cinq autres formant la
haie jusqu'à la Salle le-Comte. Une salve de vingt coups de canon fut
tirée avec les meilleures pièces. 11 y eut ensuite défilé et feux de peloton.
Messieurs du Magistrat sollicitèrent l'honneur d'offrir leurs hommages,
mais la Princesse ne les admit pas en sa présence. Avait-elle été tenue
au courant de leurs manœuvres et de leurs intrigues pour décliner l'avan-
tage onéreux de la recevoir .'* Il est certain que si elle voulait leur témoi-
gner rancune, elle ne pouvait guère agir autrement. Le soir, elle déclare
que. fatiguée par son long voyage, elle est a déjà déshabillée ; » le lende-
main matin, le Magistrat se présente à onze heures et trouve la Princesse
au lit, ce qui ne l'empêcha pas de donner audience et de recevoir, avec
les < pièces de toilettes, > vingt -quatre cannes de vin pour le duc d'En-
ghien et autant pour elle, sans parler d'un chronogramme latin. Cet
usage des chronogrammes est encore aujourd'hui, dans les provinces du
nord de la France et de la Belgique, un accompagnement obligé des vins
d'honneur. Là ne se bornèrent point les frais ; les deux échevins Balthazar
Bulot et Philippe de Rantre furent chargés d'aménager l'hôtel de Roisin,
qui ne brillait point par l'excès du confortable.
La fin de septembre et le commencement d'octobre se passèrent en
promenades et en exercices religieux. Pour le Duc, c'était le temps des
vacances qui se prolongeait. Le 3 octobre, îl fait une excursion à Vicoigne.
Le lendemain, il assiste avec sa mère aux offices, et, cierge en main, il
suit la procession du Saint Sacrement avec le Magistrat. Le dimanche,
c'est la Princesse qui va à son tour honorer de sa présence, comme une
châtelaine flamande, la kermesse ou ducasse de Vicoigne.
Les collèges se rouvraient partout. Subitement les Relations annon-
cèrent pour M. le Duc une rentrée assez étrange. De cet enfant, âgé de
[. /Relations véritab/ts, p. 459.
TROIS ANS A NAMUR. 151
dix ans et quelques mois, la volonté paternelle faisait un gouverneur.
Le 12 octobre, la feuille publique assure que le duc d'Enghien se
dispose à prendre le lendemain le chemin de Rocroi, « où le prince de
Condé l'attend '. » Les Espagnols s'étaient en effet rendus maîtres de
cette place et Lenet, qui la jugeait <L belle et bonne, » s'était félicité de
ce qu'ils l'avaient € donnée de fort bonne grâce à S. A., qui en a gardé le
> gouvernement pour elle, pour éviter les jalousies ^ > Rocroi remis à
Condé par les Espagnols! Dans la ôonne grâce du cadeau de 1653, n'y
avait-il point quelque vengeresse ironie de la perte subie en 1643 ?
Condé en eut-il le sentiment ? Fut-il au contraire heureux de rentrer
en maître là où la gloire l'avait, dix ans passés, consacré capitaine à
l'égal des plus grands ? Cédait-il à l'influence d'un souvenir aimé en
cherchant à créer un lien nouveau entre le nom de Rocroi et celui
d'Enghien? Il est certain que le projet eut des suites. De plus en plus
sérieuses, les Relations véritables du 19 associent des idées d'occupation
durable et de défense militaire à cette nomination d'un enfant, et, grave-
ment, elles apprennent à leurs lecteurs que le 1 5 du mois le duc d'Enghien
a quitté Valenciennes < pour aller à Rocroi prendre possession du gouver-
nement de la place, laquelle est fort bien pourveuë, deux grands convois
de toutes sortes de munitions y ayant été introduits et les fortifications
réparées par le prince de Condé qui y est encore à présent ^. »
Le départ eut lieu à midi. Il ne parait pas avoir beaucoup affecté les
bourgeois de Valenciennes, qui s'en réjouirent plus sincèrement que de
l'arrivée du Duc. Cela allégeait leurs dépenses ; leurs frais étaient assez
considérables en réalité, les maisons de la Princesse et de son fils ne se
montant pas à moins de deux cent cinquante personnes et les chevaux.
Les bourgeois faillirent se féliciter trop vite de leur soulagement. La
Motterie voulut leur faire payer les frais d'escorte du nouveau voyage ;
mais ils en appelèrent au comte de Bucquoy, gouverneur du Hainaut,
qui fit droit à leur réclamation.
La route suivie par Henry- Jules de Bourbon en marche pour son
poste de Rocroi fut celle du pays wallon. Il passa par Mons et Boussu.
Avec lui il emmenait, outre son gouverneur, le comte d'Auteuil, deux
des meilleurs et des plus dévoués serviteurs de son père, l'intendant
Lenet et le comte de Guitaut.
Le bonheur qu'éprouva le duc d'Enghien à revoir M. le Prince fut
très vif Lenet en fut frappé et nous a dépeint en quelques lignes cette
scène touchante d'où la malignité ne fut pas exclue et qui consomma une
disgrâce : « Le prince de Condé, écrit-il, se rendit aussi à Rocroy ; le
Duc son fils en témoigna une joie extrême. Il prodigua à son père toutes
ses gentillesses, tourna spirituellement en ridicule d'Autheuil son
gouverneur ; et le Prince, qui le reconnut comme très peu propre à faire
i. Relations véritables^ 1653, p. 504.
2. Lenet à Condé, Rocroi, 5 octobre 1633. Mss.^ t. XV, fol. 105.
3. Relations véritables^ 1653, p. 516.
152 HENRY-JULES DE BOURBON.
l'éducation des princes, trouva un prétexte de quelques négociations
pour renvoyer en France '. > Ce trait de caractère signalé incidemment
par Lenet dans le duc d'Enghien, mais déjà expressément par Bourdelot,
dès 165 1, est fort à remarquer, car il était en lui héréditaire. C'est de
son père qu'il le tenait. Le génie intuitif du grand Condé ne s'exerçait
pas seulement sur le champ de bataille, où d'un regard rapide et sûr il
saisissait le faible de l'ennemi ; il (se plaisait, dit Desmaizeaux, à
chercher le ridicule des hommes », ce qui constituait d'après Saint-
Evremond son propre ridicule '. Il n'aurait donc pas eu besoin des
plaisanteries de son fils pour reconnaître les travers ou les petits côtés
du digne comte d'Auteuil Mais chez Condé, le constant attachement à
ses domestiques compensait ce discernement trop perspicace de leurs
défauts. Grâce aux négociations confiées par lui au gouverneur disgracié,
le fil qui rattachait encore Auteuil à sa maison ne fut pas rompu et nous
verrons les rapports se renouer.
Pourtant Madame la Princesse aurait eu le droit d'être envieuse de
son fils ; elle restait seule à Valenciennes. La cage était dorée, mais
c'était toujours la cage. Au mois d'octobre elle y avait été rejointe par
Madame de Marchin, qui naguère débarquait avec elle et sera la compagne
de sa vie errante. En novembre on donna de nouvelles fêtes.
La Princesse de Condé, lit-on dans les Relations du 3, est toujours en cette ville où Ton
tient que le Duc d'Anguien la doit bientôt revenir trouver. Cependant la noblesse de par
deçà prend toutes sortes de soins pour la divertir, le Baron de Cernet entr'autres lui aiant
hier au soir fait un festin des plus magnifiques qui fut suivi de la comédie et de bal, de
quoi cette grande Princesse et les Dames de sa suite furent fort satisfaites ^
Le retour de M. le Duc à Valenciennes, dont il parait ici avoir été
sitôt question, n eut pas lieu ; encore moins cette chimère du petit Prince
gouverneur d une place de guerre pouvait-elle se réaliser. A la fin de
décembre (1653), '^ P^re et le fils quittaient Rocroi pour Namur. Condé
dut y arriver la veille de Noël ^ et y prit avec une partie de ses troupes
ses quartiers d'hiver 5. Enghien s y fixa. Madame la Princesse fut seule
à ne point bouger.
Le personnel qui forme la nouvelle maison de M. le Duc semble bien
restreint. M. de Saint-Simon, que nous avons connu secrétaire à
Bordeaux, paraît avoir remplacé le comte d'Auteuil comme gouverneur ;
sont restés avec lui Técuyer La Fontaine et le Père Jean-François de
la Falluère. Encore ce dernier est-il momentanément seul ; il attend pour
1. Lenet, Mémoires^ p. 615.
2. Saint- Evremond^ par Jean Macé. Paris, 1894, in- 16, p. 23.
3: Relations véritables^ 1653, p. 540.
4. Le 20 décembre il est à Rocroi ; le 21 il s'arrête à Marienbourg ; le 22 il écrit à Lenet, de
l'abbaye de Saint-Gérard : < Je serai après demain à Namur. > Msi, de Lenet, t. XVI, f. fr. 67I7,
fol. 117 et suiv.
5. 11 s'y trouvait encore le i*' février. Ibid.^ t. XVII, f. fr. 6718, fol. i.
TROIS ANS A NAMUR. 153
soctus un ]ésuiie de France. Il attendra plus d'un an*. Mais une fois
arrivé, le P. François Bergîer sera inséparable de Monsieur le Duc.
Devenu son ami et le familier de sa maison après avoir été son précepteur,
il méritera d'être surnommé le Berger de Chantilly et mourra dans cette
demeure princière le 2 octobre 1688 *.
Condé avait commencé par pratiquer lui-même et autour de lui cette
suppression des domestiques de luxe qu'il imposait aux siens. Dès le
mois de mai, plus de trois mois avant leur arrivée, il avait incorporé ses
valets de chambre dans ses troupes. Maintenant que le groupe des exilés
s élargissait, il surveillait les dépenses de chacun avec le soin le plus
parcimonieux. Le 30 octobre 1653, il écrit de Rocroi pour autoriser le
paiement de la dépense de sa femme, laquelle pour chacun des deux
mois écoulés ne doit pas « monter plus haut que quatre mil et quelque
deux ou trois cens florins. » Il permet d'acheter un bijou au comte de
La Motterie et de € régaler les officiers de l'archiduc ^ >. Mais il
proteste énergiquement, un jour que sans le prévenir on a donné « de
son argent 3000 patagons » ^ au contrôleur de M"^^ de Condé. < Comme
je n'entends pas de toucher ce qui est ordonné pour ma femme, aussy
vous prie-je de luy dire qu'une autre fois elle ne face rien prendre sur
mon argent. Car cela rompt toutes mes mesures. > Il entend bien
1. Dans le catalogue de la province Flandro- Belge, année 1654-1655, qui fut la seconde de
M. le Duc à Namur, on lit \ P , Joanttes La Falltère, instructor Seren, Ducis A notant, Socius
ejus expectatur e Gallia, L'année suivante, 1655- 1656, les deux Pères sont ainsi mentionnés :
P. Francisais de la Faillière habet socium P, Joannem Bergier, L'un et l'autre portent indifférem-
ment les prénoms Jean ou François. Nous en avons conclu qu'ils s'appelaient Jean-François,
noms souvent réunis et que devait glorifier saint Jean- François Régis, l'apôtre du Velay.
2. La notice biographique du P. François Bergier, donnée par De Backer et Sommervogel,
t J, col. 1329, est un tissu de méprises. On y attribue au familier des Condé un cursus vitœ qui
appartient évidemment à un autre. Il suffit de dire qu'on le fait naître à la Charité (Nièvre) en
/djo, c'est-à-dire quatre ans avant sa nomination de socius (!), et mourir à Orléans le 27 avril
1725. Voici les dates exactes, d'après un Necrolo^ium authentique et d'autres documents extraits
des Archives de la Compagnie de Jésus qui concordent avec les Archives de Chantilly. Le
P. François Bergier était né le 20 décembre 1622, à Issoudun, ville de ce gouvernement du
Bas-Berry qui appartint à Henri II de Bourb:)n, puis à Condé. Il entra au noviciat le 21 janvier
164 1, et après avoir, entre autres fonctions, enseigné les humanités cinq ans, il prononça ses
derniers vœux, le 25 juin 1656, à Namur. Nous traduisons le Nécrolo^e : € Le P. François
Bergier, d'Issoudun, au diocèse de Bourges, mourut à Chantilly, résidence du Sérénissime
prince de Condé, le 2 octobre 1688, âgé de soixante-six ans ; il en avait passé quarante-sept
dans la Compagnie, dont trente-deux depuis sa profession. Peu après avoir achevé son troisième
an de probation, il fut choisi pour diriger les études du Sérénissime prince d'Enghien. Il se
rendit aussitôt auprès de lui en Belgique, et à partir de cette époque jamais le Sérénissime
prince de Condé ne souffrit qu*il fût détaché de sa personne, etc. >
Les rédacteurs de la Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus^ loc, cit.^ se
plaignent de ce que € tous les bibliographes, jusqu'à ce jour, l'ont, à tort, nommé Bergier^ con-
trairement aux catalogues de la province de France > . C'est une preuve de plus qu'ils font eux-
mêmes confusion. Nous avons vu aux Archives de Chantilly de nombreuses lettres du précepteur
du duc d'Enghien ; elles sont toutes signées Bergier, C'est l'orthographe que conservait la
famille, ainsi que le prouve la lettre d'un Père B. Bergier, prieur du Blanc, datée d'Issoudun,
29 mars 1680, et adressée au grand Condé pour le remercier de lui avoir octroyé une charge
d'aumosnier, obtenue par l'intervention de son fr}re (le Jésuite). Papiers de Conié^ série P,
t. fT^ fol. 322. C'est aussi l'orthographe du Nécrologe. Mais on parsut avoir prononcé : Berger.
Papi<rs de Condéy série P, t. 83, fol. 168.
3. M. le Prince à Lenet, Rocroi, 30 octobre 1653. Mss, de Lenel, t. XV, fol. 135.
4. Le patagon était une monnaie flamande, d'argent, et valait 58 sols.
134 HENRY-JULES DE BOURBON.
sauvegarder la séparation. A la fin de la même lettre, ÎI fait observer que
son fils est maintenant à Rocroi auprès de lui ; le train de Madame, '
Valenciennes, doit donc coûter d'autant moins. « Je vous prie de voira
la despence que ma femme peut faire, mon fils estant absent, et
despençant icy pour luy ce qu'il pourroit despencer à Valenciennes, ei
donnés ordre que l'on n'emploie d'argent que ce qu'il fault pour cela '. >
Chaque lettre accuse un procédé semblable. Tantôt il demande des
pierreries de la Princesse, d'une valeur égale à dix mille écus, qu'il fera
estimer à Bruxelles et mettre en gage {13 novembre 1653) ; tantôt il la
prie de congédier son aumônier. C'est tout juste si le médecin, qui devra
partager ses soins entre Madame à Valenciennes et M. le Duc à Namur,
n'est pas jugé, lui aussi, bouche inutile. «Comme le médecin est une
personne fort nécessaire auprès de ma femme et de mon fils, il faudra
luy donner quelque chose sur l'argent de la lettre de change ; pour
l'autre (l'aumosnier), il s'en peut retourner en France, si bon luy semble,
car je ne suis pas en estai de donner de l'argent à mes domestiques '. >
Quatre mois ne s'étaient pas écoulés à Namur que ce n'était plus
seulement à ses domestiques, mais à sa femme et à M. le Duc que le
grand Condé, réduit à la misère, se voyait obligé de tout refuser. Il se
plaint de ce que la lettre de change de 15.000 écus envoyée de France
sur les biens de M"'^ la Princesse est mauvaise, et il demande au comte
de Fiesque de lui en procurer d'autres qui soient bonnes, < sans quoi il
faudra que ma femme ci mon fih meurent de faim, ne pouvant fournir
à leur despense, à laquelle il est déjà dû depuis quatre mois *. > En
d'autres termes, depuis l'arrivée à Namur, rien n'avait encore été soldé.
Le temps, au lieu d'amener une solution, ne faisait qu'aggraver l'état de
choses. On croit presque rêver lorsqu'on lit les détails navrants donnés
par Lenet un mois plus tard. C'est la vente forcée et presque la saisie.
« Tout l'équipage de M. le Prince se vend à Malines, pour payer sa
despence ; sa personne ne trouve plus de crédit pour vivre à Bruxelles.
M. le Duc est à Namur sans nourriture et sans habits. Madame
la Princesse, après le reste de ses bagues, a vendu son carrosse,
ses chevaux et ses habits. Son maistre d'hostel est prisonnier et pas un
seul officier n'a moyen de sortir de l'Hostellerie '. » Le fidèle intendant
n'exagérait rien et la correspondance de M. le Prince avec le comte de
Fiesque ne fait que varier la forme de ces tristes aveux. « Je me vois
réduit à la dernière misère. De quelque costé que je me tourne, je ne
vois que gens qui me demandent de l'argent et à qui j'en doibs de
1. M. le Prince à Lenei, Rocroi, 6 novembre 1653, Ibid., \. XVI, fol 7 et 8.
2. Le même au même, Namur, 31 janvier 1654, — Les lettres des domatiques confirmenl
pteiaeinent cette déclaratioa du Prince. Caillei, rédacteur assidu de toutes les dépêches, confie à
Lecet qu'il en est lui-même * aux emprunts despuis deux ans... Il faut doresnavant que je vive
comme un pauvre clerc de Palais, et non comme le secrétaire du premier Prince du sang, dont
l'employ me vaudroit en autre temps plus de dix mille escus tous les ans. > Calllet à Lenet.
Bruxelles, aç avril 1654. //M, I. XVIll, f. fr. 6719. fol. 109,
\. M. le Prince à Fiesque, Bruxelles, 9 mai 1654.
. Lenet à Saint-AgouIiQ, Unixelles, 14 juin 1654.
TROIS ANS A NAMUR. 155
toutes manières. Ma femme et mon fils n ont pas de pain, et il a fallu
qu'ils ayent vendu leurs chevaux de carrosse pour vivre, après avoir
vendu le peu de vaisselle d argent qui leur restoit, et ma femme a mis
en gage jusques à ses habits '. >
Tel est le bilan, au point de vue matériel, de la première année passée
par Henry-Jules de Bourbon à Namur (1653- 1654). Les suivantes
n'apportèrent aucun changement. Les dépêches de Condé ne sont qu'une
monotone litanie de cris de détresse et d'inutiles appels de fonds. Les
lignes suivantes sont du 28 octobre 1655 : « Je suis dans un tel descry
auprès des marchands qu'ils me considèrent comme un banqueroutier.
Ma femme et mon fils meurent de faim *. > En novembre, il sollicite le
paiement de plusieurs pensions dues à ses gens et gémit qu'on les laisse
< dans la misère où ils sont despuis si longtemps >. Il s'en indigne
comme d'une honte pour ceux qui devraient les secourir et ne les
secourent point. Le cœur brisé, il ajoute : « Ma femme et mon fils sont
aussy dans une nécessité espouvantable, qui est telle que cela vous feroit
pitié. Vous savez ce long temps qu'il y a que je n'ay pas touché un sol
pour leur subsistance ^ > Ce long temps s'éternisait et ces privations
passaient en habitude : «... ma femme et mon fils s'accoustument à vivre
de l'air. Il y a près de dix-huit mois qu'il n'a rien été touché pour leur
subsistance ^ >. Cela devait continuer ainsi jusqu'au bout. Peu avant de
rentrer en France, à l'automne de 1659, le relevé de Lenet accuse six
cent mille florins de dettes, dus en majeure partie aux officiers et aux
fournisseurs des troupes, si bien, ajoutait Condé, « qu'il n'y a pas plus de
100 mil escus ponr mon particulier, compris les maisons de ma femme
et de mon fils, qui n'est pas une debte trop excessive en 7 ans de temps
qu'il y a que je suis icy ^ »
Le pire est que cet affreux dénuement était misère de prince dépossédé.
Condé à Bruxelles ne cédait en rien de l'étiquette et il entendait bien
qu'on traitât son fils sur le même pied que lui. Dans une lettre du 1 7
avril 1654, il se plaint que Fuensaldagna ait été plusieurs jours à Namur
sans visiter M. le Duc ^ Même préoccupation envers Caracena ^ Il avait
raison. Avec ces Espagnols qu», même gueux et mendiants, se drapent
dans leur fierté, il était bon de montrer qu'un prince du sang de France,
fût- il hors de sa patrie, peut souffrir de la faim, mais non déroger à ses
droits.
Si le pauvre petit Duc manquait de ce que l'on appelait alors le vivre,
il avait plus à se louer du couvert, La première année du moins tout alla
1. M. le Prince à Fiesque, 20 juin 1654. Papiers de Condé,
2. Le même au même. Ibid,
3. Le même au même. 23 novembre 1655. Ibid,
4. Le même au même. 30 novembre 1655. Ibid,
5. Mss, de Lenet, t. XXIII, Lettres et traités, 1659, f. fr. 6725, fol. 264.
6. M. le Prince à Lenet, 17 avril 1654.
7. < Mandez moy si M. le Marquis de Caracene ira voir mon fils, ou non. > Le même au même.
Bruxelles, 27 avril 1656. — < Mandez- moi s'il ira voir mon fils ou non, et si c'est purement
Diligence ou quelque autre raison. > Le même au même, 27 janvier 1657.
156 H£NRT.JUL£S DE BOURBON.
bien. LesiègedeNamur était vacant depuis la mort de Tévêque Engelbert
Des Bois (15 juillet 1651). Dans un des bâtiments de son palais, on
installa Enghien et ses gens. Nous aurions voulu retrouver cet asile de
Técolier proscrit ; mais ce n'est pas à Namur qu il faut chercher des
monuments ecclésiastiques d'une antiquité même très relative. La
fondation de son évêché, œuvre, comme plusieurs autres de Belgique,
du zèle catholique de Philippe II, ne remonte qu'à la seconde moitié du
XV I^ siècle (mai 1559). De la première demeure des évêques, il ne reste,
semble-t-il, pas plus trace que de la vieille église dédiée au martyr de
Mayence, saint Aubain, renversée elle-même au XVI 11^ siècle, pour
faire place à une cathédrale telle qu'on la pouvait construire à cette
époque de froide raison. C'est une réduction de Saint- Pierre de Rome,
avec un faux air de Panthéon. Point de palais épiscopal accolé au côté
d oit de l'édifice isolé et comme perdu ; mais, presque en face, un hôtel
de noble apparence et d'une simplicité distinguée, où réside actuellement
le gouverneur provincial. Ce fonctionnaire civil y est plus chez lui que
les évêques du siècle dernier pour qui il fut élevé. Toutefois l'empla-
cement n'avait pas dû beaucoup changer lors de la reconstruction, en
sorte que M. le Duc n'avait qu'un chemin très court et très facile à
parcourir pour se rendre au collège. La rue de cet établissement scolaire
débouche à l'extrémité de la place Saint-Aubain, du même côté que
l'évêché. La distance égale à peu près celle de Jacques-Cœur à Sainte-
Marie de Bourges.
Mais une des lois de l'exil est de n'avoir pas de demeure permanente.
Le successeur de l'évêque Engelbert, Mgr Jean de Wachtendonck,
nommé depuis le 10 novembre 165 1, avait enfin reçu ses bulles le 5
octobre 1654. Sa prise de possession avait lieu le 9 novembre, sans
doute par procureur. Condé, alors au camp de Beaumont, pressentit
que son fils ne pourrait plus occuper le palais épiscopal. Dès le 24
novembre, il écrivait à Lenet :
M. TEvesque de Namur estant prest d'entrer en possession de son évesché, je ne croy
pas que mon fils puisse demeurer plus longtemps dans son logis. Je vous prie de retirer un
ordre de M. le C. de Fuensaldagne pour le gouverneur et pour les Estais de Namur,
pour trouver un autre logis commode pour mon fils, et envoiés-moy cet ordre au plus
tost affin qu'en passant à Namur, à mon retour à Bruxelles, je puisse ajuster cela avec
eux '.
Condé avait raison de recommander à son agent de mener vivement
l'affaire. Une douce lenteur administrative régnait dans les bureaux de
l'Archiduc. M. le Prince arriva à Namur avant qu'aucune réponse l'y eût
prévenu. En revanche, il trouva les chanoines très montés. Il récrivît :
« Je vous prie d'envoyer au plus tost Tordre pour le logement de mon
fils. C'est une chose qui presse, Messieurs du clergé m en ayant encore
I. Condé à Lenet, du camp près de Beaumont, 24 novembre 1654. Mss, de Lenet, t XVI Ii
f. fr. 6719, fol. 221.
TROIS ANS A NAMUR. 157
parlé. Adressez-le à La Fontaine \ > Sur ces entrefaites, 13 décembre,
Mgr de Wachtendonck recevait, dans Téglise métropolitaine de Malines,
la consécration épiscopale, des mains de l'archevêque de Cambrai.
Cependant Tordre de TArchiduc existait. Nous Tavons lu aux Archives
du Royaume de Belgique '.
Madame la Princesse n'avait pas attendu ce dernier incident pour
tâcher de quitter un pays où Thospitalité, même garantie par Son Altesse
impériale l'archiduc Léopold, était au fond si précaire ; depuis longtemps,
elle avait de Valenciennes envoyé une requête au parlement de Paris
à l'effet de jouir de ses biens personnels et de rentrer en France avec
son fils. La requête avait été retournée à Louis XIV, qui n'y fit aucune
réponse favorable ^ Mais au cours de ces négociations, Condé avait
révélé l'affection profonde qui l'eût empêché en aucun cas de se séparer
de son enfant.
Il me semble qu'il ne faut du tout parler de mon filz, car peut-estre lui proposeroit-
on de luy donner passeport pour aller en France, et comme il n'y a aucune substitution
sur mon bien, et qu'il y a seulement cent mil escus à y prendre suivant le testament de
feu Monsieur mon père, fayme mieux manquer à sauver une somme comme celle-là^ que de
risquer la personne de mon filz. Pour ma femme, je trouveray bon qu'elle accepte un
passeport pour aller en France, n'y ayant pomt de péril pour elle ^
Monsieur le Duc continua donc de vivre à Namur. Sa mère quitta
Valenciennes après quinze mois de séjour, le 30 décembre 1654, non
pour venir habiter avec lui, mais pour aller s'installer à Malines. C'était
presque s'ensevelir. Dans cette petite ville toute flamande, en ce milieu
tout ecclésiastique, elle vécut en vraie recluse, séparée à la fois de son
mari toujours à Bruxelles, et de "son fils toujours à Namur, eux du
moins en pays de langue française. Si elle se hasardait à sortir de ces
rues désertes, bordées de couvents et d'églises, ce ne sont pas les
mornes campagnes environnantes, écrasées sous un ciel humide et gris,
qui pouvaient récréer son âme en distrayant ses yeux. Même de nos
jours, alors que Tair circule davantage dans les rues élargies de la cité
épiscopale et que la voie ferrée d'Anvers y jette les échos stridents du
mouvement commercial et industriel, rien ne trouble ni ne réveille cette
oasis du passé, l'oasis du silence et du recueillement solitaire.
Nous n'aurons plus désormais à nous occuper de Madame la Princesse.
La scission entre son existence et celle de son fils est consommée.
Revenons au collège de Monsieur le Duc.
Cet ancien collège, — aujourd'hui l'Athénée royal, — existe encore
1. Condé à Lenet, Namur, 7 décembre 1654. Ibid.^ fol. 229.
2. Archives générales. Papiers de l'audience. Liasse 773. — A la suite de cet ordre, le duc
d'Enghien alla habiter une maison à proximité du collège et dans la même rue.
3. Voir André d'Ormesson, Mémoires^ 24 juin 1654; la Gasette^ 23 mai 1654, p. 503 ; et la
corr^pondance de Lenet, passim,
4. CTondé à Lenet, Namur, 22 janvier 1654. i/jx. de Lenet, t. XVII, f. fr. 6718, fol. 205.
158 HENRT-JULKS DE BOURBON.
dans un assez bon état de conservation. Si Ton veut regarder la magniûque
église paroissiale de Saint- Loup comme n'ayant pas cessé d'en faire
partie, l'ensemble a gardé son cachet monumental Après la blancheur
des habitations neuves de la place, l'œil se repose avec un certain plaisir
sur ces murs jaunes émaillés de sombres volets. Les surfaces sont unies
et les fenêtres banales ; mais la porte cintrée présente sur sa clef de voûte,
sculptée en écusson, le lion doré des comtes de Namur, entre les deux
millésimes 1 6 14 et 16 17, indiquant l'un, la fondation ', l'autre, quelque
restauration. Le porche ouvre sur une cour rectangulaire aux bâtiments
plus voisins, semble-t-il, de la première date que de la seconde Ils
forment équerre à gauche et vis-à-vis. Le bâtiment de côté est le plus
élevé ; celui d en face offre en saillie un pavillon pentagonal, avec niche
en pierre bleue qu'habite une blanche madone. Au-dessous de la
Vierge, patronne des jeux et des travaux de l'enfance, on lit ce chrono-
gramme :
UAR\yE
VlRGim DEIPAR^
CLIBNTES
La place avait été faite à Dieu ample et belle. La chapelle d'autrefois,
devenue église paroissiale et passée du vocable de Saint-Ignace de
Loyola à celui de Saint-Loup, est une splendeur *. D'un style très
contestable, elle a une allure grandiose et originale. Même sous son
revêtement chargé de marbres et de stucs, avec sa parure luxuriante de
chêne feuillage, sous sa voûte prodigue de caissons et de rinceaux, elle
attire l'œil et le fixe. Le regard reste agréablement ébloui dans une
lumière de clair-obscur tombant de ce vélum de pierre grise, strié de raies
blanches et noires. La pureté du goût classique n'est nulle part ;
l'imposante majesté d'une décoration fastueuse met partout un charme
étrange et captivant. C'est l'unité acquise à force de variété. On raconte
qu'un Frère coadjuteur a passé sa vie de religieux tout entière à fouiller
ce banc de communion, à sculpter ces boiseries latérales si luisantes de
vétusté, à tordre et enguirlander, à canneler et anneler les bizarres
colonnettes de ces confessionnaux. Est-ce lui aussi qui a suspendu
au-dessus du large maître-autel le chiffre de la Compagnie, éclatant de
dorure sur une tenture marmoréenne aux lueurs violacées ^.
Les retables des bas-côtés sont de proportion plus réduite et de forme
plus légère. L'un, placé autrefois sous l'invocation de sainte Adèle, parait
aujourd'hui consacré à la Sainte Vierge.
1. D'après De Backer et Sommervogel, t. V, col. 1557, la date première de la fondation du
collège est 1610.
2. D'après M. le chanoine Ch. Wilme», cette église, commencée en 1 621, fut consacrée le
A ???V^'*^* ^*'"^°^^® ^P^'^s l'Ascension, par Mgr Des Bois, qui la dédia en Thonneur du mystère
de 1 Adoration des Mages, sous l'invocation de Saint-Ignace, dont la statue couronnait le
maitre-autel. Fragjneni (Pune histoire ecclésiastique de Namur. Episcopat des évêques Dauvin
et Des Bois, dans Us Annales de la Société archéologique de Namur ^ t. IX, p. 11.
TROIS ANS A NAMUR. 159
Quand je lexaminai par une journée d'été, ce n'était déjà plus le mois
de Marie, et pourtant la dévotion populaire en avait fleuri les degrés et
les marches. Je finis par apercevoir, perdue sous un dôme de plantes,
comme un solitaire dans sa thébaïde, une statuette de saint Antoine de
Padoue ; le saint faisait tort à la Reine du Ciel.
Le retable opposé est dédié à saint Joseph. Un écusson sévère le
domine et met sur la haute muraille le triple quintefeuille d'or, à fond
de gueules, entouré du collier de la toison d'or, qui est Arenberg. Cette
maison princière, illustre entre les plus illustres, et alors à l'apogée de la
fortune et des honneurs, était presque en possession du gouvernement
de Namur '. Nous verrons bientôt qu'un cousin du gouverneur fut
camarade de M. le Duc au collège et le retrouvera plus tard sur un
autre terrain.
Au pied de cet autel le duc d'Enghien a dû répandre ses prières
d'exilé. La date 1649, inscrite dans un cartouche, surmonte la niche à
coquille où se penche la statue.
Les Arenberg, dont les armes se remarquent encore parmi les sculptures
de la chaire à la cathédrale, n'avaient pas été les seuls bienfaiteurs de la
superbe église. Au milieu, à droite et à gauche du même autel, se
détachent les blasons des Huet et des Rupplémont, rappelant le souvenir
du dernier héritier de ces deux nobles familles, qui devint Jésuite et fut
un insigne bienfaiteur du collège de Namur \
Le Conseil provincial lui-même avait contribué de ses largesses à la
construction de l'édifice. Sur la façade aux massives colonnes et aux
lourdes volutes, entre les statues de saint François de Borgia et de saint
François Xavier, un chronogramme latin redit les sentiments de la cité,
fière encore de nos jours d'avoir restauré en 1867 ce qu'avaient bâti ses
aïeux :
NAUWRCl
D^CVS AC GLORIA
RESWRGO
A l'ombre de la vaste église, se pressait dans ses quartiers, beaucoup
plus modestes, une jeunesse écolière composée de quatre à cinq cents
élèves, tous externes \ Ils appartenaient à la bourgeoisie, peut-être
1 . Pendant le XYII** siècle, après la mort de Charles, comie d'Egmont (1620), fils de la célèbre
victime du duc d'Albe, — à qui le roi d'Espagne avait rendu tous les biens et honneurs de son
père, ainsi qu'au fils aîné du Taciturne,le prince d^dange, oncle du grand Condé, — nous voyons
trois membres de la famille d' Arenberg parmi les gouverneurs de la province de Namur :
Philippe, comte d'Arenberg, duc d'Aerschot, de 1626 à 1640 ; Philippe d'Arenberg, prince de
Chimay, de 1649 a 1654 ; Octave-Ignace d'Arenberg, prince de Barbançon, de 1675 ^ '692.
2. Le P. Jean de Huet, né à Namur, en 1604, était fils unique de Pierre de Huet et d'Anne de
Rupplémont. Il fut reçu de la Compagnie de Jésus, en 1623, par le P. Provincial Florent de
Montmorency. Après avoir été prédicateur dans plusieurs collèges de la province de Gallo-
Belgique, il mourut, à Namur, le 16 décembre 1682, en la 79" année de son âge et la 6o* de son
entrée en religion. — < M"** de Rupplémont, dit le chanoine Wilmer, fit (1649) les frais d'un
autel en marbre qui porte ses armoiries avec son nom et celui de son mari. > Op, cit.^ p. 12.
3. Album- colUgii Namurcensis, Mss. de la Bibliothèque de Namur.
160 HENRY-JULKS DK BOURBON.
même au petit peuple de la ville et du pays wallon. Leurs noms, en
partie venus jusqu'à nous, sonnent bien français. J'ai relevé Dubois et
Godard, tous deux de Namur ; Moussebois et Lardinois, Blondeau et
La Barbe, Pinchart et Deschamps, Noël et Preud'homme. Sur les
longues listes de lauréats ne figurent que quatre ou cinq enfants de
familles nobles : un de Thier et un d'Yve; deux frères sans doute : Adrien-
Charles et Egide-Alexis de Glymes, dont la famille, issue des ducs de
Brabant, possédait et possède encore le beau château de la Falise ; enfin
Octave-Ignaced'Arenberg, de la branche de Barbançon'. Les principes
d'égalité dans l'éducation, si chers à la fois et aux Condé et aux
Jésuites, trouvaient ici leur application la plus parfaite. Perdu au milieu
delà foule des hobereaux et des roturiers, Henry-Jules de Bourbon ne
semble avoir été l'objet d'aucune distinction, ni même d'aucune attention
spéciale de la part de ses maîtres. Les Lettres annuelles gardent le plus
complet silence sur le petit prince étranger. Les deux Pères qui s'occupent
de lui sont Français, et à peine les désigne-t-on dans les catalogues.
M. le Duc n'eut d'autres mentions que celles dues à son propre mérite :
invariablement son nom paraîtra au Palmarès pendant ses trois ans de
séjour.
A son arrivée à Namur, en décembre 1653, il entra en troisième, ou,
comme on disait dans la province Gallo-Belge, en classe de syntaxe '.
Les syntaxiani, au nombre de quatre-vingt-dix-sept, formaient à eux
seuls plus de la cinquième partie du collège, preuve que plusieurs
écoliers ne continuaient pas au-delà leurs études et se contentaient des
classes de grammaire sans prétendre à la littérature. Ce n'était pas l'esprit
du Ratio studiorum, qui visait à former des chrétiens d'abord et ensuite
des humanistes ; mais les parents d'humble condition pouvaient craindre
de déclasser leurs enfants en les poussant plus loin.
Dans cette classe de près de cent élèves, l'émulation avait beau jeu et
M. le Duc était peu préparé à soutenir si rude concurrence. A rouler
par le monde, de la Garonne à la Meuse, il n'avait guère pu amasser que
des notions disparates de géographie. Or, c'était de latin qu'il s'agissait.
Le brave enfant ne bouda point la lutte ; il eut le courage de s'y mettre
de tout cœur et il tint lui-même son père au courant de ses alternatives
de succès et de revers. Cette correspondance est rédigée en français.
Est-ce un signe de décadence des études ? Nous nous souvenons que
Condé, élève de Bourges, avait toujours écrit en latin à son père. Serait-ce
lui-même qui avait délivré son fils de cette obligation } Bourdelot, à
Montrond, avait proposé de faire faire au duc d'Enghien des lettres
I. Octave- Ignace d'Arenberg était le fils aîné d'Albert de Ligne d'Arenberg, prince deBarbançon,
né en 1640 ; il fut tué à la bataille de Neerwinden, le 29 juillet 1693. V. Annuaire de la noblesse
de Belgique^ année 185 1, p. 269.
2. La province Gallo- Belge de la Compagnie de Jésus comprenait alors lescollègesde Cambra*,
de Douai, de Saint-Omer, d'Aire, de Valenciennes, de Lille, d'Arras, de Maubeuge, de Béthune,
de Cateau-Cambrésis, villes qui appartiennent aujourd'hui à la France ; les collèges de Tournai,
de Liège, de Mons, de Namur, de Dinant, de Huy, de Nivelle?, d'Ath et de Marche, qui font
partie du royaume de Belgique ; le collège de Luxembourg, capitale du Grand- Duché indépendant.
TROIS ANS A I4AUUR. 161
latines ; or, nous ne voyons nulle part que ce projet ait été agréé par
M. le Prince, et encore moins qu'il ait reçu un commencement d'exécution.
Monsieur,
Ayant composé pour les places, je n'ay pas voulu Tnanquer de me donner l'honneur de
vous escrire et de vous envoyer mon thesnie. Je vous prie de croire. Monsieur, que j'y ay
apporté loutie ta peyne que j'ay peu, tant pour vous satisfaire, que pour tascher d'avoir
UDC meilleure place dans la classe, que je n'ay eu jusques a présent ; je ne suis iKiurtjnt
moDté que de trois places, a cause d'un mot que j'ay luis, et que vous verres, ftlontitur.
NAMUR, — CoLLtôE tr ÉCUSE L>ES PERtS U£ LA COMFAUME DE JtbUS,
AU TEMPS DU PRINCE DE CONDÉ
(D'»près une gravure de l'ouvrage < I^s D/lices du pays de LiigetI du comli de Namur, 1748- »
quand vous prendrés la peine de lire mon thesme ; mais je ra'efforceray de faire encore
nieui i l'avenir, et de vous tesmotgner toutte ma vie, que je suis, avec tout le respect que
dois,
Monsieur,
VoBtrc très humble et trfes obéissant fils et serviteur
Henry Louis de BointBOH.
De NamuT, le dousiesme
mars 1654.
Adrttse ; Monsieur,
Monsieur le Prince
à Bruxelles ',
I'm. le Duc à M. le Prince, Namur, 11 mars 1654. Jtfw.dc LcQet.l. ti^W. Ulirti d trailH,
if. fr. 67 '8. fol. 96.
I meuKi
^DeNat
162 HENRY-JULES DE BOUHBON.
La pièce justificative ou plutôt, hélasîla pièce à conviction était jointe.
Français et latin, le devoir se retrouve tout entier dans les riches recueils
de Lenet ' : le français écrit de la main de Saint-Simon ; le latin, de Is
main encore molle et timide de M. le Duc, mais déjà plus ferme et plu;
élancée qu'au temps de Bordeaux.
Lots que je pense en moy mesme attentivement aux grandes misères, desquelles le
Chiestieus jtar toutte l'Europe se sentent affligez, et qu'ensemble je vois les Ennemis <Il
nom de Dieu mener une vie paisible, et après plusieurs victoires s'adonner à toutte sorti
de délices, je ne trouve autre raison de cette diversité, que la trop grande desbauche àes
Chrestiens, et leur vie abandonnée aux vices, desquels !ef plus barbares mesmes ont honeur.
Il n'y a homme tant soît peu lettré, qui ne sçache que de tout temps les péchés ont renrerîé
les Roystumes, lesquels avoient esté establis par la vertu. Ne lisons-nous pas que l'Empire
des Romains perdit beaucoup de sa puissance, aussy tost que les débauches et crimes
commencèrent à s'augmenter ? La mesme nuit que le Roy Baliazar faisoit bonne chère avec
les grands de son Royaume, l'Ennemy gagna par force la ville, saccagea les Bourgeois ;
s'estant de mesme furie fait maistre du palais, surprit les conviez, au milieu d'une salle, tel
fit passer par le fil de l'espée, donnèrent le coup de mort au Roy, et lui ayant passé sur le
ventre, le vid s'estouffer dans son propre sang, mais comme il n'y a rien plus inconstant
que la fortune, n'y plus oublieux de sa fragilité que l'homme, ces victorieux virent
tomber en décadence les Royaumes, à mesure qu'ils se jettèrent plus librement dans toutte
sorte de vices.
Cum calamitates, quibus Christîani in tota Europa afRciuntur, mecum attente repuio ac
Jésus nominis hostes [ranquilkm agere vltam ac post muUas vîclorias omnibus seM
voluplalibus peimittere video, nuUam hujusce diversîlaiis (prxter nimias Christianorum
libidines et vîtam vitio deditam, a qua ipsi Baibari hotrenl) causam esse arbitror. Homines
utcunque litteris tincti Régna virtute aidilîcata vittis eversa fuisse sciunt. Nonne Romani
imperii potentîam, statim atque libidines vitiaque propagata sunt, multum concidisse
legimus ? Eadem nocte, qua Rex Balthazar Regni magnâtes laute exciperet, hoslis vi urbem
expugnavît, trucidavit cives ; et cum eodem impetu Palatium sibi comparasse!, nec opinantei
invitatos média in aula occupavii, ferro cœcidit, interfecit regem et eura pedibus concul-
catum proiirio sanguine suffocari vidil. Sed sicut fortuna nihil magis inconstantius sit et
nihil fragUitatem magis quam homo oblivJscatur, victores îlli Régna in deteriorem Matum
prolabl viderunt, cum libentius omnibus vitiis vacaverunt.
Henricus LuDovifus BosBONius, lertianus, pro loco ".
Quelle est la faute qui avait empêché M. le Duc de gagner plus de
trois places ? Il n'y a que l'embarras du choix pour la désigner. Est-ce le
barbarisme yesiis, au génitif, pour yesu, imputable à une évidente
distraction ; est-ce le barbarisme plus grave ctTcidil pour cecidit ? ou
bien les solécismes ont-îîs été les vrais coupables ? Faut-il en accuser
l'emploi du subjonctif après sicut au lieu de l'indicatif, ou encore le
lù nous avons puisé la plupart des documents qui suivent a formé oa
inséré dans le lome XV'l des .t/ji. de Lenet. Bibl. nat.,f. fr. 671a. L«
. , Lcrvée (fol. 9;), porte ce titre au recto . Ltllres AriUs à S. A. S,
MonseÏRntur le Prime Louis 3" par S. A, âi. Monseigneur le prince henry julle,aute des T)iimet\
de S. A. S. gui étudiait d IVamur. Au verso du même feuillet, le titre est ainsi abrégé : Lettrii
de S. A. S. AfoHsei^neur le Prime htnryjulU du temps guil Ûudioit à Nan... (sic).
2. /iid., fol gitt 9g.
TROIS ANS A NAMUR. 163
pléonasme magis inconstantius ? Seul son régent de syntaxe aurait pu
nous éclaîrcir ce problème scolaire ; mais nous n'avons aucune lettre du
Père Christophe Mauch, encore moins une copie corrigée \
Ce fut le gouverneur de Henry-Jules qui écrivit à son père. M. de
Saint-Simon fit part à Condé, en ces termes satisfaits, de son appréciation
sur le thème et aussi de la force de Técolier en allemand, cette langue
vivante que depuis Montrond Henry-Jules menait de front avec la langue
morte des Romains. L'enfant l'apprendra si bien que jamais il ne
l'oubliera. En 1690, Spanheim constatait qu'il le parlait et récrivait
encore bien *.
Monseigneur,
J'eniroye à V. A. le thesme que Monseigneur le Duc a composé pour les places, et dont
il m'a fait l'honneur de me charger, pour le luy faire tenir. Je crois que V. A. n'aura pas
désagréable, que je luy dise en mesme temps, que nous continuons nostre allemand avec
assés de fhiict, et que les progrés que Monseigneur le Duc faict en cette langue, suivent
d'assés près ceux qu'il fait en la latine. Pour sa lettre, Monseigneur, comme je sçay que
l'intention de V. A. est qu'il luy escrive de son pur style, sans que personne y mesle rien
du sien, je puis asseurer V. A. qu'il l'a faite de sa teste, et sans assistance aucune.
Je suis.
Monseigneur,
de V. A.
De Namur le 1 3^ mars Très humble, très obéissant
1654. et très fidèle serviteur.
Adresse : A. S. A. St-Simon '. ^
L'année scolaire s'écoula paisible ; elle fut close, faut-il dire par une
tristesse ou par une joie ? L'archiduc Léopold avait mis le siège devant
Arras occupé par les Français depuis 1640. Dans les rangs de l'armée
d'investissement, Condé commandait ses troupes contre celles de son
pays. Il eût seul dirigé l'attaque, la ville eût été prise; mais Fuensaldagna
et le duc de Lorraine paralysaient son génie impétueux par leur inertie
et leur méchant vouloir. Turenne eut le temps d'arriver au secours de la
place, et, dans la nuit du 25 août, il surprit les lignes des assiégeants.
Au milieu de la déroute générale, un seul homme avait assuré la retraite,
c'était M. le Prince. Dix heures durant, on l'avait vu à cheval arrêter
les fuyards, rallier les escadrons rompus, inspirer l'archiduc et tenir tête
à Turenne. Le siège fut abandonné ; le canon et les bagages restèrent
dans les ouvrages. Mais sans Condé tout était perdu ; avec lui beaucoup
reçu dans la Compagnie de Jésus, le 27 avril 1638 ; il mourut à Luxembourg, le 21 décembre 1685.
2. Relation de la cour de France^ loc, cil,
3. Saint-Simon à M. le Prince, Namur, 13 mars 1654. Mss, de Lenet, t. XVII, foL io8.
164
H£NRT-JULKS DE BOURBON.
fut sauvé. Était-ce une gloire pure d'avoir ainsi atténué le désastre des
soldats de l'Espagne ? Assurément non, mais c'était un haut fait militaire
et son fils l'en félicita.
Monsieur,
Lorsque j'appris que les ennemis avoient forcé les lignes devant Ans, je fus longtemps
sans sçavoir où vous estiés, cela me donna bien de l'inquiétude, et la plus grande appié-
hension du monde pour votre personne ; mais, Monsieur, j'ay esté tout à fait consola quand
j'ay sceu que vous vous estiés retiré en fort bon ordre, et que vous avîés sauvé toutte
l'armée. Vous avés acquis une si grande gloire, que tout le monde admire cette action,
comme une des plus belles que vous ayés jamais faittes, et vous pouvés penser, Monsieur,
si ayant l'honneur de vous estre ce que je suis, je n'y ai pas pris toutte la part que je devois,
et si je n'ay pas eu une joye extrême d'estre asseuré que vous vous portiés bien, et que
vous n'aviés point esté blessé, ayant couru tant de dangers dans le combat Je prie Dieu de
vous conserver de mesme à l'avenir.
Je me donne l'honneur, Monsieur, de vous envoyer le dernier thesme que j'ay composé
pour les places. Je l'eusse envoyé plus tost, si je n'eusse craint de vous destoumer de vos
austres occupations, qui estoient plus importantes, que celle de lire un thesme. J'espère,
Monsieur, que vous ne le trouvères pas mal faict et que vous me ferés la grâce de me
croire, avec tout le respect que je dois. Monsieur,
De Namur le premier de
septembre, 1654.
Adresse :
A Monsieur
Monsieur le Prince,
à Valenciennes.
Votre très humble et très obéissant
fils, et serviteur
Henry-Louis de Bourbon '.
Curieuse coïncidence : le thème joint à cette lettre si filiale roulait sur
des choses de guerre, mais de guerre contre les Turcs. C'est une leçon
de prudence dans le succès, comme naguère le thème du mois de mars
était une exhortation à réforme de vie pour attirer les bénédictions
célestes sur les Ëtats chrétiens. Le professeur de troisième tirait morale
de tout et sa morale se présentait sous le couvert de pages excellentes.
Le français qu'il dictait à ses élèves sur les rives de Sambre-et- Meuse,
en 1653, vaut bien celui de la rue Saint-Jacques et des bords de la
Seine à la même époque.
Il arrive souvent que plusieurs qui sont courageux en tous accidens, ont manquement
de conseil et de prudence, pour fiiyr les dangers, par lesquelz ils peuvent subitement estre
accablés. Aussy tost qu'ilz ont le moindre bon succès de leurs affaires, il leur semble qu'ils
sont au-dessus de la fortune, et rejettant la conduitte de la raison, se vont jetter dans un
abysme de misères, d'où ils ne se peuvent jamais dégager ; cette témérité d'un chef d'armée
a mis en combustion le Royaume d'Hongrie, car Marius ayant entendu que les Turcs
s'estoient jettes avec une puissante armée dans le Royaume, ramassa touttes les troupes
qu'il avoit pour lors, et alla au-devant de l'ennemy ; le chef des Turcs ayant remarqué le
I. Mss, de Lenet, ibid,^ fol. 106.
TROIS ANS A NAIdUR. 165
pen de gens des ooslre?, mit le gios de l'armée au pied d'une montagne voisine ; aux autres
U commanda d'attirer les Hongrois au combat. Aussy tost on vint aux mains et le combat
Veschaufla de part et d'aulre. Le chef des Chres'.iens estant alli! au-devant de i'Ennemy
teste baissée, n'apperceul pas les embusches, jusqu'à ce qu'il se vtd entourer des iroiippes
ennemies. La bataille néanmoins fut quelques heures disputée de pirt et d'autre, jusqu'à ce
que le Chef ayant receu plusieurs playes mortelles, et tombant de son cheval, mourut.
Non raro atque insolite, multi omnibus in casibus animosi, consilîo atque prudentia
deficiunt, quibus ad evîtandi pericula encitentur, qu:E subito illos obruere possunt- Ut
primum n^otia vel minime e sxntentia succedunt, domitam omnino fortunam existimant,
eipulsaque ratione, laniœ miseriarum multitudini se exponunt, ut eîs se expUcare non
possint. Illius Ducis temeiitate Ungariœ
Regnum ad summas miserias redactum
est Cum enim Turcas eu m masimo
eaercitn Regnum petiisse Marius acce-
pissetiOmnes lune temporis copias collegit,
et hosti obviant ivit. Turcarum Imperaior,
paucis noslris millitibus obserratis, exer-
dtus turmas in montis viciai radice
manere, alios ad pugnam Hungronim
animos accendere jussic. Statim cominus
el generuse ulrobique pugnatum est.
Chrislianorum dux, demîsso capite, in
hostes impetum fecit, et paratas ab eo
intidias non prius agnovit quam se ab
hosti u m militibus circumdatum vidisset.
Per aliquot horas enceps fuit Victoria,
donec IJux, acceptis aliquibus gravissimîs
vulneiîbus, ex equo lapsus, diem ultimum
obiret*.
Nous n'infligerons pas h. nos
lecteurs la correction de ce
deuxième thème, à peine émaillé
de quelques lapsus calami {sœn-
tentia, enceps) qu'il vaut mieux
considérer comme des variantes
d'orthographe, et de fautes de mode (vidisset, ohiret), qui sont affaire de
nuances.
Neuf jours après {lo septembre 1654) avait lieu la distribution des
prix. L'administration du collège ne s'y montrait point libérale '.
L'étonnante restriction apportée à ces récompenses semble même difficile
à concilier avec le texte du Ratio. Depuis longtemps, un peu partout,
I. Lenet, ibid., fol. 104 et 10;.
1. C'est la commune de Namur qui faisait les frais des livres à donner en prix aux élèves des
Jésuites cl dont la somme iiioniaii d'ordinaire à 48 florins. Kn l'année |6;6, par exception,
ell« dépensera de ce chef 60 florins , il cau«e du prix h. donner au duc d'Énghîen. Voici ce
que nous lisons, Rc),'>ilre II des Rl\oiuUons rfi* Magitlrat de Namur (164S à i63l), fol. 58 :
< Le 4 août ( 1656) ont estes accordez 60 û. pour les pris des escoUiers des jétuisies, sans le
> tint ï conséquence pour avoir esté conté pour ung extraordinaire à U sortie dti duc
> d'Engien. >
de la calcographie du Louvre)
166 HENHY-JUt-ES OH BOURBON.
l'on est arrivé à les mulliplier. A cette époque, en France du moins,
sans en être encore prodigue comme aujourd'hui, on donnait, en classe
de rhétorique, des prix de catéchisme, discours latin, vers latins, vers
grecs et version latine. Mêmes prix en seconde, moins ceux de vers
grecs ; on comptait, en troisième, un prix de catéchisme, deux de thème
latin, de vers latins, de thème grec et de version latine. Cependant ces
limites n'étaient pas imposées aux maîtres d'une manière absolue. Les
rédacteurs du Ratio, ce code pratique des collèges de la Compagnie,
déclarent parmi leurs instructions que dans chaque classe < on pourra
augmenter ou diminuer le nombre des prix, suivant le plus ou moins
grand nombre d'élèves, en s'attachant toujours avant tout à la prose
latine 'J. Contrairement au principe universel Favores sunt am/ù'antit,
les Namurois avaient usé de la latitude laissée aux divers établissements
pour retrancher et non pour ajouter. Le plus singulier est que leur
suppression portait sur le latin. Enfin, ils avaient unifié leur système de
prix : au lieu d'en varier les matières et d'en proportionner le nombre,
ainsi que cela se faisait ailleurs, ils distribuaient uniformément dans
toutes les classes, de la cinquième à la rhétorique, dix prix d'excellence,
un prix de grec et un de catéchisme. Ces anomalies générales sont
curieuses à signaler. Le cas particulier de M. le Duc est plus
intéressant encore, parce que ses thèmes authentiques nous étant
connus, nous pouvons juger, d'après son classement de fin d'année, de
la force moyenne d'une classe de troisième à Namur, en l'an de grâce
1653-1654.
Or, Henry-Jules de Bourbon obtint à la promotion (ainsi appelait-on
la distribution) le septième prix d'excellence sur les quatre-vingt-dix-sept
élèves de synta.xe. Ne sommes-nous pas en droit d'en conclure que la
valeur des études classiques n'y dépassait pas le niveau que nous avons
connu en France il y a quelque vingt ans, si toutefois il l'atteignait?
Peut-être scraît-il supérieur à celui qui s'est établi depuis la révolution
accomplie par les derniers programmes universitaires. Il y a là un
document pour l'histoire de la pédagogie.
Point de distribution de prix sans représentation dramatique. Sous ce
rapport le Ratio était fidèlement observé. Le duc d'Enghien ne paraît
pas avoir figuré comme acteur. Voici du moins le titre de la pièce qui
fut jouée à cette occasion. Le but était de fêter le nouveau gouverneur
de Namur, Claude de la Baume, comte de Saint-Amour, successeur du
prince de Chimay, Philippe d'Arenberg. Le comte descendait d'une
vieille race bourguignonne. Un des deux professeurs de rhétorique, le
Père Marc Dussart, parvint à concilier Namur et Bourgogne dans une
sorte de revue historique \x\\\.M\ke.: Philippe le Bon, roi de Bourgogne, et
les dix-sept comtes de Naviur de la maison de Bourgogne. Le sujet était:
1. Voir Un Collige de jésuites aux XVIl' et XYIIP iihles. U Cûlli^e Henri IV de la Fliikt,
. IV, p. 197 et suiv,
TROIS ANS A NAMUR.
167
fertile en allusions et le public, satisfait de tant d'ingéniosité, applaudit
à outrance '.
En octobre 1654, M. le Duc entrait en seconde. Son professeur de
syntaxe, le P. Christophe Mauch, n'était pas monté avec lui ; son nouveau
régent fut maitre Philippe Bettendorff, un Luxembourgeois. Le nombre
des élèves n'atteignait plus que cinquante et un.
Ce fut pour Henry- Jules Tannée dotfloureuse du déménagement.
Nous avons raconté plus haut comment, vers la fin de décembre, il dut
quitter Tévéché et aller chercher un autre gîte. Il y avait gagné la visite
de son père qui, afin de le réinstaller, était venu le voir à Namur.
Le 3 janvier 1655, Enghien envoya à M. le Prince cette lettre de
remerciements ; elle parait répondre à de toutes fraîches recommandations
de fermement s'appliquer.
Monsieur,
Si je ne me suis pas encore donné l'honneur de vous rendre mes devoirs depuis que vous
estes party d'icy, c'est que j'ay creu, que vous ne sériés pas fasché^ Monsieur, que je la
différasse jusqu'à ce que j'eusse composé pour les Places, affin de vous envoyer avec ma
lettre mon thesme, lequel j'espère que vous ne trouvères pas mauvais, puisqu'il m'a faict
monter de quatre places. Je vous supplie, Monsieur, d'avoir la bonté de le recevoir pour
vos estreines, n'ayant rien autre chose à vous présenter à cette nouvelle année, que je vous
souhaitte la plus heureuse du monde, si ce n'est mes très humbles respects, et la passion
avec laquelle je seray toutte ma vie,
Monsieur,
Vostre très humble et très obéissant
fils et serviteur,
HenryLouis de Bourbon.
De Namur le 3* janvier 1655
Adresse :
A Monsieur,
Monsieur le Prince,
à Bruxelles ^
Le régime des thèmes continuait donc jusqu'en humanité. Les élèves
sont invités par la nature du sujet à imiter la langue familière de Cicéron
et à se jouer parmi les élégances. Mais oîi le P. Bettendorff avait-il
pris cette lettre bizarre d une mère à son fils, épltre d'une grande
dame à un futur grand seigneur, et quelle singulière idée, en dépit de
maints sages avis, de dépeindre, en plein hiver, à ces écoliers de la
1. < Philippus Bonus, dux Burçundta, et septemdecim Namur censés comités, ex Burgundia
domo. In scenam dédit P. Marcus Dussart. Drama dicatum Excellentissimo Comiti de Saint-
Amand (sic), novo gubernatori, Burgundo, summa omnium approbatione et plausu. > Album
collegii Namurcensis,
2. M. le Duc à M. le Prince. Mss, de Lenet, ibid,, fol. 100. L'ordre des pièces est
souvent interverti dans le recueil relié de la Bibliothèque nationale.
168 HENRT-JULKS DS BOURBON.
pauvre province de Namur, l'existence d'un jeune gentilhomme en
vacances ?
J'ay receu grand contentement quand j'ay entendu que ta commenceois à te refiiiie ;
mais voyant que des garçons de ton aage tombent souvent en grandes maladies, pour estie
trop adonnés au manger et au boire, je désire que tu sois dorénavant fort abstinent, et qu'en
ce qui touche la viande, tu suives tousjours l'opinion du Docteur médecin. Je fus venu
moy-mesme aujourd'huy si quelques affaires d'importance ne m'eussent point retenu, et
contraint de différer mon voyage en un autre jour. Au reste je te verray, s'il plaist à Dicn,
bientost. En attendant prens garde^ s'il te manque quelque diœe, affin que nous te le puisr
sions fournir ; si le logis où tu demeures n'est pas propre, nous t'en louerons on autre, qui
soit plus propre et commode ; si ces vacances tu désires de venir avec nous, £ais-le-mc^
entendre par ce messager, afin que )'ameine le carosse ; choisis quelques compagnons, mais
vertueux, et nommément Théobald, un garçon de noble race, et fils de nos plus grans amis.
Lorsqu'il fera beau, vous pourrés aller à la chasse, piquer les chevaux, et vous récréer
parmy les champs, et, lorsqu'il ne fera point beau, vous tirerés au logis des espées, dansc^
jouerés à la paume et aux eschecs, et autres jeux bienséans à ceux de vostre condition,
outre que j'auray beaucoup de chantres au logis, qui vous recréent par leurs chants. Voy
combien je t'ayme. Sçache que je fais tout cecy pour ce que tu es adonné à la vertu, que
tu estudies diligemment et que tu es obéissant à tes parens ; ce que je ne ferois point, si ta
estois un fripon, comme plusieurs autres, qui font plus grande dépense que leurs commo-
ditez le portent. Adieu, ayme Dieu, et u mère, comme tu as faict.
Ce que M. le Duc traduisit ainsi :
EPISTOLA MATRIS AD FILIUM
Summam percepi voluptatem, cum te pristinae restitutum valetudini renunciatum est.
Sed, cum adolescentes, tuâ aetate natos, in graves morbos incidere videam, quia nimium in
edendi voracitatem incumbunt, cupio ut imposterum abstinens sis. Quod ad cibos pertinet,
medici dictis obtempéra. Hodie ipsa venissem, nisi quibusdam magni momenti negotiis
distenta, iter in alium diem differre coacta fuissem. Caeterum, si Deo videtur, te brevi
conveniam. Interea vide ob aliquid tibi desit, ut illud suppeditare possim. Si tua domus
idonea non est, aliam magis opportunam atque aptam tibi conducam. Si, istis vacationibus,
in nostras sedes venire eu pis, illo tabellario mihi indica, ut tibi currum adducam. Aliquem
socium, sed virtute piseditum et nominatim Theobaldum ex nobili stirpe ortum, intimo-
rumque nostrorum filium elige. Cum cœlum apertum erit, venari, equum calcaribus agitare
et in campis oblectari poteritis ; et, cum tempus iniquum erit, domi rudibus certabitis,
saltabitis ad numéros, pila palmaria, latrunculis et aliis spéctaculis conditioni consentaneis
ludetis. Adde quod, rnihi multi futuri sunt cantores qui te cantu recréent. Vide quanto te
prosequar amore. Haec a me fieri intelligas, quoniam virtuti es deditus, diligenter studes et
cognatis obtempéras ; qiise non facerem, si nequam esses, sicut alii multi, qui in majores
sumptus abeunt quam in eorum commodo fieri potest. Vale. Deum et tuam matrem sicut
aliâs dilige.
Henricus Ludovicus Borbonius'.
Les deux dernières lignes sont si hâtivement écrites que M. le Duc
avait manqué sans doute de temps pour se relire. Autrement il eût
i,Mss, de Lenet, t'âid.y fol. 102 et 103.
TROIS ANS A NAMUR. 169
eflacé plus haut ob pour an, ce qui est un germanisme, etc. La circons-
tance la plus atténuante de celle étourderïe et des autres, c'est que
leur auteur, bien quV-!ève de seconde, n'avait encore que douze ans
et demi. Je sais bien qu'aujourd'hui l'on serait heureux de trouver
des apprentis bacheliers s'exprimant en latin à quinze ou seize ans
comme il le faisait à douze. Mais dès l'âge de dix ans, quelles char-
mantes lettres latines son père n'avait-il pas écrites au collège de
Bourges ! Quelle correction supérieure et quel sens plus exact de la
tournure antique I
L'entrée du Révérendissime évêque dans la ville après avoir contraint
Henry-Jules à changer de logis, valut aux élèves du collège une pièce
" théâtre avant la fin des cours. Le 20 mai 1655 le P. Montctius (Montet)
Profil de la Ville et de l,\ Citadelle de Namdr,
(Dessine par le P. Le Pmltc en 169?, sur l'ordre de Louis XIV.)
fit représenter ce drame allégorique : Jean-Bapti&ie au l'Idéal du bon
prélat, tragédie dédiée au RR""* Seigneur yean de Wachtendonck. La
vieille illustration des barons aïeux du prélat avait inspiré des chœurs
remarquables '.
L'année se termina, comme la précédente, par un prix d'excellence
pour M. le Duc ; mais il avait reculé d'un rang et n'obtint que le
huitième.
Son entrée en rhétorique eut lieu en octobre suivant. Il avait profité
des vacances pour lier de nouveau partie avec le poète Marigny, son
correspondant pendant la Fronde. Leurs relations iront en se res-
1. P. Monteeius inscenam dédit ; /i>itnnfi-fiafilisti>m,i(Jfaml>onifiiasuli!,\ta<g^\Am dkatam
Pcrillikstrissimn oc RR"'" Xy'Jo-tHHÎ de Wacbtendontk episcopo Namurcensi, solemni ptinium
' m civitatem ingresïa ; chaii insignes fuere super ejus insigni gentiiJcio. Al6um colUjfii
170 HENRYJULES DE BOURBON.
serrant durant plusieurs années. La première lettre est encore céré-
monieuse.
J'ay esté bien aise d'apprendre de vos nouvelles par la lettre que vous m'avés escritte,
que j'ay trouvée tout affaict obligeante, par les tesmoignages que vous me donnés de vostre
amitié : et dont je vous remerciede tout mon cœur; j'ay tousjours bien cru que vous m'aymiés,
mais ce que vous me mandés, me le persuade entièrement. Je vous prie de continuer, et
de croire, que je vous estime trop pour ne vous en tesmoigner pas ma reconnoissance, et
pour ne vous pas donner des marques de mon affection, en touttes les occasions qui s'en
présenteront ; la joye avec laquelle je les embrasseray toujours, vous fera paroistre, que je
suis véritablement vostre.
Henry-Louis de Bourbon'.
De Namur, le 13* septembre 1655,
Adresse : Pour Monsieur
DE Marigny.
Marigny, depuis Bordeaux et Paris, avait été employé par M. le Prince
« au métier de voyageur > *. Bientôt il sera en Italie, d'où il enverra la
chronique la plus amusante sur les équipées du cardinal de Retz ;
maintenant il est en Angleterre, auprès de Cromwell, dont Barrière
sollicite l'alliance avec Condé. Tout cela, pour M. le Duc, se réduisait à
l'envoi d'un cheval de sang, moins difficile à acheter que le concours du
Protecteur.
Vous ne pou vies pas me faire une plus aggréable nouvelle, que celle que vous m'avés
mandée, et que j'ay reçue avec bien de la joye. Je vous prie de faire bien mes amitiés à M.
des Barrières, et de luy dire, que je luy suis bien fort obligé du dessein qu'il a, de m'envoyer
un cheval anglois. Je vous le sera y aussi beaucoup, du soin que vous prendrés de le faire
passer, je le trouveray sans doute bien joly, et fort propre à mon humeur, s'il est tel que
vous me le dépeignés, et si vous l'amenés vous-mesme vous aurés le plaisir de me voir courir
dessus. Cependant asseurés-vous, q':e je vous ayme tousiours beaucoup et que >e suis
véritablement à vous.
Henry-Louis de Bourbon '.
De Namur, le 7 octobre 1655.
Adresse : Pour Monsieur
DE Marigny,
à Londres.
Avant sans doute que le beau cheval eût passé le détroit, M, le Duc
avait été repris par la vie du collège, d'allure plus pacifique. Cette année
scolaire (1655-56) devait être pour lui la dernière à Namur. Pour
professeur, il eut le Père Jean Bonfrerius ou Bonfrère \ Ses camarades,
1. Papiers de Condé^ série O, t. I*', fol. 303.
2. Histoire des princes de Condé^ par Mgr le duc d'Aumale, t. VI, p. 375.
3. Papiers de Condé, série O, t. 1% fol. 305. Cette lettre a été déjà publiée, t. VI, p. 671,1^/.
4. Le P . Jean Bonfrère était neveu du célèbre théologien et commentateur de la Bible, le P,
Jacques Bonfrère. Il naquit à Dînant, en 1603, et mourut à Tournai, le 16 février 1681, dans la
78* année de son âge et la 54" de sa vie religieuse.
TROIS ANS A NAMUB. 171
de plus en plus réduits à mesure que la classe montait, ne dépassaient
pas avec lui le chiffre de cinquante-deux élèves. M. le Duc chercha-t-îl
à émonder sa latinité ? Ses rêves d'équitation brillante et la part très
sincère et très vivement sentie qu'il prit de plus en plus aux événements
de la guerre, durent plus d'une fois diviser son esprit et nuire à cetle
unité de tension intellectuelle que réclament les bonnes études. Il était
au courant même des projets d'intrigue. Un moment M. le Prince espéra,
dans l'automne de 1655, opposer aux conquêtes de Turenne l'occupation
de Péronne et de Ham. Il comptait sur la trahison du maréchal
d'Hocquincourt, qui, au lieu de livrer les places, s'arrangea avec Mazarin.
Henry-Jules ignorait le dénouement et avec une candeur charmante il
écrivait à Lenet :
Vous ne pouviés pas me taire un plus grand plaisir que de m'envoyer la confirmation de
la bonne nouvelle de Péronne. Je vous en remercie de tout mon cœur, et vous prie de me
mander bien tost la prise du Cardinal Masarin, Je suis au désespoir de n'estre pas assés
grand, et de n'avoir pas assés de forces pour assister Monsieur mon Père à le pousser ;
mais je m'en fie bien à luy, il ne s'y espargnera point, je m'assure. Croyés^ je vous prie, qu'en
mon particulier, je ne m'espargneray pas non plus, quand je vous pourray tesmoîgner que
je suis tout à vous.
Pour Henry-Louis de Bourbon,
Adresse : Monsieur à Namur, 19 novembre 1655 '.
Lenet.
M. le Duc ne pouvait souhaiter plus naïvement premièrement le bien
de son père et deuxièmement le mal de son parrain, ce Giulio Mazzarini
dont il avait renié le nom.
La campagne de Tété suivant (1656) justifia mieux les espérances de
Henry-Jules et sa foi dans le bon génie de son père. Condé prit, sous
les murs de Valenciennes que Turenne assiégaît, sa revanche de la
défaite devant Arras deux années plus tôt (1654). Don Juan d'Autriche
venait de succéder à Léopold et Caracena remplaçait Fuensaldagna. Les
Espagnols enfoncèrent, dans la nuit du 16 juillet, les lignes françaises ;
le maréchal de La Ferté tomba entre les mains de Condé ; canons et
équipages restèrent dans le camp. M. Le Prince, profitant de la victoire,
s'empare, malgré une forte résistance, de la ville de Condé ( 1 7 août) et
impose au défenseur de la place, M. du Passage, < une promenade dans
le Luxembourg *. » Le petit Duc tenait bientôt de la bouche du vaincu
lui-même le récit des succès remportés par les alliés. Il écrit à son
correspondant fidèle :
Si je ne vous ay pas encore remercié des bonnes nouvelles que vous m'avés mandé, je
ne laisse pas de vous en estre bien obligé et vous le seray encore si vous continués. J'ay
leu avec beaucoup de joye ce que vous m'avés escrit de la capitulation de Condé, que j'ay
trouvé assés avantageuse pour nous, et j'en ay vu passer la garnison par icy.
1. Mss. de Lenet, t. XIX, 1655-1656, f. fr. 6720, fol. ']'].
2. Histoire des princes de Condé. par Mgr le duc d'Aumale, t. VI, p. 449.
172 H£NRT^ULES DE BOURBON.
M*^ du Passage m'est venu voir avec d'autres officiers. Je souhaitterob fort que nous
eussions souvent de pareils avantages, et j'espère qu'avant la fin de la campagne j'auray la
satisfaction d'en apprendre encore quelques-uns. Dieu veuille conserver tousjours Monsieur
mon père, pour lequel je n'auray pas peu d'appréhension, jusqu'à ce que j'aye l'honneur de le
revoir : à Dieu, je suis tout à vous.
Henry-Louis de Bourboh,
de Namurle 29aoast 1656 '.
Adresse : A Monsieur,
Monsieur Lenet '.
Je crains que ces grands bonheurs du dehors n'aient gâté à M. le Duc
ses joies intérieures d'enfant et ses plaisirs purs de rhétoricien. Plus de
lettres à son père avec thème latin ; mais un petit billet, français et badin,
à Lenet, avec noms de convention en allemand. Lenet est Der freund
(l'ami) et Henry-Jules Der furst i^t. prince). Est-ce le cheval anglais
qui venait d'arriver }
Derfreind, Vous m'avés envoyé le plus beau présent du monde^ et que j'ay le plus
admiré. Je vous en suis très obligé et vous en remercie de tout mon cœur, et croyés que
quand vous ne l'auriez pas faict, il n'y auroit pourtant aucun yfr^/ au monde qui eust esté
plus à vous que moy. Si je pouvois le tesmoigner en quelque chose, asseurés-vous que je le
ferois de très bonne volonté, je vous embrasse de tout mon cœur.
Der First '.
Le collège offrait aussi ses distractions et ses présents. Cette année
de rhétorique (1655-56) fut ouverte et close par une représentation
théâtrale. A la rentrée d'octobre 1655, vers la Saint- Remî, la classe joua
une tragédie de son professeur, le P. Bonfrère, sur le Meurtre des fils de
Clodomir. A la fin de Tannée scolaire (1656), les élèves de seconde
parurent à leur tour ; Taudace de Tallégorie que leur régent le P. Ignace
de Rahîer * mit en scène aurait pu blesser les amis de M. le Duc et
lui tout le premier ; la Guerre et tous les autres maux conséquence du
péché K
Mais cette distribution de prix du 6 septembre 1656 était belle pour
1 . Mss. de Lenet, iât'd,, fol. 137. Cette lettre a été publiée dans ses Mémoires^ 3* partie, liv.
IV, mais avec une date et des leçons fautives.
2. Une lettre de félicitations, singulière de style et vibrante d'enthousiasme, est celle de l'évéque
de Namur, Jean de Wachtendonck, au grand Condé, de Namur le 18 de juillet 1656. (Archives
générales du Royaume de Belgique. Papiers de l'Audience. Liasse 785.} Nous l'avons reproduite
dans les Précis historiques^ novembre 1894, p. 514.
3. Mss. de Lenet, ibid,
4. Le P . Ignace de Rahier appartenait à une noble famille du pays de Stavelot ; il était fils de
Gilles, seigneur de Rahier, et de Marguerite de Fraipont ; il naquit à Stavelot le 15 janvier 1631,
et fut reçu dans la Compagnie de Jésus par le P. provincial Gilles de Namur d'Elzée au mois de
septembre 1650; après avoir été longtemps professeur et prédicateur dans les collèges de la
province Gallo-Belge, il mourut saintement à Mons le 18 décembre 1693.
5. Drama Remigiale (i655)edidit P. Joannes Bonfrère : Clodoaldum^ tragediam, seu Saint-
Cloud^ cum duobus fratribus Theobaldo et Gontario caesis a patruis Clotario et Childeberto,
regibus Gallise. — Drama (6 sept.) edidit : Peccatum belli et miseriarum omnium causam
M . Ignatius de Rahier. Album collegii Namurcensis.
TROIS ANS A NAMUR. 173
Enghien. II fut proclamé bon sixième en excellence et le Palmarès
enregistra son nom avec une pompe inusitée ; il énuméra ses titres, celui
de son livre et jusqu'au distique latin, adieu flatteur de ses maîtres. On
souhaitait simplement au fils du grand Condé de surpasser son père,
comme lui avait surpassé ses aïeux. En tête du volume in-folio choisi
par une main délicate et intitulé De Gestis Francortim, œuvre de
rhumaniste Paulus ^milius, la même main avait écrit :
Stirps Borbofiia^ Dux, fairice sis œmula laudisy
Ulque hic vicit avûs, tu quoque vince patrem \
C'était une variante du Tu Manellus eris, le moins réalisé, dans le
cours ordinaire des choses humaines, de tous ces oracles inspirés par la
poésie.
Parmi ceux qui furent à bon droit fiers de féliciter M. le Duc, se
trouvait son petit page, un cadet de Gascogne, Fabien- Henri Salanove *,
qui remporta le neuvième prix d excellence en cinquième (rudimenta).
Cela ne rappelle-t-il pas, de très loin, Conti et Molière élevés ensemble
au collège de Clermont ?
Les études littéraires de M. le Duc étaient couronnées. Elles
s'étaient poursuivies pendant trois ans à Namur avec une honnête
médiocrité.
Etrange ironie des événements ! Trente-six ans après, lors du fameux
siège de Namur par Louis XIV (1692), au pied de cette orgueilleuse
citadelle qui dresse au confluent de la Sambre et de la Meuse ses « rocs
sourcilleux :^ chantés par Boileau, devant cet éperon de collines boisées
aux pentes rayées de murs gris et pittoresquement entrelacées, où M. le
Duc dirigea plus d'une fois sans doute ses chevauchées d'écolier, en face
de ces fortifications historiques longtemps regardées comme immortelles
et qui demain, m'a-t-on assuré, vont être rasées pour faire place à un
vulgaire jardin anglais, le 25 mai 1692, leducd'Enghien, devenu depuis
1686 prince de Condé, investira la place avec six à sept mille chevaux
1. Ordo promotionis publiée pronuntiatus, praemia distribuente P. Aloysio Montano, munifi-
centia amplissimi Magistratus, 6 sept. 1656. In rhetorica ;
I'** — Guiglîelmus Badot, Namurcensis.
T>^/^ ffo/.«*«o^,»* / Guiglielmus Dupont, Namurcensis.
ProII^ccrtarunt | Martinus Godstfiaven, ex Hougardc
III"* — Henricus Beaucourt, Namurcensis.
IV" — Martinus de Thier, ex Gève.
V"* — Lambertus Meuret, Bredanus.
SEQUEBANTUR :
Serenissimus princeps Henricus Ludovicus Borbonius, etc .
(Album ColUgii Namurcensis )
2. Ibià,
174
HRNRT-JULES DE BOURBON.
«ntre le ruisseau de Wederin et la Basse- Meuse. Elle sera défendue par
son ancien camarade de collège, Octave- Ignace d'Arenberg, prince de
Barbançon, gouverneur de la ville et province de Namur \
M. le Duc n'avait pas dit adieu, mais au revoir.
I. Voir les Histoires du siège de Namur et aussi l'étude d'Eug. Del Marmoi : Lés Anciens
gouverneurs de Namur dans les Anna/es de la Société Archéologique de Namur ^ t. X, p. 317 à
352.
ïjïipitrE On5ièmE.
8 EST probablement le 27 octobre 1656 que le duc d'Enghien
1 quittait Namur et partait pour le collège d'Anvers, son
quatrième collège '. Des trois premiers, la fatalité du
malheur, ou de l'exil, l'avait renvoyé au milieu de ses
: études ; ici du moins il comptait bien les achever ; mais
t ce ne fut pas sans difficulté, comme nous allons le voir.
La mauvaise chance avait voulu qu'à Namur il n'y eût point de chaire
de philo&ophie Les classes s'y terminaient pour tous avec la rhétorique.
Ce n'est pas que l'établissement fût inférieur à aucun autre tenu par le
clergé régulier ; mais il se trouvait dans les conditions communes
imposées alors aux collèges. Le fait peut paraître étrange k nos yeux,
habitués que nous sommes aujourd'hui, en France et en Belgique, à
jouir de la pleine liberté de l'enseigaernent secondaire, y compris les
cours de philosophie. Il n'en était pas de même au XVII^ siècle dans les
Pays-Bas espagnols.
On sait qu'au moyen âge la création des universités se faisait de
commun accord par tes souverains pontifes et par les princes temporels.
L'Eglise et l'Etat octroyaient à ces grandes institutions les droits et les
privilèges généralement en usage à cette époque. Lors de la fondation
de l'université de Louvain en 1426 par le pape Martin V et par le duc
de Brabant Jean IV', il avait été stipulé que, pour y attirer de nombreux
I. La Compagnie de Jéaus avait depuis 1612, dans les Pays-Bas, deux provinces de l'Ordre :
la flamande et la wallonne. Cette division avait été faite d'après les langues usitées paimi les
populations. Le collège d'Anvers appartenait à la province à\ieJîandrihMffe, et celui de Namur,
que venaient de quitter le duc d'Enghien et ses précepteurs, relevait de la £iillo-belge. Les
catalogues mentionnent ce cbangement de domicile ; — f 1656-1657, P. Falliète (hV) et Berger
iverunt in Flandro- Belgicam cum duce Anguiano ; — 27 octobris 1656, venerunt. > Archives
générales de la Compagnie.
X Voir, sur la ion dai ion de l'université de Louvain, ses statuts et ses privilèges, Mgr Namèche,
Cours abrégé ^histoire nationalt, L II, p. 311. — Voir aussi Vernulœus, Acaltmia Lovanitnsis,
tiKtKatoa,Anaiecles peur servir à Phiiloire ecclésiastique de la Belgigut,\. XIII et XIV.
176 HKNRT-JULES DE BOURBON.
élèves, la Faculté des arts de cette université aurait le monopole de
renseignement philosophique, lequel ne pourrait être donné par les
écoles d'humanités dans toute l'étendue des territoires du duché de
Brabant '. Ce privilège avait été depuis confirmé par les successeurs de
Jean IV, entre autres par les archiducs Albert et Isabelle en 1617, et
plus récemment en 1639 par le roi d'Espagne Philippe IV. L'université
de Louvain, on le comprend, tenait beaucoup à ce privilège et n'entendait
pas laisser entamer le monopole dont elle jouissait. Cette interdiction de
l'enseignement philosophique en dehors des Pédagogies qui relevaient de
la célèbre université ne comportait qu'une seule exception. Les seuls
cours de philosophie auxquels elle ne faisait pas obstacle étaient ceux que
les Ordres religieux avaient le droit de donner à leurs propres étudiants,
parmi lesquels ils ne pouvaient admettre aucun écolier du dehors ou
externe, soit laïc, soit ecclésiastique, sous peine d'une amende de
cinquante florins de Brabant, subie ipso fado, chaque fois, par chacun des
délinquants, maîtres ou élèves.
Or, les Jésuites flamands avaient précisément établi dans leur collège
d'Anvers depuis plusieurs années un cours de philosophie, accessible
exclusivement aux jeunes religieux de la Compagnie de Jésus, cours
fermé, qui complétait les classes d'humanités ouvertes à tous indistinc-
tement. Une classe de philosophie y existant ainsi de fait, la question
pour le duc d'Enghien était d'en obtenir ou d'en forcer l'entrée, comme
élève laïc et externe. Le cas de ce petit Prince, étranger et proscrit, fils
unique d'un illustre défenseur des Pays-Bas, était tellement exceptionnel,
qu'une dérogation en sa faveur au privilège universellement reconiui de
\Alma Mater n'offusquerait sans doute pas les autorités académiques de
Louvain.
Condé qui, dans sa jeunesse, avait parlé en maître aux Facultés réunies
de l'université de Bourges, prévit bien une certaine opposition de la part
de l'université de Louvain ; mais il passa outre, sur des assurances
verbales que lui donnait la cour de Bruxelles. Il ne voulut pas solliciter
de dispense formelle pour son fils, ni du pape, ni du roi d'Espagne, ni
même du gouverneur des Pays-Bas, Don Juan d'Autriche. Il s'adressa
directement à la Compagnie de Jésus, qui crut ne pouvoir rien refuser à
ses instances. Les Pères jésuites avaient lieu de supposer que l'université
ne prendrait pas la chose en mal. Tout en se rappelant qu'en semblable
occurrence l'université avait agi autrefois contre leur collège de Louvain
et fait valoir ses prérogatives, les Pères se retranchaient derrière leur
désir sincère de ne point porter atteinte aux privilèges académiques, et,
en cas d'aventure, derrière la volonté toute-puissante pour eux de
I. Jean IV n'avait d'autorité que dans les duchés de Brabant et de Limbourg ; aussi, plus tard,
il fut question d'ériger une faculté de philosophie dans la principauté ecclésiastique de Liège ;
mais ce projet n'eut pas de suites. En 1570, le roi Philippe II créa Tuniversité de Douai et
permit aux jésuites d'y installer des cours de philosophie fondés par les abbés d'Ânchin et de
Marchiennes.
PHtLOSOPHIK A ANVERS. iTT
M. le Prince qui, élevé par les Jésuites, tenait extrêmement à donner la
même éducation à son fils. S'ils espéraient, à couvert de cette protection,
éviter toute difïiculté avec l'université brabançonne, ils se trompaient,
et ce fut Condé lui-même qui les jeta plus avant dans la voie des
emharras.
Souhaitant pour son 61s Henry-Jules les avantages de l'émulation, il
pria le Père provincial de la Flandre- Belge, le P. Thomas Dekens ', de
- ASCIEH COLLkCE DES JESUITES D'ASVRRS. '
(D'après un plan en relief de la ville, 1635.)
lui donner quelques condisciples de son âge. A peine cette nouvelle se
fut-elle répandue, que les demandes d'admission auprès du provincial ne
manquèrent pas de se produire. Dekens admit donc au cours de
philosophie de M. le Duc les deux délia Faille, fils du président du
I. Le P. Thomas Dekens ^tait fils de Henri et de Comélie Comelissen.'n^i^ocianis en denrées
coloniales i Anvers ', entré dans la Compagnie de Jésus en i6:!.i i l'âge de 17 ans, il fut ordonné
prêtre en 1641 et bientâl après, pendant plus de 30 ans jusqu'i sa mort arrivée le 14 mai 167;
«1 collège d'Anvers, nous le voyons charèé des plus importantes fonctions ; il fut supérieur de
Ift Maison professe d'Anvers, instructeur de la 3* Probaiion à Lierre, deux fois recteur du ca!l^£e
d'Anrers et à deux reprises provincial de la Flandro-Belge.
I4 (nod ConiU. ii
178 HENHT-JUL^S DE BOURBON.
Conseil de Flandre ', un noble Frison, des enfants d'avocats et de
marchands ; en outre trois écoliers pauvres, ainsi que deux élèves inscrits
les derniers, en tout dix-sept auditeurs externes, Henry-Jules faisait le
dix-huitième. Pourquoi ce chiffre de i8. futur objet de vives et longues
contestations ? C'est que les scolastiques jésuites étaient dix-huil
eux-mêmes. Et l'on trouva que c'était un ingénieux moyen d'émulation
que d'opposer en nombre égal le costume des écoliers laïques à la soutane
des sujets de la Compagnie : dix-huit contre dix-huit. Cette idée plut
fort à Condé. Lui qui avait jadis bataillé avec les jeunes Jésuites de
Sainte-Marie de Bourges, loin de regarder d'un mauvais œil la présence
de son fils au milieu des étudiants religieux, répondit à la lettre du
provincial qu'il était charmé de la combinaison. Quant à M. le Duc,
renchérissant encore sur les plans d'émulation et de son père et du
provincial, lorsqu'il apprit le nombre relativement restreint de ses
camarades, il parut quelque peu étonné et s'informa si vraiment ils ne
seraient pas davantage '.
Le jeune duc d'Enghien eut pour premier recteur, pendant son cours
de philosophie au collège d'Anvers, le P. André Losson * ; ses professeurs
de logique furent le P. Ignace Diertins ' et le P, Ignace Maillot'; les
Pères Maximilien Le Dent * ei François du Bois ' lui enseigneront la
métaphysique; le célèbre Père André Tacquet lui donnera des leçons
spéciales de physique et de mathématiques*.
t. Ces deux jeunes gens étaient fils de Jean. Baptiste délia Faille, seigneur à!Asseiuée,
conseiller et depuis 1650 président du conseil de Flandre, et petils-lils de Pierre délia Faille^
dont la femme, Marie délia Faille, de 'n branche de Leverghem, était la propre tante du cëlibie
mathémaiicieo jésuite le P. Jean-Charles délia Faille, précepteur de Don Juan d'Autriche. —
Voir V Annuaire de la noblesse en Belgique, an». 1S5S, pp. 1 16 et 124 ; et la notice sur le P. del!a
Faille par le P. V;inderspeelen, dans les Précis historiques, année 1874.
2. < Serenissimum Piincipem ad kcc litterls suis respoitdisse id sibi perquam gratum fore.
Imo ipsum Ducem Angiensem, coin iniellexisset numerum condiscipulorum, rogasse cum aliqua
admiratione an non casent pluies. } Atta Universitatis Levanierisii à 1' Januatii 165; ad
ultimam decembris 1660.
3. Les Pères Antoine et André Losson étaient les seuls fils d'un ticbe inarchand anversois i
devenus Jésuites, ils consacrèrent la majeure partie de leur fortune à l'édllication de deux tielles
églises de leur Ordre : celle de Malines, aujourd'hui église paroissiale de Saim-Pierre, et celle
de Bruges, aujourd'hui église paroissiale de Sainte- Walburge. André Losson était lecteur
d'Anvers depuis le 24 octobre 1654, et en même temps préfet des éludes supérieures ; il eut pour
successeur le P. Vander Mecrsch, nomn:ié le 20 mars 1658,
4. Le P. Joseph-lgnace Dieitins, né à Bruxelles le 27 avril i6î6 et entré dans l'Ordre le 18
septembre 1&42, fut deux fois provinrial de la Flandro- Belge, el visiteur de Pologne ; il
mourut à Rome, assistant d'Allemagne, le 4 novembre 1700. On lui doit d'excellents commentaires
sur les Exercices spirituels de saint Ignace. — Voir la Bibliûthique des PP. De Backer et
Sommcrvogel, 3' édil., t. III, col. s 3-
5. Sur Ignace Maillot, né à Malines le i; mai 1623, mort à Anvers le 16 Juillet 1675,
voir De Backer et Sommervo^el, l. V, col. 343, qui citent de lui quelques thèses ihéologiqties.
6. Comme Ignace M.'iillot, le P. Maximilien Le Dent, né à Bergues (Nord) le g nov. 1619,
professeur de théologie à Anvers et à Louvain, confesseur du comte de Monlerey, gouverneur
de la Belgique, a laissé surtout des thèses de théologie, et aussi quelques ouvrages de
polémique. Voir De Backer et Sommervogei, t. Il, col. 1928.
7. François du Bois, né b Courtrai le 14 septembre i6î3, mort \ Anvers le 3L octobre 1682,
après y avoir professé la philosophie cl la théologie, a sa courte notice dans De Backer et
Sommervogei, t. I, col. 1601-1602.
8. Sur le P. André Tacquei et sur l'école de malhémaiiques des Jésuites d'Anvers, illustrée
par les travaux des PP. d'AiguilIoo, Giégoire de S.-Vinceat, Verbiest, Ch, della Faille, etc.,
PHILOSOPHIE A ANVERS. 179
Parmi les jeunes scolastîques, condisciples du duc d'Enghîen, nous
distinguons deux noms qui ne déparaient pas Técole oh. était assis un
prince du sang de France. C'étaient le Fr. Antoine de Bourgogne ', d'une
branche de cette famille qui vient de s'éteindre de nos jours dans la
personne de Tabbé Jean de Bourgogne", et le Fr. Jacques- Philippe de
Hornes, de la maison de Montmorency \
Mais la petite classe de philosophie ouverte ainsi ostensiblement à
Anvers avait attiré l'attention des pouvoirs publics, et l'affaire allait être
fertile en incidents. Nous raconterons en son lieu cette lutte entre deux
grands corps enseignants, autour de Henry- Jules de Bourbon.
Condé avait été bien inspiré en donnant sa préférence à cette grande
cité pour l'éducation supérieure de son fils. Il avait d'abord songé à
Louvain, oh. les Jésuites possédaient un autre scolasticat, mais il avait
voulu éviter de braver l'université en face. Pour qui connaît les deux
villes, le duc d'Enghien n'y perdit rien ^
J'ai recherché ses souvenirs à Anvers et tâché d'y retrouver les restes
de ce qui fut le théâtre de ses travaux.
Dans la rue du Prince, rue alignée à la moderne, bordée de maisons
neuves et confortables, rien ne rappellerait le passé, sans l'antique façade
aux quatre pignons dentelés et aux fenêtres à pinacles, qui mesure
70 mètres de longueur et porte l'inscription Krygsgasthuis (hôpital
militaire). Ce vaste bâtiment fut élevé en 1516 par le chevalier Arnold
van Liere, alors bourgmestre d'Anvers, sur un terrain comprenant près
d'un hectare ; ce richissime seigneur y reçut en 152 1 l'empereur Charles-
Quint ; ses héritiers le vendirent en 1 544 à la ville d'Anvers, qui en
céda l'usage à la corporation des marchands anglais, d'oii le nom à^En-
gelsch huis qui lui est resté depuis lors. C'est là qu'en 1607 les Jésuites
ouvrirent des cours d'humanité ^
L'avant-cour est assez petite, comme il convenait à une maison privée ;
elle a perdu aujourd'hui tout caractère d'architecture ; le gris des vieilles
voir Quetelet : Histoire des sciences mathétncUiques et physiques chez les Belges^ t. I", liv. III,
pp. 192 et 226. Renseignement communiqué par le K. P. Victor Baesten avec plusieurs de
ceux qui précèdent.
1. Né à Gand, le 2 avril 1632, il était fils d'Emmanuel de Boui^gogne et d'Anne de Rodrigiiez
d'Evora y Vega. Avant d'entrer dans la Compagnie de Jésus, en 1655, il avait été page de
l'empereur Ferdinand.
2. Sur Pabbé Jean de Bourgogne, voir les Pr/cis historiques^ 1885, p. 495.
3. Ce jeune Jésuite, né à Braine-le-Château le 26 septembre 1634, était fils de Philippe,
comte de Homes, et de Dorothée d'Arenberg.
4. Bien que depuis les troubles du xvi* siècle la prospérité commerciale d'Anvers eût subi
de graves atteintes, cette belle cité était encore en 1650 un grand centre littéraire et artistique.
A côté des Moretus, successeurs des Plantin, et de leurs nombreux rivaux les typographes an ver-
sois, on voyait les élèves de Rubens et de Van Dyck continuer non sans gloire les succès de
l'Ecole flamande ; dans la Maison professe des Jésuites d'Anvers, les Bollandistes poursuivaient
leur œuvre gigantesque ; là aussi le Frère Daniel Seghers (t 165 1 ) s'attirait l'admiration des princes
par son merveilleux talent de peintre de fleurs. (Voir sur ce dernier la notice du P. Kieckens
dans les Annales de V Académie d^ Archéologie d'Anvers, ann. 1866, p. 355).
5. Sur cette demeure historique, voir le savant livre d'un écrivain aaversois, M. Aug. Thys :
Straten en openbare piaatsen van Antwerpen (1879), p. 267 à 272.
180 HENRT^ULES DE BOURBON.
murailles est recouvert d'un lait de chaux bleuté qui, avec l'air saturé
d'antiseptiques, prouve les sollicitudes hygiéniques mais non artistiques
de l'administration. Deux seuls témoins rappellent les anciens temps : la
cloche suspendue sous l'auvent et le pavillon du puits : ces arcades de
fer forgé, aux motifs flamboyants que couronne une fleur de lys à quatre
faces, ont été soigneusement conservées. La margelle est obstruée et un
monstrueux corps de pompe en fonte se dresse à côté, au nom d'une
civilisation qui n'en est plus à l'horreur du vide, mais n'en est pas encore
à l'horreur du laid.
Le grand bâtiment du fond, de même longueur que celui de la rue» a
sa principale façade sur le jardin; il parait être du XVI I^ siècle et n'a
aucun cachet d'architecture. Une salle sert de chapelle. Un vestibule
banal mène au jardin, si l'on peut toutefois appeler de ce nom une vaste
cour sablée, plantée d'arbres en quinconce et flanquée d'un hangar. Nous
ne la mentionnerions point, si elle n'avait été témoin de la discussion
entre les députés de l'université de Louvaîn et les Pères du collège. Les
doctes promeneurs d'alors conversaient sous les regards curieux des
élèves et des maîtres, tous postés aux fenêtres et aux ouvertures. Aujour-
d'hui le visiteur passe sous les yeux de jeunes soldats convalescents qui
attendent en flânant leur permis de congé. Des pavillons inégaux font
saillie aux extrémités et nuisent à la symétrie sans donner de relief. Une
galerie aux arceaux cintrés rompait jadis la monotonie de l'aspect ; elle
est murée. Telle se présente la Maison des Anglais, après trois siècles
de métamorphoses. La dernière sera radicale : € On devrait raser tout
cela ; > ce fut le mot de notre cicérone. Pour révolutionnaire que soit le
propos, il est excusable. Si l'on compare le Krygsgasthuis, soit au
nouveau collège des Jésuites, bâti avenue des Arts, entre parc et boule-
vard, soit au récent collège archiépiscopal de S*-Jean-Berchmans, voisin
de l'Hôtel du roi, place de Meer, on a certes le droit de souhaiter aux
militaires comme aux écoliers un établissement à proportions plus larges»
avec plus d'air et de clarté. Toutes les habitations bourgeoises du voisi-
nage, sous leurs grillages défiants, jouissent encore moins de ces présents
du ciel. Elles paraissent avoir appartenu à des banquiers, mais à des
banquiers dont aucun ne s'est construit un Jacques-Cœur. Le collège
même du grand Condé et de son fils à Bourges est d'une architecture
fort en avance sur le Krygsgasihuis.
En revanche, combien plus d'animation à Anvers que dans la paisible
capitale du Berry ! Le car qui glisse sur les rails des rues de la cité est
bondé de voyageurs parlant toutes les langues et vêtus aux modes les
plus diverses. A cet arrivage incessant d'Anglais et d'Allemands, de
Suédois et de Congolais, un ami du passé opposerait peut-être avec
quelque regret, dans un souvenir d'imagination, les flots moins tumul-
tueux des élèves qui, au XVII^ siècle, affluaient ici. C'est à près de six
cents enfants, sans compter les cinquante clercs étudiants en théologie
morale, que les bâtiments peu considérables de la Maison des Anglais^
PHILOSOPHIE A ANVERS. 181
déjà encombrée par le scolasticat, devaient donner accès chaque jour '•
Ces écoliers arrivaient un à un ou par groupes de divers points de la cité.
Le bataillon le plus compact était formé par les cent élèves du Convtctus
ou pensionnat tenu par les Jésuites dans le voisinage. Ce pensionnat, le
seul avec celui de Mons que les Pères, toujours partisans décidés de
l'externat, possédassent dans les Pays-Bas, venait d'être installé (1652)
près du Kipdorp, au marché Saint- Jacques, dans la maison dite Straelen-
Toren^ ou Tour de Straelen, du nom du fameux bourgmestre décapité
au temps des troubles par l'impitoyable duc d'Albe. Le Convtctus a déjà
subi le sort qui menace le Krygsgasthuis ; il a disparu sous la pioche des
niveleurs *.
M. le Duc parait avoir mené à Anvers le même genre de vie qu'à
Namur. Il était externe et logeait en ville avec les domestiques de sa
maison. Son gouverneur ^ est nommé dans la correspondance. D'autres
documents nous apprennent que les Pères de La Falluère et Bergier, qui
avaient quitté Namur le 27 octobre 1656, accompagnés de leur Frère
coadjuteur Montreuil, ne se séparèrent de leur élève qu'au terme de sa
philosophie. Mais il Jeur fallut une dispense, et le provincial Dekens,
qui la leur accorda, regarda comme grave et extraordinaire cette
autorisation de vivre hors de l'enclos du collège, dans le logis du duc
d'Enghien.
M. le Duc suivît-il avec beaucoup d'entrain classes et cercles, sabba-
tines et menslruales du scolasticat ? Il est permis d'en douter un peu. Le
contrôle pour nous est d'autant plus difficile qu'en général on n'écrivait
guère. Après les leçons des professeurs recueillies plus ou moins sous la
dictée, on rédigeait le cours sur ces notes ; on ne se livrait en somme à
aucun travail bien personnel de plume et l'on ignorait presque l'usage
des dissertations.
Henry-Jules de Bourbon profita de ces loisirs pour reprendre sa
correspondance française avec le poète-abbé Marigny et faire des thèmes
allemands.
Marigny avait passé encore en Italie tout l'automne, s'occupant de
transmettre à Condé des nouvelles militaires et à médire aimablement
du cardinal de Retz, qu'il prétendait caché ou employant son talent «à la
composition de quelque homélie ^ » Mais toutes les troupes avaient pris,
là-bas comme en Flandre, leurs quartiers d'hiver et Marigny faisait
1 . D'après les Uttera anntta de 1656, il y avait < circiter 600 humanioram studiorum disdpuli
et theologiae moralis studiosi externi 50. >
2. < Anno 1652, convictus Antverpiensis, acquisitâ domo in Kipdorp, foro sancti Jacobi, dicta
de Straelen- Toretiy cœperat convictus prorsus sejunctus existere ; sed ad scholas collegii ibant
convictores, ut deinceps semper. > Catal. 7^ personn.et funci,Provinciœ Flandro-Bel^ca^ octob.
1652, p. 267, not. I. Voir aussi A. Thys, ouv. cité, p. 275 et suiv.
3. Noas réparerons ici une confusion qui nous a échappé dans les Précis historiques, Saint-
Simon, le gouverneur du duc d'Enghien, plus tard secrétaire dés langues et lecteur d'allemand
dans la niaison de Condé, n'appartient pas à la famille de Saint-Simon l'auteur des Mémoires.
Cest un personnage obscur sur lequel les renseignements font défaut.
4. Papiers de Condé^ série P, t XVI, fol. 360. Marigny à M. le Prince, 21 octobre 1656.
1B2 HENRT-JUJLKS DK BOURBON.
pressentir son prochain retour. Entre deux lettres au fameux abbé
Charrier, il envoyait des lettres à M. le Duc, pour lui et aussi — c'était
sans doute un horoscope — pour la petite sœur qui lui était née à
Malines, le i8 octobre '. Enghien très touché fit cette réponse au tour
galant ; elle ne trahit aucune empreinte mise sur son esprit par le langage
scolastique :
J'ay leu avec le plus grand plaisir du monde la lettre que vous m'avés escritte, et les vers
que vous y avés adjoutés m'ont semblé fort jolis et m'ont esté tout à fait aggréables. J'aj
aussy trouvé si beaux ceux que vous avés faicts pour ma petite sœur que je n'ay peu me
lasser de les lire ; tout ce que j'y trouve à redire, c'est que vous me donnés un peu trop de
louanges aux endroits où vous parlés de moy, et je souhaitterois de pouvoir estre quelque jour
en effect tel que je suis^ dans vostre esprit, et que vous me figurés dans vos vers et vostre
prose. Il me tarde fort que vous soyés ici pour nous divertir ensemble ; continués je vous
prie à m'aymer et à m'escrire souvent et soyés persuadé que j'auray toujours toutte la recon-
noissance possible des obligeantes marques que vous me donnés de vostre affection, et qu'il
n'y a personne qui vous aime plus que
Henry-Louis de Bourbon •.
Adresse : Pour Monsieur de Marignî.
D'Anvers, le 7 décembre 1656.
Il n'oublie point non plus son ami Lenet, à qui il écrit, sous forme de
thème, et de thème ^allemand. Le français est à Tordinaire, de la main du
gouverneur Saint-Simon ; l'allemand, de celle du Prince, qui a criblé ses
mots de ratures.
Il y a longtemps, que je ne vous ay pas escrit en allemand, et je vous escris ce billet«
pour vous asseurer que je suis l'Ënnemy mortel de Hans Wourst \ et que l'on ne parle
point icy d'estrènes ce qui m'estonne fort \
Es is schon lang, das ich hab dem herren Keine teutsche brifiein geschriben, uber ich
schreibe ihm dises, ihm zù wissen z\x thun das ich des hans wursten tôdtlicher feind bin
undt das man ihr nichts vom nëwen iar sagt welches mich sehr verwùndert.
Heinrich Ludwig *.
Si faible qu'il fût ^ ce thème était en progrès sur deux autres que nous
possédons du Prince et qui paraissent dater de la période de Bordeaux '
( 165 1- 1653). Nous les avons réservés à cette place afin de pouvoir
établir la comparaison. Encore ce rapprochement ne peut-il être que
1 . On peut relever une construction encore peu française dans la première phrase ; le reste
est presque correct.
2. Relations véritables, 1656, pp. 476 et 524.
3. Papiers de Condé, série G, t. I, fol. 307.
4. Synonyme de Polichinelle.
5. De la main de Saint-Simon, qui a mis au dos de ce billet : < M. le Duc en allemand. >A/xx.
de Lenet, t. XXIV, fol. 26.
6. Uid. Billet distinct du précédent. L'allemand est écrit en caractères français.
7. Nous en jugeons d'après les allusions au P. Itier. M. le Duc paraît reprocher au fameux
Cordelier sa trahison envers la Fronde.
PHILOSOPHIE A ANVKRS. 183
fort imparfait, car ce sont plutôt des lettres que des thèmes et nous
n'avons ni le français du texte, ni les idées du canevas.
Ich hab eîh geschribet aber ich hab ken hantworten empfangen. Ich wes nihet wo das
er commet
Der water Itbyer [der Chevalier des] ' hants wurtstea
Adresse :
An meinen goutten freintt ount chevalier des Grîmers ^
Ihr mus scraiben meinem herren vater das er einen brif hirschiket, umb den bans wurst
weciagen Ich wolte gern das es balt were.
D£R VATKR ItIBR '.
Au fond, M. le Duc était aussi fort en allemand qu'en latin ; et c'est
assez dire. Il savait les mots, mais ignorait Torthographe et se trouvait
surtout en état de parler.
En philosophie, bien qu'entré à l'âge de treize ans et quelques mois
(octobre 1656), il était relativement meilleur. Les Leiires annuelles nous
le montreront ayant fait dans sa première année scolaire des progrès à
paraître au-dessus de son âge ^ Au milieu des camarades admis par
faveur à la Maison des Anglais dans le seul but d'exciter son émulation, il
parait avoir occupé le rang le plus distingué. La soutenance de ses thèses
de logique en fut la preuve la plus éclatante.
L'époque de cette joute, remise d'ordinaire à la fin des cours, fut,
croyons-nous, avancée. Comme M. le Prince, rentré en campagne dès le
mois de mars (1657) par la prise de Saint- Ghislain, allait de nouveau
rallier ses troupes en vue d'opérations plus importantes, elle fut fixée au
commencement de mai. Ainsi le père pourrait assister aux triomphes de
son fils, et, après avoir cueilli lui-même les lauriers de la guerre, voir
fleurir ceux de la paix au front de l'écolier. Le 4, il arrivait à Anvers
avec Don Juan d'Autriche et il n'en repartit que le mardi 15. Toute la
cour s'y était donné rendez-vous : on remarquait, parmi les seigneurs et
les ministres, le marquis de Caracena, don Alonso de Cardenas, naguère
ambassadeur auprès du roi d'Angleterre, et le président Hovyne \
^ii— ^~— ^— ^— ^— ^^^^^^^^— ^^— ^.^^^^^ ^— ^-^ -^^^^^.-^^^^-^^^— ^— ^p^-^^— ^™
1. Les mots entre [ 1 sont barrés dans l'autographe.
2. Mss, de Lenety t. XXVI, fol. 246. Le sens de ce billet énigmatique paraît être : < Je vous ai
écrit ; mais je n'ai pas reçu de réponse. Je ne sais d'où cela vient. Le Père Itier [le chevalier de
Polichinelle]. A mon ami et chevalier des Grimers. >
3. Au revers, on lit de l'écriture de Lenet : i Deux billets de M. le Duc en allemand, soubs
son gouverneur. >
Ibid — Traduction : < Vous devez écrire à Monsieur mon père qu'il envoie ici une lettre pour
chasser Polichinelle. Je voudrais que ce fût bientôt. Le P. Itier. >
4. < Antverpiense collegium. — Philosophicam pala^stram cohonestavit Dux Enghianus, ex
stirpe Borbonia, principis Condsi filius, annos natus nonnisi 13 et menses 3, atque hactenuseo
profectu se exercuit ut aetatem superasse videatur. > Uttera annua^ 1656. Archives générales du
royaume de Belgique, Ms, 973, provincia Flandro-Bel^ica,
5. Charles de Hovyne, baron de Douillen, était fils d'un magistrat de Tournai ; il naquit en cette
ville, le 20 avril 1596. Après de brillantes études à l'université de Louvain, il devint avocat au
Grand Conseil de Malines, puis en I638 membre du Conseil privé ; en 1653, il succéda au prési-
dent Roose, comme chef- président de ce Conseil, et conserva ce poste important jusqu'à sa mort,
arrivée en 1671.
184 HKNRT^ULRS DR BOURBON.
Durant neuf ou dix jours, ce ne furent que traitements et magnificences
en rhonneur de Leurs Altesses '. Mais de toutes ces fêtes nulle ne dut
réjouir le cœur de Condé ni flatter son orgueil paternel autant que
celle du collège. Henry- Jules y fit applaudir une promptitude de réplique
et une facilité d exposition qui dépassa l'attente de l'assistance* Celle-ci
était toute d'élite. Auprès de M. le Prince avaient pris place Caracena, le
duc d'Aerschot, les princes d'Arenberg et de Nassau et une foule de
gentilshommes d'Espagne, de France et des Pays-Bas *.
Un des avantages, fruit de cette thèse si brillamment soutenue et
devant si brillante compagnie, fut d'assurer au vainqueur le droit à ses
compagnons d'émulation. Leur place à ses côtés, dans le cours fermé du
scolasticat, lui avait été disputée toute l'année presque à l'égal d'un
champ de bataille; sa glorieuse soutenance du mois de mai 1657 lui
en assura la conquête. Pour faire comprendre la valeur de ce résul-
tat, il nous faut enfin raconter la petite guerre diplomatique engagée
depuis novembre 1656 entre le collège d'Anvers et l'université de
Louvain.
Le dimanche, 19 novembre 1656, se tenait dans l'université de
Louvain, à l'instance du doyen et de la Faculté des Arts, la première
des seize assemblées extraordinaires ou réunions des députés des Facultés,
occasionnées par les Jésuites d'Anvers ^ Les membres de ce conseil ou
de cette Députation, comme on l'appelait, étaient alors le clarissime
recteur Henri Van den Creeft J. U. D. et professeur royal, le consul-
tîssime vice-recteur Martin Bredael, les excellentissimes doyens de
Facultés, André Laurent, Antoine de Wignacourt, Antoine Ferez,
Michel Ophemius, docteur en médecine, et l'éruditissime Pierre Marcelîs.
Dans le conseil siégeaient en outre les cinq juges d'appel de l'université :
Jacques Pontanus, docteur en théologie, Hugues Brady et Guillaume
Macs, docteurs en droit civil et en droit canon, Pierre Dorlix, médecin,
et Jacques Renson, licencié es droits, syndic de la Faculté des Arts et
honoré de toute sa confiance ; ce dernier était destiné à jouer le principal
rôle dans l'affaire. Des substituts, en cas d'empêchement, leur avaient
été nommés ; c'étaient : François Van Vianen, Noël Claus, futur
successeur de Van den Creeft comme recteur, Henri Van Houwelant,
avocat fiscal, le docteur Michel Ophemius et Seraets, licencié en
1. Relations véritables^ 12 mai 1657.
2. i Eminuit potissimum profectus ipsius ADgruiani,(iui,mense Maio,complurese Lo^à thèses
propuf^navit, eâ promptitudine et scientiae demonstratione, ut expectationem omnium superaverit
et non exiguo gaudio serenissimum suum parentem afTecerit, qui disputationi intererat, cum Mar-
chione de Caracena, Duce Arschotano, principibus Arenbergico, Nassavio, Mamminio et tota
nobilitate hispanica, gallica, belgica. > Litt, ann. 1657. — Le Mamminius ou Masminius n'est
autre que Balthazar- Philippe de Gand, dit Vilain, comte d'Isenghien, baron de Rassenghien, qui
venait d'être créé en 1652 prince de Masmines ; il mourut en 1680, doyen des chevaliers de la
Toison d'or. M. Tabbé Moncharop, dans sa remarquable Histoire du cartésianisme en Bdgiquey
p. 277, n'est point parvenu à identifier ce nom en usy qu'il traduit par < de Masmint (0 > .
3. Tous les détails qui suivent sont empruntés aux Acta aima Universitaiis Lovaniensis^
ms, in-folio déposé aux Archives du Royaume, n^iS, fol. 97 et sqq. Nous ne faisons que résumer
ces procès- verbaux officiels.
PHILOSOPHIE A ANVERS. ISS
théologie ; enfin il y avait un commissaire unique, Guillaume Macs.
J. U. D. ■
Tous ces docteurs, licenciés, professeurs, se recommandaient par une
série de titres et par des qualifications à la mode du temps ; ces qualifi-
cations n'étaient point d'ailleurs particulières aux Pays-Bas Espagnols.
Le prince de Condé se souvint sans doute que dans son enfance, à
Bourges, il avait entendu employer de semblables formules oratoires :
Recior amplissime, Cancellarie nobitissime , Regiorum privilegiomm
cOHHrvator (rçuissimc, Conservaloris apostolici vices-gerens religiosissime,
Sacrarum paginarum interprcs fidclissinie, Juris uiriusque aniecessores
)ii4ùsimi, Medicina proceres experienthsimi, Artium dociores
Uùsimi, Prœsidialis curis pmses senaloresque integerrmi, AidUei
vîgilaniiisimi, Auditores ornalissimi. Le style des Louvanistes nous
semble moins pompeux et plus sobre que celui des Berruyers. Leur
personnel enseignant et administratif dépassaït-il en nombre \ Ordre tenu
par Messieurs de l ' Université et Officiers d'Icelle en la réceplion de
Mgr U duc d'Aiiguicn en celte ville de Bourges, qui fut U 2^ may 1626 ?
Nous le croirions volontiers; mais nous n'aurons affaire dans notre récit
qu'à un petit groupe de personnages, heureux si, même dans ce cercle
restreint, nous pouvons éviter toute confusion.
Dans la réunion du 1 9 novembre, connaissance fut donnée aux députés
I. Sur l'organtsuiion de l'universii
Aeadcmïa Liyi'anUHsts, lypogr. de Pien
t. Il, Appendices de Mgr De Kam,
186 HENHYJULES DE BOURBON.
que. aux environs de la fête de saint Bavon ', les Jésuites d'Anvers avaient
ouvert une classe dans laquelle, à en croire les bruits courants, ils
enseignaient la philosophie au fils du prince de Condé et à vingt autres
écoliers. Se prévalant, disait-on. d'une autorisation accordée par le
gouverneur Don Juan d'Autriche, ils allaient Jusqu'à admettre indistinc-
tement à ce cours public tous autres enfants de la noblesse ou du peuple.
De là grave et irréparable préjudice pour l'université de Louvain,
menacée par ce coup de ruine complète et perte assurée. En conséquence,
Messieurs de la Faculté des Arts réclamaient contre cette tentative
l'emploi d'un prompt et énergique remède, même le recours au Magistrat
de Louvain et des autres villes du Brabant. Comme conclusion de la
délibération, le soin d'attacher le grelot fut confié à l'avocat fiscal Henri
Van Houwelant et au syndic de la Faculté des Arts Jacques Renson. ?.
eux d'examiner mûrement l'affaire et de solliciter, au besoin, le concour
de Messieurs du Magistrat.
Ils y apportèrent peu d'empressement. Près de trois semaines après,
le Jeudi 7 décembre, le Recteur magnifique mettait à l'ordre du jour
d'une nouvelle réunion : 1° un projet de lettre au Magistrat d'Anvers
pour lui rappeler les édits d'Albert et Isabelle, d'heureuse mémoire, ei
lui demander de quelle manière on pourrait les appliquer ; — 2" ui
plan de mise à exécution des sentences du conservateur des pri-
vilèges universitaires à propos des affaires de Liège. Louvain avait
dans cette dernière ville un procès analogue avec les Jésuites att
sujet de l'induit Paulinien et de la collation des bénéfices '. Ces deuj
affaires se grefferont souvent l'une sur l'autre, la seconde faisant tort i
la première.
Cette fois l'affaire de Liège fut la préoccupation principale. On décidî
d'envoyer des députés aux Etats de Brabant à Bruxelles pour agir contre
les Liégeois ; mais on n'oublia point de décider qu'ils agiraient ensuite,
de concert avec le Magistrat de Louvain, auprès du chancelier, conti
les Anversois.
Evidemment c'est de la Magistrature qu'allait dépendre le succès des
démarches entreprises : elle était le bras séculier, et le monde académique
en appelait à sa vigueur. Dans cette réunion du 7 décembre, on adjoignir
deux antres délégués, un ancien bourgmestre de Louvain, noble e1
généreuse personne, Fusco Malaloni, et le clarissime Jean L'Hoste,
pensionnaire de la ville, aux deux représentants déjà nommés di
l'université : Van Houwelant et Jacques Renson. Le corps officiel di
la députation qui devait se rendre à Bruxelles et à Anvers, se trouva
ainsi composé de quatre membres. Ils se sentaient soutenus nod
seulement par la vénérable Faculté des Ans, mais par toutes les Facultés
I. La ftle de saint Bavon, patron de la ville et du diocise de Gand, avail lieu le 1" octobre »
coïncidai! avec la Saint- Reini, époque ordinaîie de l'ouverture des classes dans les collèges de
Pays-Bas.
2 Cf. Vernulfcus, ouv. cit^, lîb. III, cap. V, Privilegium CoUationum in palrîa Leodiensi
Paulo V roniitice Facuhali Artium
FHI£X)SOPHlE A ANVKRS. 187
réunies : recommandation leur était faite d'agir d un commun accord, au
mieux des intérêts lésés '.
Sans tarder, nos quatre députés partent pour Bruxelles. Là, ils
consultent des amis prudents, et, sur leur avis, ils conviennent de repartir
aussitôt pour Anvers, afin d'y faire en personne une enquête sérieuse. Il
faut qu'à leurs yeux il conste d'abord avec une entière certitude de la
vérité des faits dénoncés.
Le mercredi 1 3 décembre, sur le soir, les députés prirent la barque
qui faisait régulièrement le service entre Bruxelles et Anvers, par le
canal de Willebroeck, le Ruppel et l'Escaut. La nuit fut extrêmement
froide et ils eurent fort à souffrir de la température.
Le lendemain, vers onze heures et demie du matin, ils débarquaient à
Anvers. Bientôt ils apprennent de façon positive que des écoliers
fréquentent la classe du duc d'Enghien ; on leur livre même les noms
de plusieurs condisciples du jeune Prince. Les personnes qui les
renseignent si exactement vont jusqu'à prétendre qu'en plein Hôtel-
de-Villé les Pères du collège se sont vantés d'avoir fait agréer l'ouverture
du cours par l'université de Louvain.
Ces premières informations recueillies, la députation se présentait,
vers deux heures de l'après-midi, chez le R. P. André Losson, Recteur de
la Maison des Anglais^ et lui exposait le but de sa démarche. Les députés
lui rapportent ce qu'ils tiennent de bonne source : les portes de son
établissement sont ouvertes à des élèves externes de philosophie ; ils
demandent en vertu de quel pouvoir le Recteur a laissé faire. Le
P. Losson avoue simplement n'avoir reçu aucune autorisation ni du
pape, ni du roi d'Espagne, ni de l'archiduc ; que si la Société de Jésus
avait répondu au désir du Sérénissime Prince de Condé, c'est qu'elle
croyait et supposait que l'université ne prendrait point la chose en
mal.
Les Députés. — Une telle créance n'a pour fondement ni une raison,
ni même une vraisemblance. La Société sait bien ce qu'il lui en a coûté
autrefois en un pareil cas.
Le Recteur. — Nous ne l'ignorons point ; mais nous n'avions point
l'intention de nuire aux privilèges académiques ; nous avons même voulu
éviter de leur porter dommage.
Les Députés. — Comment pouvez-vous tenir ce langage, quand ipso
facto vous lui faisiez tort }
Le Recteur. — Encore une fois, nous ne pouvions pas rejeter la
demande du prince de Condé, qui avait pris sur lui tous les risques et
toutes les conséquences.
Les Députés. — Cela ne se tient guère. Nous savons en effet
pertinemment que vous avez dit publiquement à la Maison de la ville
avoir le consentement de l'université.
I. Voir Acta almœ Univers.^ etc., fol. 108.
188 HENRT JUUCS BB BOURBON.
Le Recteur. — Nous croyons que cette all^ation est fausse et nous
n'en connaissons pas le premier mot.
Les Députés. — Le fait est établi par le témoignage de plusieurs
personnes, parmi lesquelles d'anciens bourgmestres et conseillers
d'Anvers.
Le Recteur. — Donnez-nous leurs noms, s'il vous plaît. D'ailleurs si
quelque parole semblable a été prononcée, ce n'est ni au nom de la
Société, ni par un de ses mandataires ou procureurs. Tout ce que j'ai
fait, moi, en ma qualité de Recteur, je l'ai fait par le commandement
du R. P. Provincial Thomas Dekens, à qui je dois obéissance. C'est lui
qui a reçu les demandes d'admission au cours de philosophie du duc
d'Enghien ; c'est lui qui, sur les instances du prince de Condé, a accordé
toutes les dispenses nécessaires.
Ici, le P. Losson entra dans les détails, et, à des insinuations peu
claires, il répondit par un exposé net de la situation présente, avec
promesse de garanties pour l'avenir : si, par suite de quelque circonstance
imprévue, le duc d'Enghien quittait la classe de philosophie, ses dix-sept
camarades devraient aussitôt se retirer, et cette condition a été agréée
des parents.
Les Députés reprirent : Un si grand nombre d'élèves ne peut que nous
déplaire ; il ne saurait être accepté par l'université. — Là-dessus, après
diverses contestations, le P. Recteur offre de congédier les trois jeunes
gens de moindre qualité, ainsi que les deux retardataires à la fois derniers
venus et derniers de la classe. C'est une preuve de déférence qu'il est
heureux d'offrir à ces Messieurs de Louvain. Cette diminution d'élèves
ira d'ailleurs toujours croissant ; il est assez probable qu'avant Pâques,
plus d'un écolier dégoûté par l'aridité des études philosophiques se
retirera.
Cette concession ne satisfaisait pas les députés. Six ou sept écoliers
leur semblaient un nombre largement suffisant pour mettre de l'émulation
dans les exercices scolaires du jeune Duc. Le Recteur se retrancha alors
derrière son défaut de mandat et derrière Tordre qu'il avait reçu du
Provincial ; il montra de plus quel inconvénient il y aurait, le choix des
élèves étant l'œuvre du P. Dekens, à renvoyer les uns et à garder les
autres, ainsi que l'embarras des familles contraintes d'envoyer trop tard
leurs enfants à l'université.
Les Députés. — Cet inconvénient-là, les familles ne pourront l'imputer
qu'à elles-mêmes. Laissez-nous faire et nous avons un prompt remède
sous la main.
Le Recteur. — Je crains que votre remède ne finisse par brouiller
les choses. Les parents, instruits de ces incidents, n'enverront plus leurs
enfants, et le prince de Condé ne pourra être que froissé.
Fusco. — Assez de paroles. Questions oiseuses et pures échappatoires.
PHILOSOPHIK A ANVERS. 189
Nous voulons savoir si oui ou non vous entendez renvoyer vos externes.
Le remède est facile, vous dis-je : que le Provincial vous donne ses ordres
en notre faveur et nous traiterons ensuite avec le Sérénissîme Prince.
Mais loin de penser que vous agissez à sa prière, nous avons tout lieu
de croire que vous n avez en vue que votre avantage privé.
Fusco était bourru dans les formes, mais au fond bienfaisant ; il finira
un jour par le prouver. Sur le moment sa boutade laissa le P. Recteur
en proie à de sérieuses inquiétudes.
Les députés retournèrent à leur logis ; ce n'était pas pour y prendre
du repos. Ils tinrent d'abord conseil avec leurs amis de la ville, et devant
Tattitude du Recteur refusant, disaient-ils, de congédier plus de trois
élèves (le Recteur avait offert en réalité d en sacrifier ctnç\ ils décidèrent
' de notifier aux parents des philosophes qu'ils contrevenaient aux édits
royaux et qu'ils devraient en subir les clauses pénales. Cela fait, eux
pourraient rentrer à Bruxelles afin de traiter ultérieurement avec le prince
de Condé.
Cependant toutes ces allées et venues avaient excité à Anvers l'attention
des habitants. La nouvelle de l'arrivée de la députation commençait à se
divulguer en ville ; elle enchantait certains adversaires des Jésuites ; les
Pères de leur côté ne restaient pas inactifs. Ils faisaient rechercher où
les délégués avaient pris leur logement ; un de leurs émissaires, page au
service d'une noble famille, se présentait à l'auberge De Stad Amsterdam.
C'est là, en effet, qu'ils étaient descendus. Le page s'enquiert auprès de
l'hôtelier s'il a reçu les voyageurs. L'hôtelier demande fièrement de la
part de qui l'on vient l'espionner. L'enfant répond qu'il a défense de le
dire. Indignation de l'hôtelier qui s'apprête à chasser le messager, lorsque
le P. Recteur, lui-même, se présente. Il sortait, d'après la relation
officielle, de dessous un auvent du voisinage, où, dans l'ombre du soir,
il avait attendu avec le P. de Schilder, professeur de théologie, l'issue
des pourparlers *. Tous deux sollicitent l'honneur d'un entretien.
Courtoisement, les députés consentent à les adnîîettre en leur présence \
Les Pères disent qu'ayant remarqué combien les représentants de
l'université prennent cette affaire à cœur, ils viennent leur apprendre
que le prince de Condé va se trouver incessamment à Anvers. Il s'est
lui-même annoncé par lettre aux deux Jésuites précepteurs de son fils,
les PP. de La Falluère et Bergier. En conséquence, le P. Losson
demande qu'on veuille bien surseoir jusqu'à l'arrivée du Prince. On
examinera alors avec l'agrément de Son Altesse ce qui sera faisable.
Les Pères protestent que personnellement ils n'omettront rien pour régler
définitivement l'affaire à l'amiable. Ils espèrent qu'en faveur d'un si
grand prince, lequel n'a pas son pareil au monde, — et qui actuellement
1. Le P. Louis de Schilder, né à Bruges en 1606, entta dans la Con'.pagnie de Jésus, à Malines,
après avoir étudié la philosophie au collège de Marchiennes à Douai. Il fut longtemps professeur
de théologie et préfet des études au collège de Louvain, et mourut à Bruges le 17 juin 1667.
2, V. Acta Umvêrsii(Uùy loc. cit., fol. 11 a, v*.
190 H£NRY-JUL£S D£ BOURBON.
campe avec ses troupes sous les murs et aux portes de Louvain, —
Tuniversité accordera bien quelque chose et que, dans les conjectures
présentes, on ne négligera pas d'avoir envers Son Altesse quelques
ménagements.
Sans se déconcerter par cette apparition d'un Deus ex machina, les
délégués revinrent à leur question première et redemandèrent à plusieurs
reprises si les Pères étaient dans l'intention de renvoyer plus de trois
élèves. Réponse négative des Pères, motivée soit par la volonté du
Prince, soit par les ordres de leur Provincial. Impossible aux délégués
de les faire sortir de là.
La conférence était terminée. Avec une parfaite civilité, les repré-
sentants de Louvain reconduisirent leurs hôtes à leur logis, et comme
la nuit était venue, ils les firent précéder d'un porteur de flambeau, à
travers les rues du vieil Anvers.
Sous cette urbanité, ne se cachait-il pas quelque inquiétude } La
nouvelle de Condé aux portes de Louvain était un coup de théâtre. Ils
se remirent en délibération et conclurent vaillamment que la toge ne
devait pas céder aux armes. Leur avis unanime fut de demeurer à
Anvers jusqu'au lendemain, vendredi 15 décembre, pour rendre leur
visite aux Révérends Pères et voir si par hasard la nuit ne leur aurait
point porté conseil '.
Le 15 au matin, les députés tenaient leur résolution et s'en allaient
trouver aux Anglais le P. Recteur André Losson et le P. Louis de
Schilder. Tous les habitants du collège occupaient les embrasures des
portes et des fenêtres, les yeux braqués sur eux. Sous le feu de ces
regards plus curieux que menaçants, ils passèrent successivement de
l'intérieur dans le jardin. Une fois de plus ils montrèrent la plus grande
courtoisie. Sensibles à la visite de la veille, ils croiraient, en partant sans
prendre congé des Pères, manquer à la politesse. Ils expriment l'espoir
qu'un bon accueil sera fait bientôt à leurs réclamations, et qu'après examen
d'une affaire aussi claire, on réparera Toffense aux privilèges académiques.
Six ou sept jeunes gens des mieux doués ne suffiraient-ils pas au duc
d'Enghien } Après tout, l'université avait le devoir de se mettre en garde
contre certaines conséquences. N'y avait-il pas danger qu'à leur tour les
autres princes de Belgique n'en vinssent à solliciter quelque jour pour
leurs propres fils la faveur accordée au duc d'Enghien, et avec les mêmes
raisons que le prince de Condé }
— Crainte chimérique. Nul prince ne lui est comparable ni par la
condition, ni par le rang. Ainsi nous persistons. D'après les dernières
lettres de Louvain, nous avons cru entendre que l'université donnerait
son consentement pour dix ou douze élèves. Ce nombre au moins pourrait
nous être accordé en considération du Prince. Demain peut-être, Son
Altesse sera ici. Sur lavis adressé aux PP. de La Falluère et Bergier,
I. V. Ada Universitatis^ loc. cit., fol. 113.
PHILOSOPHIE A ANVERS. m
on prépare tout pour sa réception au logis du duc d'Enghien ; déjà ses
bagages ont été envoyés en avant.
Les Députés. — Et croyez-vous donc que le Prince sera si fier de
voir, pour camarades de M. le Duc» des fils de marchands ?
Les Pères. — Nous croyons que le Prince ne regarde pas à la qualité,
mais au talent et à l'émulation.
Les Députés. — Il y aurait assez d'émulation pour le Duc avec huit
externes et dix-huit scolastiques.
Les Pères. — Pour l'émulation, les externes valent mieux.
Les Députés. — Ces jeunes gens d'Anvers ont été tirés des familles
de marchands les plus considérables et les plus riches. Ces gens-là auraient
toute facilité pour envoyer leurs fils à Louvain.
Les Pères. — Notre choix n'a pas été guidé par leur condition et
nous ne savons si elle est telle que vous dites. Nous sommes prêts
d'ailleurs à vous donner leurs noms, que nous croyons vous avoir été remis
déjà par écrit. Nous vous offrons, en outre, un acte de non-préjudice.
Les Députés. — Etes-vous prêts à reconnaître dans cet acte que
vous enseignez uniquement par grâce et consentement de l'université,
laquelle, en faveur du fils du Prince, déroge aux édits royaux, et que,
autrement, vous ne pouvez ni ne voulez enseigner ?
Les Pères. — Nous ne saurions le reconnaître en ces termes, mais
seulement sous cette forme, à savoir que nous n'avons enseigné ni
n'enseignons avec intention de nuire aux privilèges de l'université.
Fusco. — Quand donc laisserez- vous enfin l'université en repos }
Le p. de Schilder. — Le jour où l'université nous permettra enfin
d'enseigner.
Fusco. — Eh bien, vous attendrez longtemps.
On était loin de la civilité des premiers propos. Il n'y avait plus qu'à
se séparer. Les députés s'en retournèrent par eau à Bruxelles, comme ils
étaient venus. Mais avant leur départ, ils prirent la sage précaution de
laisser entre les mains d'un ami d'Anvers la relation des conférences.
Très dévoué, l'ami s'engageait à faire observer, au premier avis, les édits
sous peine d'amende ; entre-temps, il ferait du tapage, crierait à la
fausseté et à l'astuce des Pères, et parviendrait à effrayer les parents.
Il n'eut guère à parler. De plus en plus, le bruit de toute l'affaire se
répandait en ville.
Un vieux proverbe dit qu'il vaut mieux s'adresser à Dieu qu'à ses
saints. Les députés de l'université furent d'un sentiment différent. A
Anvers, ils avaient esquivé Condé ; à Bruxelles, ils en appelèrent à son
conseiller, le président Viole '. Cette justice leur est due, qu'ils avaient
I. Ce vieux frondeur, qui haranguait la populace de Paris sur le Pont-Neuf, quitte à en rire avec
Condé à la Croix-du-Tiroir (Journal des j^uenes civiles^ t. Il, p. 241), paraît bien avoir joué dans
toute Taffaire son rôle habituel de donneur de bonnes paroles. Il ne prenait rien au tragique.
M^ le duc d'Aumale en a tracé ce joli portrait qui conviendrait plutôt à un parlementaire du
xvni* siècle : € Aimable président qui n'avait rien d'austère I Brouillon, mobile, de peu de fond
et de mérite médiocre, mais hardi, impétueux, peu considéré dans sa compagnie et cependant
influent, s'imposant par sa suffisance. > Histoire des princes de Condé^ t. VI, p. 44.
192 HENRT.JULES DE BOURBON.
mené le retour aussi vivement que l'aller. Le samedi i6 décembre, peu
après minuit, ils étaient rentrés dans la capitale, et, le matin, ils faisaient
au représentant de M. le Prince le récit des actes accomplis par eux à
Anvers. La péroraison fut une charge à fond contre les ennemis
héréditaires de Tuniversité.
Les députés avaient parlé en latin et non sans emphase. Viole répondit
en français, avec une extrême honnêteté. € Je sais, dit-il, combien est
répandue la renommée de l'illustre université de Louvain et combien
aussi il est nécessaire d'assurer le maintien de ses privilèges ; leur
conservation importe et à l'État et au pays tout entier. S. A. S. Mgr le
Prince de Condé n'aime rien tant, après les armes, que les belles-lettres.
Aussi jamais ne lui est-il venu à l'esprit d'aller contre les privilèges
académiques, sur cette terre étrangère devenue la patrie de l'exilé et son
refuge contre les détestables machinations de ses ennemis de France. Si
la chose était au pouvoir du Prince, il protégerait, bien mieux, il
augmenterait dans la mesure du possible les privilèges de Louvain.
Jamais il n'a voulu que son fils eût à Anvers une foule de condisciples
externes ; au contraire, s'il l'a envoyé là, c'est pour que, séparé des autres
écoliers, il pût apprendre ses rudiments avec les jeunes scolastiques de
la Compagnie. Il avait songé d'abord aux Jésuites de Louvain, ayant
lui-même été élève de philosophie chez les Pères à Paris * ; il y a renoncé
par délicatesse et pour éviter tout déplaisir à l'université. Mais afin que
vous ajoutiez foi à mes paroles, je vous promets de solliciter pour vous, dès
demain, une audience du Sérénissime Prince. Si S. A. préférait une autre
voie, je vous rapporterais moi-même la réponse qu'il vous adresserait. >
L'audience eut lieu.
Les députés introduits par le président Viole, recommencèrent en
présence de Condé l'exposé de leurs griefs et le couronnèrent par un
panégyrique de Y Aima Mater, qui semble bien une tardive réponse au
mot maladroit des Pères d'Anvers sur le prince de Condé à nul autre
pareil. C'est l'Académie de Louvain, rappelèrent-ils finement, qui a formé
jadis aux belles-lettres l'invincible empereur Charles-Quint, et il serait
glorieux pour des princes étrangers d'imiter ce grand homme, à la fois
grand roi et grand empereur. Aussi l'université offrait-elle ses très
humbles services au Sérénissime Prince et à son fils, soit des maîtres
pour les études du duc d'Enghien, soit une habitation digne de lui.
D'après le document de Louvain ^ Condé répondit conformément à
toutes les assertions du président Viole, en y ajoutant toutefois qu'ayant
appris que des camarades avaient été donnés pour émules à son fils, il
demandait cette grâce à l'université ; il la recevrait de sa bienveillance
comme un tel bienfait qu'il n'estimerait davantage aucun autre et qu'en
toutes occasions il marquerait sa gratitude. Il jugeait possible et il
1 . Ce n'est pas à Paris que Condé fut élève des Jésuites, mais à Sainte-Marie de Bourges
Le président Viole ne doutait de rien .
2. V. Acta Aima UmvcrsitoUis, foL 114.
PHILOSOPHIE A ANVERS. 193
souhaitait que Ton conservât le nombre de dix ou douxe élèves externes.
Que si quelqu'un de ces Messieurs voulait laccompagner à Anvers, là
on pourrait arranger l'affaire de gré à gré et il y ferait délivrer un acte
de non-préjudice \
Les députés remercièrent le Prince de cette faveur qui leur était offerte
et prièrent S. A. de daigner les dispenser du voyage. Il alléguaient que
le recteur du collège ne pouvait rien, mais seulement le provincial, alors
de résidence à Louvain ; au besoin, ils traiteraient avec ce Père. En
attendant, ils espéraient que l'université ne refuserait pas quelques
compagnons d'armes à son fils, en nombre modique mais suffisant, et
accepterait un acte de non-préjudice dressé par elle-même.
Si les députés de Louvain avaient mieux connu leur Condé, ils auraient
su qu'il portait dans les négociations comme à la guerre son tenace génie,
aussi prêt à profiter de la retraite de l'adversaire qu'incapable de reculer
d'une ligne. Ils eurent une seconde entrevue avec le président Viole, qui
leur rapporta une seconde réponse du Prince ; mais cette fois Condé, au
lieu de dix ou douze, demandait quatorze ; à cette condition il s'occuperait
de faire signer l'acte tel quel. Le chiffre de quatorze provient des Jésuites
d'Anvers, ripostèrent les députés. Le Prince désire, répliqua Viole, et
même il y met des instances. Les députés n'eurent rien à répondre, sinon
que cela dépassant leurs pouvoirs, ils devaient en référer à leurs
commettants. Viole leur réitéra sa demande avec une égale insistance,
mais sans rien obtenir.
Le syndic Renson reprit la plume et le lundi, 8 janvier 1657, il envoya
un exprès porteur de son rapport au doyen de la Faculté des Arts à
Louvain. Ces deux ou trois élèves ajoutés au nombre étaient, à l'en
croire, de peu d'importance ; mais il craignait que, forts de cette
concession, les Jésuites n'en vinssent à disputer sur l'acte de non-
préjudice.
Le mardi, 9 janvier, se tenait à l'université la quatrième réunion
extraordinaire. Pour toute conclusion, les membres, en nombre plus
considérable, répondirent aux députés de travailler de leur mieux et de
s'employer à faire souscrire l'acte rédigé par eux.
Mais avant d'être couvert des signatures des deux parties, ce fameux
acte de non-préjudice devait faire couler encore beaucoup d'encre.
Le 13 janvier 1657, Viole rapporte à Renson que l'acte voyage. On
expédie la pièce d'Anvers à Louvain, chez le P. provincial Dekens. Le
16, Renson, toujours à Bruxelles et fatigué de ces lenteurs, soupire, dans
une lettre au doyen de sa Faculté, la plainte désespérée de Job : Tadet
animant nuam vitct mea. Il va rester seul ; le pensionnaire de la ville,
Jean l'Hoste, veut absolument repartir pour Louvain. Bientôt la question
du non-préjudice se complique de celle des privilèges de la Compagnie
de Jésus, et la question de Louvain de celle de Liège. Renson n'hésite
I. /M(/., fol 114.
Le grand Coudé. 13
194 HHNRYJUJLES D£ BOURBON.
pas à reprendre le chemin d'Anvers pour voir les choses de plus près.
Il s est fait munir de la lettre suivante de Condé, écrite au P. delà
Falluère :.
Mon Révétend Père,
Ayant attendu jusques à ceste heure la response de V^' Provincial et ces Messieurs les
députés de TUniv'*^ qui sont ici voyant qu'elle ne vient pas se sont impatientés et ont
résolu que l'un d'eux irait en Anvers pour la solliciter auprès de vous. Il est vrai que les
Provinces d'ici m sont pas sy éloignées pour estre si longtemps à sçavoir la résolution du
dict Père Provincial. Je vous prie de presser sa response autant que vous pourrés. £n cas
qu'elle soit conforme à la demande de l'Université, il n'y aura qu'à donner la déclaration
que je vous ai envoyée. Sinon faicte en sçavoir promptement le refus aflfin que ces Messieurs
se pourvoient comme bon leur semblera. Je demeure,
Mon Révérend Père,
V"^« très affectionné
Louis de Bourbon ".
De Bruxelles, le iq**^ de janvier 1657
Adresse :
Au Révérend Père de la Falluère, de la Compagnie de Jésus, Précepteur de mon filz
Monsg' le Duc d'Anguien, à Anvers.
Sur ces entrefaites un page est dépêché à Renson par le Prince qui
l'avertit de ne pas se rendre à Anvers ; on vient en effet de recevoir
l'acte. Mais quel acte ! Renson y voit un acte de préjudice plutôt que
de non-préj'udice et il amène la députation de Louvain à partager son
avis.
L'affaire entre alors dans une nouvelle phase.
Les Jésuites l'évoquent devant la plus haute autorité administrative
des Pays-Bas, le Conseil privé, un peu comme leurs confrères de France
interjetaient appel des arrêts du Parlement devant le Conseil du roi. Ils
adressent une supplique à Don Juan d'Autriche *.
Au bas figurait la pièce incriminée : cet arrêt de l'université signifié
aux Pères d'Anvers par exploit d'huissier. Plus bas encore se lisait une
demande indiquant nettement le plan que s'étaient tracé- les Jésuites. Au
cas où la communication de leur supplique serait faite à leurs adversaires,
ce qu'ils ne pensaient pas, les parties étant d'accord sur le principe, ils
suppliaient qu'il fût permis aux écoliers, par provision^ de continuer à
fréquenter le collège « sans être importunés >.
Le Conseil privé leur donna à la fois tort et raison. Par son décret, il
n'admit point que la procédure fût secrète et il ordonna que tout le
dossier serait communiqué «tant à ceux de l'Université que du Magistrat
de Louvain, pour dire ce qu'ils trouveront convenir. >
1. Acta Aima Universitdtis^ fol. 117, v**.
2. /^/V/., foL 119.
PHILOSOPHIE A ANVERS. 195
Mais il accorda aux Jésuites le fond même de leur demande, le bénéfice
de la provision. Voici en quels termes la possession du statu quo leur
était maintenue : « Et voulant Sa Majesté gratifier le Sér"^® Prince de
Condé, permet que l'assemblée et lecture de la philosophie encommencée
à l'intervention du S"* ducq d'Enguien son filz et quatorze escoliers
séculiers pour luy tenir compagnie sans plus, se pourra continuer jusques
à ce que, parties ouyies, autrement soit ordonné, le tout sans préjudice
du droit d'icelles et sans le tirer en aucune conséquence. Faict à Bruxelles
le XXXI Janvier 1657 \ >
Désormais peu importaient au collège d'Anvers les lenteurs de la
chicane. Le procès dût-il s'éterniser, M. le Duc gardait ses quatorze
camarades. L'université le comprit, et, changeant habilement de front,
elle tourna ses efforts vers les conséquences éloignées d'un fait qu'elle
ne pouvait guère changer. L'acte de non-préjudice devint son principal
objectif. Puisqu'on ne pouvait réduire la classe de philosophie d'Anvers,
on devait se prémunir contre le fâcheux précédent qui s'y posait et •
prendre sur ce terrain une utile revanche. Elle y était d'ailleurs acculée.
Autant Renson, le syndic de la Faculté des Arts, mettait de persistance
dans ses exigences, autant Fusco Mataloni, l'ex-bourgmestre, y apportait
maintenant d'esprit de conciliation. Le diplomate aux apostrophes assez
peu parlementaires s'était transformé en médiateur. Une sorte de
négociation privée s'était ouverte à Louvain même, entre lui et le
recteur des Jésuites, le Père Pierre Durieu ^ De leurs nombreuses
conférences était sorti un projet d*acte qu'il communiqua officieusement
à l'université, la priant de s'en contenter et de garder le silence sur sa
part de rédaction. Moins pressée d'en finir, la vénérable Faculté ne tint
pas moins de dix députations extraordinaires pour délibérer sur des
remaniements à faire dans la teneur de l'acte ou sur des apostilles à y
joindre.
Le Conseil privé, par l'organe de son référendaire Daniels, proposa
le texte suivant :
Le soussigné Provincial de la Société déclare que par la lecture de la Philosophie qui se
fait à Anvers au Collège de la dite Société au S' ducq d'£nghien, à la très grande instance
de Monseigneur le Prince de Condé son Père, et à quatorze escoliers avecq lui pour lui
servir de compagnie et émulation, il ne prétend tirer aulcun droit ni possession pour se
servir de cet acte, ores ou pour Tadvenir, contre TUniversité de Louvain. Ains qu'il est
content, tant en sadicte qualité qu'au nom de ladicte Société, que cest act sera tenu à tous
efTects comme si jamais il ne fut advenu '.
L'université, plus difficile que les Conseillers de l'Archiduc, ne fut
1. ActaAlma Universitaiis^ioX. 120.
2. Le P. Pierre Durieu venait d'être nommé recteur du collèjçe des Jésuites à Louvain le
29 déc. 1656 ; il succédait en cette qualité au Père Ignace Derkennis. Pierre Durieu était
né à Courtrai en 161 2. Après avoir étudié la philosophie au collège d'Anchin à Douai, il entra
dans la Compagnie en 1631, fut recteur du collège de Matines et quatre fois recteur des Pères
de la troisième probation à Lierre ; il mourut à Malines, le 24 mai 1686.
3. Acta Aima Univtrsiiatis^ fol. 141, v».
196 HENRT-JULES DE BOURBON.
pas satisfaite de la teneur proposée. Si elle interdisait aux Jésuites de
mentionner les privilèges de leur Compagnie, elle aspirait à affirmer ses
propres droits et souhaitait qu'on insérât une clause formelle des édits
royaux en sa faveur. C'était revenir sur le décret du 31 janvier. Le
référendaire Daniels, y voyant avec raison une nouvelle cause de délais,
proposa d'ajouter simplement à l'acte ci-dessus cette phrase unique :
4: Et moyennant ce viendront à cesser touttes les poursuites et requestes
faittes d'une part et d'autre au Conseil privé de Sa Majesté. >
On était arrivé au 3 mai et il fallait se hâter. La soutenance des
thèses du duc d'Enghien apparaissait à l'horizon. Laisserait-on suspendue
sur sa tête, comme une épée de Damoclès, la menace de fermeture de sa
classe.^ Et ses quatorze compagnons paraitraient-ils devant le public
comme des écoliers rebelles à la loi ? Toute la cour de l'Archiduc allait
se transporter à Anvers : s'y rendrait-elle comme une cour de justice ?
La situation eût été par trop fausse. Le 3, l'université acquiesça con-
ditionnellement à l'acte ', et le 4, elle envoya sa procuration à Renson
pour signer ^ Il n'était que temps. Ce même jour Condé et Don Juan
d'Autriche entraient à Anvers.
Restait à régler la note des frais et honoraires. La basoche n'avait
pas rendu gratuitement ses services. La Faculté des Arts l'apprit à ses
dépens. Elle s'exécuta de bonne grâce et paya ses avocats. Au syndic
Jacques Renson, qui les méritait bien, elle vota des remerciements. Qui
sait si quelques-uns de ses docteurs n'allèrent point jusqu'à Anvers
sceller la réconciliation et applaudir M. le Duc ?
Tout souriait à l'heureux écolier en ce printemps de 1657. Son père,
à peine reparti, avait passé ses soldats en revue à Namur ^ et rejoignait
l'armée active, lorsqu'inopinément l'occasion d'un brillant fait d'armes
vint s'offrir à lui.
Avis lui est donné que Turenne a investi Cambrai, mal défendu par
une garnison misérable, et qu'il est sur le point de l'enlever. M. le Prince,
sans perdre un instant ni écouter un conseil, entraîne les quatre ou cinq
mille hommes de cavalerie qui composent sa petite armée, surprend les
abords des lignes, livre une attaque de nuit et culbute les Français, qui,
devant le secours imprévu entré dans la place, renoncent au siège et se
retirent. C'était le 30 mai \
A cette heureuse nouvelle, M. le Duc, déjà libre de soucis depuis son
examen, se rejeta dans la correspondance avec ses bons amis. Mis en belle
humeur par les mystérieux cadeaux et les compliments hyperboliques de
Marîgny, il envoya un de ses plus aimables billets à son cher poète.
1 . Acfa Aima Universitatis^ foL 142.
2. IHd.
3. Relations véritableSy 30 mai 1657, d'après lesquelles les troupes entre Sambre et Meuse se
sont trouvées nombreuses et en bon état.
4 . Histoire des princes de Çondé^ par Mgr le duc d'Aumale, t V, p. 456.
PHILOSOPHIK A ANVERS. 197
Encore que j*aye eu beaucoup de joye de recevoir vostre lettre, et d'avoir de nouvelles
marques de la continuation de vostre amitié, il faut pourtant que je vous advouë, que j'en
eusse eu encore une bien plus grande, si au lieu de m'escrire vous fussiez venu vous-mesme
icy, pour vous réjouir avec moy d'un si bon commencement de campagne et de la levée
du siège de Cambray. Cette bonne nouvelle méritoit bien un si petit voyage. Je vous
asseure que j'ai une fort grande impatience de vous embrasser, et, de vous faire des
reproches de tant de flatteries que vous ro'avés données dans vostre lettre, car vous me
traittés comme une personne que vous n'auriés jamais veue et comme si je ne vous
connoissois pas depuis le temps que vous m'envoyattes un petit fagot et une tourte ',
j'espère pourtant que ce ne sera pas par cette raison là que vous me flattés tant, et que ce
sera plustost par l'amitié que vous avés pour moy ; je vous prie de la continuer et de me
faire quelquefois participant de vostre muse, et je vous asseure que je suis tout à vous
Henry-Louis de Bourbon.
D'Anvers, ce i8 juin 1657.
Adresse : Pour Monsieur
de Marigny*.
Ce fut d'ailleurs la dernière fois que le duc d'Enghîen et Marîgny
eurent à se féliciter des succès remportés par Condé. La période que
Mgr le duc d'Aumale a nommée <L Tagonie militaire > était ouverte.
Comme en toute agonie où le malade garde encore quelque réserve de
forces, i! y eut des élans et des soubresauts, des lueurs d'espérance et de
passagères illusions. Mais la lutte achevait de détruire les suprêmes
ressources. L'armée libératrice de Cambrai avait chèrement acheté son
final exploit ; elle avait perdu trois cents des siens. A ce compte, vaincre
répuisait. Les Français, au contraire, venaient de faire alliance avec les
Anglais, et, transportant la guerre dans la Flandre maritime, y prépa-
raient pour Tannée suivante une action décisive.
M. le Duc rentra au collège d'Anvers au mois d'octobre 1657, pour
y faire sa deuxième et dernière année de philosophie, celle que, à la
différence de la première ou logique, on nommait généralement la
physique. Cette dénomination, qui évoque chez nous des idées de
science positive plutôt qu'abstraite, avait sa raison d'être dans l'usage
général des universités à cette époque ; mais il y avait de plus à Anvers,
au milieu du XVI I^ siècle, l'importance spéciale qu'on attachait dans les
Provinces belges aux études scientifiques, à la suite des découvertes de
Galilée et des travaux de Descartes. Sans chercher à travers les vieux
programmes et rien qu'à lire l'appréciation des écrivains du temps sur
l'enseignement sollicité et reçu dans la Maison des Anglais, il est visible
que l'élude des sciences y était plus en honneur que la métaphysique ^
On sent qu'on est ici en présence de gens pratiques que le grand
commerce et l'habitude des affaires a rendus plus avides de connaissances
1. Tourte se Hisail encore à celte époque ^owr tourterelle,
2. Papiers de Condé, série O, t. I, fol. 313.
3. Voir, outre l'ouvrage déjà cité de Quetelet, les savants livres de M. le chanoine Monchamp :
Histoire du cartésianisme en Belgique^ i vol. in-8®. Bruxelles, 1886 ; — Galilée et la Belgique,
I vol. in-i2. Saint-Trond, 1892.
198 HENRT-JUL£S DE BOURBON.
Utiles que de théorie pure. En fait de théologie, c'est à la morale qu'ils
donnent la préférence, et leur philosophie paraît se concentrer dans les
mathématiques.
Le chanoine Sanderus, auteur de la Chorographia sacra Brabantia, est
un auteur bien informé , car, à l'époque même où il composait son livre,
— au lendemain de la sortie de M. le Duc, — son frère, un Jésuite, se
trouvait au collège d'Anvers et avait dû lui fournir plus d'un rensei-
gnement \ Or, il rapporte que l'évêque Jean Miraeus • n'avait rien tant
demandé à la Compagnie que d'ouvrir des cours de théologie morale
pour remplir son diocèse de prêtres capables, et, depuis un demi-siècle,
ce service avait été rendu à lui et à ses successeurs par les conférences
de la Maison des Anglais.
Les mathématiques étaient regardées pas le même Sanderus, en cela
écho de l'opinion courante à Anvers, comme la plus solide des sciences
naturelles, la seule base de certitude complète, la clé de toutes les
inventions et de tous les progrès ; en sorte qu'en ce collège où avaient
passé des exégètes tels que Tollenaere et Tirinus, on se vantait
d'avoir possédé François d'Aiguillon, Grégoire de Saint- Vincent, André
Tacquet, Jean- Baptiste délia Faille ^
Au fond, la science n'était guère pour les Anversois qu'une marchandise
supérieure, qui s'acquérait au prix du travail et de l'étude, seule différence
avec les choses purement vénales. Il n'y a pas jusqu'à ce vocable de
Maison des Anglais, avec ses souvenirs mercantiles, qui ne semblât
flatter leur oreille. D'autres villes, comme Douai, Saint-Omer et Reims,
avaient des séminaires portant aussi le nom de Collège Anglais ; mais
elles en étaient fières, parce qu'ils abritaient de jeunes catholiques
expulsés de leur patrie par l'intolérance protestante, non parce qu'ils
avaient servi de comptoir aux marchands britanniques. Soyons justes
envers les Anversois. Ils avaient regardé aussi leur collège comme un
foyer de rénovation catholique, et c'est pour avoir proscrit l'hérésie de
leurs murs qu'ils virent peu à peu le trafic d'Outre- Manche déserter le
port de l'Escaut, et celui d'Amsterdam, leur rivale, grandir à leurs
dépens au fond du Zuiderzée et devenir au XVII® siècle le grand empo-
rium du Nord.
La seule conclusion à tirer ici de l'aperçu de Sanderus sur l'esprit
positif des Anversois est que M. le Duc n'était exposé en sa seconde
année de philosophie à négliger ni la physique ni les mathématiques.
Il ne suspendit pas pour cela son commerce littéraire avec son corres-
1. < Frater meus Levinus Sanderus. > Antonii Sanderi presbyteri Colîe^ium Societatis lesv
Antverpia^ brevi chorographia et imagine anea illustratum , Bruxelles, 1659, in-fol.
2. L'évêque Jean Le Mire était le propre frère du savant historien et diplomatiste.
3. Le P. ]^2iXi' Baptiste délia Faille, cité par Sanderus con\me une des gloires du collège
d'Anvers, est le même que le célèbre mathématicien, Jtan-CAar/es délia Faille, précepteur de
Don Juan d'Autriche. Voir sur Jean- Charles, né à Anvers, la notice déjà citée, extraite des
Pr/ds historiques : Le R, P, Jean-Chyles délia Faille, S, /., par H.- P. Vanderspeeten, S. J.
Bruxelles, Vromant (s. a.).
PHILOSOPHIE A ANVERS. 199
pondant en prose et en vers, celui qui se proclamait sa « Calliope > '.
Revenu d'Angleterre, le poète diplomate Marigny se trouvait alors à
Francfort pour la diète. Plus tard, il nous décrira les curieuses mœurs
de ce monde € bachique >, où l'inspiration poétique s'éveillait au choc
des verres. Pour l'instant sa muse était encore assoupie et M. le Duc
s'en plaignit.
D'Anvers, ce 21 octobre 1657.
Je vous remercie du soin que vous prenés, de me mander ce qui se passe à Francfort,
vous ne me sçauriés faire un plus grand plaisir que de continuer, car j'ay beaucoup de
curiosité de sçavoir des nouvelles du pays où vous estes, et je vous asseure que je ne les
sçaurois apprendre par une autre voye, qui me soit plus aggréable que la vostre. Au reste,
yzy à vous prier de m'espargner une autre fois dans vos lettres, et de ne me pas donner
tant de louanges, que vous faites ; car, si vous continuyés, au lieu de le prendre pour une
marque d'affection, je le prendrais pour une flatterie ; mais si vous voulés vous employer à
quelque chose qui me soit plus aggréable, vous n'avés qu'à resveiller votre muse, qu'il y a si
longtemps qui est endormie. Si elle est encore de mes amies, comme je le croy, elle ne sera
pas fâchée de me divertir. Ce sera à vous que je devray cette satisfaction pour laquelle et
pour touttes les marques que vous me donnés de vostre amitié, vous devés estre persuadé
que vous recevrés tousjours des preuves de la mienne et que personne n'est plus véritable-
ment à vous que
Henri-Louis de Bourbon.
Adresse : Pour Monsieur de Marigny *.
Mais bientôt l'heure ne fut plus aux envois de nouvelles plaisantes ni
aux compliments badins. Les plus vives inquiétudes planèrent sur la vie
de Condé. Une fièvre terrible le mit à quelques pieds de la mort et son
fils, accouru auprès de lui, eut à trembler de devenir orphelin \
Raconter dans ses épisodes la maladie de M. le Prince nous écarterait
du plan de cette étude. Ce serait cependant une page historique. Il est
impossible de lire la correspondance de Condé décrivant lui-même les
première phases de son propre mal avec un sang-froid stoïque et une
gaieté toute française, sans être tenté de montrer ce noble caractère sous
ce jour peu connu d'une nature impétueuse à lexcès dans l'action, mais
calme comme la raison et ferme comme le vouloir dans la souffrance.
C'est le fortiter açere et pati du Romain tempéré par la sérénité du
chrétien ^ Un consciencieux ami du Prince, le comte de Guitaut, eut le
courage, trop rare en ces circonstances, d'éclairer le malade sur la gravité
de son état. Vingt-deux ans après, à l'occasion de nouvelles inquiétudes
inspirées par la santé de Condé, il rappelait au Père Bergier ce qui
s'était passé en Belgique. « Nous avons vu cette scène à Gand, lui
écrivait-il, et vous savez de quelle manière je parlai sur cela à Mgr le
I. Lettres de Monsieur de Mari^ty^ La Haye, 1658, p. 63.
î. Papiers de Condé^ série G, t. 1% fol. 309.
3. Relations véritables^ 8 décembre 1657.
4. V. les Aiss. de Lentty t. XX, fol. 94 et suiv.
200 HENRT.JULES DE BOURBON.
Prince. Il fut sensible à cette marque de mon zèle et témoigna m'en
savoir bon gré. Vingt-deux ans de plus, de fréquentes incommoditez, et
beaucoup de réflexions sur les désagrémens de cette vie, et sur
rimportance de l'autre, doivent avoir encore mieux disposé son cœur \ >
Le Père Bergier, autre témoin oculaire, atteste aussi ce premier retour à
Dieu de ce grand homme : € Sa vie n'a pas esté uniforme, je l'avoue ;
le feu d une grande jeunesse enflée de succès, heureuse dans ses
entreprises et appuyée dans ses égaremens par les flatteries de quelques
lâches courtisans, mais non pas jusqu'à luy faire perdre lessentimens de
la foy. Il en donna des marques dans la maladie qu'il eut à Paris au
commencement de son mariage, en Allemagne au milieu de ses victoires,
ei surtout à Gand, où feus V honneur de le voir se confesser et communier
avec une dévotion qui donna de l'admiration à tout le monde '. >
Les Pays-Bas s'étaient émus comme la France.
Le 7 décembre. Don Juan d'Autriche, parti de Lille pour Gand,
multipliait ses visites auprès de M. le Prince. Ces réceptions étaient
signe que le malade se rétablissait. Le lo, un avis parvenait aux
Relations véritables annonçant qu'il commençait en effet à se mieux
porter Le gouverneur des Pays-Bas n'en prolongea pas moins sa
présence et ses assiduités. Soit démonstration d'amitié de Son Altesse
Sérénissime envers Son Altesse de Condé(tels étaient leurs titres officiels),
soit plaisir d'assister aux curieuses fêtes nautiques — combat sur la glace
à l'épée et au pistolet — que lui offrait « la confrérie des Bateliers et
autres de ce peuple-là > — il prolongea son séjour jusqu'au 15 janvier
(1658). M. le Prince, «entièrement guéri, > avait quitté cette magnifique
abbaye de Saint- Pierre de Gand qui faillit être son tombeau, et il était
rentré à Bruxelles deux jours plus tôt (dimanche 13 janvier) \
M. le Duc, resté moins longtemps que Don Juan aux côtés de son
père, n'avait pourtant consenti à se séparer de lui qu'après l'avoir vu en
pleine convalescence.
Le 27 décembre, de retour à Anvers, il écrivit à Marigny cette lettre
aux accents d'une piété filiale simple et vraie. Il y mêle des désirs
enfantins et pousse ses éternels soupirs pour la muse favorite.
D* An vers, le 27 décembre 1657.
J'ay attendu jusques à cette heure à vous faire response à cause que je vouloîs vous
mettre touttafaict hors de peyne sur la maladie de Monsieur mon Père, et je vous assure
que vous n'en devez plus avoir maintenant, car il y a plus de huict jours qu'il n'a plus de
fiebvre, et mon retour en cette ville vous peut assés persuader qu'il n'y a plus rien à craindre,
car vous pouvés bien croire que s'il y eût eu encore quelque espèce de danger, je ne me
serois pas esloigné de luy. Cependant comme vous scavés que lorsque l'on a évité quelque
grand danger, l'on en est plus guay après cela, il faut que vostre muse se resveille et qu'elle
I. Guitaut à Bergier, Epoisses, 15 août 1680. Archives du château d'Epoisses. Minute ou
copie ancienne.
2 De Mofte Ludovici Borbonii^ p. 171. (Bibl. nat. Ln. 27, 4705).
3. Relations véritables^ 5, 12, 13 et 19 janvier 1658.
PHILOSOPHIE A ANVERS. 201
vienne icy me divertir de tout son mieux. Il n'y a rien qui le puisse mieux faire, si vous ne
venés vous-mesmes icy ; mais comme les affaires ne vous permettent pas de faire ce petit
voyage, il faut que je me contente des visites de vo3tre muse. Je luy feray le meilleur
accueil que je pourray et je seray ravy si elle se plaist icy assés pour y revenir souvant.
Comme je sçay que vous avés un très grand pouvoir sur elle, vous m'obligerés beaucoup si
vous voulés l'obliger à faire ses visites un peu fréquentes. Je vousasseure qu'il ne se
présentera aucune occasion que je ne vous tesmoigne la reconnoissance que j'en auray et
que je suis à vous plus que personne.
Henry-Louis de Bourbon '.
Adresse : Pour Monsieur de Marigny, à Francfort.
Cette foîs, Marigny eût été cruel de résister. Sa muse ne fut pas
inexorable ; elle lui inspira pour son petit Prince charmant une
lettre rîmée du goût le plus délicat» et par endroits de la plus haute
élévation de sentiments. Elle est intitulée : Estreines a Monseignevr
LE DVC d'AnGVIEN. L'aN 1658 ^
Le début en est alourdi par de solennelles périphrases : € Auguste
sang de nos Monarques... plus que fils de Mars, Anguien ; > Marigny,
écrivant de Francfort ^ prétend offrir ses vœux « en bon allemand > et
faire des brindes ^ Mais, de ces vers moitié emphatiques, moitié ironiques,
avec quelle légèreté toute française le poète retombe à la prose !
Cette Muse que vous appelez vostre bonne amye, a Thumeur assez enjoiiée au premier
jour de TAn : et, si elle continue comme elle commance, V. A. S. n'aura pas sujet de luy
reprocher que c'est une paresseuse. Il y a quelque temps qu'elle avoit dessein de réveiller
la vostre, de qui elle est très-humble et très-respectueuse Servante, et de luy envoyer une
Relation de la vie que Ton meine en cette Ville, en attendant qu'il plaise à Dieu, et à
Messieurs les Électeurs d'y faire un Empereur. Mais la triste nouvelle de la maladie de
Monseigneur le Prince, et l'extrême danger où se trouvoit S. A. Sérénissime, la firent
tomber dans une létargie si profonde, que rien n'estoit capable de l'en faire revenir que
l'heureuse et agréable nouvelle de sa guérison. Car enfin. Monseigneur, quand je n'aurois
pas une vénération singulière pour sa Personne, quand je ne serois pas attaché à son
service par des chaisnes très-fortes, il faudroit que je fusse ny bon François, ny amateur
de la gloire de nostre siècle ; si la seule pensée d'une perte si considérable ne m'avoit mis
dans une consternation estrange.
Cette dangereuse maladie, comment Tappellera-t-on et à quoi la
comparera-t-on ? C'est une éclipse qui a fait subir ses effets à tous les
corps politiques de l'Europe. Marigny revient ici au genre affecté qui
lui convient si peu. C'est du Lefranc de Pompîgnan avant la lettre :
Ainsi quand le Soleil, dans son char radieux,
Rend avec plus d'esclat sa route lumineuse, etc.
W ■'' -II. ■■- ■■ I ■■■■»..i «« ■■-■ ■ «^ . ■■ » I M.i ■■■■■■ m^^^^^ — ^«^«^l^»^— ^^—
1. Papiers de Condéy série G, t. I", fol. 30.
2. Imprimée dans les Lettres de Monsieur de Marigny, p. 55.
3. Il s'y était rendu pour la diète qui devait donner un successeur à l'empereur Ferdinand III,
mort le 2 avril 1657, sans avoir eu le temps de faire élire son fils, Léopold, roi des Romains.
4. D'après Furetière, brinde se dit de l'invitation d'un buveur à un autre, défaire raison d'uoe
santé qu'il lui porte, et ce mot serait venu du flamand : ik brengHu (je vous la porte).
202 HENRY.JULES DE BOURBON.
Puis l'historien ému succède au froid rimeur, et Tabbé de Marigny se
rappelle enfin qu'il est d'Eglise pour tracer un tableau, le plus beau de
l'époque, de l'attitude chrétienne et repentante de Condé agonisant. En
ces heures où, comme son aïeul saint Louis, il se voyait rendant l'âme
loin de la terre de France, M. le Prince s'était souvenu de ce qu'il devait
au Dieu de ses pères et à cette religion de son enfance qui, malgré des
défaillances et des oublis, avait toujours été la sienne. Doux envers la
mort autant que terrible à l'ennemi, il s'était montré devant Dieu humble
de cœur et ferme dans sa foi.
Toutes les circonstances de cette maladie sont admirables ; car si l'on considère le zèle
que Monseigneur le Prince a témoigné pour la Religion, la soubmissîon avec laquelle il
estoit resigné à la Providence, la satisfaction qu'il avoit d'avoir Monsieur l'Intemonce'
pour tesmoing du respect qu'il a pour le Chef de l'Eglise Romaine, et de l'humilité avec
laquelle il en adoroit les Mystères, si l'on fait réfection sur les sincères marques qu'il a
données de l'amour conjugal, de la tendresse Paternelle, de la cordialité pour tous ses
amis, et de la bonté pour tous ses serviteurs et ses Domestiques, il faut que l'on advouë
que ce sont auttant de batailles chrestienne^, (t morales, dans lesquelles il a triomphé de
la plus noire calomnie de ses ennemis. Quand je songe à cette fermeté d'âme qu'il a faict
parrestre en cette rencontre, il me semble que je voy Germanicus mourant, ou Alexandre
en danger de mourir....
Ce Prince n'encourageoit pas Critobulus avec des paroles plus fortes à luy tirer hors
du corps (au péril mesme de sa vie) la flèche qui lui causoit des douleurs insupportables,
et ne luy disoit pas avec plus d'intrépidité an fîmes ne reus sis^ quum insanabiU vulnus
acceperinty que Monseigneur le Prince en fit paroistre, lorsqu'il pressa ses Médecins de ne
luy déguiser point les dangers que leur art et leur expérience découvroient dans sa maladie.
Ne craignez pas, leur dit-il, de m'annonccr la mort, je ne l'ay jamais appréhendée. Il fit
bien voir alors qu'un lict de six pieds pouvoit estre un Champ aussi spacieux pour si
gloire que ceux de Rocroy, de Norlingue, de Fribourg et de L^nts. >
Les noms de ces batailles évoquaient naturellement celui du monarque
alors enfant à qui elles avaient préparé un grand règne. Le roi Louis XIV
ne les avait pas oubliées, et ses nobles égards envers Condé mourant
avaient amené une sorte de rapprochement entre tous les esprits. La
paix, impossible tant qu'un des deux partis belligérants n'aurait pas été
écrasé, apparaissait maintenant moins lointaine. Marigny s'étend à loisir
sur ces heureuses perspectives de réconciliation et de retour en France-
Saluant les vertus déjà brillantes du jeune souverain, il relève, en lui,
une vertu qui avait encore son éclat, et donne ainsi une haute leçon à
M. le Duc.
Veuille le ciel, s'écrie t il, combler de ses grâces un Monarque si accompli ; et qui au
grand cstonnement de tout le monde exerce si hautement les vertus les plus difficiles de
son âge, celte merveilleuse continence qui le fait admirer, par ceux dont la retenue est la
plus austère *.
1. L'internonce alors était ^[gr Jacques RespifrUosi, qui remplit celte charge de 1655 à 1667.
2. Ce témoignage confirme celui du P. Rapin. V. notre ouvrage : La première jeunesse de
Louis XI y (\t^c)-\()^T^\ d* après la correspondance inédite du P, Charles Paulin^ son premier
confesseur. Paris, Desclée, 1892, in-8"», p. 181.
PHILOSOPHIE A ANVERS. 203
C'est par de semblables conseils de vertu sévère pratiquée jusque
dans les détails du costume et de la tenue extérieure, que Marîgny,
après avoir passé et repassé de la prose aux vers et du grave au plaisant,
arrive à sa conclusion :
Quoy qu'il arrive, Monseigneur, soiez tousjours guay, et comme un grand philosophe que
TOUS estes, méprisez les parures, et les ornements, comme les marques d'une vanité indigne
d'un prince péripatéticien.
Ei 7*ûus ressom'enez d^ avoir tousjours pour guide
Cejoly vers qu^au temps passe
En teste de son livre avoit escrit Ovide,
Vade, sed incultus qualem decet Exulis esse.
Hé bien, Monseigneur, direz vous maintenant que la Muse, vostre bonne amye, est une
dormeuse ? J*ay ptur que la première fois que vous me ferez l'honneur de m'escrire, vous
en disiez bien plutost que c'est une Babillarde. En vérité, Monseigneur, la nouvelle de la
guérison de Monseigneur le Prince, Ta mise en si bonne humeur, que je ne croy pas que
vous trouviez mauvais qu'elle ait eu un peu d'emportement en cette rencontre, et qu'elle
ait pris la liberté de donner à V. A. S. pour estreines les marques de sa Joye.
M. le Duc ne pouvait, en effet, recevoir d'étrennes plus à son goût
de prince un peu raffiné et précieux. Lenet lui envoya d autres gracieusetés
parle gouverneur ; mais il y a gros à gager que celles-ci étaient purement
en prose, car, à travers les innombrables lettres, dépêches et mémoires
de l'homme d'affaires entendu que fut Lenet, Ton aurait peine à rencontrer
une ligne de poésie sous quelque forme que ce soit. Ses compliments
couvraient-ils d'aimables reproches ? Henry- Jules se piqua presque au
jeu et répondit avec sa délicatesse coutumière.
D'Anvers, 8 janvier 1658.
J'ay leu la lettre que vous avés escrite à Saint-Simon, mais pour. ce que vous dittes,
que je suis courtisan, que vous ne me voulés pas appeler der furst^ que vous avés bien des
reproches à me faire, je vous jure que je n'y ay peu rien comprendre ; et je ne sçay pas
pourquoy vous dittes touttes ces choses, du moins je sçay bien que cela ne sied pas bien
à un der freind, et derfiirst txi est si en colère qu'il ne vous assurera pas cette fois icy,
qu'il n'a jama's eu plus d'amitié pour vous qu'à cette heure, et qu'il est à vous plus que
personne du monde.
Der riiRST '
Adresse : Pour Monsieur Lenet, à Bruxelles.
Quant à Marîgny, M. le Duc ne lui voulut pas répondre avant d'avoir
mis ses poétiques Estreines sous les yeux de Condé lui-même. Une
joyeuse occasion s'offrait de les lui porter.
En cette terre des Pays-Bas, tout imprégnée encore des mœurs
catholiques du moyen âge, la fête de saint Antoine jouissait d'une extrême
I . Mss, de Lenet ^ t. XX, fol. 103.
204 HKNRT-JULES DE BOURBON.
popularité. Dans presque toutes les villes ou villages, il existait une
société de tireurs à Tare {handboge) dont il était patron. Saint Sébastien,
malgré les flèches de son martyre, ne le fut que plus tard et resta au
second rang.
La confrérie ou gilde des Archers de Bruxelles se distinguait entre
toutes ces associations par la qualité de ses membres. Les plus grands
seigneurs, avec cette familiarité noble qui plaisait tant au peuple flamand,
y coudoyaient les bourgeois et les artisans \ Archiducs et archiduchesses
s'étaient fait souvent une gloire d'abattre l'oiseau. Condé, qui avait
daigné l'année précédente se laisser nommer prévôt, semblait n'avoir
relevé de maladie que pour venir déposer sa dignité temporaire au
milieu de solennités religieuses et de plantureux banquets. Les Relations
véritables consignèrent ce fait, plus important sans doute aux yeux des
masses qu'un combat gagné ou perdu à la frontière.
Jeudi, jour de saint Antoine, S. A. de Condé, qui avoit accepté il y aun an le bâton
de la ( "onfrérie des principaux Cavaliers de cette Cour, en l'Église des PP. Augustios,
nonobstant la foiblesse qui lui reste encore de sa maladie, fît l'honneur à ces Cavaliers de
se trouver avec eux à la Messe solennelle, qui fut chantée en ladite Eglise suivant la cou-
tume. Après quoi ce Grand Prince leur fît un festin Roial, dont la magnificence et les
merveilles niériteroient un récit particulier. Hier le Duc d'Anguien, fîls de Sadite A,
assista à la Messe célébrée dans la même Eglise pour les Trépassez de la Confrérie'.
M. le Duc n'avait pas assisté seulement à la messe de Requiem ; il est
probable qu'il prit une part active aux concours et aux exercices. Ces
jeux populaires le charmèrent tellement que, vingt ans plus tard, rentré
dès longtemps en France et depuis dix ans gouverneur de Bourgogne»
à la grande admiration du P. Bergier et sans doute à la grande joie des
arbalétriers de Dijon, <L il alla (les) voir tirer Toyseau (et) tira luy-mesme
un coup ^ > D'abord il va nous apprendre qu'à Gand il s'assit à la table
de la gilde ; mais il dut se trouver un peu égaré parmi ces convives
d'une autre gaîté que la sienne ; les vers de Marigny le charmaient plus
que les chansons à boire. Rentré au collège, il répondit enfin aux
fameuses Estreines.
D* Anvers, le 3* février 1658.
Les vers que vous m*avés envoyés m*ont esté si aggréables et je les ay trouvés si bien
faicts, que je ne me suis peu lasser de les lire, et j'ai souhaitté plus de veint fois que la muse
qui les a composés soit auprès de moy. Je vous asseure que si je la tenois, je ne la lais-
serois pas aller à si bon .marché, et je luy en ferois faire bien d'autres pour sa rançon.
Comme j'ai esté à Bruxelles au festin de la Sainct-Antoine, je les ay montrés à Monsieur
1. Notice histortque sur les anciens sermens ou gildes d^ arbalétriers^ d^ archers, d^arquebusiers
et d^escnmeurs de Bruxelles^ par A. Wauters. Bruxelles, 1849, p. 21 et 22, note 11. — UOmme-
ganck de Bruxelles en \t)\r^, d\iprh les tableaux de Denis Van Alsloot^ par V^. Baesten, S.J.,
p. 9 et 81.
2. Relations véritables^ 13 jan\ier 1658.
3. Bergier à M. le Piince, Dijon, 17 août 1679. — Papiers de Condê^ série P, t. 74, fol. 103.
PHILOSOPHIE A ANVERS. 205
mon Père, et je vous puis asseurer qu'il a esté bien aise de les voir, et qu'il les a trouvés
les plus jolis du monde, et les plus spirituels ; je vous suis bien obligé d'avoir voulu prendre
la peyne de me donner un si aggréable divertissement. Je vous en remercie de tout mon
cœur, et vous asseure que je suis tout à vous.
Henry- Louis de BouRBpN \
Marigny n'avait garde de quitter Francfort. La diète qui avait à élire
Léopold I^r en remplacement de Ferdinand III, s'éternisait à l'habi-
tude ; mais elle rentrait dans sa période active. Les électeurs y étaient
arrivés du 19 mars au i®^ mai. Achetés par l'or de la France, ils se pré-
parèrent à imposer au futur empereur une capitulation lui interdisant de
prêter aucun secours aux Espagnols. Durant ces négociations, aucun
des Allemands ni des étrangers présents ne souhaitait la fin d'une saison
passée en partie double : affaires et plaisirs. A Anvers, M. le Duc voyait
s'approcher la fin de sa deuxième année de philosophie, o\i physique, et
au mois de mai, il toucha à la dernière épreuve : le de Universa
philosophia.
Toutes ces solennités littéraires ont le tort de se ressembler, en sorte
que leur récit tourne vite au cliché. Pour esquiver le péril, les Lettres
annuelles se contentent de rapporter que M. le Duc passa ce second
examen avec la même pompe et le même succès que celui de l'année
précédente, son Sérénissime père étant encore présent '. Sanderus au
contraire, n'ayant point raconté le premier, entre dans les détails pour le
deuxième. On voit dans sa description le Prince âgé de bientôt quinze
ans, mais d'yn talent et d'une maturité de jugement au dessus de la
jeunesse, qui seul soutient avec un rare bonheur et une complète satis-
faction des thèses sur l'ensemble de la philosophie. Condé est là, au
milieu de la plus grande partie de la cour et de ses principaux seigneurs ;
la satisfaction se traduit en applaudissements. Le prélat de Saint- Michel
Îr met fin, et, pour couronnement de la séance, il émet le vœu que dans
a poussière, non des académies mais des batailles, le Sérénissime
Prince, son père, défende avec un égal succès les places de la Belgique.
Condé applaudit à ces paroles dont il accepte l'augure, et répond que
c'est bien là son espérance, que là aussi tendront ses efforts ^
Marîgny, à la diète \ prît les choses moins au sérieux. Dans l'inter-
1. Papiers de Condé, série O, t. l*', fol. 311.
2. Annales Antverpienses, par le P. Daniel Papenbroek, ouvrage publié par £. Buschman.
Anvers, 1848, t V, pp. 120-122.
3. Sanderus, op,cit, — € Quelle philosophie, se demande ici M. Monchamp, les Jésuites
enseignaient-ils au fils de Condé et à ses quatorze compagnons ? On ne peut douter qu^elle ne fût
pour le fond péripatéticienne ; mais la présence même du fils d'un prince français, admirateur
généreux de Descartes, devait porter ses maîtres à parler de lui, à le louer, et même à adopter
quelques-uns de ses sentiments. En tout cas, c'est ce que Ton constate chez plusieurs Jésuites
contemporains et notamment chez le P. Ignace Der-Kennis. < Histoire du cariésianisme en
Belgique, p. 277. — Ce que nous dirons plus tard de la philosophie anticartésienne enseignée à
Paris au petit-fils du grand Condé (1682- 1684) prouvera combien ces suppositions sont
prématurées.
4. Sur la diète de Francfort, voir les Grands traités du rigne de Louis XI V^ par Henri Vast.
Picard, 1893, in 8", p. 70.
206 HENRT-JULES DE BOURBON.
valle des beuveries germaniques, il écrivit à M. le Duc une épltre qui
nous en apprend plus sur les exploits gastronomiques de Francfort que
sur les tournois scolastiques d'Anvers. Le genre burlesque auquel
Marigny, auteur de Mazarinades, avait sacrifié au temps de la Fronde,
n'avait point perdu la vogue, et lauteur jugea sdiX^iir^ tnter pocula digne
d'être imprimée. L'esprit étant toujours de mode, nous demandons à
nos lecteurs la permission de la rééditer. Bien peu iraient la chercher
dans le rarissime Elzévier où elle a vu le jour.
A MONSEIGNEUR LE DUC D'ENGUIEN.
Monseigneur,
Je ne sçaurois exprimer à V. A. Sér°^^ la joie que j*ay eue d'apprendre avec combien de
gloire vous avez fait triompher vôtre philosophie de tous ceux qui l'ont attaquée^mais, Moo-
seigneur, il seroit bien malaisé que je peusse aussi vous dire le déplaisir que j'ay de n'avoir
pas esté le témoin de vôtre triomphe, et de n'avoir pas augmenté le nombre de ceux que vous
avez deffaits. Car enfin, Monseigneur, si j'eusse e-jté à Anvers, j'aurois tiré mon £rgû comme
un Carabin de morale ou de Physique aussi bien qu'un autre, et quoy qu'il y ait bien long-
temps que je n'ay battu le fer dans la salle des Catégories, je serois entré en lice avec
autant de hardiesse qu'un Cordelier qui est en haleine, et qui fait tous les jours assaut
contre un Ibernois. V. A. S. m'eût bourré dos et ventre, et moy j'eusse chanté avec
plaisir vôtre victoire et dit de bon cœur
Magnaque dat nobis /an/us soîatia Victor,
Que je porte envie à ceux qui ont eu la satisfaction de veoir une légion de syllogismes
so tis de toutes sortes de cloistres taillez en pièces pa^ un distinguo de Maison Royale : il
me semble que je veoy traitter de haut en bas un Fapesmo Jacobin, un Frisesomorum
Augustin, et un Camestres séculier ; il me semble que je vous vcoy démtsler sans peine de
toutes les chicanes de l'eschole, et vous jouer de tout ce qui a coutume d'embarrasser les
autres : enfin, Monseigneur, je m'imagine de veoir V. A. S. donnant de l'admiration et de
l'estonnement à touts ses auditeurs. Pour moy, Monseigneur, tandis que vous vuidiez toutes
les diffîcultez de la plus subtile philosophie, je vuidois touts les plus grands verres d'un
buffet, car les Thèses que nous soutenons en ce pais-cy ne sont que Bacchiques, et si Tony
mesle quelque chose de logique, ce n'est qu'en cette manière tenant un verre en chaque
main et disant
m
Bonum est antecedenSf Ergo bonum est consequens :
Si celuy à qui l'on porte la santé pense se sauver en ne beuvant qu'une flûte et dire
Transeat antecedens^ sed nego consequens^ c'est un Bacchicologicien déshonoré, tant on est
rigoureux dans nos escholes d'Allemagne : qae d'actions semblables je raconterai à V. A. S.
quand j'auray l'honne jr de la veoir, et que d'admiration elle aura de la science de M" nos
Alaiires. Ces sortes de relations veulent estre accompagnées du geste, et elles n'ont pas
toute leur grâce sur le papier; ayez donc s'il vous plaît la bonté de m'tn dispenser à présent,
et soyez satisfait des autres nouvelles : je voudrois estre mieux informé que je ne suis
afin de pouvoir contenter une curiosité comme la vôtre; mais, Monseigneur, je ne suis qu'un
pauvre simple s|>eclateur qui vous raconte de bonne foy tout ce que je sçay; j'espère
que vous me ferez la justice de croire que j'auray toute ma vie la mesme sincérité
PHILOSOPHIE A ANVERS. 207
pour tout ce qui regardera vôtre service, et que vous serez très persuadé que personne
ne sera jamais ni plus véritablement ni plus inviolablement à V. A. Séx'^ que moy.
A Francfort, le 25 May 1658 ',
Marigny n'exagère rien dans ces pittoresques tableaux de mœurs qui
remettent en mémoire les meilleures pages des Mémoires de Gramont,
l'ambassadeur de France auprès de la diète. Et cela ne rappelle-t-il pas
le fameux portrait de Jean-Philippe de Schônborn, l'électeur de
Mayence qui < avoit très-bien fait ses études ^, brillait par sa « conver-
sation gaie et libre, ne tenant rien du pédant », et qui surtout < étoit
sobre dans ses repas, mais ne laissoit pas de boire autant qu'il étoit néces-
saire pour être agréable à ses convives, qui ne se paient pas de
médiocrité en ce pays-là, et pour lesquels il avoit la complaisance qui est
indispensable en Allemagne, lorsqu'au lieu d'un compliment l'on ne veut
pas faire une injure à ceux qu'on a conviés ? Il se mettoit régulièrement
à table à midi, et n'en sortoit guère qu'à six heures du soir. Sa table
étoit longue et de trente couverts. Il ne buvoit jamais que trois doigts
de vin dans son verre, et buvoit régulièrement à la santé de tout ce qui
étoit à sa table, puis passoit aux forestières (étrangers), qui alloient bien
encore à une quarantaine d augmentation ; de sorte que, par une suppu-
tation assez juste, il se trouvoit qu'en ne buvant que trois doigts de
vin à la fois, il ne sortoit jamais de table qu'il n'en eût six pintes
dans le corps, le tout sans se décomposer jamais, ni sortir de son
sang- froid... '. >
M. le Duc n'avait rien à envier aux pantagruéliques agapes des gens
de la diète. Avant que Léopold I«*^ eût été enfin nommé empereur à
Francfort (i8 juillet 1658), et que les électeurs, gorgés de vin et dor,
eussent signé avec la France la Ligue du Rhin (16 août), le fils de Condé
avait quitté Anvers pour se rendre à Bruxelles, et assister, le dimanche
2 juin, à la procession solennelle de Notre-Dame du Sablon. Les
Relations véritables^ muettes sur la cérémonie religieuse, parlent d'un
diner offert par le Magistrat dans la Maison de ville. Les convives étaient
Charles 1 1 Stuart avec ses deux frères : le duc d'York, appelé à régner
sous le nom de Jacques II, et le duc de Glocester, sitôt emporté par
la mort^; le prince de Condé, le duc d'Enghien et le maréchal
d'Hocquincourt. Ils furent traités < avec les respéts et la magnificence»
que les Bruxellois se vantaient d'avoir « toujours bien sceu prattiquer à
Tendroit des plus grands Princes et personnes de haute condition ^ >
C'est au milieu de cette capitale, flamande par le cœur et française par
l'esprit, que Henry-Jules, rapproché désormais de Condé, va passer la fin
de son exil. Auprès de Monsieur le Duc, ses deux précepteurs, les PP.
1. Lettres de Monsieur de Marigny, p. 76.
2. Maréchal de Gramont, Mémoires, éd. Michaud, 'p. 31.
3. Septembre 1660.
4. Relations véritables, 8 juin 1658.
208
HENRTJULES DE BOURBON.
de la Falluère et Bergier, continuèrent leurs leçons avec leurs conseils \
Mais l'œuvre de son éducation publique est terminée, et comme dira
solennellement de lui Bossuet, dans \ O raison funèbre àt, son père:i/
avait à son exemple glorieusement achevé le cours de ses études.
I. P, FrcMciscus Berger; P. Franciscus de la Falluère etdsunt Serenissimo duci Angàanê, Ils
sont ainsi mentionnés dans le Status du collège de Bruxelles, octobre 1659, ^^'^ comine Êdsant
partie du personnel enseignant, mais comme appartenant au |^oupe des aumôniers milituies
qui formait la Missio castrensis. Parmi eux figure le P. François -Xavier de Fresneda, Espagnol
souvent en relation avec Condé. Les Archives de Chantilly possèdent de ses lettres. {Pafùn ék
Condé, série P, t. 28, fol. 31, etc.) Gourville le retrouva plus tard à Madrid et il en a tracé m
curieux portrait. Mémoires^ éd. Lecestre, t. II, p. 15.
?ES fêtes publiques les plus joyeuses sont parfois de tristes
pronostics. Quelques jours après le banquet du 2 juin,
dans ce Bruxelles fier de posséder les représentants de
tant de maisons souveraines, et confiant en celte épée de
M. le Prince qui valait pour les Pays-Bas plus qu'une
_ ^ ligne de places fortes, la panique avait envahi toutes
les âmes. Le 14 juin, Turenne gagnait sur Don Juan d'Autriche et
Condé la bataille des Dunes. Les Français, unis aux CôUs-de-fer de
Cromwell. avaient détruit sans retour l'armée espagnole. Le génie de
Condé eût peut-être disputé la victoire ; le sot orgueil de Don Juan
précipita la défaite. La route de Bruxelles était ouverte, et si Turenne
eût vivement marché en avant, toute résistance eût été impuissante. II
préféra s'emparer, après Dunkerque, de Bergues, Futnes, DixiTiude.
Audenarde, Menin, Ypres, et ne poussa jusqu'aux portes de la capitale
que le 25 octobre. La défense de la ville fut confiée au comte d'isembourg,
à qui les habitants accordèrent un subside de 75.000 florins. Mais rien
n'avait pu dissiper la terreur de la populaiîon. Une fois encore CciBdé 6t
beaucoup à lui seul. Chef militaire, il était entamé dans sa gloire ; exilé
chez des vaincus, il était perdu de ressources et d'espoir : rien ne
l'ébranla '.
Par une de ces inspirations habituelles à sa grandeur d'âme, pour
prouver aux Bruxellois qu'ils avaient tort de trembler et raison de se
défendre, il envole au milieu d'eux, presque comme un otage, ce qu'il a
de plus précieux au monde, la personne qui lui est la plus chère, son
propre fils. « Ou est honnestement alarmé en cette ville, écrivait Saint-
Estienne à Condé. du voisinage des ennemis ; mais l'arrivée et la présence
de Mgr le Duc ont rassuré les gens et dissipé leurs craintes. Si S. A.
1. JJiitoire dt Bruxelles, par II ce
t VVauIeis, 1845, 1. Il, p. 79.
FIN D*EXIL A BRUXELLES. 211
demeure îcy, nous ferons tout ce qu'il nous sera possible pour empescher
qu'elle ne s'y ennuie \ >
Saint-Estienne, gai compagnon et fin gourmet, ne dut pas engendrer
mélancolie autour du petit Prince, < Je me contente, écrit-il quatre jours
après, de faire ma cour règlement à Monseigneur vostre fils, et de
manger les potages de M. le président Viole *, avec mille autres ragoûts
qui sont les plus fins et les plus délicats du monde \ >
Ces badinages n'empêchaient pas la frayeur de persister parmi les
habitants. Elle dura même après la retraite de Turenne, tant l'impression
en avait été profonde \ Une fois les troupes dans leurs quartiers d*hiver,
on se rasséréna enfin et la ville reprit sa physionomie ordinaire.
Janvier (1659) revit Leurs Altesses de Condé et d'Enghien assister à
la messe de la Saint- Antoine, célébrée par le Nonce, puis au < superbe
et magnifique festin > donné par Caracena, prieur de la confrérie des
€ cavalliers principaux \ >
La danse succédant en ces occasions au repas, M. le Prince songea-t-il
à cet art pour son fils ? Toutes ses préoccupations ne parurent plus viser
qu'à en faire à son image un élégant danseur et aussi un parfait écuyer.
Dans ses dépêches à l'ancien précepteur de Henry- Jules à Bordeaux, le
comte d'Auteuil, il revient sans cesse sur ce chapitre. Avant tout, il
s'agissait de faire venir de France des maîtres excellents.
Vous direz de ma part à Monsieur de Longueville que mon fîlz estant creû et assez
fort pour monter à cheval, j'ay désiré d'avoir auprès de luy M. de Mémont à qui on a desjà
parlé et il est disposé à venir, dont je suis fort ayse : ne doublant pas que ce ne soit un
avantage de l'avoir auprès de mon fils. Personne ne peut parvenir ici sans passeport du
Roy, ou la permission de la Cour, de la forme qu'on jugera à propos de la donner, pour
luy, ses valetz et un maistre à danser que je l'ay aussi prié de mener avec luy ^
C'est pour Pâques (13 avril) que M. le Prince prétend que M. de
Mémont soit à Bruxelles. Avec quelle impatience il l'attend et quelles
recommandations réitérées de faire tenir au futur maître d'équitation
passeport en règle et argent ! Auteuil s'efforçait de tout préparer à temps,
mais M. de Mémont ne se montrait pas aussi pressé. Condé ne compte
déjà plus sur lui que € quelques jours après Pasques, puisqu'il ne peut
pas plustost ; mais il est nécessaire que il y soit pour le moins en ce
temps-là, car on partira bien tost après pour la campaîgne (l'armée) et
je veux auparavant veoir mon filz reiglé pour ses exercices, et mettre,
1. Papiers de Condé, Saint-Estienne à M. le Prince. Biuxelles, 9 septembre 1658. Saint-
Estienne est ce gentilhomme qui avait livré à Condé Linchamp et Château- Regnault pour 10,000
écus ; il fut toujours un peu négociateur d'affaires véreuses. Histoires des princes de Condé^ par
Mgr le duc d'Aumale, t. V, p. 277.
2. Le correspondant de Condé, lors de sa détention au donjon de Vincennes ; un des meilleurs
conseillers et serviteurs de sa maison ; il avait suivi le prince en exil. (Voir plus haut sa notice.)
3. Papiers de Condé, Saint-Estienne à M. le Prince. Bruxelles, 18 septembre 1658.
4. Histoire de Bruxelles, loc. cit.
5. Relations véritables^ 22 janvier 1659.
6. Papiers de Condé^ série P, t. XX, iol. 113.
212 HKVlRrr-JXJLXS DE BOURBON.
avant partir, toutes choses en train pour son éducation et la manière dont
je désire qu'il vive.... Pour ce qui est du maistre à danser, il faut
absolument en trouver un qui soit bon et qui ne manque pas de venir
avec M. de Mémont, car si ntonfilz rCapprendpas à danser à l'âge où il
est, il ne le sçaura jamais. Je vous recommande cela sur toutes choses.
M. de Mémont meinera les chevaux qu'il jugera à propos \ >
Ni pour les maîtres, ni pour l'écurie, Condé ne regardait à Targent
Il envoie mille pistoles '. C'est le prix de trois chevaux, dont < un petit
cheval pour courir la bague. > M. de Mémont doit les acheter sans
inquiétude ; tout lui sera ponctuellement rendu. Si c'est sa femme qui le
retient, qu'elle vienne avec lui. 4L Mad« de Mesmont ne doibt pas se
mettre en peine pour des meubles, on donnera icy ordre à tout.. Pour
le maistre à danser, vous pouvez l'asseurer qu'il aura comme il demande
un employ dans la maison. Son Altesse (Condé) ne se souvient pas de
celui qui est nommé dans votre lettre ^ Elle prie M. de Mesmont et
vous aussi que celuy qu'il mènera soit une personne capable, car vous
sçavez bien que les premières impressions qu'on prend à la danse
demeurent toujours. »
Cependant Pâques va arriver ; l'on est au 5 avril et ni le maître
d'équitation M. de Mémont, ni le maître à danser Farot n'ont l'air de
répondre à des instances si généreuses et si engageantes. Avril avance.
4[ Que M. de Mémont ne manque pas de partir, comme il a promis, le
premier du mois prochain. Je vous le recommande, escrivez moy par où
il désire passer, affin que je luy envoyé ses passeports. N'oubliez pas le
maistre à danser ^ »
Il est vrai que les mille pistoles n'ont toujours pas été versées et que
M. de Mémont préfère sans doute le comptant aux promesses ; puis la
guerre est sur le point de se terminer ; depuis février on est entré à
Paris dans la voie des négociations. Pîmentel discute avec Mazarin les
cessions de territoire auxquelles se résignera l'Espagne. Que Mémont
vienne quand même, écrit Condé ; « si la paix se fait, nous le ramè-
nerons 5. ^ Et il envoie les passeports. Cependant M. le Prince ne sait
oïl arrêter avec certitude ses espérances, et, tantôt confiant dans la
pacification générale, tantôt se reprenant à de chimériques projets de
guerre, il répète huit jours après : « Si la paix se fait ; nous le ramè-
nerons et les mille pistoles ne seront pas perdues. La campaigne aproche
et je veux absolument le veoir establi de par deçà et toutes choses
en train avant que je parte. Pour cela, il n'y a plus de temps à perdre et
je vous en prie de le faire partir *. »
Au moment où tout semblait ainsi arrangé, Condé éprouva la plus
I. P. C.y ibid.y fol. 203.
a. Ibid.y fol. 245.
3. En marge on lit le nom du maître écrit d'une autre main : € Farot. >
4. Ibid.^ fol. 316.
5. Ibid., fol. 335*
6. Ibid., fol 353.
FIN D'EXIL A BRUXELLES. 213
vive déception : pendant deux semaines, ses lettres n'exhalèrent plus
qu'amères récriminations. M. et Mme de Mémoni étaient sans doute
d'humeur peu voyageuse, et, partageant Tespoir d'un prochain et définitif
rapprochement entre l'Espagne et la France, que. faisait présager la
suspension d'armes signée le 7 mai, ils ne se souciaient point d'aller
vivre à Bruxelles dans les meubles mis là-bas si gracieusement à leur
service. Ils rompirent leur engagement.
€ Si c'étoit pour ne pas venir, s'écriait Condé indigné, M. de Mémont
ne devoit pas laisser les choses aller si loin ! > Le ton violent de ces
reproches irrités produisit son effet; tout était brisé, tout fut raccommodé.
€ Je n'ai plus rien à vous dire touchant M. de Mémont, écrit- il le 24 mai,
puisqu'il vient \^ Le maître d'équitaiion, auquel le traité préliminaire du
4 juin laissait pressentir un prompt retour, n'hésita plus àpasserla frontière.
Condé pouvait s'en féliciter en ces termes le 10 juillet : < Je me trouve
fort bien de l'avoir fait venir, ce sera autant d'advance pour mon fils *. >
Heureux M. le Duc ! il saurait monter et danser, pour sa rentrée au
doux pays de France! Mais connut-il jamais tout ce qu'il en avait coûté
à son père d'argent, de dépêches et d'obstination ?
Le 7 novembre, fut conclu le traité des Pyrénées. Condé y était reçu
dans les bonnes grâces de Sa Majesté très chrétienne, remis et rétabli
dans la possession de tous ses biens, honneurs, dignités et privilèges de
premier prince du sang, avec le gouvernement de Bourgogne et Bresse,
au lieu de celui de la Guyenne. La charge de grand-maître de France
qu'il avait exercée, lui fut enlevée quoique inamovible, mais pour être
reportée sur la tête de < Monsieur le Duc d'Anghien son Filz >, avec
droit de retour à M. le Prince € au cas que ledit S' Duc d'Anghien vinst
à décéder devant luy. > (Article 84.)
Le départ des augustes exilés pour leur patrie eut lieu dans les
derniers jours de Tannée 1659 K
Ce fut toute une petite mobilisation. Le 2 1 décembre, le marquis et
la marquise de Caracena allaient à Malines € rendre leurs civilités > et
faire leurs adieux à M"^« la Princesse, qui avait déjà reçu quelques mois
plus tôt (21 février) Don Juan d'Autriche, disgracié depuis les Dunes et
appelé par Sa Majesté catholique à des emplois de son plus grand
service \ > Ils arrivèrent à Bruxelles le 23, escortés par les brigades de
cavalerie de M. le Prince.
Les adieux officiels, fixés au lundi 29, furent empreints de la cordialité
la plus touchante. Aux principaux de la province qui le complimentaient
et le priaient même de continuer son amitié à la ville, M. le Prince
répondit qu'il n'oublierait jamais l'hospitalité reçue et conserverait
toujours 4L une bonne affection pour la bénigne volonté que le Magistrat
et les habitants lui avoient montrée. >
1. /^v/., t XXI, fol. I.
2. /(foV/., fol. 198.
5. MisMre de Bruxelles^ par Henné et Wauters, 1845, t* I^i P* Si .
4. Relations véritables et Gazette de France^ 5 mars 1659.
ZiJk HE^MMT'IVl-MS D£ BOCJLBO
Cara/c^:!», vxioewsrjr d-s: D<w Juan \ îm arak ofiert, en prcscat. hiat
l/^^jx chî^;^ frt un mignîfiq-JÇ cairoMe à rîtrcs. de fabricaiicn bfiixeDoîse,
t^l q<>t Pari* n'<:n avait encore vu *.
4r 5y>n Aluttvi: dt Condé partît dld. lît-oo dans les Relafims t^riiabUs,
^,n%\uiiïï à f f heures <3u matin avec Madame la Princesse son épouse, et
Mon'>ieijr h Duc d'Anguien son fils, et toutes leurs suites, aiant été
a/yy>mpagné, au bruit du canon des remparts, par son Exe le Marquis
Ak Caracena ^t tous les seigneurs principaux de la Cour, jusques hors de
la ville, Sadîte A- alla coucher ce jour-la à Nivelle d'où Ella poursuivi
«on chemin par Maubeuge et Vervins vers la Champagne \ >
Av#:c le duc d'Enghien se trouvaient ses deux précepteurs, les Pères
de la l'alluère et Bergîer \
f.e 3 janvier 1660, Condé et son fils étaient à Soissons ; ils ne
vo jlurent r^:cevoîr aucun des honneurs qui leur avaient été préparés. Le
5, î!» rencontraient à Coulommîers toute la famille de Longueville venue
de la capitale au-devant d'eux. Madame la Princesse, séparée de son
mari, mai» inséparable de M"« de Bourbon, l'enfant de l'exil ', avait
voyagé à une journée d'intervalle, suivie de quarante carrosses.
\a\ départ de Coulommîers fut le signal d'une nouvelle dispersion. Le
10, le prince de Condé .se mit en route pour aller en Cour; la princesse,
fK)ur «e rendre à Trie. Le duc d'Enghien était déjà à Augerville, dans
le château du président Perrault. Puis, vers la fin de février, l'enfant se
nurouva avec son père dans le beau domaine de Saint- Maur, aux portes
de ce Paris où il était né, seize ans passés, et qui était pour lui deux fois
lîi patrie.
La rentrée de Condé dans la capitale eut lieu peu de jours après
(25 février). Il fut < receu de tous les ordres avec beaucoup de joye, qui
s'^Ht trouvée encor grandement accreue par le récit qu'il a fait des bontez
nue Leurs Majcstez lui ont tesmoignées en son voyage de la Cour, et
(leH marques qu'il y a recelles de l'amitié de Son Emînence *. >
A Kome, oîi depuis tant d'années les Papes avaient fait d'inutiles
I. Sur Curiirena, v. la lUopraphU nationale de Belgique^ t. III, col. 297.
j. llîstohfth lirHxtiieSy loc. cit. La date du départ y est mise par erreur au 28 au lieu du
30 diVrinhie.
y Mationt Vt'ntabUx^ '\ janvier 1660.
4. < Proferti erunt (sg dér. 165Q) ex Helgio ad provinciam Franciae. > Catalogues,
5. Cette petite meur du duc d'Kn^^hien, qui ne semblait née à Malines (1657) que pour y être
annorii^e h la malheureuse foi tune de sa mère» devait à peine connattre la France et elle n'y entra
Ku^l^ ({urpoury mourir, f I.e 28 septembre, lit-on dans la Gazette du 2 octobre 1660, mourut
Xk \\\\\^\ Mrtdenuùselle de Uouibon, Fille unique du Prince de Condé, âgée seulement de 4 ans :
et le lendemain »on coiivi fut porté au Couvent des Carmélites du Faux-bourg S. Jacques, et
inhum«< aupièxde relui de la Pi incesse de Condé, sa Grand'Mère, en présence du Prince de
iVnti, de«dui'hr!«Nf<i de Longueville et de Nemours, et d'autres Princesses et Dames qui se
liou\^iei>t .\ KtWt \\\\\\^ lunebre : où TAichevesque de Bourges 6tla cérémonie. Lejourmesme
rt Itc^ ikuivAns t\nite la Cour alla consoler le Prince et la Princesse de Condé : le Roy, les Reynes
«^t Mon>irui leur AY4ns fait, aussi, l'honneur de leur aller tesmoigner la part qu'ils prenoyent ca
\Ttte peite. > Fin piifmatuiée et touchante, mais douce en comparaison des longs malhetirs
qui AttrndAirnt na mère I
(V (*\i.v/Ar, 4$ tVivner locx^. Voir, pour l'itinéraire de la rentrée en France^ les mnoéros
pi^'«tlem«.
FIN D'EXIL A BRUXELLES. 215
' ■■ mit ipi ' w i' m
efforts pour ramener la paix entre les princes chrétiens, l'allégresse fut
plus profonde et plus sincère encore. La Compagnie de Jésus, fidèle à
Condé et à son fils en leurs jours de malheur, prit la part la plus vive au
retour de leur bonne fortune. Tandis que ses vieux professeurs de
Bourges lui écrivaient, le P. Ragueneau, du fond du Canada, pour lui i^ ^ ^^
demander un régiment ; le P. Boucher, de Rome, où il venait d'être ^'>^
envoyé en qualité d'assistant de France : le P. général Gottîfredi, se '^
faisant l'interprète de son Ordre, adressait à M. le Prince une lettre de
félicitations pour resserrer avec lui cette chaîne de mutuelle reconnais- \
sance et d'affection réciproque qui, depuis Henri II de Bourbon-Condé,
avait uni les religieux éducateurs aux Princes leurs élèves.
Elève des Jésuites, M. le Duc l'était encore, mais le lien était bieA|
frêle et tout personnel. Attachés en titre à sa personne, les Pères Bergîer
et de La Falluère, bien que demeurant au collège de Clermont, — le
futur Louis-le-Grand, — lui rendirent encore pendant une année des
services dont nous ne saurions bien préciser la nature '.
Une seule lettre du P. Bergier nous montre M. le Duc dans la célSIiH^
maison d'éducation qui, un jour, comptera son fils parmi ses écoliers les
plus distingués. Elle est datée de deux ans plus tard. Le jeune Prince y
figure comme assistant à une soutenance qui fit grand tapage à l'époque.
C'étaient les thèses sur toute la philosophie de Chrétien-François de
Lamoignon, fils atné du premier président Guillaume. Cette lettre
appartient encore à l'histoire de l'éducation du duc d'Enghien par les
qualités de politesse et de modestie, de savoir et de bon ton qu'elle
révèle dans X^XiÇA^n philosophe d'Anvers. Son action se réduit, il est vrai,
à une action de présence, et ce n'est plus le grand Condé son père,
impatient de se jeter dans la mêlée pour poser des objections à Jacques-
Bénigne Bossuet, défendant sa tentative de Navarre.
A Paris, ce 15 juin 1663.
Je crois que Vostre A. S. apprit en partant pour Chantilly que Mons^^ de Lamoîgnon,
fils aisné de Monsieur le premier président, devoit soutenir en ce collège des thèses de
philosophie et de mathématique hier et aujourd'huy. La compagnie qui y a esté aussy
grande qu'elle pouvoit estre surtout de gens de la robbe, a donné mil louanges au répondant
et certainement avec sujet, car enfin il a parfaitement bien répondu. Il doit pourtant tout
' le succès de sa dispute à S. A. S. Monseig** le Duc. Mons*^ le premier président, et tous les
assistants le disent hautement, et V. A. S. elle même en tombera d'accord quand je luy
auray dit de quelle manière la dispute se passa. Elle commença hier sur les trois heures. Je
ne sçay en quelle humeur étoit Monsieur de Lamoignon, mais sa façon de répondre un
peu froide ne donnoit pas sujet aux auditeurs de se récrier sur les réponces. Cette humeur
luy dura jusques à quatre heures qu'arriva Monseigneur le Dur. La joie qu'il eut de voir
ses disputes honorées de la présence d'un si grand prince et si capable de juger de sa capacité
luy donna du cœur, et fît qu'aiant jusques alors paru comme un honneste escholier, il
répondit ensuitte comme un maistre. On avoit commencé un argument quand Monseig^ le
I. € Ad 1660-61 sunt uterque in collegio Parisiensi cum Illustr"^ duce d'Enguien. > Catalogues,
216 HENRY- JULES DE BOURBON.
Duc entra. Mons^ de Lamoignon reprit rargument et en fit une petite récapitulation de fort
bonne grâce. Il répondit à toutes les difficultés qu'on luy proposa par après avec une
présence d'esprit et une vivacité admirable. Toute la compagnie s'aperçut d'un changement
si notable et disoit : Ce répondant est tout autre depuis que Mons' le Duc est entré.
Mons** le premier président ravi du succès de la dispute de son fils ne pouvoit se lasser de
répéter après qu'elle fut finie, en présence de plusieurs personnes : € Je ne saurois assé»
reconnêtre l'obligation que j'ay à Mons*^ le Duc et pour l'honneur qu'il a bien voulu me
faire d'entendre mon fils plus d'une heure, et j>our l'esprit qu'il lui a inspiré, par ta
présence. Sans luy mon fils n'eût fait que médiocrement, et c'est à luy uniquement qu'il
est redevable de toute la gloire qu'il remporta de cette action. Il ajoutoit que Monseîg' le
Duc lui avoit dit les choses du monde les plus obligeantes pendant la dispute et en sortant
J'entendis celles que Monseig** le Duc dit au premier président qui le conduisoit à son
carrosse, mais en vérité elles avoient quelque chose de bien doux, de bien obligeant et de
bien spirituel. En même temps que j'entendois prononcer de si belles choses et de si belle
manière à Monseigneur le Duc, j'entendois des présidens au mortier, des cons^ au
parlement et autres personnes de considération qui disoient : Il faut avouer que Mons*^ le
Duc fait de bonne grâce ce qu'il faut faire et dit bien ce qu'il faut dire. En effet»
Monseigneur, il fit tout ce qu'il falhit et le fit du plus bel air du monde ; fa été le sentiment
universel de tous ceux qui y ont été prèsens '. >
Ici se place le récit d'un incident tumultueux soulevé par le comte de
Saînt-Pol. Ce jeune seigneur, d'humeur un peu folle, fils de feu le duc
de Longueville * et cousin de M. le Duc, s'était constitué premier
occupant du fauteuil d*honneur réservé à celui-ci, avec € le tableau du
Roy, sous un dais, vis-à-vis du répondant >. De là toute une querelle de
préséance. Offusqués de ce prétendu passe-droit, le président de
Lamoignon et le chancelier d'Etat crurent devoir intervenir. La scène
était donnée en plein milieu des présidents à mortier et des conseillers au
parlement, sous les regards de ^ quantité de dames > qui garnissaient le
jubé du haut, à côté de MM. Le Tellier et Colbert, — un vrai banc
ministériel !
Le lendemain, 15 juin, ce fut le tour des thèses de mathématiques \
La dispute d'aujourd'huy, continue le P. Bergier, n'a pas moins bien réussi que celle
d'hier qui ne fut que de philosophie. La compagnie n'a pas été tout à fait si grande.
Monseig" le Duc avoit fait espérer qu'il y assisteroit, mais il n'y est point venu ; il âut que
quelque affaire qui lui soit survenue l'en ait empesché.
Bien lui en prit, ainsi qu'au comte de Saint- Pol, lequel avait également
< jugé à propos de n'y point venir et de s'aller promener >.
Ce fut la séance la plus dangereuse. Entêté dans son gallicanisme
parlementaire comme les régents du collège dans le système de Ptoléméet
le premier président trouvait bon que son fils combattît le système de
Copernic, mais point qu'il lattaquât au nom de l'Inquisition romaine»
1. Bergier à M. le Prince, Paris, 15 juin 1663. Papiers de Condé^ Série P, t. 29, fol. 133.
2. Le duc de Longueville était mort le 1 1 mai.
3. Agones mathematici^ adarcem Copemicani svstemoHs expugnatam incolUgiû Claromoniatte^
Societatis Jesu. Parisiis, excudebat Ant. Vitr^ 1663. La dédicace est ainsi libellée : Rêgî
êxpu^ncUori urbiun^ olim armatOy nunc fiacifico^ expu/cnatcun pacifica Victoria Coptrmcam
arcem consecrat ÇAristianus Franciscus di Lamoignon^ 1663, dis i^junii. (Bib. nati Vs.)
218 HENRY-JULES DE BOURBON.
tribunal dont les décrets, d'après lui, n'étaient pas reçus en France. Averti
deux jours auparavant que l'affaire € feroit du bruit >,il avait négligé l'avis,
€ croyant la chose trop légère > ; toutefois, en magistrat prudent et
prévoyant, il n'avait pas laissé d'ordonner à Chrétien- François de
Lamoignon de s'en expliquer nettement dans ses réponses, et il lui
avait dicté lui-même cette étrange déclaration : Quo argumento, ab
Inquisitione petito, utuntur omnes qui répugnant Copernico^ quemad-
modum factum a Gassendio ; per quod tamen nullam ego attribua
auctoritateyn Inquisitioni in hoc regnOy qui sum et ero sewper libertatum
Gallicarum defensor acerrimus. < Ce que le soutenant, conclut le
P. Rapin dans ses Mémoires \ trouva moyen de dire et de répéter même
fort à propos pour l'explication de sa thèse. > Ami du premier président,
Rapin n'était guère moins gallican que lui ; mais que penser du roi et du
Conseil des ministres qui, à cette occasion, donnèrent ordre à l'archevêque
de Paris d'obh'ger la Sorbonne à faire un décret contre l'Inquisition ?
Si le P. Bergier conservait son rôle de mentor auprès du duc
d'Enghien, il n'en était pas de même du P. de La Falluère : il s'était
retiré.
Les gouverneurs avaient aussi disparu de la scène. Il n'est plus fait
mention de Saint-Simon. Le comte d'Auteuil, rentré sans doute en
grâce, n'est plus nommé que dans une cérémonie funèbre, le transport
des restes de la duchesse de Ventadour ' de Paris en Vivarais (31 jan-
vier 1661) 3. Il y porta gravement la queue de son apcien élève, qui
1. Le récit du P. Rapin, Mémoires^ t. III, p. 207, et la lettre du P. Bergier qui n*en avait pas
encore été rapprochée, se complètent l'un par l'autre. II y avait là matière à une cuiieuse étude.
D'après la Gazette^ p. 562, Ordinaire du 16 juin 1663, les thèses du second jour roulaient < sur
les Questions les plus difficiles des mathématiques > ; le candidat aurait proposé € un nouveau
Système du Monde, et le secret des Longitudes qui n'avait point encor esté trouvé. >
2. Tante du grand Condé, par les Montmorency.
2,. Gazette^ 1661, p. 127.— La place du comte d'Auteuil, cet érudit de profession, ne pouvait plus
être depuis longtemps auprès d'un prince du sang destiné, à peine rentré en France, à paraître
à la cour < avec tant d'ajustement qu'il ne se peut rien voir de plus galant ni de plus leste. >
(Ibid,y p. 655, 5 juin.) Condé, qui l'employait dans ses négociations de famille, le lui avait fait
sentir finement, lors de son choix d'un maître à danser : < Je ne doubte pas que vous ne vous
soyez autrefois meslé de la danse, et que vous n'y ayez mesme réussy, mais ne trouvez pas
mauvais si je vous dis que je m'en fie plus aux yeux de Madame de Longueville qu'à l'expérience
que vous en avez eue. > M. le Prince à Auteuil, 31 janvier 1657. Papiers de Condé^ série P,
t. XVII, fol. 17 et 18.
M. le Prince se défiait même un peu de son savoir et ne l'encourageait qu'avec réserve dans
ses controverses : < Dès qu'on aura achevé de mettre au net le livre que vous avez faict en response
de celuy de M. Chiffiet, vous me ferez plaisir de me l'envoyer, et de prendre garde que ce soit
par une voie seure. Je sçay que vous êtes ttès sçavant dans ces sortes de matières, mais nonobs-
tant celoy je vous prie encore de bien consulter les experts, avant que de mettre votre livre au
jour, afin d'estre d'autant plus asseuré qu'il n'y ayt rien dedans qui vous puisse attirer une
fascheuse réplique. > Le même au même, 29 février 1657. Ibidy fol 36. — Une autre fois il lui
fait écrire : < M . le Prince a veu un livre qu'il a trouvé fort beau en tout et pour tout, particu-
lièrement vos défenses en faveur de la Maison de France. Il n'y a nen dedans que je n'approuve :
mais le commencement luy plaist davantage que la fin. > Le même au même, 7 août 1657. Ibid.y
fol. 301. L'ouvrage en question, lu en manuscrit par Condé au camp d'Ave^nes et retourné par
lui à l'auteur avec ces encouragements, parut en 1659, sous ce titre ridicule : Le Vray Chtide-
■ brand ov Response av traitté iniurievx de M. Chiffiet y médecin dv Roy d^Espagne^ contre le Duc
Childebrandy F? ère du Prince Charles Martel, et duquel descend la Maison du Roy IJugues^ dit
apet. Par vn bon François. Paris, Lamy, 1659, in-^*** (L'exemplaire de la Bibl. nat. porte cet
FIN D'EXIL A BRUXELLES. 219
s'avançait revêtu d une 4L longue robe de detiil avec le bonnet quarré. »
Assurément ce bonnet n'était pas celui de docteur ; mais s'il faut en
croire Bcurdelot, le plus ancien précepteur du prince, Henry- Jules de
Bourbon n'en eût pas été indigne. L'ex- médecin de Christine de Suède
avait rouvert à l'hôtel de Condé son Académie d*avant la Fronde. Dans
le résumé des discussions dédié par lui à Mgr le duc d'Enghien, en 1672,
il traça un portrait du jeune homme qui, pour être écrit en style d'épltre
dédicatoire, ne nous semble pas moins donner une idée de sa physio-
nomie morale et intellectuelle. C'est « un enjouement d'esprit le plus
agréable du monde ; > c'est < une affabilité tout à fait obligeante >
conservée au milieu des plus grandes affaires ; une € douceur > qui
incline vers lui "" ; une < admirable présence d'esprit qui le rend les
délices de la conversation > ; un 4[ sçavoir éminent >, rare chez ceux de
sa condition ; enfin, dans les « Matières de doctrine :^, l'habitude d'aller
€ au nœud des questions > et de se prononcer sainement ^
Bourdelot n'exagère ici qu'en un point : c'est lorsqu'il nous montre
M. le Duc jouissant d'une égale estime parmi les gens de lettres et
parmi les gens de guerre. Jamais le duc d'Enghien ne fut capable de
commander en chef. Dans les circonstances où il fit preuve d'activité et
de courage, le principal mérite revenait au prince de Condé, qui pouvait
bien faire de lui son lieutenant-général mais non un capitaine formé à
son école. Spanheim, mieux placé et moins partial que Bourdelot, n'a vu
avec raison dans Enghien qu'un prince instruit et un délicat lettré. < Son
père, écrît-il, confia sa première éducation aux Jésuites du Pays-Bas
espagnol, dans le parti duquel il étoit alors, et trouva qu'il surpassa
même son attente par les grands et surprenants progrès qu'il fit dans
tous les genres d'étude où il s'appliqua, en sorte que M. le Prince fut
charmé de l'habileté et des lumières de son fils, et commença dès lors à
hommage autographe : < Pour Monsieur le Pauant de Pussoi, conseiller du Roy en son grand
conseil, par l'Autheur, le comte d'Auteuil, son très obéissant serviteur et très humble parent. >
Lm^, 393-) Il répondait au Faux Childebrand à^ Chifflet, qui fit paraître aussi des Genealogice
francisca. Les meilleures publications du comte d'Auteuil sont les premières, qui dataient de
Suinze ans : Histoire des minisires d^ Estai, Paris, Courbé, 1642, in- fol., et BÎanche infante de
'astifle^ mère de Saint LoviSy reyne et récente de France. Paris, Sommaville, 1644 in-4**. Ce
dernier ouvrage contient des pages remarquables par le style.
1. On trouvera la confirmation de ce jugement de Bourdelot dans les lettres malheureusement
en petit nombre qui nous restent du duc d'Enghien à partir de cette époque aux Archives de
Condé et dans les Mss. de Lenet . Une des collections les plus importantes est la correspondance
de M. le Duc avec le comte Guill. de Guitaut, Tami de son père. Elle renferme vingt-neuf lettres,
dont la première est datée de Paris, le 22 juin 1662 ; elle figure avec honneur à la suite des
lettres du grand Condé et à côté des autographes de Madame de Sévigné, dans le précieux recueil
du château d'Epoisse que M. le comte Ath<'inase de Guitaut a bien voulu nous ouvrir.
2. Conversations de i^ Académie de Monsievr Vahbé Boirdelot, contenant diverses recherches^
observations^ expériences et raisonnements de fhysiquey médecine^ chymie et mathématiques^ le
tout recueilli par le S' Le Gallois. Et le parallèle de la Physique d^Aristote et de celle lie Monsieur
Descartes^ leu dans ladite Académie. Pari?, Moctte, 1672, 1 vol. in- 12. (Bibl. nat., R. 13,758.)
— Le Gallois publia encore : Conversations académiques^ tirées de V Académie de Mon,\ieur l'abbé
Bourdelot. Paris, Barbin, 1674,2 vol. in-12. (Bibl. nat., R. 13.756.) C'est un des plus joyeux
spécimens de la médecine au temps de Molière. 11 existe aux Archives de Condé une lettre où
Bourdelot prétend que Le Gallois a publié à son insu et sans son autorisation. C'est croyable au
plus pour le premier volume.
220
HSNRTnIUXAS DS BOURBON.
en faire ses principales délices. Aussi continua-t-on depuis de reconnaître,
et comme on s'en aperçoit encore aujourd'hui, que l'esprit de ce princ e
étoit non seulement vif et bouillant et d'une conception aisée et prompte ,
mais encore fort éclairé et rempli de mille belles connoissances, d'un
discernement exquis pour en juger et d'une grande facilité à les débiter
et à les faire valoir dans les occasions. >
L'honneur de cette éducation revenait en partie aux maîtres de
Bourges et de Bordeaux, de Namur et d'Anvers ; elle remontait plus
haut, jusqu'au grand Condé lui-même, qui les avait conduits et dirigés.
LOUIS DE BOURBON,
PETIT-FILS DU GRAND CONuÉ.
(U'apris le tableau de Le Dart gravé par Sléph. Gantrel.)
ïjflpitre Trd5ième.
AVANT LE COLLÈGE.
(1668-1676)
4 II anut de l'espril, d« la lecluie, des rates d'une
excelleate MucalioD... » (Saim- Simon, Afimtini.'
EAUCOUpde Parisiens ont-ils remarqué, sur la paroisse
Saint-Sulpice, paroisse en ce temps-là de l'hôtel
d'Orléans et de l'hôtel de Condé, aujourd'hui du
palais du Luxembourg et du théâtre de l'Odéon,
une petite rue qui, pour n'avoir point la notoriété
des rues de Condé et Monsieur- le- Prince, n'en garde
pas moins le souvenir d'un membre de l'illustre
famille : la rue < Palatine» ? Et combien de ceux
qui ont par hasard ^Shé dans ce coin du vieux bourg Saint-Germain se
sont-ils arrêtés rue Garancière, devant la modeste fontaine, contemporaine
de la monde Louis XIV, que surmonte l'inscription ci-dessous :
AQUAM
A PR.1LFECT0 ET AIDILIBUS ACCEPTAM
HIC
SUIH IMI'ENSIS. CIVIBUS KLUERE TOLUIT
SEKENISSIMA PRINCEPS ANNA PALATINA EX BJJTARIIS
KELICTA SERENISSIMI PRINCIPIS
HENRICI JULII BORBONII PRlMOnS COND,1iI
ANKO DOMIKJ M. DCC, XV '.
t. La PfUaline avait le goût des fontaines publiques. On lit dans Pigeory {Monumntts de Paris,
1849, in-S, p. 565), que du vivant de Louis XIV elle fit élever, c sui des dessins d'une simplicité
noble, la fontaine Saint-Martin, près la rue du Vf rt-Bois. > L'inscription actuelle, & l'angle du
Conservatoire des Arts et Métiers, ne nomme pas Anne de Bavière, et se contente de rappeler
<]ue la fontaine du Vert-Bois, érigée en 1712, a été conservée et restaurée < par l'Etat > en 1882.
— Sur la Palatine au Petit-Liuembourg, voir la Topographie historique du vieux Paris, 1876,
to-4, P' 316 et suiv., qui résume et complète le Palais du Luxtmàeurg, par A. de Gisors : Paris,
t847i ÎD-8, p. 105.
224 LOUIS DE BOURBON.
C'est tout ce qui rappelle au passant affairé de notre époque la méflfu>ire
d'Anne de Bavière, princesse Palatine, seconde fille d'Edouard, prince
Palatin du Rhin, et d'Anne de Gonzague de Clèves, la Palatine immor-
talisée par le génie oratoire de Bossuet. Née le 13 mars 1648, elle avait,
peu de mois après la mort de son père (10 mars 1663), épousé, le mardi
II décembre, Henry- Jules de Bourbon, duc d'Enghien, le fils unique du
grand Condé. Cette union fut célébrée à lenvi par les poètes français et
latins. Loret aligna des colonnes de rimes en l'honneur des € deux
Amans de grand lignage, > et surtout de 1' < aimable et jeune beauté,
— fleur printanière » dans la fraîcheur et l'éclat de sa seizième année *.
Robinet, son émule, l'auteur des Lettres en vers à l'héroïne retirée de
la Fronde, composa des Nopces dvcales '. Ce ramas d'imaginations banales
et de pauvretés mythologiques nous renseigne moins qu'une pièce de
distiques élaborée par le P. Vavasseur du collège de Clermont, et dont
lui-même a bien fait de nous donner la traduction française. S'il tombe
dans la platitude du jargon à la mode et vante en la mariée < toute la
beauté, toute la grâce et tous les charmes par où l'on dit que les déesses
autrefois sceurent se faire aimer des dieux^^ il ajoute que chacun admire
dans cette mortelle, sujette comme les autres à l'ignorance, mais qui s'était
élevée au niveau des femmes savantes d'alors, une instruction dans les
belles-lettres au-dessus de son sexe et de son âge, « jusqu'à sçavoir la
plus noble et la plus majestueuse de toutes les langues, qui est celle des
anciens Romains ^. > En cela Anne de Bavière se montrait simplement
la digne fille de sa mère, Anne de Gonzague, à qui, suivant Bossuet,
durant sa ferveur monastique dans l'abbaye de Sainte- Fare, € on avoit
appris la langue latine, parce que c'étoit celle de l'Eglise *. >
Si nous relevons ici ce détail, ce n'est pas qu'il fût une telle exception
au milieu de cette génération dç princesses et de grandes dames (les
Précieuses ridicules datent de 1659 et les Femmes savantes, paraîtront en
1672); mais il aura son influence sur l'éducation dont nous allons esquisser
les préliminaires. Ni le duc d'Enghien ni le grand Condé son père
n'avaient rien dû, en fait de science, à leurs mères. Pour l'un et l'autre
l'ingérence maternelle, regardée plutôt comme un obstacle aux bonnes
études, avait été systématiquement refoulée à l'écart. A la différence
de Charlotte- Marguerite de Montmorency et de Claire-Clémence de
Maillé- Brézé, Madame la Duchesse pourra s'intéresser aux progrès de
son fils, en prendre des nouvelles ; elle recommandera de le pousser,
l'interrogera elle-même, au besoin le punira, libre dans son cabinet de
1. Loîct, La Muze historique^ édit. Daffîs, t. IV, p. 132 et 136.
2. Les Nopces dvcales. Paris, Loyson, 1664. L'épître dédicatoire à Madame la Duchesse débute
ainsi : € Madame, ayant eu l'honneur, autrefois, de divertir l'illustre Héroïne à qui vous ^\tz la
naissance, par les Lettres en vers que je lui adressois... > Ce témoignage formel confirme le
sentiment de Livet, Dictionnaire des Précieuses^ t. II, p. 345.
3. De Nuptiis Henrici Borbonii^ dvcis Angviani, et Anna Bavarica^ principes Pàlaiinœ^ dans
le recueil : Re^et regia stirpi Xenict^ offert Franciscus l^avassor^ e Soc. Jfs.^ ineunte anno
Af.DC.LXlV. Paris, Cramoisy, p. 14 et 1-8.
4. Bossuet, Oraison funèbre de Anne de Gonzague de Clives^ princesse Palatim.
AVANT LB COLLÈGE. 225
parler fort < de i^ilosophie et de choses semblables ]^ avec les précep-
teurs ". Son mari, s'il avait eu la méchante humeur de Chrysale, aurait
pu lui reprocher, au moins un soiï*, d aller chercher, comme Philaminthe,
ce qu'on fait dans la lune, au lieu d'avoir Tœil sur ses gens. Elle ne laissa
pas en eifet aux seuls docteurs de la ville et à l'astronome du collège de
Clermont le plaisir de contempler certain phénomène céleste. <L Tous
les mathématiciens de Paris, écrira un jour le P. Alleaume, observèrent
avec beaucoup de soin Tecclipse de lune de samedy dernier (29 octobre),
et on dit qu'aucun ne lavoit mieux supputée que le nostre. Il ne s'est
pas contenté de remarquer le moment auquel la lune entra dans l'ombre,
mais la minute à laquelle chaque tache de la lune est entrée dans l'ombre
et en est sortie. Ils connoissent toutes ces taches par nom et par surnom,
et j'ay appris aujourd'hui que la i« s'appelloit Grimaldus, la 2« Aristarchus,
la 3^ Kepler, la 4® Copernic, la 5® Tycho, la 6« Plato, la 7® Plinius, et
les autres que j'ay oubliées, car il y en a jusqu'à treize. Comme le temps
fut fort beau, on eut la facilité de l'observer à son aise. J'en fis voir le
commencement à S. A. Madame la Duchesse^ et on passa à la comédie le
reste de l'ecclipse *. >
Mais en l'année où nous sommes (1663) il ne s'agit encore que de la
< lune de ïxjàsX. >
Afin de mieux célébrer l'heureux hyménée, les correspondants avaient
rivalisé à distance avec les poètes. C'est le P. Le Herichon ^ qui de
Varsovie témoigne « toute la joye possible /> au prince de Condé < dans
une affaire qui fait la joye de la France et de la Pologne. » Il en avait
€ souhaité les commancements il y a long temps, et devant toute autre
chose ; > maintenant que Dieu en a arrêté la conclusion, il se félicite
€ d'avoir eu du zèle et de la passion pour l'achèvemant d'une si belle et
si bonne affaire in ogni modo ^. >
Il est évident qu'à ses yeux ce mariage d'une nièce de la reine
Marie avec M. le Duc amènera l'élection de celui-ci au trône de Pologne.
La chose, comme à beaucoup de ceux du parti français, lui semble déjà
faite. Illusion, mais illusion fondée. Le roi Casimir et son épouse, outre
une dot fort considérable donnée à la duchesse d'Enghien, l'avaient
1. Le P. du Rosel au prince de Condé, Paris, 7 janvier (1684). Papiers de Condé, série P,
t. XCI V, fol. 95 .
2. Le P. Alleaume au prince de Condé (Paris), 31 octobre (1678). Ibid, L LXXI, fol. 195,
3. François Le Herichon, né au diocèse d'Evreux le i" novembre 16 12, entré dans POrdre des
Jésuites en 1636, partit en Pologne dans le courant de l'année 1659. Confesseur et prédicateur de
la reine Marie, il réforma la cour par son éloquence. La souveraine française appréciait la
franchise et la sincérité de ses avis. Notice ntcroiogique, aux Archives générales de la^ompa-
gnie de Jésus.
4. Le P. Le Herichon au prince de Condé, Varsovie, 11 janvier 1664. P C. (nous désigne-
rons désormais sous cette abréviation les Papiers de Condi), t. XXXI, foL 5a Le Herichon mou-
fait vingt jours après à Varsovie (31 janvier 1664).
L« gniid Coaàé, ,^
226 LOUIS DE BOURBON.
adoptée pour leur fille '. Au jour de ses noces, elle porta trois millions
de pierreries * !
Parmi les lettres de félicitations qui affluèrent autour du grand Condé,
à cette brillante occasion, aucune ne nous a semblé animée de sentiments
plus sincères et plus élevés que celle de son vieux régent de philosophie
à Sainte- Marie de Bourges, le P. Claude Boucher, devenu assistant de
France auprès du Père général.
4L Monseigneur, écrivait-il, il est de ma profession de ne pas reguarder
les avantages temporels séparés des éternels. Dieu m est tesmoin que je
n'ai pas attendu la nouvelle de la conclusion de l'affaire, beaucoup moins
de l'exécution pour m'y intéresser auprès de luy ! J'ai crû de mon devoir
de solliciter chaque jour à l'autel sa bonté de la faire réussir, en sorte
que toutes les choses qui peuvent contribuer à la félicité de cette vie,
esgualant le mérite et l'estime universelle des incomparables qualités de
Monseigneur le Duc, celles qui doivent servir à l'éternelle les surpas-
sassent d'autant qu'il est préférable d'estre grand aux yeus de Dieu, à
le paroistre aux yeus des hommes, et qu'un bon establissement est plus
souhaittable dans le ciel que sur la terre. Mais pourquoi ne pas espérer
l'un et l'autre d'une alliance faitte avec autant de choix, et d'inclination
des parties, en laquelle toutes choses conspirent à une parfaitte union
des cœurs de deux personnes en qui la naissance et l'éducation n'ont
rien que de très favorable à la vertu ? Je ne puis douter que Vostre
Altesse Sérénissime n'approuve la continuation de mes vœus pour leur
prospérité dans les mesmes sentimens, en leur désirant particulièrement
la bénédiction du ciel pour donner à la France un bon nombre de princes,
assés tost affin que Vostre Altesse Sérénissime puisse avoir la satisfaction
d'en voir de nouvelles alliances non moins heureuses que celle-cy.
Et parce que leur bonheur en cette vie ne dépend de rien tant que de
la propre conservation et prospérité de Vostre Altesse Sérénissime à
laquelle toute la France entre en intérest, elle sera aussy toujours le
subject principal de mes vœus ^... >
Vers la fin de cette même année, une lettre du général Paul Oliva
renchérissait encore, s'il était possible, sur celle de son assistant. Elle
répondait aux compliments que le P. Charles von Manderscheydt ♦
1. Par le contrat de mariage signé au Louvre (lo décembre 1663), Louis XIV donnait
150.000 livres à M.le DucLe roi et la reine de Pologne adoptaient Madame la Duchesse,déclarée
leur unique héritière. Ils lui faisaient donation des duchés d'Oppeln et de Ratibor, en Silésie. La
reine Marie ajoutait des pierreries et joyaux pour un million, et la somme de 300.000 livres.
M. le Prince et Madame la Princesse reconnaissaient M. le Duc pour leur héritier principal et
lui concédaient le Clermontois en Argonne, le comté de Vallery en Gâtinais, avec le marcjuisat
de Graville en Normandie. De ces trois apanages, Vallery était le domaine le plus ancien et
presque le plus sacré. C'était le Saint- Denis de la famille, dont aujourd'hui encore il garde les
sépultures. Archives de la Maison de Condé»
2. Gazette^ 1663, P» 1172.
3. Le P. Boucher au prince de Condé, Rome, 14 janvier 1614. P. C., série P, t. XXXI,
fol. 54.
4. Charles- Alexandre von Manderscheydt, né à Luxembourg le 6 juin 16 16, entré au noviciat,
à Rome le 5 novembre 1635, fut chapelain du comte de Pimentel, l'ambassadeur d'Espagne en
AVANT LK COLLÈGE. 227
venait de lui présenter de la part de Condé. Le Prince avait chargé
ce Jésuite de faire une fois de plus connaître au premier supérieur
de la Compagnie son estime et son affection pour la Société, et en
retour le chef de l'Ordre prenait Dieu à témoin qu'après le roi très
chrétien il n'était redevable à personne plus qu'à Son Altesse Séré-
nissime '.
Bien que ces échanges de politesses n'aient pas été fréquents, le petit
nombre de lettres qui nous restent pour les années suivantes suffit à
témoigner des relations les plus cordiales entre la petite cour de M. le
Prince à Chantilly ou celle du duc d'Enghien à l'hôtel de Condé avec la
curia du P. général à Rome.
Mais la plupart ont le tort de sentir le style officiel et d'être en partie
rédigées par des secrétaires. La source la plus naturelle et la plus
limpide, celle où se reflète le mieux jusqu'au fond l'âme d'un Jésuite
dévoué aux Condé, est la correspondance du vieux P. Nicolas Talon'.
Au service de leur maison depuis 1637 ^ et près de vingt ans (1647-
1666) attaché en qualité de confesseur à la personne d'Armand de
Bourbon, prince de Conti, il avait été le directeur édifié de ses dernières
années consacrées à la théologie 'et aux bonnes œuvres. Puis, n'ayant
pas cru après sa mort encore récente (21 février 1666) pouvoir rester
plus longtemps dans un milieu qui n'était pas celui d'un religieux, sans
détriment pour la réputation de la Compagnie ^ il avait demandé et
obtenu de rentrer dans la vie de communauté. Ecrivain facile et histo-
rique du bienheureux François de Sales, plus qu'auteur de son temps il
avait naguère vulgarisé la morale à la fois sûre et douce du futur Docteur
de l'amour divin *. Réintégré au collège de Clermont à Paris, pour ne
plus le quitter, il composait une Histoire sainte du Nouveau Testament
Suède, accompagna la reine Christine de Stockolm en Italie. Pénitenciei durant vingt et un ans
à l'église Saint-Pierre, il mourut à Rome le 20 avril 169 r. On a de lui une lettre sur la conversion
de Christine. Voir le P. Carlos Sommervogel : Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de
Jésus^ t. V, col. 470.
1. \ Certe Serenitati Vestrae sancte et syncere polliceor, ut nemo istic est, cui secundum
Christianissimi Régis Majestatem plus debeat Societas nostra, ita... > Le P. Cliva au prince de
Condé, Rome, 30 décembre 1664. P. C, série P, t. XXXII, fol. 318.
2. Le P. Nicolas Talon, (Taslon, Thalon, Talion,) est trop connu par ses ouvrages pour que
nous nous étendions ici sur sa vie. Né à Moulins, le 31 août 1601, il avait été élevé au collège
de cette ville tenu par les Jésuites. Entré dans leur Ordre le 9 octobre 1621, il fit sa profession à
Paris le 3 février 1641, et mourut au collège Louis-Ie-Grand le 29 mars 169I1 après y avoir, sauf
quelques intermittences, passé soixante et un ans. Les détails autobiographiques abondent dans
sa volumineuse correspondance avec le grand Condé. Voir notamment ses lettres de Paris, 23
février (1663) à Caillet, le secrétaire ; et à M. le Prince, Paris, 29 septembre 1691, 8 août 1684,
5 janvier, 20 février et 9 avril 1685 et passim, A la fin, il avait oublié son âge, et après s'être
donné avec raison quatre-vingts ans en 1681, il parle à tort en 1685 (17 avril) du ton de ses
82 ans. >
3. Le P. Talon au prince de Condé, Paris, 29 septembre 1681. P. C, t. LXXVII, fol. 243.
4. Magnam srtatis partem apud principes Condseae domus egit, ipsisque carusfuit ; huic tamen
vitae privatam prsetulit, cum in illa diutius permanere se posse, salva Societatis fama, non putavit.
Necrologium, A. C*. (Nous renvoyons par ces initiales aux Archives de la Compagnie.)
5. Voir la magnifioue édition en cours de publication par les soins du premier monastèie
d'Annecy, Œuvres de S, François de Sales^ Annecy, 1892, m-8, t. I, p. Lxxxvu.
228 IjOUIS DK BOURBON.
dédiée à la mémoire du pieux et jeune Prince si prématurément enlevé'.
En même temps, comme pour se dédommager d'avoir vécu tant d'années
parmi les grands, il voua son zèle aux prisonniers de la capitale. Pendant
près d un demi-siècle € son royaume, > comme il disait plaisamment *,
royaume qui en vérité n'était pas de ce monde, eut pour limites le Fort-
rÉvéque et Saint-Eloi, les Châtelets et la Grève.
Sa charité auprès des détenus et des suppliciés n'avait pas été
toutefois jusqu'à rompre tous ses liens avec Condé, le frère de son cher
et regretté Conti. De là avec M. le Prince des lettres familières, où la
plume du pompeux biographe du saint évêque de Genève se fait alerte
et presque joviale, pour courir sans fin à travers les nouvelles de la
ville et du collège, les historiettes de la cour des miracles et de celle du
roi.
Avec la guerre de Dévolution, l'année 1667 vit le duc d'Engfaien
paraître comme chef des Volontaires, dans l'armée française qui envahit
les Flandres espagnoles. Mais Condé avait été tenu en non-activité par
Louis XIV. Il y eut pourtant une détente dans l'attitude expectante du
souverain, lors du siège de Lille (août-septembre). On crut dans le public
que M. le Prince et M. le Duc venaient d'être choisis pour porter nos
armes en Allemagne.
Voilà le P. Talon au comble de la joie.
Dans la part très spéciale qu'il prend à l'allégresse générale de Paris,
son bonheur serait que Condé fût à portée d'entendre < sur son chapitre
et sur celui de Monseigneur son fîlz ce qu'en disent tous ceux qui ayment
la gloire de ce royaume et qui sont les plus attachez aux intérests du roy
et de l'Etat >. En son particulier il forme un vœu : ce serait d'aller
servir à l'armée comme « mestre de camp des Aumôniers qui y seront
en chaque régiment. J'assure V. A. que je les conduirai encore de
bon cœur dans les trenchées, et, s'il est besoin, jusqu'aux pies des
murailles des villes que V, A. S. assiégera, et que j'y conduirai les
mineurs et ceux qui iront à l'escalade. > Mais il a une autre chose
sur le cœur : « c'est qu'il plaise à Dieu me donner encore un prince
de vostre nom et de vostre maison qui soit un digne filz de V. A. S.
et de Monseigneur le Duc. J'attens cette faveur du ciel dans deux
mois '. >
Dieu allait en effet bénir pour la seconde fois l'union du ducd'Enghien
avec Anne de Bavière, union qui fut féconde. Dix enfants formèrent la
couronne d'honneur des parents et grandirent, entourés de toutes les
tendresses, au milieu de cette famille profondément unie. Les trois
1. Histoire sainte du Nouveau testament, Paris, Cramoisy, 1669, in-fol. Aa-dessus de la simple
inscription < A la mémoire d*Armand de Bovrbon, prince de Conty, > on voit son portrait gravé
avec son mausolée.
2. Talon à Condé, Paris, 2 mai (1680). P. C, série P, t. LXXVIII, fol. 251, et 22 septembre
1682, ibid.y t. LXXXVII, fol. 251.
3. La même au même (s. 1.), 3 septembre (1667). P. C, série P., t. XXXVI, foL 7a
AVANT L£ COI.L.ÈGK. 238
générations dont elle se compose semblent bientôt n'en former qu'une,
tant les sentiments et les intérêts se confondent en un lien unique partant
de l'aïeul glorieux et vénéré et enveloppant les plus jeunes et les derniers,
mais non les moins aimés. On dirait, non les trois anneaux consécutifs
* Le Père Oliva, de i-^ Compagnjb iib Jésus. 4-
(lyaiwès on tabtetn de J.-B. Gault, gtaré par P- Simon.)
itrne chaîne qui s'allonge, mais trois anneaux entrelacés à la manière
BS trois croissants de la Renaissance.
Le premier des enfants avait été une 61Ie, Marie-Thérèse, née le
I» février 1666, appelée Mlle de Bourbon. Un fils était impatiemment
©uhaité ; il vint au monde au commencement de novembre 1667 et reçut
230 LOUIS DE BOURBON.
le nom de Louis, que portait son aïeul '. € Le 5 de ce mois, annonçait la
Gazette^ la duchesse d'Enguyen accoucha heureusement d'un Prince : et
la Nouvelle en ayant esté portée à Leurs Majestez, à Saint-Germain, le
Roy envoya aussitost le marquis de Bellînghem (Berînghem) au Prince
de Condé et au Duc d'Euguyen, pour leur en témoigner sa joye. Le
lendemain, Monsieur vint lui-mesme les en féliciter et Leurs Altesses en
ont aussi receu les Complimens de toutes les Personnes de la plus haute
qualité '. » Quelques jours après, c'était Louis XIV en personne qui,
ayant quitté Saint-Germain pour les chasses de la Saint- Hubert à
Versailles, puis Versailles pour son < beau Palais des Thuilleries >, alla
visiter le duc et la duchesse d'Enghien ^
Louis XIV faisait encore mieux que de donner à la maison du premier
Prince du sang des marques de bienveillance renfermées après tout dans
l'étiquette. Sachant en vrai souverain mettre l'intérêt de l'Etat au-dessus
des ressentiments, enfin effacés, de son < moi >, il s'était résolu de rendre
à Condé sa place à la tête des armées françaises et il lui donnait la
Franche-Comté à conquérir. La réunion des Etats de Bourgogne à Dijon
fut le prélude des opérations militaires et le prétexte choisi pour en
masquer les préparatifs. M. le Prince, en sa qualité de gouverneur de la
province, était occupé à présider les séances, qu'il animait par ses < belles
harangues ^ > après les avoir ouvertes par « un discours également fort
et éloquent* », lorsque lui parvinrent les félicitations du P. Oliva, à
l'occasion de l'événement de novembre ^ Il répondit aussitôt par cette
lettre, fidèle écho, à trente-cinq ans de distance, de ses promesses de
Bourges.
Monsieur Mon très Révérend Père,
J'ay veu avec beaucoup de satisfaction ce que vostre F^ R*"* me mande de ses sentimens
au sujet de la naissance de mon petit-fîls. Ce n'est pas que je ne me sois bien attendu que
V; Pai*^ Rév™* ayant autant de bonne volonté qu'elle en a pour Moy, prendroit sans doute
quelque part à ma joye en ce rencontre. Mais comme je suis fort sensible à tout ce qui
vient de sa part, estant chef d'une Compagnie que J'ay tousjours beaucoup considérée, et
ayant d'aiilieur toute sorte d'estime pour la personne de Vre P*^ R'"^ il ne se peut pas
que Je ne l'aye esté extrêmement aux marques obligeantes qu'elle me donne de son amitié.
Là-dessus je la prie de croire que j'y correspondray tousjours avec beaucoup de chaleur et
qu'on ne peut pas estre plus que je suis.
Monsieur Mon très Révérend Père,
Vostre très affectionné à vous faire service,
Louis de Bourbon.
Dijon, le 13^ Janvier, 1668 ^
1. Celui de Henri lui a été parfois attribué. Luillier, dans son Histoire manuscrite de la maison
de Condé, dit qu'il ne fut pas nonmié.
2. Gazette^ 1667, p. 1261.
3. Ibùl.^ p. 1262.
4. Ibid,^ 1668, p. 46.
5. lbid,y p. 71.
6. Nunc ergo, ubi divin» visum est Bonitati, felici proie dooare Serenissimum ducem, unaque
Celsitudinem Vestram augere novo laetandi argumento, simul etiam intellexi magnum columen
nobis exortum et gaudium. Oliva à Condé, 13 décembre 1667. P. C, série P, t. XXXVI, fol. 49a
7. Uttera principum, A. O*.
AVANT LE COLI-tGE. 231
L'enfant dont la venue au monde avait coïncidé avec la rentrée de
Taïeul dans sa glorieuse carrière, ne sera pas Théritier de son nom illustré
une fois de plus par les armes. Louis de Bourbon ne vécut que trois ans.
Il mourut en 1670.
Mais Tannée même de la réduction de la Franche-Comté, le 1 1 octobre
1668, un second petit- fils était né à M. le Prince, suivant de près le
premier. Ce cadet de la maison de Condé fut accueilli avec les mêmes
honneurs que son frère aîné. Leurs Majestés expédièrent à Paris un
gentilhomme ordinaire de la maison du roi pour faire de leur part € les
complimens au Prince de Condé et à la Duchesse d'Engiiyen ; le Duc
son Epous, qui estoit lors à Chambort, ayant aussi reçeu ceux de toute
la Cour, » quî s'y trouvait pour les chasses d'automne \ De retour en sa
capitale, Louis XIV fit comme Tannée précédente visite à la Duchesse
(11 novembre').
L'enfant avait reçu, avant la solennité du baptême remise à plus tard,
le nom de Louis. Il était le troisième de sa race à le porter. Son titre,
après la mort de son frère aîné, fut le titre ducal de Bourbon, Enghien
restant à son père et Condé à son grand-père.
Dans le présent récit de Téducation de Louis III de Bourbon, nous
éviterons d'intervenir au milieu de Texposé des faits et laisserons
volontiers la parole à ses maîtres, trop heureux de surprendre, au jour le
jour, ces fidèles témoins dans Tîntimité de leurs rapports épistolaires
avec M. le Prince. Le fil à relier ces documents sera de préférence
Tordre chronologique. Les dates à coordonner sont si nombreuses que
Tembarras, pour ne point s'y perdre, était d'établir avec certitude les points
de repère. En nous aidant d'obligeantes communications, ainsi qu'en
rapprochant les unes des autres des pièces d'origine diverse et de nature
indépendante, nous osons espérer ne pas avoir commis trop de confusion.
Après \t Journal à\x médecin Héroard sur le dauphin Louis XI II, nous
ne pensons pas qu'aucune part ailleurs il existe une source analogue
d'informations aussi abondante au dix-septième siècle.
Durant les premières années, les nouvelles demeurent rares et
insignifiantes.
Aux vacances de 1671, le duc de Bourbon va avoir trois ans. Le
P. Bergier écrit de Chantilly à Condé, absent, qu'il « se fait tous les
jours pour le corps et pour l'esprit ^ >. En mai 1674, il a cinq ans. Condé
est à l'armée de Flandre, commençant contre le prince d'Orange la
campagne couronnée par la victoire deSenef^ Le duc d'Enghien va
rejoindre son père, en compagnie du Père Bergier, qui le suit dans tous
ses voyages, même à la guerre. Avant de se rendre à Soissons et à
Laon, ils s'arrêtent quelques jours à Chantilly. De là Bergier écrit à
1. Gazette^ 1668, p. 1202.
2. Ibid,^ p. 1205.
3. Bergier à Condé, 12 septembre 1671. P. C, série P, t. XXXVIII, fol. 330.
4. Le récit de cette émouvante bataille a paru dans la Revue des Deux-Mondet^ 1^ mai 1894.
JJDVIS DE BODRBON.
Condé, la veille de son départ : 4 Je me suis promené et par eau et
par terre, et je me suis mis en état de pouvoir rendre conte à V. A. S.
de ce qui se passe en ce pays-cy. Mgr le Duc. mad« la Duchesse el
tous Mgrs vos petits enfants sont en bonne santé. L'air de Cba.nttlly tail
(D'apiès une gravure de la Chalcograpliie du Loavre.)
surtout des merveilles à Mgr le Duc de Bourbon qui se Tortifie à veU
d'œil '. ï>
1. IScrgier h Cond^, Chantilly, i" juin (1674). P. C, série P, l. LVIII, fol. 112. Voir aiissi
précédenie lettre du m. au m., iôia., 29 mai, fol. 107. Les petits enfants de M. le P(iac« étaîe:
alors, avec le duc de Bourbon, sa sceur aînée M a rie -Thérèse, dite Mlle de Bouibon ; Anne;, 1
sœur cadette née le 1 1 DOvembre 1670, appelée Mlle d'Enghien j Henri, comte de Clennont, 1
le 3 juillet 1672 (dont Jal, Dictionnaire critique di biographie, p. 418, parai; faire l'uniqi
petit-fils du grand Condé), et Louis-Henri, comte de la Marche, né le 9 novembre 1673.
ATJUrr L£ G0L1.ÈGS. 233
Cependant le petit Duc allait entrer bientôt (ii octobre 1674) en sa
septième année, l'^e de sortir des mains des femmes. Son aïeul ne
l'cabltait pas ; soi plus fort des opérations militaires, il venait de décider
que comme son fils et comme lui-même. Louis III de Bourbon serait
âève des Jésuites. Vive fut la satisfaction d'Oliva. 11 vieillissait, mais une
chose restait en lui inaltérable, son affection envers M. le Prince. Tout
récemment, quelques membres de la Compagnie ayant fourni à celui-ci
sujet de plainte, le général avait écrit au P. Jean Pinette, provincial de
Paris ', lut demandant sî l'on voulait conduire ses cheveux blancs au
tombeau *. Aussi fut-ce avec une joie sensible que le vieux général
apprenait quelques mois plus tard la détermination prise par Condé et
(D'après une gravure de l'Hi
Enghien, tombés d'accord entre eux pour confier à la Compagnie de
Jésus l'éducation du duc de Bourbon. Il s'empresse de recommander à
Pinette de n'employer auprès du jeune Prince que des religieux
distingués entre tous et capables par leur vertu et leur talent de lui
inoculer une véritable piété K
Cette lettre arrivait (21 août 1674) quelques jours après la nouvelle
de Senef (i i août), qui en rehaussait encore le prix. Mais ce provincial
touchait au terme de son gouvernement (35 septembre). Si Condé
I. Jean Pinette, né à Bonites, le 30 )an*iet 1609, doctenren théoloKÎe, adminislnit la prorince
de France depuis le 12 octobre 1671. Mort le 21 novembre 1690, à Parii.
3. Oliva à Pinetie, Rome, to avril 1674- A. Ci,.
3. t Quamobrem Vestram Revereniiam etiam atqae etïam oblestor, ut eos aetigat, qni sua
vntnteet prudentia pielatem instillent et eo nominediscemanttir a œteria.> Le memeau mtine,
Rome, 31 août 1674. A. C*.
234 LOUIS DE BOURBON.
lui-même eût nommé le successeur, son choix n'eût pas été différent de
celui fait par Oliva. C'était le P. Etienne de Champs, son meilleur
camarade de collège, l'acteur applaudi avec lui au théâtre de Sainte-
Marie de Bourges^ qui était mis à la tête de la province de France '.
Oliva le chargeait bientôt de renouveler à Leurs Altesses l'expression
de sa gratitude et lui envoyait pour elles des lettres de remerciements
que le P. Bergîer leur ferait tenir, si éloignées qu'elles fussent, en témoi-
gnage de la plus vive reconnaissance et de la déférence la plus
respectueuse ^
Décidée en principe, l'affaire demandait à être étudiée en détail. Quels
seraient d'abord les précepteurs ? Le P. de Champs en désigna deux,
les PP. Alleaume et du Rosel.
Gilles Alleaume, né au diocèse de Saint-Malo le 24 mai 1642, appar-
tenait à une famille de noblesse bretonne originaire de Normandie K
Entré au noviciat de Paris en 1658 \ il avait suivi les étapes ordinaires.
Sa première régence, de la cinquième à la seconde, s'était passée au
collège de Compiègne. Sa deuxième régence avait débuté par la
cinquième à Orléans et s'était terminée par la rhétorique à Vannes puis
à Bourges. De cette dernière chaire, laissée par lui aux vacances mêmes
de 1674, i^ é^^î^ ^Ilé f^^^^ s^ troisième année de probation à Toulouse ^
d'où il revint l'année suivante (1675), religieux désormais accompli.
Partout, soit chez les Condé,soit à la cour, il se montrera prêtre excellent,
plein de sagesse et de prudence, d'une tenue parfaite et d'une habileté
peu commune à diriger les âmes vers la piété ^ Dans cet apostolat, il se
servira non sans profit d'un livre sur la Passion presque aussi répandu
relativement que le Combat spirituel ou la Vie dévote ; il a pour titre :
Les Souffrances de Nos tre- Seigneur yésus-Christ, par le P. Thomas de
Jésus. Au P. Alleaume revient l'honneur d'avoir fait passer dans notre
langue l'ouvrage de l' Augustin portugais ^ Déjà il avait traduit de
l'espagnol les Œuvres spirituelles de saint François de Borgia ^ On n'a
point d'autres écrits de lui, sauf des vers latins ou grecs de circonstance,
1. Nommé provincial de France le 25 septembre 1674, le P. Etienne de Champs entra ea
charge au commencement d'octobre. A. C'*.
2. Oliva à E. de Champs, Rome, 11 décembre 1674. A. C*.
3. Répertoire général de Bio- Bibliographie bretonne^ par R. Kerviler. Rennes, 1886, in-8, t I,
p. 114.
4. Le 17 ou le 19 septembre.
5. Le troisième an de la province de Toulouse était alors joint à son noviciat. En cette année,
1674- 1675, il comprenait onze probationnaires, avec un Franc- Comtois, le P. Pierre Henry (1600-
1675), pour maître.
6. î^otice nécrologique, A. C*.
7. Voir sa copieuse bibliographie, Sommervogel, t. I, col. 179. Dans la préface de la deuxième
édition (1695), Alleaume fait l'historique <lcs traductions diverses antérieures à la sienne, dont
une en français parue quarante ans plus tôt, sous le titre de Travaux de Jésus^ et à laquelle il
reproche de rappeler les Travaux d'Hercule. Pour moi, dit- il, € j*ay suivi l'original le plus
fidèlement qu'il m'a été possible. >
8. Les Œuvres spirituelles de S, François de Borgia^ traduites de V Espagnol en Français,
Paris, Michallet, 1672. Petit in-8 de 157 pages. (Biblioth. nat., Réserve D. 17297.) La permission
d'imprimer du provincial Jean Pinette est datée de Paris, 2 janvier 1672. (Contre SotwelL)
AVANT LE COLLÈGE. 235
et la traduction en français médiocre d'une épigramme de V Anthologie \
C'est dire qu'il n'y a dans ce Jésuite qu'un ascète et un humaniste. L'ascète
domine. Inde ira. Est-ce là ce qui le rendra si peu sympathique à
l'esprit fort de la maison de Condé, labbé Bourdelot ' t
C'est le second précepteur, le P. Jacques du Rosel, qui jouit de l'amitié
de l'original docteur. Il est vrai que le Père socius ou compagnon
d'Alleaume, tout en vivant dans la plus complète harmonie avec son frère
en religion, a un caractère quelque peu différent. Il ne lui ressemble
exactement qu'en un point, l'essentiel : comme lui il pratique les vertus
de son état, agissant en tout avec une circonspection et une vigilance
sur soi-même inaccessibles à l'esprit de cour. Mais il allie à l'esprit de
l'Evangile les qualités de cœur les plus propres à ne pas effaroucher
l'esprit du monde. C'est la personnification de la douceur et de la mesure.
En politesse et en urbanité, il ne le cède à personne de son entourage
distingué. Il est \ honnêteté même, dans le sens courtois du mot. S'inté-
ressant particulièrement aux nouvelles ecclésiastiques, il suit les démêlés
de la France et de Rome et tient Condé au courant. Son entretien
doit être aussi instructif qu'agréable. Plus lettré qu'humaniste, il
écrit en français avec finesse, comprend et admire M. de La Bruyère,
son futur collègue, et se sert de son esprit fin et délicat pour railler,
lui aussi, les ennemis de la religion, sans oublier ceux de la Compa-
gnie ^
L'ouvrage oîi il s'est tout entier dépeint, paru seulement après ses
années de préceptorat, est intitulé : Conduite pour se taire et pour parler^
principalement en matière de religion *.
Du Rosel, aucunement prétentieux, se défend de faire une préface
ennuyeuse ou une longue épltre dédicatoire, encore plus d'étaler des
approbations mendiées. Pas même de nom au titre.A-t-il voulu appliquer
le précepte qu'il rappellera si souvent : tempus tacendi ? Mais il y a aussi
un temps pour s'expliquer, tempus loquendi, et il va présenter au
public des remarques utiles sur la manière de retenir ou de débrider à
1. Recueil de vers choisis (par le P. Bouhours). Paris, 1 701, in- 16, p. 305. Imitation d'une
épigramme grecque de l'Anthologie :
Les dieux, touchez de mon naufrage,
Ayant veû périr mon vaisseau, etc.
2. < M. Bourdelot me fait toujours Phonneur de me conter pour être autant de ses amis, qu'il
conte peu le P. Alleaume de ce nombre. > Du Rosel à Condé (Paris, 17 février 1683). P. C,
série P, t. LXXXIX, fol. 305. — Aux vacances de cette même année, le P. Alleaume étant allé
dans sa famille en Bretagne, le P. Talon se présenta un jour à l'hôtel de Condé et pria Bourdelot
de lui dire € s'il ne vouloit rien mander au P. Alleaume ; à quoy il me respondit avec un grand
éclat de rire : Hé, mon Dieu, mon Père, laissés-le où il est, et qu'il sonne tant qu'il voudra
touttes les cloches de Saint-Malo... > Série P, t. LXXXVII, fol. 197.
3. < Nihil illo erat suavius et moderatius, humanitate, comitate, morum suavitate'nulli inferior.
Scripsit libellos aliquot, vemacula lingua, polite et eleganter, quibus acute prudenterque carpebat
religionis hosteset societatis adversarios. > Notice nécrologique, A. C*. Quels sont cts libelles
demeurés inconnus aux bibliographes ?
4. Paris, Bénard, iMt, L'achevé d'imprimer est du 20 décembre 169J. C'est dans cet ouvrage
(p. 184) qu'il a paye un tribut de souvenir à 1' < un des bons écrivains de nostre temps,
l'auteur des Carculèns de Théophrcule et des mœurs de ce siècle, >
aae jxmis dk bourbon.
propos sa langue ou sa plume Quelle science d'observation dans ces
tableaux, qui sont de vraies satires sur les défauts communs aux
personnes jeunes ou avancées en âge, aux grands et aux gens du peuple,
aux savants et aux ignorants^ enfin aux auteurs. A l'exemple de
La Bruyère, il a fixé des regards discrets mais avisés sur la galerie variée
des personnages qu à Chantilly ou à Versailles il voyait défiler devant ses
yeux pénétrants, afin de se faire à soi et de donner à autrui C des klées
claires. >
Et quel sage causeur ce devait être que ce religieux sachant gouverner
sa langue et ne lui donnant qu'une liberté modérée par treize principes,
ni plus ni moins, dont Tun est qu'il faut se dire d'abord les choses impor-
tantes à soi-même, et après cette précaution se les € redire >, de peur
que l'on n'ait sujet de s'en repentir. Il a compté et défini les différentes
espèces de silence : le prudent et l'artificieux, le spirituel et le stupide,
celui d'approbation et celui de mépris ; il a analysé leurs causes et
formulé leurs remèdes. Une jeunesse folle ne parle mal de la religion
que parce que la sainteté de la morale chrétienne condamne son liber-
tinage. Il faut concevoir de Thorreur de pareils monstres. Mais quel
spectacle plus triste encore € que ce vieillard incapable de régler sa
langue ! Ses yeux s'affaiblissent, ses oreilles se sont endurcies, son visage
a changé de couleur ; la tête et les mains lui tremblent II n'a presque
plus que l'usage de la langue, et il ne s'en sert que pour scandaliser et
pour faire connaître ou son ignorance ou la corruption de son cceur 1 >
Aux grands du siècle^ le P. du Rosel rappelle avec la même vigueur de
ton que « l'on ne se moque jamais impunément de Dieu > et que leurs
méchantes plaisanteries, spirituelles à leurs yeux, paraissent ridicules aux
yeux des autres et leur conduite sans jugement
Contre les pédants, il décoche de petits traits de cegenre : € Le monde
est plein de sçavans, si vous voulez en croire ceux qui s'imaginent
l'être. > Plus acéré avec les mauvais auteurs, il les divise en trois
groupes : ceux qui écrivent mal, ceux qui écrivent trop, ceux qui n'écri-
vent pas assez, et il se moque à loisir de leur manie d'écrire pour écrire
ou pour le plaisir de se croire auteur.
Les indifférents et les neutres en matière de religion soulèvent sa vive
réprobation. ^ Peut-il y avoir quelque parti à prendre entre la vérité et
l'erreur, entre Dieu et ce qui lui est contraire ? >
L'auteur de cette franche déclaration, si hostile aux équivoques et
aux réticences, était pourtant d'origine, sinon de tempérament, uif
Normand. Né à Caen, le 2 juin 1643, Jacques du Rosel descendait d'une
des plus anciennes races nobles du pays et avait des aïeux connus au
temps du duc Guillaume, puis sous Philippe- Auguste et saint Louis \
Novice à l'âge de dix-sept ans (8 décembre 1660), il avait fiait cinq
années de régence dans la capitale de sa province, à Rouen (1662-67).
I. La Chesnaye- Desbois, Dictionnaire de la Noblesse^ y édition L XVII,. col. 676. Le
manoir de Rosel était proche de Caen.
AVAirr LA COLLÈGE. JtST
et une année à Alençon, comme professeur de rhétorique. Par sa
théologie il appartient au collège deClermont, à Paris. En 1672-73 il est
scolasttque de troisième année, chargé au pensionnat, en qualité de préfet
de chambre, de Télève de physique Louis-Armand du Plessis, marquis
de Richelieu \ de la branche des ducs d'Aiguillon, Le P. AUeaume,
un peu plus ancien que le P, du Rosel, et d'âge et de Compagnie, s*y
trouvait en même temps, étudiant de quatrième année et surveillant du
jeune Claude Pellot, de Lyon. Ordonné prêtre, Jacques du Rosel retourne
à Rouen pour y être tertiaire (1674-75), tandis que AUeaume l'est à
Toulouse. Tous deux, dès la fin de cette dernière probation, font déjà
partie en titre de la maison de Condé, et M« le Duc se charge des frais
de leur retour *.
A la fin des grandes vacances de 1675, i^s entrent en fonction auprès
du duc de Bourbon.
Mais l'éducation donnée au petit-fils du grand Condé serait -elle privée
ou publique ? Le passé répondait pour le présent. Ecoutons là-dessus le
P. Jacques de La Baune, futur régent du jeune Prince, et résumons la
tirade oratoire qu'il adresse à Louis de Bourbon, devenu son élève de
rhétorique :
< C'est un privilège héréditaire dans votre maison qu'à cet âge
même oîi les princes manquent de cette auréole et de cet éclat que
l'adolescence seule fait d'ordinaire briller en eux, à cet âge où leur
dignité ne les sépare pas encore des autres comme une barrière, à
cet âge débile par lui-même et sujet à toutes les faiblesses, à cet âge,
dis-je, ils affrontent le plein soleil de l'éducation commune, se jettent
dans la mêlée, et entourés de l'élite de la jeunesse française, combattent
en rivaux dans ses rangs pour la palme de l'honneur et les lauriers du
savoir ^ >
Louis III de Bourbon, aux vacances de 1675, accomplissait à peine sa
septième année (11 octobre). Etait-il prudent et sage de le lancer ainsi
dans la lutte avant d'avoir essayé ses forces } Le règlement du collège de
Clermont y pourvoyait. En vertu de l'article IX du prospectus, à Paris
aussi bien qu'à La Flèche, ^ il y a dans la Maison une Chambre oîi l'on
instruit les Enfants qui ne sont pas encore en état d'aller en classe ^. »
Le duc de Bourbon, après avoir reçu une première année (1675-76), sans
1. Louis-Armand du Plessis, marquis de Richelieu, né le 9 novembre 1653, mort le
22 octobre 1730, eut pour petit- fils le duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères sous
Louis XV.
2. < Aux Révérends Pères Aleaume et du Rozel de la Compagnie de Jésus, la somme
de quinze cens livres que Monseigneur le Duc leur a accordée par grattifîcation tant pour les
frais de leur voyage de Languedoc et de Normandie à Paris, que pour leur pension de
l'année dernière 1675, quMls sont entrés auprès de Monseigneur le duc de Bourbon, jusques à
Pasques de la présente année suiv' l'ordonnance du 16 mars 1676. > Archives de la maison de
Condé. Comptes de Vannée 1676. Grattifîcations, fol. 206, n** 675.
3. Serem'ssimo principi Ludavico, duci BorboniOy eloquentia studia in collegio Claromontano
féliciter auspicantiy oratio Jacobi de la Baune, e Soc, Jesu, Paris, Martin, 1682, p. 49. < Est
hoc domûs ve^trx quasi jus hereditarium, ut eâ etiam a^tatc, qusc, etc.. >
4. Recueil Rybeyrète. Pièce 109.
238 LOUIS DK BOURBON.
doute à domicile ou, comme on disait alors, « dans Tintérieur de son
domestique, > l'enseignement privé des PP. AUeaume et du Rose!, entra
au collège en 1676, pour s'y aguerrir àTabride ce huis-clos préparatoire
nommé la domestica se ho la.
L ouverture générale des classes avait eu lieu le 19 octobre,
lendemain de la Saint- Luc ; il n'arriva que pour la mi-novembre et
fut d'autant plus remarqué. La Gazette l'annonça. On y lisait :
Le 14 de ce mois (novembre), le Prince de Coodé et le Duc d'Ângiiyen menèrent le
Duc de Bourbon au Collège de Clermont, o\x ils veulent que ce jeune Prince fasse ses
études, estant persuadez, par leur propre expérience, que les Jésuites ont un talent parti-
culier pour rinstruction de la Jeunesse. Ils firent saluer ces Princes par un grand nombre
d'Ënfans de la première qualité, qui sont élevez dans leur Maison, et ensuite on représenta
une petite Pièce de Théâtre^ où le Prince d'Enrichemont, Fils aîné du Duc de Sulli ', se
distingua '.
Au bout d'une année de l'obscur labeur des rudiments, le nouvel
écolier, suffisamment armé, voyait s'ouvrir devant lui toutes grandes
les portes de la cinquième.
On était en octobre 1677.
Le régime des classes publiques commençait, — et pour sept ansi
1. Maximilien-Pierre-François-Nicolasde Béthune, prince de Henrichemont, né le 25 septem-
bre 1664, mon le 24 décembre 17 12, était fils de Pierre- François de Béthune, duc de Sully
(1640- 1694).
2. Gazeiff^ 1676, p. 831.
^ V V irVj r^t
gajjitre Quatar5icme.
E collège de Clermont ressemblait peu à cette époque aux
internats modernes. Les pensionnaires, qui dépassaient
en 1673 le chiffre de trois cents ', n'étaient pas groupés
par divisions, mais par classes. Chaque classe formait
une ou deux chambres communes, surveillées par un
Jésuite. Un grand nrfhibre d'écoliers logeaient et travail-
laient en chambre privée, surtout les frères et les parents. Vivaient
aussi à l'intérieur de l'établissement les préfets ou surveillants parti-
culiers qui appartenaient à la Compagnie ; c'étaient généralement
de jeunes religieux se livrant en même temps à leurs études de
théologie, un scolasticat faisant partie du collège. Les enfants de qualité
amenaient avec eux de préférence leur précepteur ou leur gouverneur,
et même leur page ou leur valet de chambre. Pour trois cent dix pen-
sionnaires, nous voyons figurer, sur une liste authentique de noms, cent
cinquante-quatre personnes de service ou domestiques, soit : une par
deux élèves.
Tout ce monde vivait entassé dans les quatre étages des bâti-
ments composant la < grande cour des classes >, ou cour d'honneur
carrée, qui achève de tomber sous la pioche de la démolition. Les
trots pavillons, dont deux encore debout et le troisième, celui de la
rue Saint- Jacques, abattu, comptaient deux étages de plus. Outre les
chambres communes et particulières, on avait encore trouvé place pour
la grande et la petite congrégation, ainsi que pour le quartier spécial des
théologiens '.
Les classes occupaient le rez-de-chaussée.
Le plus grand esprit de famille devait régner en ce milieu resserré où
I. Recueil Rytieytèle. Pièce 109 bit. Catalogui cortvic/ontm eolUgii Claromantani, S./., menst
fanuaria, anno 1673.
1. Jbid. Mémeirii det chambret dit pemipHnairet du colUge dt Cltrmonl.
240 LOUIS DK BOURBON.
précepteurs et écoliers, religieux et étrangers, vivaient presque oâte à
côte, les salles les plus diverses étant contiguës, et les préfets ayant pour
mission, moins de surveiller les pensionnaires que de les < aider dans
leurs études ' >. Le règlement, en s'imposant à l'observation de tous,
achevait la fusion de ces éléments distincts, et laissait subsister dans
l'harmonieuse unité de Tordre extérieur une variété intérieure de
personnel et d'organisation que le r^me contemporain ne connaît
plus.
Les externes, en nombre double des pensionnaires, demeuraient dans
leurs familles, ou louaient. un appartement pour eux et leurs gens,
gouverneurs, précepteurs et valets.
Le duc de Bourbon occupait un hôtel entier : le Petit- Luxembourg.
Situé non loin du collège de Clermont, et à peine séparé, par la rue de
Vaugirard, de l'hôtel de Condé, qui appartenait à M. le Prince, mais était
habité le plus souvent par le duc et la duchesse d'Enghien, le Petit-
Luxembourg offrait à l'enfant l'avantage de la proximité de ses parents^
tout en le tenant à distance des distractions perpétuelles» inséfoiabfes de
leur vie mondaine et de leur train.
Ce palais en miniature ne comptait pas alors cinquante
d'existence. Bâti, en 1629, par Marie de Médicis, et cédé pv
cardinal de Richelieu à un titre resté obscur, il joignait du c&(£ de
le Grand- Luxembourg, habité par Mademoiselle, et vers Touest le
monastère des Filles du Calvaire, autre fondation de la magnifique et
pieuse reine '. Après Richelieu, il passa à sa nièce, la célèbre bienfaitrice
des œuvres de charité et des missions, Marie de Wignerod, duchesse
d'Aiguillon, morte en cet hôtel le 17 avril 1675 \ Déjà le 2 mai de Tannée
précédente (1674), ^"^ transaction intervenue entre le duc de Richelieu
et le duc d'Enghien revendiquant les droits de sa mère, Claire- Clémence
de Maillé, avait assuré à ce dernier la prise éventuelle de possession,
moyennant la somme de cent mille livres \ Elle eut lieu le 5 janvier 1676,
et Gourville, l'intendant de la maison de Condé, s'occupa bientôt de
disposer le Petit- Luxembourg pour ses nouveaux hôtes. < L'on
commencera dès aujourd'huy, écrit-il le 30 octobre 1676, à (le) meubler,
et je croy qu'il sera prest demain ; ainsy Mgr le duc de Bourbon pourra
revenir après cela quand il luy plaira ; mais affin que je sois asseuré que
rien ne manquera, j'iray visiter la maison demain... ' >
Le duc de Bourbon s'y installa au mieux. Il n'en sortit guère que
deux fois dans toute la durée de ses études, en juin 1679, puis d'octobre
1. Pièce citée, 109.
2. Les Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire, dites Filles du Calvaire, avaient été appelées
de Poitiers par Marie de Médicis, qui voulait, pour ainsi dire, les mettre < en son propre
palais >. Topographie historique du vieux Paris. Région du bourg Saint- Germain^ p. 320, x^f.
3. Gazette^ 1675, P* 284.
4. Archives de la maison de Condé.
5. Gourville à Condé. Paris, 30 octobre 1676. P. C.
olr9^ j^'^vici' 1680, où il laissa temporairemeat la place à sa tante, la
duchesse de Hanovre '. Il logea alors avec sa suite dans l'hôtel
Ancien collège de Clkrmont jusqu'en 16S2.
(D'après* nne photographie de Pierre Petit avant la démolition actuelle.}
ii'Entragues, rue de Tournon, loué pour la circonstance '.
1. LadcuxiiimescELjrde la duchesse d'Enghien, BitiMiae-HeniieHe-Philippe, née le 15 juillet
1651, inAiiée le 25 septembre 166S k Jean-FnfUfiic de Brunswick, duc de Hanovre. Elle mourut
en Fnuicc le 12 août 1730.
2. La duchesse d'Enghien, bien que demeurant à l'Iiôtel de Condé, ne s'interdisait pas lout
séjour au PclitLuiembourg. Le î6 juin t679, elU y reijut l'ambassadrice d'Espagne. Le duc de
fiourbi»! y rentra le lendemain. Du Rosd à Condé. Par», 36 juin 1679 : Alleaumc et Bcfgier
|iiaémc, 37 juin; Uergieri Coudé, S janvier i58o ; Du Rose! au même, s? janvier. P. C.
242 LOUIS DB BOURBON.
Sa maison était constituée. Outre les deux précepteurs jésuites attachés
à sa personne depuis 1675, et qui de longtemps ne devaient se séparer
de lui, le personnel affecté à son service est ainsi composé, et, disons-le
tout d'abord, rémunéré. Après les PP. Alleaume et du Rosel, recevant
invariablement, sauf gratification exceptionnelle, chacun trois cents livres
par an, soit vingt-cinq livres par mois, il y a deux laïques faisant fonctions
de gouverneurs, chacun aux gages supérieurs de quinze cents livres : ce
sont MM. Deschamps et Le Bouchet. Après eux figure un maître à
danser, le sieur Chicaneau, à raison de cinq cents livres, et un sieur
Lecomte, maître écrivain, à quatre cents ; enfin, un contrôleur, nommé
Davon, à trois cent trente, et divers officiers subalternes, tous à cent
cinquante livres, savoir : les deux valets de chambre Lapierre et Prieur,
le pannetier et fruitier Damien Cabardos, et Técuyer de cuisine Gaillard.
Au total : onze gagistes. Ce personnel changera peu, soit comme nombre,
soie comme composition, jusqu'aux vacances de 1684 '.
Du Petit- Luxembourg, le duc de Bourbon se rendait deux fois le jour,
par des rues quelquefois impraticables, au collège de Clermont \ Là, il
avait sa chambre, meublée à ses frais comme celle des autres pensionnaires
et pour laquelle on n'avait pas reculé devant la dépense, non plus que
pour sa € chaise » en classe \ Ces frais, réunis à d autres, s'élevèrent à
deux cent seize louis d'or, soit deux mille trois cent soixante-seize
livres ^. Somme considérable et qui répond aux habitudes de faste que
les grandes familles, à l'imitation de la cour, avaient introduites en leurs
hôtels comme en leurs châteaux. Certaines années on faisait pour trois,
quatre et cinq cents livres d'ouvrages de marbre, de peintures et dorures,
dans les appartements du duc de Bourbon au Petit- Luxembourg K Là il
était chez lui, mais au collège de Clermont, il y avait un recteur qui, en
1. Dans les Comptes lU P année 1676 (pour Tannée 1675), les plus anciens que Ton conserve aax
Archives de Condé, le duc de Bourbon a encore une € berceuse >, Magdeleine Girost, et, pour
femme de Chambre, une demoiselle de Sainte* Marie. Fol. 252, n** 1004 et 1009. — Comptes
des années 1676 i6y7^passitn, — Pour la gratification, voir les Comptes de 1678, fol. 224, n^ 803,
225, n* 804.
2. Alleaume à Condé. Paris, 27 février, P. C, t. LXXII, f. 53; M. Allairc, en son
volumineux ouvrage La Bruyère dam la maison de Condé^ t. I, p. 88, a commis l'erreur capitale
de faire du duc de Bourbon un < élève interne > du collège de Clermont, qui serait devenu
externe seulement en 1681 {ibid.^ p. 95) ; nous croyons qu'il le fut toujours.
3. Le P. Talon appelle en plaisantant cette < chaise > ou chaire € un petit trône >. Talon à
Condé, 27 avril 1680. On sait quelle importance la question du siège avait au .dix-septième
siècle à la cour, au parlement et à l'église. Le jour où Bourdaloue prononça à Saint- Louis de
la maison professe l'Eloge funèbre de Henri II de Bourbon-Condé (10 décembre 1683), Bossuet,
suivi de plusieurs évêques, quitta le chœur pour monter aux tribunes, plutôt que de siéger sur
des € chaises à dos > devant les princes du sang assis dans des i fauteuils > ; Condé lui-même
s'était interposé en vain. Pour les soutenances de thèses,ces conflits n'étaient pas moins fréquents.
Nous avons raconté celui de la thèse Lamoignon au collège de Clermont (15 juin 1663) en
présence du duc d'Enghien. Au collège d'Harcourt, les mêmes difficultés se renouvelèrent quand
le commandeur Le Tellier, fils du ministre Lodvois, soutint ses thèses sur toute la philosophie,
le 29 juillet 1684, en présence du duc de Bourbon. Archives de la maison de Condé, Livres de
cérémonial. Mss, — Des chaires sont réservées encore aujourd'hui, en certaines universités
d'Angleterre, aux écoliers de haute naissance.
4. Comptes de 1678, fol. 99, n'» 167,
5. Ibid.^ n® 493et/ajj/»f.
GRAMMAIRK ET LITTÉRATURK. 243
sa qualité de premier supérieur de rétablissement, devait se montrer et se
montrait gardien soucieux et rigide observateur des règles et même des
usages de la pauvreté religieuse. Le P. Jean Pinette poussa les choses à
ce point, vis-à-vis du duc de Bourbon, qu'il craignit, par un zèle
intempestif, d'avoir dépassé les bornes d une sage modération. Il s'en
ouvrit au P. Général. Oliva fut loin de le blâmer. Mais Condé était
intervenu ; son nom, ses titres de bienfaiteur et d'ami parurent autoriser
une sorte de concession qui, vu sa qualité et son rang, ne pouvait créer
aucun précédent. Pinette fut approuvé à la fois pour sa sollicitude
inquiète de la stricte observance et pour sa légitime condescendance
envers l'héritier présomptif du premier prince du sang royal '.
Au-dessous du P. recteur Jean Pinette, venait presque immédiatement
le Principal des pensionnaires (primarius), le P. Nicolas Le Paige,
L'intransigeance que Pinette apportait dans son horreur du faste, Le
Paige la mettait dans l'amour de la discipline extérieure. Personne n'était
moins empressé envers les princes et les grands, — aucune lettre de lui
n'existe aux Archives de Condé. — Doué d'un excellent esprit et d'un
jugement éminent, il eût été capable de remplir les plus hautes fonctions \
D'abord ministre, il avait succédé en 1675 au P. Pommereau^ dans la
charge de principal et il s'en acquitta avec bonheur neuf années consé-
cutives (1675- 1684) ^ Durant cette période relativement longue et qui
s'était ouverte avant l'éducation du duc de Bourbon, pour ne se terminer
qu'avec elle,lui,inamovible au milieu des changements fréquents de recteur^
1. < Non est quod existimct V. R. nos ejus zelum minus probasse, cum segre passa est, ne
paupertati quidquam ofBceret splendidioris cubiculi habitatio, in quo accuratam tjus sêUicitudinem
fnaxime comnundamus ; sed cum seren. Principis auctoritas intercessit, id ejus meritis omnino
concedendum fuit, quod V. R. cum laude praestitit. > Oliva à Pinette. Rome, 27 avril 1677.
(Réponse à sa lettre du 19 mars ) A. C* .
2. François- Nicolas Le Paige, né à Rouen le 22 octobre 1642, entré dans la Compagnie le 30
août 1660, profès le 2 février 1676, devint plus tard recteur des collèges de Caen et de Lille et
mourut à Bourges le 6 septembre 17 10. On lit dans sa Nolice nécrologique : t Erat excellenti
ÎDgenio prsepollentique judicio prîeditus et vel maximis muneribus gerendis peridoneus. > A. C'^.
3. Pierre Pommereau était principal en 1674*1675. Voir une lettre de lui au P. Bergier, Lis-
bonne, 29 mars 1683. P. C.
4. Notice nécrologique et Curriculum vitœ. Son successeur fut le P. Mégret ou Maigret.
Voir Talon à Condé. Paris, 1*' octobre 1684. Le duc de Bourbon venait de quitter le collège
aux vacances.
5. Trois recteurs se succédèrent durant les années d'études du duc de Bourbon. Le premier
(25 septembre 1674 au 18 avril 1678) fut le P. Jean Pinette, remplacé comme provincial de
France, le jour de sa nomination au rectorat, par le P. Etienne de Champs. Il n'entra dans
ses nouvelles fonctions que le 21 novembre 1674. — Après lui, ce fut le P. Jacques Pallu
(15 mars 1678- 168 1). Lettre de lui à Condé du 4 mai 1680. P.C. — Enfin le P. Etienne de
Champs gouverna le collège de 1681 à 1684; il adressa à son ami M. le Prince une lettre
intéressante à la date du 24 décembre 1682. P. C. — Il importait d'établir cette liste pour
rectifier la méprise grave et pleine de fausses conséquences échappées à M . Ailaire, qui paraît
ignorer Texistence même des Pères recteurs et fait du P. Nicolas Talon le i principal > du collège
de Clermont. (La Bruyère dans la mcUson de Condé^ t. I, p. 89 et 95.) La vérité est que ce jésuite,
presque octogénaire, voué exclusivement aux œuvres de charité, n'avait pas d'emploi. Il est
exact qu'il < portait à l'élève des PP. Alleaume et du Rosel le plus vif intérêt ; > mais inexact que
ces Pères fussent < sous sa surveillance, > le P. Talon étant un simple religieux sans aucune
autorité sur qui que ce fût. M. Ailaire serait inexcusable s'il n'avait été induit en erreur par le
P. Talon lui-même, qui, en manière de badinage, avait imaginé le slalus^ ou état du personnel,
purement fictif, d'un soi-disant collège de Chantilly. Talon à Condé, 27 décembre 1683 et
22 janvier 1684. P. C.
244 LOUIS DE BOURDON.
fut véritablement le ressort vivant et l'âme du coU^^e. Sa sévérité
était telle que plus d'un de ses collègues la jugeait implacable. Aucune
acception de personne. Avec les cinquante surveillants ou préfets,
aussi bien qu'avec les jeunes gens de la première noblesse, fatigués de
son impitoyable raideur, il semblait braver l'impopularité ', mais l'ambi-
tion personnelle était la dernière préoccupation de cet homme désintéressé
qui n'écrivit ni une ligne pour M. le Prince, ni un ouvrage pour le public
Sa modestie, égale à son mérite, visait plus haut qu'à ses succès d'amour-
propre. Son nom ne figure point dans la Bibliothèque de la Compagnie
et sa mémoire a été profondément oubliée. C'est cependant grâce à lui
que le collège de Clermont a atteint au dix-septième siècle sa plus grande
prospérité. En vain les détracteurs du P. Le Paige se plaignaient que
l'austérité dune règle appliquée sans accoounodement rendait plus
pénible encore la pratique de devoirs ennuyeux par eux-mêmes, détrui-
sait tout entrain et nuisait par suite à la piété comme au travail ; que
l'assujétissante monotonie de la vie scolaire, n'étant plus rompue par
quelques divertissements, dégoûtait tant de gens de cœur et de dévoue-
ment et exerçait un contre-coup fâcheux sur les enfants; que les pension-
naires habitués à enlever jusque-là tous les premiers prix, les laissaient
maintenant à d'autres, au détriment de la bonne réputation du coll^[e* ;
sa réponse était dans les faits. Le nombre des pensionnaires s*élevatt
de trois cent dix en 1673 à près de cinq cents en 1677. Jamais le vieux
collège fondé en 1563 par l'évêque de Clermont, Guillaume Duprat,
n'avait été aussi florissant \ A la fin de l'année 1678, les Lettres annuelles
prennent un accent de triomphe. Le chiffre de cinq cents pensionnaires
est de beaucoup dépassé. Nulle part les belles-lettres ne paraissent plus
en honneur ; nulle part, au jugement du public et des personnages les
plus considérables, on ne veille mieux aux études et à la vertu des
écoliers. C'était le fruit de la piété et de l'union fraternelle qui r^naient
parmi les directeurs de cette jeunesse et le résultat de la bonne volonté
souple et docile des inférieurs, de la vigilance assidue et intelligente des
supérieurs ^ La maison se trouva trop petite, et un bâtiment neuf, large
1. < Quamvis enim P. Primarius convictus suim mereatur laadetn in continenda extema
disap/ina^ consiaoks tamen est opinio plurimorum, ^i^m sud implaaxbili severiicUe trga frimut
Hûbilitaiis adoUscenteSy modum omnem excedere; et quoniam 50 praefectos ex NN. potins exaspc*
rat quam sibi conciliet, etc. > Cliva à Fallu. 13 février i68a A. C**.
2. Inde fit ut officio jam ex se molestia taedioqae plenoa^re se applicent ; atqae ita nec pteUs
apparet in convictoribas neque progressas in litteris, ubî satis a|>erte patuit in distributione
prsemiorum, cum semper hactenus convictores reliquis omnibus ut plurimum antestarent ; atque
ita tandem illustrior convictus fama obscurabitur. > Même an même. — < In convictu Parisienss
si Pater Primarius prxfectonim alacritatem non foveat et molestas illorum circa pueros vîgîlias
aliquA suavitaie nondemulceai^w^XAt timendum est, ne dum inviti se applicant,multa praetereaot,
quse essent scolasticis utiliora, ac ne forte eorum amarities in pueros exoneretur. > Cliva à Vertha*
mon, 22 mars 1678. — < De P. Prinarii severitcUe ']2Lm prescripsimus et omnino cupimus emen-
dationem agnoscere ac majorem circa ipx2t{tc\os placabiUiaiem, > Même au même, 24 mars.
3. i Nunquam magis convictus Parisiensis floruit Convictorum numerus ad 500 propemodam
excrevit. > Li itéra anniuty 1677 exeunte. A. C^.
4. € Nullibi splendidius florent litterse quam in coUegio Parisiensi, ubi convictores mirum in
modum quotidie multiplicantur. yi:/;;/^»^ çuingentorum numerum longe excedurU, Nimirum ea
GRAMMAIRK ST LITTÉRATURE. 245
et haut, en belles pierres de taille, fut à peine achevé que les nouveaux
le remplirent jusqu'aux mansardes.
Le nombre des jésuites, tant du scolasticat que du collège, atteignit
en 1680 le chiffre de cent cinq, y compris les Frères coadjuteurs *.
Le seul qui nous occupe actuellement est le régent de cinquième. Nous
croyons, sans pouvoir l'affirmer, que ce fut le P. Jacques de la Baune.
Et son âge et ses talents l'eussent appelé à une autre chaire, si ses
supérieurs n'eussent sollicité de lui ce sacrifice en considération du duc
de Bourbon. L'éminent professeur de grammaire et d'humanité, si goûté
naguère durant cinq années en ce même collège de Paris, obéit simple-
ment et redescendit en cette basse classe. A nouveau il suivit pour le
petit prince la série ascendante de l'enseignement des lettres, ne courant
aucun risque de faire ses écoles aux dépens de l'élève et lui apportant
cette sûreté de méthode que donne seule l'expérience du chemin exploré
et battu *.
Ces notions acquises sur l'établissement et le personnel revenons à
réducation.
Sorti en 1675 ^^s mains des femmes, à l'âge de sept ans, pour être
confié, dans l'intérieur de la famille, aux soins des PP. AUeaume et du
Rosel, puis élève du petit cours préparatoire au collège de Clermont,
durant toute l'année scolaire 1676-1677, le petit-fils du grand Condé
venait d'accomplir depuis quelques jours sa neuvième année (11 octobre
1677), quand il entra en classe de cinquième.
Le premier qui recueillit des nouvelles pour les transmettre à M. le.
Prince fut ce père attaché au duc d'Enghien après l'avoir élevé, et que
son nom de François Bergier diV^xi fait surnommer le berget de Chantilly.
Lui-même prenant au sérieux l'aimable jeu de mots, véritable expression
de sa sollicitude pastorale envers tous les membres de la maison, de
l'aïeul aux enfants, signe cette lettre, ainsi que beaucoup d'autres, du
pseudonyme transparent Pastor fido. Le bon père relève de maladie
et se trouve entre deux médecines. Depuis longtemps il n'a pu se rendre
nunc est omnium, prxsertim optimatum communis opinio, nusquam alibi melius quam apud nos
consuli pueronim studiis et pudori. Facit banc celebritatem egregia nostrorum, qui adsunt con*
victoribus, pietas et conjunctio, promptaque et facilis ad omne obsequium voluntas, tum vero
eoram, qui prscsunt, solers et erecta vigilantia. — In convictu Pari&iensi, novum sdîfîcium
extnictum est, quadrato lapide, amplum et praealtum, quod statim ab confluentibus convictoribus
occupatum est, et ad tegulas usque babitari cœptum. > UtUra annua^ 1678 exeunte. A. C*.
1. CattUogues. A. O .
2. Le P. Jacques de La Baune, que nous ferons connaître plus complètement après l'avoir va
à l'œuvre, était né à Paris le 15 avril 1647. Entré dans la Compagnie, malgré les résistances de
sa famille et d'une mère qui le chérissait, le 26 septembre 1665, ^ s'était toujours recommandé,
depuis cet acte d'un courage viril, par la finesse et la distinction de son esprit, la franchise et
l'aménité de son caractère. Sa philosophie achevée à Paris (1667- 1669), îl Y ^vait enseigné
successivement toutes les classes de la sixième à la seconde (1669-1674). Attaché au pensionnat
d'abord en repassant sa philosophie (1674- 1675), P^^^ ^^ faisant sa théologie (1675-1679)^ il
menait de front son service auprès des élèves et ses études au scolasticat. Son ordination
sacerdotale n'eut lieu qu'en 1678- 1679. Notice nécrologique (peu sûre) et Curriculum wta.
246 LOUIS DK BOURBON.
€ à rhôtel ; > mais, au collège, il a interrogé sur place le régent, lequel
lui a assuré être content du duc de Bourbon : « Il n*a point d'escholier
qui sache si bien ses petits principes. S'il étoît aussy fort sur la compo-
sition il seroit le premier de sa classe. Il faut espérer que dans trois ou
quatre moys, il composera aussy bien qu'il sçait ses règles \ > Ce bulletin
sommaire est un exact pronostic. En quelques lignes on y trouve dessiné
le portrait anticipé de Télève tel qu'il restera jusqu'au terme de son
septennat. Riche d'une heureuse mémoire, Bourbon possède la lettre de
sa grammaire et il en saisit le sens. Mais s'il tient l'outil, il n'a pas la
force ou l'art de le manier. Composer, c'est-à-dire actuellement faire des
thèmes, lui sera toujours une peine ; il est loin d'ailleurs d'éprouver à cet
exercice la même répulsion que son contemporain Monseigneur le
Dauphin, voyant là le suprême malheur. Bergier du moins espère qu'il
s'y mettra et tout le monde l'espérera autour de lui. Cet espoir quand
même, qu'on aurait eu tort de confondre avec un désespoir fondé, fut
en partie justifié dès ce premier trimestre. Les Litterœ annuœ, rédigées
vers la fin de 1677, déclarent que le prince avait tant progressé l'année
scolaire précédente (1676- 1677) dans la petite classe fermée, que déjà il
se distingue présentement en cinquième ^
Nous sommes malheureusement à des conjectures sur la manière dont
se passèrent la suite du premier semestre et le second tout entier (ianvîer-
août 1678). Les PP. Alleaume et du Rosel avaient bien affirmé, en octobre,
au P. Bergier, « qu'ils ne manquoient point à informer S. A. S. (Condé)
de tout ce qui regarde Mgr le duc de Bourbon ', > et, sans doute, îls ne
faillirent point à leur promesse. Leurs lettres de cinquième ne sont point
parvenues jusqu'à nous.
Perte amplement compensée par la correspondance de l'année scolaire
1678-79 et des suivantes, sans aucune autre lacune répétée que celle des
vacances.
Ce temps de repos, le duc de Bourbon l'avait, suivant l'habitude,
passé à Chantilly, et il en rapportait un état de santé florissant. Le
1. Bergier à Condé. Paris, 31 octobre [1677]. P- C.
2. i ... Nihil in hoc génère dici potest ad commendationem illustrius, quam quod hoc anno
frequentare scholas ccepit, in Parisiensi collegio, Seren. e regio sanguine Princeps Dux Borbo-
nius, Principis Conda^i nepos, Enguinei ducis filius unicus, Studere apud nos jam annosuperiort
cœperat grammaticse elementis, in domestica schola^ ubi tantum profecit ut in quinia jam emineat.
LU ter a annua provinciœ Franciœ^ anno 1677 exeunie:^ Ces mots de^/r unique du duc d'Enghien
s'étaient malheureusement devenus que trop vrais. Nous avons déjà parlé de l'aîné, le premier
Louis, duc de Bourbon (t 8 juillet 1670). Les deux plus jeunes, Henri, comte de Clermont et
Louis-Henri, comte de La Marche, puis de Clermont après son frère, avaient également succombé
en bas âge : Henri vécut 3 juillet 1672 — 6 juin 1675, et Louis-Henri 9 novembre 1673 — 21
février 1677. Ce dernier, déjà fait d'Eglise à l'âge de trois ans, emportait dans sa tombe un
bénéfice. < Le 11 décembre 1676, Sa Majesté a donné l'abbaye de la Victoire au second fils du
duc d'Engiiyen. > Gazette ^ 1676, p. 868. Cette magnifique abbaye, située près de Senlis, avait
été fondée en 1222 par Philippe-Auguste, en mémoire de Bouvines. Ruines aujourd'hui peu
importantes. Après le comte de Clermont, l'abbé de la Victoire fut Bernard Lenet, frère de
Tauteur des Mmaires.
3. Bergier à Condé, 31 octobre 1677. P. C.
GRAMMAIRE ET LITTÉRATURE. 247
physique réagissant d une façon salutaire sur le moral, il s'active au
travail de la quatrième et laisse croire qu'il va se corriger un peu de sa
lenteur, ce défaut inquiétant qui déjà perce sourdement et arriverait
bientôt à se confondre avec la paresse', sans la guerre constante déclarée
par ses maîtres. Résultat satisfaisant : ^ il fait ordinairement en une
heure plus qu'il ne faisoit en deux à Chantilly ' 1^ Mais que faisait-il donc
à Chantilly ? Son application endormie est encore à réveiller. Beaucoup
de fautes dans les thèmes. On redoute la prochaine composition qui sera
pour les places. Peut-être le désir d'en obtenir une bonne servira-t-il de
stimulant efficace.
Suivons pas à pas cette lutte quotidienne entre l'inertie innée de
l'écolier et les excitations extérieures destinées à le secouer.
Toucher les ressorts sensibles du caractère pour vaincre la mollesse
apathique du tempérament, en appeler aux sentiments entraînants de
l'émulation et de l'honneur, telle fut la méthode de guerre adoptée. Elle
présentait l'avantage d'opposer la nature à la nature, et, sans sortir de
l'enfant lui-même, d'aller chercher au fond de son être des qualités
latentes, de découvrir et d'exploiter des ressources cachées, mais
personnelles et fécondes. A mesure que le bien se développera et gagnera
du terrain, le mal cédera, refoulé et réduit.
Le léger progrès de la rentrée ne tarde pas à s'affirmer. « L'inapplication
et la lenteur de Mgr le duc de Bourbon à l'étude continuent à diminuer,
et il fait présentement ses thèmes beaucoup plus viste que Davisson ne
fait les siens. » Ce petit camarade, fils d'un officier de l'hôtel de Condé *,
étant d'une condition toute différente, fournissait un terme de comparaison
à rendre le prince confus, au cas où il eût été surpassé par l'enfant d'un
domestique. Volontiers on les oppose l'un à l'autre, même pour la taille.
Louis de Bourbon n'est pas grand, et Davisson doit au malheur de
sa fièvre quarte la chance d'une plus rapide croissance. D'année en
année, on constate d'un œil jaloux la différence qui les sépare ou les
rapproche.
S'il ne fallait qu'être souffrant pour € croître >, ce ne sont pourtant
pas les indispositions qui manquaient au petit duc. De là interruptions
forcées dans le travail et ralentissement chronique des plus beaux
élans. Trop souvent, en la première partie de sa classe de quatrième,
les lettres des PP. Alleaume et du Rosel se bornent à des bulletins de
santé.
Le vendredi 4 novembre (1678), un accident condamne le duc de
Bourbon à garder la chambre. <L Pourvu que les médecins n'allongent
pas le mal ! > s'écrie le P. Alleaume ^ incrédule aux consultations de
1. Alleaume à Condé, 24 octobre (pour 26?) 1678. P. C.
2. Son père Davisson, maître d'hôtel du duc d'En^hien, arait épousé une demoiselle M'gnot
anciennement au service de la reine Marie à Varsovie.
3. Alleaume à Condé, 4 novembre 1678. P. C.
248 IjOXHS D£ BOURBON.
Bourdelot, — le plus fieffé charlatan de l'entourage, — maïs croyant
avec Molière que C presque tous les hommes meurent de leurs remèdes»
et non pas de leurs maladies ' >. Ses craintes avaient leur légitime
fondement. Les médecins de l'hôtel de Condé étaient les parfaits origi-
naux des types non point créés, ni même adaptés, représentés seulement
au vif par le grand comique, fidèle observateur des mœurs de son temps.
Postea seignare, ensuit ta purgare, leurs ordonnances se ramènent à ces
deux formules. Bourdelot, tout directeur qu'il est de son Académie, se
montre dans notre correspondance aussi ignare que ses savants confrères.
Pour ses nobles clientes du Marais, l'habile homme avait substitué à la
rhubarbe et au séné les melons et la glace. € Tout le monde me
vient dire, écrivait Mme de Sévigné (24 juillet 1674), que cela me
tuera '. >
Louis de Bourbon, sans en mourir* ne guérissait jamais pour longtemps.
Les chutes succédaient aux rechutes. Une autre fois le P. Alleaume
déclare n'avoir i plus à craindre que la fièvre quarte ^ >, et le P. du Rosel
ajoute avec confiance que < M. Bourdelot est content du train que prend
la maladie ^>. Echappé des mains du dangereux docteur, le duc de
Bourbon retournait en effet au collège après une semaine, pas affaibli,
n'ayant mal qu'à la mine, un peu moins pleine à cause de la diète ^. Il ne
peut avoir maintenant sommeil plus tranquille ni meilleur appétit ;
pourtant ces € petites maladies qui viennent à la traverse, gémit l'autre
précepteur, ne nous avancent pas. Les idées s'effacent, et il faut du temps
pour se remettre ; nous ferons tous notre possible pour réparer les pertes
que ces incommodités nous font faire ^ » L'infortuné duc y perdait, en
effet, le plus clair de son temps. ^ Toutes ces petites maladies, écrit le
P. Bergier, nous nuisent beaucoup, et pour le corps et pour l'esprit '. >
L'écolier n'eût pas été malade , qu'on l'eût accablé des mêmes
remèdes préventifs infligés, par exemple, à Mlle d'Enghien, sa sœur.
Un chapitre ne serait pas de trop pour exposer cet abus. Nous
devions le signaler, en passant, à raison de sa place dans la vie privée
à cette époque et de sa funeste influence sur plus d'une éducation
princière.
Mais en quoi consistaient au juste ces études, coupées de si fâcheux
intermèdes et quels exercices formaient le programme de cette classe de
quatrième } Au premier rang se place le thème. Se former le goût au
contact de la langue latine est le but poursuivi de bonne heure et vers
lequel convergent la plupart des moyens mis en œuvre. Avant la rentrée
au collège le convalescent a fait € quelques thesmes de la classe ' > ; mais
1. Malade imaginaire^ 111,3.
2. Sévigné^ édit. Régnier, t. X, p. 543.
3. Alleaume à Condé, 22 février 1679. P. C.
4. Du Rosel au même, 23 février. P.C.
5. Alleaume au même, 27 février. P. C.
6. Du Rosel au même, 26 février. P.C.
7. Bergier au même. Paris, 13 mars, 1679. P.C.
8. Du Rosel au même, 26 février. P.C.
(D'après
encore brouillé avec ses souvenirs, commet « trois gros solécismes ' ». Il
ne se ressaisit qu'après les vacances de Pâques et avec le mois de mai.
Du Rose) signale à celle époque une amélioration générale : études en
bon état et tous les derniers thèmes « beaucoup plus corrects que les
précédens ' >. Mais cette ferveur n'est pas à l'épreuve des rc froid issements.
250 X:X)UIS DE BOURBON.
Les fêtes de la Pentecôte (21 mai) ont détourné l'attention, on a mis
imperare cupiditates \ Cependant, comme c'est Tunique grosse faute,
Alleaune ne s'est point fâché, peut-être eût-îl n^ieux fait de se montrer
plus mécontent. Les chaleurs de l'été étaient déjà très fortes et le travail
tendait à faiblir. Dans le thème du vingt-huit mai il y eut cinq ou six
solécismes*. Autre cause de ralentissement : c'est le P. AUeaume
lui-même qui se met à faire sa retraite annuelle de huit jours. Bien eût
pris à l'excellent religieux, de former, parmi ses résolutions, celle de
pratiquer une angélique patience. Le thème du deux juin est « fort
méchant... Monseigneur a mis : vtros in historia tam célébras^ et pour
dire ^ ne vous laissés pas abbattre par la mauvaise fortune», ne stnas
adversa fortuna te affiigeres^ >. Encore le précepteur n'en rapporte- t-il
que deux à M. le Prince et il y en avait plusieurs presque de même
force.
Enfin le coup de fouet des prix parvint à ranimer cette énergie morale
languissante et atone dans un corps qui ne lui refusait pourtant plus le
service. Les thèmes faits à la maison deviennent meilleurs que de
coutume. N'est-ce là qu'un bon mouvement passager } Est-ce le point de
départ d'une marche en avant régulière et soutenue ? Le précepteur
craint et espère. Si l'écolier € pouvoit prendre le train de bien faire
ordinairement, nous aurions beaucoup gagné. Nous n'oublions rien,
Monseigneur, pour tâcher de le maintenir dans la bonne disposition où
il est présentement pour sa santé et pour ses études ^ > La distribution
approche de plus en plus. D'abord on a composé pour les « petits prix >,
appelés encore « prix du Père préfet >, qui précèdent les « grands prix>
ou ceux de fin d'année. Ainsi, sur un tout autre terrain, voit-on de nos
jours, entre l'Ascension et la Pentecôte, certaines courses préparatoires
consacrées par l'usage, et le Derby de Chantilly servir d'épreuve
préliminaire au prix de la ville de Paris. Les présages fournis par le
thème des petits prix étaient favorables. Le duc de Bourbon envoya son
latin au prince de Condé. Il n'avait jamais rien fait de si exact et le
P. Alleaume ne souhaitait de lui rien de meilleur pour le grand prix ^
L'ambitieux candidat se voit par avance triomphant, et si l'on doit se
fier aux récits exagérés et dramatisés du P. Talon, il a déjà l'insolence
de la victoire ^
Un peu plus de modestie eût mieux convenu. Le P. du Rosel, qui sait
par cœur son Louis de Bourbon, se rend compte qu'en cette « grosse
affaire > on ne peut pas faire fond sur une tête aussi légère. Ne lit-on
pas dans un thème, le vingt et un juin, ^philosophiam studuisti'' 1^ ? Sans
1. Alleaume à Condé, 26 mai. P. C.
2. Même au même, 29 mai. P. C.
3. Même au même, 2 juin. P. C.
4. Même au même, 8 juin. P. C.
5. Jâid,
6. Talon au même, 10 juin . P. C .
7. Du Rosel au même, 22 juin 1679. P. C.
GRAMMAIRE ET LITTÉRATURE. 251
doute ces fautes sont aussi rares que grossières ; mais le vingt-deux on
compose pour les places et c'est quo praclarus ^5 pour quo prœclarior, et
encore suadere au lieu à^ persuadendum. Il y a même un te aduler que
Técolier croyait une faute ; son précepteur le détrompe et lui apprend
que cela € se peut dire, et se trouve même plus d'une fois dans Cicéron,
dont il est fort aise '. > Le duc de Bourbon faisant du Cicéron sans
le savoir, certes la rencontre est glorieuse ! Qu'en pensa Condé ?
Nous l'ignorons. La plus déplorable lacune de nos correspondances est
l'absence de ses lettres aux précepteurs de son petit-fils. Nous savons
seulement que le duc d'Enghien, mis au courant, en marqua son con-
tentement et ses espérances. Parfois grands-parents et parents ne
s'intéressent-ils pas aux récompenses publiques autant que les enfants et
petits-enfants "i
A plus forte raison Condé et Enghien voulurent-ils avoir connaissance
de la composition décisive de juillet. M. le Duc venait de partir pour
son gouvernement de Bourgogne et travaillait du matin au soir :
réceptions au parlement, visite à Auxonne, etc., en somme plus d'affaires
que quatre légats •. Le P. Bergier, inséparable de sa personne dans ses
déplacements, reçut à sa place le thème envoyé par les deux € petits
Pères >, — ainsi nommait-on familièrement, et dans la maison de Condé
et au collège de Clermont, les Pères Alleaume et du Rosel ; — Bergier
pensa avec M. le Prince, dont le jugement nous est ici connu, que le
commencement semblait « très bon >. « Si la fin, soupire-t-il, étoit de
mesme, Mgr le duc de Bourbon auroît eu le premier prix sans difficulté.
A son ordinaire il a manqué dans les endrois les plus faciles '. » Cela
n'empêche pas le bon Père de montrer le demi chef-d'œuvre à l'élite de
la société bourguignonne réunie à Dijon pour les Etats de la province,
et aux jésuites du collège des Godrans. Ceux-ci assurent que leurs
écoliers de seconde et de rhétorique pourraient faire plus correct, — et
encore ? — mais qu'ils ne mettraient pas « un francoys si difficile en un
latin si délicat ». Beaucoup de gens se déclarent « épouvantés > et ne
croient pas que le duc de Bourbon ait pu « si bien composer >. Intendant
et officiers du Parlement affirment d'un commun accord qu'il a mérité un
prix, qu'il doit en avoir un.
Quel dommage que € tous ces Messieurs de Dijon > qui opinent sans
savoir la force de la classe, ne soient pas entrés à Paris dans le jury du
collège de Clermont ! Le 1 7 août on représentait la tragédie de Cyrus ^ à
laquelle le duc de Bourbon n'assista point, étant parti d'avance pour
Chantilly avec son grand-père. C'est qu'il n'y avait eu € rien à espérer
pour lui 5 ». Il n'en fut pas quitte pour cela avec les thèses qui le
1. Alleaume à Condé, 23 juin. P. C.
2. Bergier «lu même, Dijon, 12 août. P. C.
3. Même au même, 1 1 août. P. C,
4. Bergier au même, Dijon, 16 août. P.C. Qri/jest du P. de La Rue.
5. Ibid,
352 LOUIS D£ BOURBON.
poursuivirent en vacances ; mais nous allongerions par trop notre récit
en décrivant ces heureux séjours dans la maison des champs du grand
Condé. Il nous faut dire un mot des autres exercices qui avaient rempli
l'année.
La traduction, instrument de formation intellectuelle plutôt que moyen
d'acquérir la facilité d'écrire dans une langue et de la parler, semble
avoir été reléguée, en cette classe toute rudimentaire encore, au deuxième
plan ; elle est à peine mentionnée '. On fait des versions *, mais sans
paraître y attacher d'autre importance que d'accoutumer l'élève < à penser
mesme au reste ' > D'ailleurs le duc de Bourbon n'a pas besoin d'être
stimulé ; il y trouve naturellement son < plaisir >, bien que ce soit,
ainsi que les vers latins, « chose qui demande de lapplication et de
lexactîtude * ».
Mais son principal attrait va aux vers. C'était la nouveauté
du carême, et, à partir de Pâques, ce fut la passion de la qua-
trième K
Les leçons inspiraient moins de répugnance que les devoirs écrits à
cette nature léthargique et hostile à l'effort de produire. La curiosité
aidant, les exercices de mémoire ne lui coûtaient guère. < Il apprend
ses leçons avec une application et une vitesse extraordinaires *. > Si
une fois ou l'autre il ne les a pas aussi bien sues, elles lui fournissent
quand même une diversion et une distraction au milieu des ennuis du
thème.
Le grand, l'universel réactif, ce fut l'émulation. Avec ce caractère
flasque et mou, l'éducation privée n'eût abouti à rien. Louis de Bourbon
eût accepté, en sa parfaite insouciance, d'être inférieur au petit Davisson
ou au dernier de ses pages dans le huis-clos du Petit-Luxembourg.
Devant les cinq cents pensionnaires et les externes beaucoup plus
nombreux du collège de Clermont, il ne se résignait pas au déshonneur.
En classe, son trône, acheté deniers comptants, n'a de mérite à ses yeux
que s'il est surmonté d'un de ces titres souverains, empereur^ consul^
tribun^ qu'on emporte de vive force sur un camarade, soit dans les
compositions /^«r les places, soit dans les perpétuels combats singuliers.
De ces concertations, mais surtout de la fête des Affiches (17 et 18 juin
1679), il sortait « plein d'envie de faire des merveilles ' >. Ce ne fut que
pour l'année suivante, celle de la troisième.
Les vacances de 1679, très éprouvées par une maladie épidémîque
qui sévit sur les enfants de M. le Duc, relégués à Précy-sur- Oise,
1. Du Rosel à Condé, 26 février 1679. P. C.
2. Du Rosel au même, 12 mai 1679. P. C.
3. Même au même, 16 mai. P.C.
4. Ibid.
5. Du Rosel au même, 2 mars, 9, 12 et 30 mai, 6 juin. — Alleaume au même, 8 juin P.C.
6. Du Rosel au même, 9 mai. P. C.
7. AUeaume au même, 18 juin. P. C.
GRAMMAIRE £T ULTTÉRATURE. 253
n'avaient pas procuré à Louis de Bourbon des plaisirs sans mélange.
Quelques accidents de santé, légers et insignifiants, reparurent encore de
temps à autre après la rentrée en troisième ; ils ne nuisirent plus aux
études.
Le travail avait repris. L'émulation redoublait On était en cette classe
supérieure de grammaire, la mieux faite, par son cadre élargi, pour
permettre à des émules exercés depuis les rudiments de déployer les
uns contre les autres l'expérience de leur tactique consommée. Les
princes de Nassau ', et Camille ', Billy ^ et Armagnac, Chalype ^ les
Louvois et les Mesmes ^ tous vieux adversaires, entament une nouvelle
campagne et ils l'espèrent décisive.
Avec la Toussaint arriva une excellente recrue: c'était un petit
méridional *, fils de M. de Féransac, officier de la maison de Condé^ Il
était reçu comme page au service du duc de Bourbon. € Il a étudié dans
son païs, et il dit qu'il expliquoit Quinte-Curse ; on verra de quoy il est
capable, et on le fera aller en classe. > Ses débuts furent excellents ; le
petit duc le prit bien vite en affection '.
Mais une cérémonie religieuse s'annonçait, qui, plus encore que les
aiguillons de l'émulation entre princes et pages, plus qu un second prix
•
1. Guillaume-Hyacinthe, prince de Nassau-Siegen, né le 18 février 1666, était petit-fils de
Jean III de Nassau-Siegen aont la conversion au catholicisme avait entraîné celle de Jean- Louis
de Nassau- Hadamar, et l'un des dix-sept enfants de Jean-François-Désiré de Nassau-Siegen,
mort en 1699. Il perdit sa mère Marie- Eléonore-Sophie, fille du margrave de Bade, à Tâge de
deux ans (1668), et ce fut la première épreuve d'une vie qui ne les compte pas. Marié deux fois :
10 en 1687, avec Marie- Françoise de Furstemberg, qui lui donna deux fils décédés avant leur
père; 2^ en 1698, avec Marie-Anne-Josèphe de Hohenlohe qui le laissa de nouveau veuf en
1723, il s'éteignit sans postérité en février 1743. — Attaché au parti français comme les
Furstemberg, Guillaume- Hyacinthe subit le contre-coup des désastres de la fin du règne de
Louis XIV. Les habitants de Siegen s'étant plaints au Conseil aulique, obtinrent un arrêt contre
loi (1708), et il ne fiit remis en possession de ses Etats que l'année suivante, par la diète de
Ratisbonne. Expulsé une seconde fois, il fut encore rétabli dans ses droits en 171 1, mais une
garnison de troupes de l'électeur de Cologne dut rester au château de Siegen. Ces démêlés avec
ses sujets contribuèrent sans doute à lui faire abandonner le gouvernement de sa principauté à
ses deux frères cadets, pour aller vivre à la cour d'Espagne sous le titre de comte de Châlons.
et : Le ComU Jean-Louis di Nassau- Hcuiamar^ neveu du Tadtume (1590-1653), converti à la
foi catholique en 1629: et Le Comte Jean de Nassau-Siegen^ dit le Jeune^ (1583- 1638), fetit
'neveu du Taciturne^ converti à la foi catholique en 16x3. (Extraits des Précis historiques^ 1885
et 1886). Voir aussi le récent et bel ouvrage de M. le marquis d'Aragon : Un Paladin au
dix-huitième siècle , Le prince Charles de Nassau-Siegen^ diaprés sa correspondance originale
inédite de 1784^ 1789. Paris, Pion, 1893, in-8. — Le prince Guillaume- Hyacinthe est souvent
mentionné, comme émule du duc de Bourbon, dans les lettres du P. Du Rosel à Condé, 9 et 1 2
mai ; 7 novembre 1679 et passim. P. C, complétées par le progranmie du ballet de Plutus^
août 1682.
2. Camille, dit le Prince Camille^ nom quMl garda après le collège, était fils de Louis de
Lorraine, comte d'Armagnac et de Catherine de Neufville. Né le 25 ou 26 octobre 1666, il mourut
à Nancy en décembre 171 5, avec le titre de grand maréchal de Lorraine. Voir son article dans
La Chesnaye- Desbois, t. XII, col. 433. Sur cet adversaire < plus dangereux que Mgr le prince
de Nassau >, lire du Rosel à Condé, 16 mai 1679, etc. P. C
3. Le petit de Billy avait sans doute pour père M . de Billy, Técuyer de Mme de Longueville.
Du Rosel à Condé, 3 janvier 1680, etc. P. C.
4. Du Rosel au même, 6 juin 1679. P. C.
5. Da Rosel au même, 7 novembre 1679. P* C.
6. Même au même, 2 novembre. P. C.
7. On trouve des lettres de lui dans les correspondances .P.C.
8. Du Rosel à Condé, 7 novembre 1679 ^^ 3 janvier 1680. P.C.
254 LOUIS DE BOURBON.
de version obtenu à la fin du premier trimestre \ exerça sur Técolier de
troisième une heureuse influence.
Louis de Bourbon était entré depuis quelques mois en sa douzième
année (il octobre 1679)^ Ondoyé, sans aucun doute, aussitôt après sa
naissance % il n'avait pas encore reçu le baptême solennel. Dans ce fait,
anormal à notre époque et contraire d'ailleurs aux avis du Rituel, il n'y
avait alors rien de bien extraordinaire pour un prince de sang. Diverses
circonstances intervenaient dans la fixation du grand jour. La moins
importante n'était pas le choix des parrain et marraine \ Pour le petit-fils
de Condé, il semble qu'on ait voulu faire coïncider son baptême public
avec une autre fête de famille, superbe en apparence, mais voilée de
quelque tache en son éblouissante splendeur : le mariage de l'alné des
jeunes princes de Conti, Louis-Armand Bourbon, avec Mademoiselle de
Blois, fille de Louis XIV et de Louise de La Vallière, aujourd'hui
pleurant son péché dans un cloître ^.
Il ne fallait rien moins que ce double événement pour faire reprendre
à Condé, de plus en plus enfermé dans sa retraite de Chantilly, le chemin
du château de Saint- Germain. Le héros solitaire, en rupture ouverte
avec les manières de la jeune cour, dont son beau neveu Conti était un
des plus galants modèles, consentit à subir l'opération de la toilette, — la
toilette du vieux lion, — décrite par Mme de Sévîgné dans une si jolie
page.
Cependant, je vous dirai une nouvelle, la plus grande et la plus extraordinaire que vous
puissiez apprendre ; c'est que Monsieur le Prince fît faire hier sa barbe ; il étoit rasé.
Ce n'est point une illusion, ni de ces choses qu'on dit en l'air ; c'est une vérité ; toute la
cour en fut témoin, et Mme de Langeron, prenant son temps qu'il avoit les pattes croisées
comme le lion, lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants ; un valet
de chambre, abusant aussi de sa patience, le frisa, lui mit de la poudre et le réduisit enfin
à être l'homme de la cour de la meilleure mine, et une tête qui effaçoit loutes les perruques :
voilà le prodige de la noce K
Mais ni son merveilleux justaucorps, ni Y € inestimable > habit du
prince de Conti ^ ni les « trois habits de M. le Duc, garnis de pierreries
1. Bergier à Condë, 29 décembre 1679. P- C.
2. En l'absence de documents, nous le concluons de ce qui avait eu lieu pour son frère aîné,
le premier duc de Bourbon qui, né le samedi 5 novembre 1667, fut ondoyé le jour même par le
curé de Saint-Sulpice, et mourut le 8 juillet 1670 sans avoir été baptisé. Cérémonial ms^ Archives
de la maison de Condé.
3. Sans remonter au grand Condé, né le 8 septembre 1621 et baptisé seulement le 5 mai 1626,
nous pouvons citer, parmi les frères et sœur du duc de Bourbon, Marie-Thérèse, née le x*' janvier
1666, baptisée le 22 janvier 1669 {Gazette) \ Anne-Louise, née le 11 août 1675 et qui attendit
pour être nommée jusqu'à l'âge de neuf ans (26 juillet 1685);
4. Lire, dans M"*® de Sévigné, le récit de sa visite à Sœur Louise de la Miséricorde, le 4 janvier
1680, aux Grandes Carmélites : i Mais quel ange m'apparut à la fin!... > Sévigné^ édit.
Régnier, t. VI, page 175.
5. Lettre du 17 janvier 1680, p. 200.
6. < C'étoit une broderie de diamants fort gros, qui suivoit les compartiments d'un velouté
noir sur un fond couleur de paille. On dit que la couleur de paille ne réussissoit pas, et que
Mme de Langeron en a été malade, . . > Ibid, Un peu plus l'infortunée femme de chambre de
Mme la Duchesse finissait comme Vatel !
GRAMMAIRK ST LITTÉRATURE. 255
différentes pour les trois jours >, ne valaient aux yeux de la foi le
vêtement blanc, précieux souvenir de la robe des catéchumènes, symbole
< de la pureté de ses mœurs et de la candeur de son naturel ' :^, que
portait M. le duc de Bourbon présenté au baptême. Cette seconde
cérémonie suivit la messe de mariage, à une heure de Taprès-midi. Le
cardinal de Bouillon ' qui venait de célébrer les saints mystères, interrogea
Tenfant sur les principales vérités de la religion. Etant d'âge, il satisfît
aux demandes avec une présence d'esprit à surprendre l'assemblée ^ On
admira dans le répondant <L la naissance, la beauté, la bonne grâce, la
dignité, la jeunesse », et encore, car ce n'est pas tout, « la docilité, le
jugement, la vivacité et... les autres avantages qui distinguent dans le
monde les "personnes de qualité * >.
Il fut nommé Louis par son auguste parrain Louis XIV, baptisé, moins
d'un demi-siècle plus tôt, en cette même chapelle. La marraine était
Madame, épouse de Philippe d'Orléans, la spirituelle Palatine, mère
du Régent. Assistaient à la cérémonie la reine et toute la maison
royale s.
La matinée avait été consacrée aux rites sacrés. La soirée le fut, pour
les invités des Conti, aux divertissements profanes.
La meilleure fête du nouveau baptisé fut sans doute le congé de deux
jours qui lui fut accordé pour la circonstance, autant en sa faveur, qu'afîn
de permettre aux jésuites poètes du collège de Clermont de préparer
une séance littéraire en l'honneur de son retour. Mais dès le lendemain,
le P. Claude- François Menestrier, de la Maison professe, avait pris les
devants. C'était un des premiers décorateurs de son temps et des plus
féconds ^ A peine avait- il achevé ses Première, Seconde et Troisième rela-
tion du Parnasse pour le mariage de Marie- Louise d'Orléans avec le roi
d'Espagne Charles II (31 août 1679). et déjà il songeait à dessiner les cent
vingt-huit quartiers de Marie-Anne- Victoire de Bavière fiancée au grand
Dauphin, quand le baptême du duc de Bourbon lui fit solliciter de La
Reynie un permis d'imprimer pour sa quatrième Relation du Parnasse sur
les cérémonies de Saint-Germain-en-Laye, Plus imaginaire qu'historique, et
1. Relation du Parnasse sur les cérémonies du Baptesme de Monseigneur le Duc de Bourbon,
fils de Monseigneur le Duc et petit fils de Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince de
Condé, faites à Saint Germain en- Laye le i6 janvier 1680. (Par le P. Menestrier.) Paris, La
Caille, 1680, in-4, p. 7 et 8. — Dans les Comptes de 1680, il est accordé < au sieur Prou,
découpeur, sept livres pour la façon du bonnet de moire d'argent qu'il a fait pour Mgr le Duc de
Bourbon pour le jour de son baptesme >, et < soixante-sept livres dix sols à Desessart, marchand
de soie, pour faire Thabit >.
2. Emmanuel-Tbéodose, né le 24 août 1643, fils du duc de Bouillon mort le 9 août 1652, créé
cardinal le 5 août 1669, était grand aumônier de France.
3. Recueil Cangé^ 4' série. Mélanges historiques et administratifs. Boite III. Premiers
ministres. Bibl. nat., réserve, F. 225. — Relation du Parnasse , p. 6.
4. P. Menestrier, Relation,
5. Gasetle 1680^ p. 35.
6. Sur le P. Menestrier (163 i-i705\ voir X?^ Bibliothèque A\x P. Sommervogel, t. V. col. 905-945 ;
le Catalogue des œuvres imprimées de Menestrier ^^^s J. Renard et le P. Sommervogel, Lyon
1883, in- 8 ; le Bourdaloue du P. Lauras, t. H, p. 504, et le Dictionnaire des amateurs français au
dix- septième siècle^ par M. E. Bonnaffé. Paris 2884, in- 8, p. 216.
256 I^UIS D£ BOURBON.
mêlant la fiction à la réalité, ce récit nous fait assister à une double contes-
tation. La première, entre les plus célèbres fleuves, à qui fournira ses eaux.
L'Eridan invoque Virgile ; le Nil, la croisade de saint Louis ; le Rhin,
rimmersion des anciens Francs ; mais TOcéan prononce en faveur de la
Seine. L'autre roule sur le nom à imposer. On parle € d'Achille, de
Pyrrhus, d'Alexandre, de Scipîon, d'Annibal ou de César, > qui eussent
présagé une valeur héroïque ; mais quelques-uns désirent un nom chré-
tien, tel que Constantin, Théodose, Justinien, Sigismond, Léopold,
Rodolphe, Casimir ou Maximilien, recommandables par la dignité jointe
à la piété. Sans aller chercher si loin, en pays étrangers, pourquoi ne pas
s'arrêter en France, à Clovis, Childéric, Clotaire, Pépin, Charlemagne,
Robert ou Philippe, Henry ou Louis ? Le grand Alcandre (Louis XIV)
termine le différend en choisissant le dernier, synonyme de toutes les
vertus royales.
Nymphes et sibylles prennent acte de ces diverses résolutions ; puis
les Muses, dont 4L ce jeune prince est devenu le nourrisson, > font des
acclamations publiques et jettent des médailles pour conserver la mémoire
de la cérémonie, Menestrier, futur auteur d'une Histoire du roi Louis-
le-Grand par les médailles^ emblèmes^ devises^ jetions^ inscriptions^ armoi-
ries et autres monuments publics (1689, in- fol), offre ici un modèle de
sa rare ingéniosité. S'il est d'un goût douteux de représenter Madame,
sous l'image de Thétys < plongeant le jetme Achille dans une eau sacrée
pour le rendre immortel, > avec la légende : Ille Dëum vitam accipiet,
n est-elle pas irréprochable cette médaille où le jeune prince du sang de
France apparaît dans une guirlande de lis, avec le mot de l'Evangile :
«Non sic Salomon in omni gloria sua. >
Ces muses du P. Menestrier se risquent même, en dressant un arbre
généalogique, à faire des vers français :
Arbre où du grand Condk le Nom et les Anceslres
Portent jusques au ciel la gloire des Bourboos,
Conserve en celuy-ci tous les illustres noms
Des Princes que le monde eut autrefois pour Maistres.
Au collège de la rue Saint-Jacques, en matière de poésie, grec et
latin étaient de rigueur. Ces deux langues classiques fêtèrent à l'envi
Louis de Bourbon, le vendredi 19 janvier. Des élèves choisis de chaque
classe vinrent lui réciter ces compliments de bienvenue, signés quelques-
uns de son régent : le P. de La Baune ; de ses précepteurs : les PP. du
Rosel et Alleaume, et des PP. Sablé et Vavasseur ; la plupart, du
P. Joseph de Jouvancy, le plus éminent latiniste de l'établissement '.
\. Serenissimo principi duci Borbonio^post acceptum a Reçe christianissimo Ludoinci nomen^
in soUmnibus sacri baptismcUis ceremoniiSyin colUgium Claromontanum redeunti^ selecii e sin-
gulis scholis ejusdem collegn alumni recitabant. Anno M. DC. LXXX, die XIV Kal. febr. Paris,
Bernard, 1680, in-8. — La Bibl. nat. possède, dans sa réserve, an exemplaire (mYc, 983) qui
porte les noms des a-.itears, écrits au bas de chaque pièce, de la main du P. de Jouvancy. Il
provient du collège de Clermont.
GRAMMAIRE ET LITTÉRATURE.
JouvaTicy exploite la comparaison du « Louis d'or, > le symbole de
l'héliotrope, tleur naissante qui se tourne aux rayons du soleil, et,
avec un à-propos plus neuf, la pl^ce d'Iinperaior que Louis de
Bourbon venait précisément de conquérir ; /'/«r liarùoniits Ludovici
Homen aceepil eo tentpore, guo locitm Intpcratoris in sua scltola obtinebttt.
- Le Péhe Memkstrier. -
(D'après une estampe gravée par StÉph. Gantrel, 16S7.)
lemblance aisée à trouver avec son tout-puissant parrain :
QtiBm beni, dum ngni modtrarif utpha Latini
Htroii wtmttt aiHda reg/nlit Aates l
« Puisque je porte déjà le nom du roi, fait dire La lîaunc au Prince,
ourquoi n'arrîverais-je pas plus tard au surnom ? »
LaCruxICaïKl*. »
LOUIS DE BOURBON.
Jam dala pan magni mihi nominis : altéra retlat ;
Nune Lodoix dùor : çuando ego magous ero /
Ces jeux d'esprit plurent vivement au duc de Bourbon. II n'eut _
de repos que le recueil des pièces fût publié. « Monseigneur, écrit le
P. du Rosel, est dans l'impatience de voir les vers imprimés sur son
baptesme. On y travaille, et cela sera bienlost achevé. On a eu la pensée
de faire imprimer en mesme temps ce que M. Bourdelot a fait sur le
mesme sujet, et on luy a dit qu'on le doit faire ; mais on a jugé enfin
que la beauté de ces vers feroît tort à ceux des Pères du collège, et je
•crois qu'on les laissera imprimer à l'autheur, quand il le jugera à propos '. >
Bourdelot fit- il gémir la presse à part et à son propre compte? Le duc
de Bourbon, qui n'aspirait jadis à connaître la prosodie qu'afin de [jouvoir
critiquer les vers de son docteur ', persuadé d'instinct avec Molière
qu'un médecin devrait être autre chose qu'un humaniste, ne paraît se
soucier que de ceux des Pères; mais, à force de s'entendre ainsi comparer
à Louis le Grand, il voudrait n'avoir pas failli attendre. « Monseigneur
me demande tous les jours si les vers qu'on a fait à sa louange seront
bientost imprimés, et, quelque diligence que nous fassions, nous ne
pouvons satisfaire son empresssement'. > Un peu de vanité se mêlaît-il
à ce désir inquiet ? Etait-ce, en son cœur, un effet du reconnaissant
souvenir des grâces reçues et des joies éprouvées ? Il est certain qu'il
manifesta des sentiments élevés et généreux. Le mardi 23 janvier,
premier anniversaire du baptême, tout le collège avait congé, < en
considération de Mgr le duc de Bourbon, qui en a bien profité ; ï
fit aussi profiler les autres. Le même jour, une fête intime avait réi
dans sa famille le P. Jacques Pallu, recteur, son prédécesseur, le P. Jei
Pinelte, préfet des études, et les PP. Talon et de La Baune. <
sont sortis d'icy fort contens et charmés de Mgr le duc de Bourbon, qui
a esté en effet très gay et très joli avec eux. // 5es( souvenu qu'il avoit
une place de boursier à demander * > pour le fils de son valet de chambri
et, s'il est prêt à céder ses droits à Monseigneur le Dauphin, il les mail
tient contre sa propre parente, la duchesse de Ventadour. Son ccet
n'était donc pas fermé à la charité chrélienne ni vide de bonté.
Le progrès dans le travail fut un autre fruit de l'impression nanl
solennité, et ce fruit devait se conserver presque intact jusqu'à la fin
l'année.
A Pâques, il eut le premier prix de version et un vivat crié fortemei
par l'assistance fit de ce vendredi (12 avril 1680) « une grande journi
pour luy ' ». Le thème, exercice plus sérieux et meilleur indice de fort(
études grammaticales, était toujours d'un assez bon élève, lambin
1. Du Koael à Condé. Paris, samedi malin, 3? ianvier lûôo.
2. Même au même, Paris, mardi matin, 9 mai 1679.
î. Atlcaume au mime. Paris, mardi matin, jojani'ier 1680.
4. Même au même. Paris, mardi soir, 1} janvier 1660,
5. Bergier, La Bauae et Alleaume au même, 12 avril if So, P. C.
en
I
GRAMMAIRE ST LITTÉRATURE. 259
distrait, mais sachant convenablement son latin. On en jugera par le
texte même d'une de ses compositions que nous citons en note \
Or voiei dans quelles circonstances fut composé ce devoir, et comment
le P. du Rosel le jugeait, dans une lettre à Condé (8 novembre 1679),
qui nous prouve une fois de plus à quels minutieux détails s'intéressait
ce grand homme, et de quel œil attentif aux moindres incidents il suivait
l'éducation et l'instruction de son petit-fîls, élève de troisième :
Monseigneur, si Mons' le duc de Bourbon eût été hier un peu plus diligent à ^ûre son
thesme de composition pour les places, nous aurions de meilleures nouvelles à en mander
à V. Altesse. Mais comme il n'eut pas le temps de le décrire ' ny de l'achever, et que
d'ailleurs l'exemplaire qu'il en a fait est si brouillé qu'à peine peut-on le déchifrer, il fallut
quitter la classe à cinq heures où l'on n'y voioit plus pour écrire. V. A. S. verra par ce que
je lui envoyé qu'outre la longueur à composer, il y a dans le thesme deux ou trois de ces
fautes grossières qui ne sont que d'inapplication et des restes de nos langueurs dernières
dont nous avons eu bien de la peine à revenir. Je crois que nous en serons bien tost
remis, car on craint tout pour la classe^ et la confusion de n'avoir point de place d'un
thesme qu'on n'a pu achever sera un nouvel engagement à penser plus soigneusement à son
devoir. Monf le duc de Bourbon craint fort la réponse de V, Alt,^ à ce que je viens de luy
dire quefaiiois écrire à Chantilly,
Ce document scolaire est unique de son espèce; aucun autre devoir du
duc de Bourbon n'étant parvenu jusqu'à nous. Encore cette page est-elle
transcrite par une autre main. Les plus riches dossiers offrent de ces
lacunes.
Ce thème était du 7 novembre (1679). A la fin de janvier (1680) le
P. Alleaume se réjouissait de n'avoir plus trouvé dans les suivants € ce
grand nombre de fautes qui y étoit autrefois ^ >. Ce jour-là il n'y en a
qu'une. Or, il paraît bien avéré que l'élève composait ses devoirs seuls.
Le P. de La Baune ne l'aidait ni de près, ni de loin \ On ne lui faisait
non plus aucune faveur pour les places. « Je l'ay veu, écrit l'honnête
P. Bergier, et j'en suis convaincu '. » Ce sont pourtant des thèmes de
;rand seigneur ; quand Louis de Bourbon est trop souffrant pour les
îcrire, il les dicte à ses précepteurs, qui mettent fidèlement ses solécismes
I. Je me suis souvent étonne comment des gens d'esprit et for^ scavans, tels qu*il en a paru
plusieurs dans l'antiquité, ont été assés bons pour croire toutes les rêveries des poètes touchant
les dieux et la religion. Car pour ne rien dire de leur Juppiter et de Mercure et des autres dieux,
dont ils contoient les choses du monde les plus extravagantes, qui est-ce qui n'a envie de rire en
entendant parler de Rhadamante et de la barque de Caron ? Cicéron à la vérité s'en mocque dans
le second livre des Tusculanes^ mais combien d'autres grands hommes en étoient-iU effrayés.
Ce qui me fait dire qu'un homme qui ne connoit pas le vray Dieu est dans un étrange
aveuglement.
Sœpe miratus sum, quomodo viri ingenio doctrinaque praediti, quales in antiquitate plures
visi sint, ita stulti fuerunt, ut quidquid poët«e de diis et religione finxerunt, crediderunt. Nam
ut de Jove, Mercurioque et caeteris diis nihil dicam, de quibus ineptissima narrabant, cui, quod...
On ne peut lire cet endroit ny le déchifrer (sic). La fin est : Dicitur risum non excitant... at quoc
alii homines illustri perteriti erant...
a. C'est-à-dire : recopier,
3. Alleaume à Condé, 30 janvier 1680. P. C.
4. Bergier au même, 6 décembre 1679. P. C.
5. Même au m:me, 12 avril 1680. P. C.
260 LOUIS DK BOURBON.
sur le papier, s'il lui en échappe, € ce qui étoit rare ' >. Son thème des
petits prix de fin d année ne fut € point méchant '>. Cest le peu que
nous en savons. Nouvelle lacune dans la correspondance, même des
maîtres, qui cesse avec juin.
Il gardait sa faveur aux vers. Tout semblait l'y porter. Un poète de
cour, assez ridicule, mais fort à la mode dans l'hôtel de Condè auprès du
duc d'Enghien, n'avait pas seulement mis les Métamorphoses cT Ovide en
rondeaux (1676)3 ; Esope l'avait tenté et il venait de tourner ses fables
en quatrains, avec une pompeuse dédicace au duc de Bourbon. Comme
le grand dauphin en La Fontaine, et le duc de Bourgogne en Fénelon, le
petit-fils de Condé a eu son fablier dans Isaac de Benserade.
Académicien depuis 1674 et bel esprit en renom, Benserade avait été
honoré de la bienveillance du roi. Louis XIV, ayant choisi quelques
fables d'Esope pour orner le Labyrinthe de Versailles, voulait qu'au lieu
dlinscriptions en prose on mit quatre vers à chacune, et les siens avaient
été du goût de Sa Majesté. Il s'était résolu alors d'y faire passer tous les
autres sujets du fabuliste grec. L'œuvre, qu'il dédia à Louis de Bourbon,
est un charmant recueil de quelque deux cents quatrains, surmontés
d'autant de médaillons en ovale représentant les personnages en scène ^
J'ignore pourquoi, dans son chapitre sur les fabulistes contemporains de
La Fontaine ^ Saint-Marc-Girardin a omis Benserade. Le trait lui
manque et la description lui est interdite par son cadre réduit, mais il
possède la simplicité et la bonhomie. Voici son prologue :
Venez à la leçon, jeunesse vive et folle,
Esope vous appelle à la riante Ecolle ;
Les fiestes autrefois parloient mieux que les gens.
Et le siècle n'a point de si doctes rêgens,
La Baune ne se piqua point de la comparaison ; volontiers il donnait
pour sujet de vers latins ces thèmes poétiques, de courte haleine et
d'une moralité facile à aiguiser en épîgramme *. Les élèves de troisième
se disputaient les fables pour les Affiches ^ € Mgr le duc de Bourbon,
1. Alleaume à Condé, 31 mai 1680. P. C.
2. Même au même, 27 juin 1680. P. C.
3. < Les rondeaux de Benserade, écrit Montchesnay, furent généralement sifîlés. Ils ne
trouvèrent à la cour qu'un défenseur, prince d'un très grand esprit, mais qui n'usoit pas de son
discernement dans cette circonstance. Ce prince qui étoit M. le duc d'Enguien, fils du grand
Condé, ayant Monsieur Despréaux dans son carosse, ne ce^soit de plaindre ce pauvre Benserade,
car enfin, disoit-il, ses rondeaux sont clairs, ils sont parfaitement rimes et disent ce qu'ils veulent
dire. > Bolœana^ éd. 1742, p. 116. La réponse de Boileau au duc tendit à lui faire comprendre
par un exemple que des vers peuvent être clairs et bien rimes et en même temps les plus plais
du monde.
4. Fables d^ Esope en quatrains^ dont il y en a une partie au labyrinthe de Versailles, Paris,
Mabre-Cramoisy, 1678. In-12, pp. 222. L'achevé d'imprimer est du 3 juin 1678.
5. Saint-Marc-Girardin. La Fontaine et les Fabulistes^ 22* leçon.
6. Le grave P. Vavasseur avait déjà mis en vers latins des sonnets de Benserade. Vavassoris
opéra t in- fol, pp. 665 et 666.
7. Du Rosel à Condé, 19 et 24 mai 1680. P. C.
GRAMMAIRK KT LITTÉRATURE. 261
écrit du Rosel, m'en demande tous les jours de nouvelles à faire ; mais il
faut songer aussi au latin et à la version, outre que Ton a partagé les
autres fables entre plusieurs écholiers qui y travaillent de leur côté. >
Louis de Bourbon avait des titres uniques pour les considérer comme
son bien propre. N'est-ce pas à lui que Benserade avait dit :
Monseigneur,
Je m'adresse à vous, parce que je ne sçauroîs m'élever plus haut, et que je ne me sens
ni la force ni le courage d'atteindre jusques à ceux qui vous ont donné la naissance : ils
sont trop grands pour moy^ et je trouve bien mieux mon conte avec vous qu'avec eux.
Proposez-vous de si beaux modelles, suivez les exemples domestiques, allez par où vous
estes venu, et vous arriverez de bonne heure au comble de la gloire. Mais que n'entrevoyons-
nous pas déjà aux brillants éclairs de vostre cœur, de vostre esprit et de vostre raison ?
Aussi que ne doit-on pas espérer de vous, estant fils du Duc d'Anguien, petit-fils du Prince
de Condé, et, pour dire encore plus, formé de ce mesme sang qui bout dans les veines du
Monarque qui fait tant de bruit par toute la terre, qui sçait si bien l'art de régner... etc Que
n'aurez vous point à soutenir vous-mesme quand vous serez dans le tems des réflexions, et
que vous viendrez à comprendre de quelle importance il est de ne pas dégénérer. En
attend^ que la suite des années dégage les promesses que vous nous faites, agréez ces
Petites Fables \
En classe, aux heures plus graves, on parait avoir expliqué beaucoup
Virgile et presque à livre ouvert '.
La troisième est la première année, à ce qu'il semble, où Ton parle
latin, et cette nouveauté ajoute à Tentrain ^ Enfin Ion commence à se
lancer dans la déclamation et ceci stimule plus encore que cela. Condé
étant venu de Chantilly à son hôtel de Paris passer les fêtes du jour de
Tan (1680). le petit Duc fut prié de donner devant Son Altesse un
spécimen de son talent en ce genre. L'acquis lui manquait, et « il le fit
mal* >. Quinze jours après, un vendredi, il démanda aux PP. Alleaume
et du Rosel de l'exercer, afin d'être prêt pour le lendemain samedi, —
jour traditionnel, — au cas où il serait désigné par son régent. Refus des
Pères, qui le veulent punir de leur avoir fait si peu d'honneur en présence
de M. le Prince et lui répondent vertement : « Si l'on vous interroge,
Monseigneur, vous vous en tirerez comme vous pourrez ; vous méritez
bien de recevoir quelque confusion de n'avoir pas donné en cette matière
satisfaction à S. A. S. » A cette menace, Louis de Bourbon ouvre de
« grands yeux » ; mais il aura sa vengeance. Le samedi matin, il se rend
en classe à l'ordinaire et déclame, livré à ses ressources personnelles,
avec le prince Camille et d'autres écoliers de qualité. Comme le sage du
bon La Fontaine, il avait appliqué le proverbe : Ne t'attends qu'à
toi seul, et il n'eut qu'à s'en féliciter. « Le désir de la gloire, écrit Bergier,
1. Epftre dédicatoire.
2. Du Rosel à Condé, 3 janvier 1680 et passim, P, C.
3. Même au même, 3 et 27 janvier. P. C.
4. Bergier au même» 13 janvier i68a P. C.
262 LOUIS DE BOURBON.
a fait des merveilles. Mgr le duc de Bourbon a déclamé très bien, mieux
de la moitié que les autres foys, à ce que m'a dit le P- de La Baune, et
a beaucoup surpassé le prince Camille et les autres \ > Le P. Bergier
mérite ici créance ; il s'intéresse en habitué aux séances et pièces de
théâtre des différentes classes ; son estime pour les < braves déclamateurs >
comme le petit de Lanmary *, est l'estime d'un connaisseur et d'un
critique. Le samedi 2 mars il assiste à une déclamation de la classe de
troisième, donnée devant le P. de Champs, recteur du collège, le Père
préfet, les PP. Alleaume et du Rosel et le gouverneur M. du Bouchet.
Le duc de Bourbon dit des vers latins et des vers français. Bergier lui
trouve <L très bon air > et de la grâce ^ ; mais il manifeste surtout son
espérance de voir le Prince, qui aime cet exercice, s'y livrer avec le temps
à la plus grande satisfaction de Condé. M. du Bouchet ne transmit
aucun compliment ^ Tous les samedis de carême on devait exercer Louis
de Bourbon, et c'est pour le forcer à prendre sur sa timidité que le
P. Alleaume lui amena encore du public le 8 mars : < Fort joli air ;...
beaucoup de grâce à parler ;... pas assez de feu^ > Le 6 avril, on le fait
paraître avec les princes Camille et de Nassau, les Louvois et du
Bouchage ^ acteurs les plus importants de la pièce. Il débita à ravir
prose et vers, et donna des preuves d'aisance et de présence d'esprit ^
Il ne devint quand même pas un acteur distingué, tel que Condé à
Bourges,
Mais, comme son grand-père, il fut lauréat dans les concours. € Le 21
de ce mois (aoust), lit-on dans la Gazette, les Jésuites de cette ville firent
représenter selon la coustume une tragédie dans leur collège ^ : à la fin
de laquelle on distribua les prix fondez par le Roy. Le duc de Bourbon
en eut un de poésie, après avoir donné des preuves de son esprit et de
son progrez dans les Lettres ^. >
L'année de troisième ne pouvait mieux finir.
Celle de seconde ne fut pas inférieure ; mais nous ne toucherons qu'aux
principaux épisodes. C'était le privilège des seconds, ainsi qu'on les
appelait alors, de jouer la tragédie de carnaval ; celle de la distribution
1. Bergier à Condé, 13 janvier et 79 février. P. C.
2. Premier personnage de Basilide^ la tragédie de seconde. Il était sans doute fils de François
de Beaupoil, marquis de Lanmary de Saint- Haulère (j/it), premier écuyer de M. le Prince, mort
en 1705. Le duc de Bourbon tint sur les fonts un enfant de M. de Lanmary le 24 mai 1685.
Cérémonial Ms,
3. Bergier à Condé, 2 mars. P. C.
4. Du Bouchet au même et même jour. P. C.
5. Alleaume au même, 8 mars. P. C.
6. Du Rosel au même, 6 avril. P. C. — Les du Bouchage étaient de Grenoble. Pierre-François
avait paru dans Cyrus, 17 août 1679.
7. La Baune et Alleaume à Condé, 12 avril 1680. P. C.
8. Lrixane, suivie du ballet intitulé : La France victorieuse sous Louis le Grand.
9. Gazette^ 1680, p. 472. A rapprocher de cet entrefilet, le Carmen exfemfiorale Seren, principi
duci Borbonio^ dum prcemium cartninis in colle^io Claromontano, S, /., conseçuUur^ qui doit
être reporté dans la Bibliothèque des écrivains .S". /., article Paris, du n» 19, à la suite du n<> 127.
On en trouve un exemplaire dans le recueil mYc, 903, cité plus haut et particulièrement riche
en pièces inconnues aux bibliographes sur les Condé à cette époque.
GRAMMAIRE £T LITTÉRATURE. 263
des prix étant réservée aux rhétorîciens, et les philosophes ne s'occupant
que de leurs thèses. Le P. de La Baune rompît avec la tradition et s'en
tira par une simple séance littéraire offerte au duc de Bourbon, spectateur
et non acteur. Au drame classique tiré souvent de Thistoire ancienne, il
substitua une série de petites pièces dialoguées, en prose latine, coupée
de vers. Le sujet était fourni, non par l'antiquité, mais par un événement
des plus récents : l'apparition de la fameuse comète du 26 décembre 1680,
la plus grande qu'on eût encore vue. De tout temps les écoliers du
collège de Clermont s'étaient volontiers inspirés de ce phénomène
céleste ' ; voulaient- ils laisser la parole cette fois aux savants et aux
philosophes ? Cassini profitait de l'occasion et proposait son système sur
le retour périodique des mystérieux météores ; Bayle publiait ses Pensées
diverses sur la comité de 1680, dans le but de détruire les préjugés d'un
peuple ignorant qui regardait ces « espèces de planètes ' » comme un
augure et un pronostic de malheur. La Baune, pour adapter le sujet à
sa classe et en extraire un Ludus poeticus ^ avait imaginé la métamorphose
d'un poète en astrologue. Les personnages, qui portaient les noms de
Cliogenes, Uranius, Mythophilus et Philocharis, appartenaient à l'élite
de la seconde ^ Dans l'intermède des scènes, ils apostrophèrent succes-
sivement Jupiter, la Nuit et la Comète, pressée d'abord par leurs
supplications de ne point leur cacher son visage inexorable, accablée
ensuite de leurs imprécations, dont elle se vengea par son Apologie.
Louis de Bourbon, enthousiaste de vers latins et toujours un peu
enfant, goûta ces diverses compositions et sourit aux railleries du dieu
Momus.
Il était cependant en âge, avec ses treize ans et demi, d'entrer dans le
sérieux de la vie scolaire, et surtout de la vie chrétienne. Bien que
solennellement baptisé Tannée précédente (16 janvier 1680), sa première
communion n'était pas faite. Elle eut lieu en la fête de la Pentecôte, le
25 mai 1681, dans la paroisse des Condé, à Saint- Sulpice. Le matin,
il alla se confesser tout proche, au Père recteur du noviciat des Jésuites,
puis il se rendit à l'église. Il y retourna encore l'après-midi, accompagné
de sa'mère Mme la Duchesse, pour assister aux vêpres. Il avait fait la
grande action, au dire du P. Alleaume, < avec beaucoup d'attention et
fort sérieusement ^ >
Les derniers mois de l'année furent tout aux succès et aux fêtes. Il y
1. Condé et le duc d'Enghien avaient assisté le 10 janvier 1665 à une séance de mathématiques
donnée au collège de Clermont par le P. d'Haroiiys sur la comète de 1664 et 1665, qui fut encore
le sujet d'une thèse et d'un ballet à la fin de cette dernière année. Cf. Sommervogel, art. Paris^
n* 70i 79ï 80, et articles Billy et Harroiiys (tV). Voir aussi la AfuMi historique^ 17 janvier 1665,
et surtout la GageUe^ p. 67, qui nous montre Condé et Enghien faisant parattre, en présence des
savants Roberval, Phelippeau le Hollandais et Grandamy, une € force de génie > que Ton ne
pouvait assez admirer.
2. Mémoires d'Avrigny, année 1680.
3. lAidus poeticus in recentem cometam^ auctore P. lacobo de La Baune, S. J. Paris, 168 1.
4. On y lit cette clausule : Recitabant coram Serenissimo principe duce Borbonio selecti
ucundani, in collegio Parisiensi, S,/., Vf, Id, Februarii, An. M, DC. LXXXI.
5. Aileaome à Condé, 25 mai 1681. P. C
264 LOUIS DE BOURBON.
eut double distribution des prix, Tune par Louis de Bourbon lui-même
après les Affiches, lautre où il reçut à son tour des couronnes.
Elles étaient bien curieuses, ces solennités publiques que ramenait
régulièrement le mois de juin ou de juillet. Les écoliers affichaient leurs
devoirs aux murs de leurs classes transformées en salles d'exposition, et
les personnes du dehors étaient invitées, deux ou plusieurs jours durant,
à pénétrer dans le sanctuaire de la science, ouvert et orné pour la
circonstance. Afin de piquer la curiosité des visiteurs, une énigme^ c'est-
à-dire un mot exprimé par une figure et par des vers allégoriques,
formait dans chacune des trois classes seules admises à exposer,
troisième, seconde et rhétorique, le centre de Tattraction. Deux ans \
auparavant (1677), Louis de Bourbon, n'étant qu'en quatrième, n'avait
pu étaler aucune composition aux regards des admirateurs ; mais, les
quatrièmes jouissant du privilège formel de reprendre les élèves plus
avancés, il avait été fait par son régent « censeur des affiches de vers '. >
Ce droit effectif de contrôle, il avait mis son honneur à l'exercer avec
une impitoyable rigueur. Le premier jour (samedi 17 juin), il avait
parcouru et observé les travaux. Ses yeux de prince cherchèrent une
victime princière et ne la manquèrent pas. « Il reprit des fautes en toutes
les trois classes, et, entre autres, il trouva un vers de cinq pieds dans
l'affiche du prince de Talmont '. Il le scanda fort bien et connut de
lui-même qu'il y manquoit un pié. » Le dimanche, à l'explication des
énigmes, il n'avait pas douté qu'il jouât un rôle important dans le monde,
écoutant les orateurs ^ avec un air aussi sérieux et autant d'attention
que s'il eust bien compris ce qui s'y disoit. »
Moins d'attention de sa part eût été un manque de courtoisie : on lui
adressait presque toujours la parole. Un Jésuite qui dissertait sur
\ horoscope termina par un compliment.
« Il luy disoit que pour savoir ce qu'il devoit estre un jour, il n'a voit que
faire de regarder les étoiles, et qu'il avoit deux astres domestiques qu'il
devoit uniquement considérer 3. » C'était assez désigner son père et son
aïeul, Enghien et Condé.
En troisième (7 juillet 1680), le duc de Bourbon expliqua une
énigme *. Mais la fête des Affiches, en la présente année de seconde
(1681), devait éclipser les souvenirs des classes précédentes.
Les correspondances des Pères fourmillent de détails. Pour varier
notre source d'information, nous irons au Mercure^ qui apprit à la cour
et à la ville de quelle manière la cérémonie s'était passée au collège de
1. Alleaume à Cond^, 18 juin 1679. P- C.
2. Le prince de Talmond, Frédéiic- Guillaume de la Trémoille, était le fils cadet de Henri-
Charles de la Trémoille, prince de Tarente, et de la princesse Amélie de Hesse-Cassel. Né en
1666, il n'avait guère deux ans de plus que le duc de Bourbon, et se trouvait dans une classe
supérieure. Voir sa notice et des lettres de lui, mais d'une époque postérieure, dans le Charirier
de Thouars^ Documents historiques et généalogtques^\%%T^ p. 363 (par M. le duc de la Trémoille.)
3. Alleaume à Condé, 13, 15 et 18 jum 1676. P. C.
4. Du Rosel au même, samedi 29 juin 1681. P. C.
GRAMMAIRE ET LITTÉRATURE. 265
Clermont. En 1679, ceux quî donnaient les énigmes n'étant pas «enfans
de grande qualité,» rassemblée avait été plus considérable 4! par le nombre
que par le choix des personnes '. » Il en fut tout autrement cette fois ^
Les trois tableaux, signés de mains de mattres, étaient dus aux artistes
Halle, Corneille et Sevin. Le premier, figurant Enée à Carihage, quî
reçoit un ordre de Mercure, fut expliqué par le rhétoricien de Vermont,
second fils du président de la Cour des comptes, Lambert de Torigny.
Mot : la Gazette. Le deuxième, rappelant une histoire de la vie
d'Esculape, fut présenté au nom de la seconde par deux frères, fils et
petît-fils de ministres, Tabbé Le Tellier et le commandeur de Louvois.
Ils parlèrent 4 avec une grâce et une justesse qui ne laissoient rien à
désirer,... un air fin et spirituel qui fit fort goûter tout ce qu'ils dirent.
Leur sens proportionné à leur caractère estoit d'une composition pleine
d'esprit et très délicate.» Le tableau de la troisième mettait sousiesyeuxdu
public féminin « le petit Moïse que deux dames de la suite de la fille de
Pharaon tiroîent hors du Nil pour le présenter à la princesse. > Donneau
de Vizé, rédacteur du Mercure^ ne songe pas seulement aux ministres et
aux chanceliers, aux présidents et aux officiers des armées du roi : il
réserve son compliment de la fin pour « Monsieur le duc de Bourbon,
qui... honora de sa présence la grande et illustre compagnie qu'attira
cette Action. Tous ceux qui parurent sur le Théâtre prirent occasion de
leur Mot pour faire compliment à ce jeune prince, qui, dans un âge peu
avancé, faisoit déjà paroistre un esprit très pénétrant, un génie propre
aux plus grandes choses, et un mérite qui ne le distingue pas moins que
sa haute qualité. »
La distribution (6 août) ne démentit pas cet éloge. Trois compositions
avaient eu lieu dans les classes supérieures de lettres : prose grecque,
vers latins et prose latine ; les rhétoriciens seuls y ajoutaient les vers
grecs 3.
D'après le P. Talon, Louis de Bourbon, élève de seconde, aurait
obtenu plusieurs prix*, l^^s Lettres annuelles (1681) s'expriment en
termes généraux mais non équivoques sur ce glorieux résultat d'un long
et studieux entraînement. Pour la première fois, elles entonnent l'éloge
du jeune Prince < qui en est à sa sixième année de collège. Ni l'âge, ni
le rang ne l'empêchent d'assister chaque jour aux exercices ordinaires
des classes avec beaucoup d'entrain. Il y donne des marques de son
talent, de sa bonne conduite et de sa bienveillance héréditaire envers
la Compagnie. Cette année, comme la précédente, à la distribution
1. Alleaume à Condë, 18 juin 1679. P. C.
2. Mercure galant^ juin 1681, pp. 150-156.
3. Du Rosel à Condé, mercredi 9 juillet lôSi. P. C.
4. < ... Prix qu'il a gagnés à la sueur de son visage, dans le plus chaud temps de l'année et
renfermé dans une classe depuis huit heures du matin jusques à huit heures du soir et jusques h
m'obliger d'aller crier au meurtre... en demandant à tous ses satellites si on avait envie de me le
tuer. > Talon à Condé, mardi 9 septembre 1681 .
266 LOUIS DE BOURBON.
solennelle des prix, son nom a été honorablement proclamé au milieu
d'unanimes applaudissements '. ]>
Les petits événements de la rhétorique (i6S 1-1682) ne nous arrêteront
pas. Le principal est le discours de la rentrée générale -des classes,
prononcé par le P. de La Baune sur l'éducation de son écolier. La Baune
revenait de vacances « ravi de S. A. S. (Condé) et de tout Chantilly ' > ;
son ravissement éleva sa harangue de collège à la hauteur d'un pané-
gyrique de M. le Prince et de toute sa maison. C'est après les lettres
familières le plus important document à consulter ^, En tête fut gravé le
portrait du duc de Bourbon, par Le Dard. Les peintures de caractères,
qui font de ce discours latin une sorte de galerie à la fois familiale et
scolaire, complètent la physionomie et donnent en même temps la
cote exacte du talent de l'auteur. La Baune est le type de l'humaniste
lettré, doublé de l'érudit et du philologue. Sa régence servait de trait
d'union à ses deux œuvres les plus justement appréciées : les Paisegyrici
veieres, de la collection Ad usum Delphini (lô/ô) *, et les Œuvres du
P. Jacques Sirmond ^ Cette dernière entreprise devait absorber la
seconde moitié de sa vie ; elle a sauvé son nom de l'oubli. Sans parler
du travail d'édition, qui exigeait un helléniste distingué, le style de ses
préfaces est d'un véritable matlre. < Il a, nous écrit un de nos corres-
pondants, qui a lu tout son Sirmond, l'opulence de la langue latine et
une variété très remarquable ne nuisant pas à la clarté. Il semble plutôt
de l'école de Sénèque que de celle de Cicéron, tant il vise à la finesse du
trait et sait artistement enchâsser de brèves citations et d'élégantes
allusions. C'est la ter.'^a et compla oratio des anciens. Mais il excelle
surtout par la méthode. »
Cet ensemble de qualités avait été fort apprécié de Condé et du duc
d'Enghien. Aussi tous deux avaient-ils souhaité et obtenu que le P. de
La Baune, au lieu de faire son troisième an dans une maison de probation,
en vue de ses grands vœux à prononcer en février 1 6S3. demeurât régent
au collège et enseignât, tout en étant tertiaire, la rhétorique au duc de
1. 4 Sextum jam annum agit Serenissimus regi^stirpU PrJnceps Ludovïcus Borbonius ;neque
yel aelas, vcl dignilas impedimeaium est, quominus soliio quotidie scholamm exerciiaiionibos
inlersil, aUcriiaie sumitia, ibique ingenii, moruin gravitaiis et avilie erga Societaiem nosiram
benevolenliœ spécimen dédit. Hoc quidém et superiore anno, in solcmni pramirrum dùtri'
bulione, magno omnium afiplausu honorifice est appeilatus. > Litlera annua, i6Si. A. C".
2. Talon à Condé, 6 octobre 1681, P. C.
3. Serenissime prtndpi Ludûvico duci Borhonio, eloquenlia sludta in eùVegio ClaromoHlem^
féliciter auspieanli, otalio Jaiobide La Baune, S.J. Paris, Martin, i68i. lo-Ii de 71 piiges. L*
Eottrait est gravé par Etienne Gantrel. A ce discours paraît se rapporter un Recueil Mr. devers
tlins conservas aux Archives de Chantilly et contenant une épigramme de l'élève de seconde
{hutnanisla) Gabriel- Alexis de Lorraincoriginaire du Beau vernois {aujourd'hui Saône-ct-Loire) :
Ad Seremnimtim principem ducem Bnrbinuum.piiblicaoralione iaudatum^'R.V. J. de La Baune,
j. : i Dum laudes, Princeps, atri^it i//e tuas... > \Jn seu\ pnnce de la maison de lorraine était
camarade de rhétorique du duc de Bouiboo ; c'est le prince Camille. Voir suprà cl le discours
de la Baune, p. 52.
4- V. Sommervogel, BibliotKique des écrivains S. 7,, in-4", t. 1, col. 1055. Rééditions en
HoIlanHe. Angleterre, Italie, elc.
l. Jacobi SirmoTtdi, S. J.. Opéra variir Hunc primum collecta. Paris. Imprimerie royale, 1695,
S voL in-fol., et Venise, 1728.
GRAMMAIRE ET LITTÉRATURE. 267
Bourbon '. Oliva accéda gracieusement à leur prière ; toutefois, il imposa
une condition, à savoir que La Baune ne fût pas obligé de sacrifier ses
exercices de formation, et que Ton s'y prit d'avance pour lui ménager le
temps nécessaire. Ce fut dès les derniers mois de 1681, mais surtout à
partir de Pâques 1682 que, pour l'alléger, son collègue, le P. Joseph de
Jouvancy, professeur de l'autre section de rhétorique, prit sur lui une
partie de sa charge et de son travail ^ La Baune et Jouvancy, quels
régents dans ce collège de Clermont, où écrivaient Bouhours et Rapin,
Mérouville et Le Jay, Comire, Tarteron, Vavasseur ^ ! Celui qui fut à la
fois le plus grand éducateur et le plus élégant historien de la Compagnie
de Jésus, Jouvancy, domine la pléiade. Le futur auteur du Ratio discendi
et docendi était jeune encore et peu connu. Condé l'eut vite discerné. A
la fin de l'année, il le remercia d'une 4: manière pleine de bonté. »
Jouvancy lui envoya, en reconnaissance, une lettre, — la première de
sa correspondance avec M. le Prince, — écrite dans un style qui sent
moins le culte de la période latine que le bon usage de la langue mater-
nelle. Il témoigne avoir remarqué, cette année, chez le duc de Bourbon,
f un grand fond d'esprit, de naturel, de docilité et de toutes les bonnes
qualitez qui peuvent soutenir les grandes espérances que Ion a
de luy ^ >
Quand le petit-fils de Condé rentra à Paris, en octobre 1682, le
Collège de Clermont était devenu, depuis le 10 septembre, le Collège
Louis-le-Grand ^ L'histoire de ce changement, dénaturée jusqu'ici par
la légende, demanderait un chapitre entier. Ce n'est pas le lieu de l'écrire.
Nous dirons seulement que cette date marque à plus d'un point de vue
l'apogée de la célèbre maison d'éducation. Les Lettres annuelles attestent
que tout le monde, au dedans comme au dehors, partageait ce sentiment;
et il n'était pas trompeur. Ajoutons aussi que Condé prit part à l'évé-
nement ; son ami, le P. de Champs le remerciait, à la fin de décembre, au
1. < Desideria Seren. principis Condei ac Seren. principis Enguinei habebuntur a nobis semper
pro itnpertis... Quamobrem R* V* illis concédât, pro Seren. duce Borbonio, Patrem Jacobum (de)
La Baune in professorem rhetorices, cui mature tempus assignabit ad exercitia tertit anni, quo
sese sanctitàte bene muniat ut tam illustrem regii sanguinis prolem potissimum ad mores
Christianissimo sanguine dignos informet, quo magnifice prseeuntes parentes semuletur fidelis-
sime. > Oliva au P. Claude Collet, provincial de France, Rome, 8 avril 1681. — Le fait a été mal
compris par l'auteur de la Notice nécrologique de La Baune ; il paraît ignorer que re Père
était déjà régent du duc de Bourbon depuis plusieurs années, et lui fait enseigner la rhétorique
aussitôt ses études de théologie terminées. Ce qu'il ajoute est plus exact : < ... Delectus est a suis
superioribus rhetoricae magister, qui Principem Condaeum (lisez : le duc de Bourbon), nostris
commissum curis, ad eloquentiam informaret ; nec sua superiores fefellit exspectatio : mirura
enim quantum semper fuerit alumno principi. > Cette notice fut rédigée l'année de la mort du
Jésuite (1725), et quinze après celle de son élève (1710), ce qui explique les confusions. A. C^*.
2. Deschamps à Condé, 5 décembre 168 1 et passim. P. C.
3. Catalogue de 1680 et Correspondances.
4. Jouvancy à Condé, 19 juillet 1682.
5. Comment dans la Notice biographique sur La Bruyère, collection des Grands écrivains de
la France^ a-t-on pu écrire, p. LViii, une erreur aussi monumentale que celle-ci : < ... Le collège
de Clermont qui devait ^/>m/<5/ recevoir le nom de Louis- le-Grand. > Or, l'auteur de celte notice
se place en 1684, c'est-à-dire deux ans après l'événement qui, nous le répétons, date des fêtes
pour la naissance du duc de Bourgogne, 10 septembre 1682. Cf. Sommervogel, t. V,
col. 920, iC" 81.
268
LOUIS DE BOURBON.
sujet de l'enregistrement au parlement des Lettres patentes par lesquelles
Louis XIV se déclarait fondateur du Collège ' : < Nous avons cru,
disait le roi, ne pouvoir mieux favoriser les soins que les Pères Jésuites
prennent si utilement dans notre royaume pour élever la jeunesse et luy
apprendre ses véritables obligations envers Dieu et envers ceux qui sont
préposez pour gouverner les peuples, qu'en reconnaissant ledit collège
pour fondation royale. >
I. cTous nos pères protestèrent hautement qu'ils priroient Dieu pour vous toute leur vie, et
qu'ils diroient la messe pour vostre santé le jour de Noël qui est le plus propre pour obtenir
de Dieu ce qu'on luy demande. > De Champs à Condé, 24 décembre 1682. P. C. Deux ans
après, Condé se convertissait entre les mains du P. de Champs. Les Lettres patentes sont
datées de Fontainebleau, novembre 1682. Leur enregistrement au parlement de Paris eut
lieu le 12 décembre.
vr^v^n-vn-'o-vv *L^yÀ
gajjitre Quinzième*
""rS^
LOGIQUE ET PHYSIQUE.
(16S2-16S4.)
A rhétorique du duc de Bourbon, maintenant achevée,
n'était pas naguère commencée que déjà, autour de
Condé et même fort à distance, on se préoccupait du
futur régent de philosophie. Le P. Bergier avait utilisé,
à la fin d'en découvrir un capable, son voyage en Anjou
___ ^ aux vacances de 1681. Avant d'arriver à La Flèche, le
vieux collège illustré par le plus célèbre philosophe du siècle, René
Descartes, il a passé par trots maisons de la Compagnie, dont Orléans
et Tours. Or, tandis qu'on lui demande, à lui Parisien et familier de
Chantilly, les noms « de ceux à qui on peut penser >, il évite de se
déclarer pour personne, se contentant de s'informer c tout doucement
des uns et des autres >, en vue du rapport à faire à M. le Prince, qui
pourra choisir lui-même '.
Douze mois d'avance, on avait songé au choix du maître ; il convenait
de se préparer, six mois avant la rentrée, sur le programme. Aussitôt
après Pâques (1Ô82), et tout en continuant sa rhétorique, Louis de
Bourbon fut pourvu d'un répétiteur chargé de l'initier aux éléments de
la philosophie. Ce répétiteur parait avoir été l'un des deux précepteurs.
< Quelquefois, écrit le P. du Rosel, on prend certain moment pour parler
de philosophie, et pour en entretenir ce que Mgr le duc de Bourbon en
a appris '. :» On s'exerçait aussi à parler latin, ce qui sortait moins de la
littérature.
Mais enfin, vers le 15 juillet, on partit pour Chantilly, et le choix du
régent devînt imminent. Il faut bien reconnaître que si la chaire de
logique fut, dans la circonstance, une sorte de bénéfice scolaire laissé à
la présentation de Condé regardé comme patron, il n'abusa point de ce
droit de numination, lequel d'ailleurs n'exista peut-être jamais que dans
I. Kergier à Condé. La Flèche, 14 septembre 1681. V.C
3. Dix Kosel au mfme. Patis, 25 mai i6Ez. P. C.
270 LOUIS DE BOURBON.
les idées du P. Bergier. M. le Prince n'avait point demandé pour son
petit-fils d'autre professeur que le professeur en place : le P. Isaac
Martineau. Ce Jésuite descendait d'une famille angevine partagée entre
la robe et l'Eglise, et jouissant dans le pays d'un renom traditionnel
d'honneur et d'intégrité \ Successivement régent à Vannes, à La Flèche
et à Rouen, il l'était depuis quatre ans au collège de Clermont, où deux
fois il avait enseigné le cours entier : logique et physique. C'était donc
un mattre émérite ; mais la petite vérole, à laquelle on échappait si peu
alors, l'avait affreusement grêlé. De là cette anecdote, ni plus ni moins
authentique sans doute que beaucoup d^ana^ et conservée par le Moriri • :
€ Louis de Bourbon, devant passer de rhétorique en philosophie dans le
collège des Jésuites, les supérieurs dirent au prince Louis de Condé qu'ils
avoient un excellent régent... mais qu'ils n'osoient le donner parce qu'il
étoit extrêmement laid. M. le Prince répliqua : < Est-il aussi laid que le
démon ? > Après l'avoir vu, il dit : < Il ne doit pas faire peur à qui a vu
Pellisson ; il faut le faire venir ; on s'accoutumera à le voir et on le
trouvera beau. »
On eut tout le mois de septembre pour s'y accoutumer. Le
P. AUeaume étant allé en Bretagne arranger quelque affaire de famille,
Martineau le remplaça pendant les vacances ^
Sous une vilaine enveloppe, c'était un noble cœur et une âme droite.
Honoré de la confiance de Bourdaloue, qu'il assistera à son lit de mort,
et de l'affection du duc de Bourgogne, dont il sera l'heureux directeur et
l'inconsolable historien, Martineau admira et comprit plus que personne,
à Chantilly, le caractère magnanime et élevé de l'excellent Prince qui ne
lui avait pas tenu rigueur de ses désavantages physiques. Sa modestie
l'avait toujours empêché de paraître en chaire ; il y voulut monter et n'y
monta Jamais qu'une fois : ce fut pour prononcer à Bourges \ Oraison
funèbre de l'ancien élève de Sainte- Marie, devenu le grand Condé ^ Ce
discours respire d'un bout à l'autre son bonheur d'avoir approché le
1. Isaac Martineau, né à Angers le 22 mai 1640 (date vérifiée aux archives de Maine et-Loire),
était l'arrière petit fils de Nicolas Martineau, surnommé la Grande- Barbe^ juge de la prévôté
d'Angers. Il entra dans la Compagnie le 5 septembre 1665, à Pans, fit profession le 15 août 1683,
au collège Louis-le-Grand, et mourut le 20 décembre 1720 à la Maison professe de Paris. Cf.
Sommervogel, t. V, col. 627 (sauf erreur pour date de naissance reportée à tort en 1650) ; le
P. Lelong, n*» 10389 et 10416 ; les Mémoires de Trévoux^ novembre 1710, page 1933 ; novembre
1712, p. 1878 ; décembre 1714, p. 21 12 ; \t Journal de Dangeau, t. VII, p. 400, et XIV, p. loi ;
le Mon'ri^ édit. Drouet, t. VII, p. 302 ; le Saint-Simon de M. de Boislisle, t. VII, p. 189 et
note 6 ; enfin, à la Bibliothèque d'Angers, divers manuscrits. Le Néçrologe manque aux archives
de la Compagnie.
2. Catalogues de 1685, 17 17 et 1720.
3. AUeaume à Condé, Paris, 22 août 1682. Bergier au même, 25 août. P. C.
4. Oraison funèbre de Très-Haut et Très-Puissant Prince Louis de Bourbon^ Prince de Cond/^
premier Prince du sanç, prononcée dans l église du collège de la Compagnie deJésuSy à Bourges^
par le R. Père Isaac Martineau, S J. Paris, Cramoisy, 1687, in-4.— Le passage su vant rappelait
aux auditeurs sa mémoire demeurée impérissable : < Vous vous en souvenez. Messieurs, vous
qui vîtes autrefois briller les premiers rayons de cet Astre qui depuis... Hé, pourriez bien ne
vous en souvenir pas dans une maison où le Prince son père nous honora de son éducation.. . >
Or. fun.j p. 29.
LOGIQUE KT PHYSIQUE. 271
héros et joui librement de ses entretiens dans sa i chère solitude '. >
Nous possédons la harangue de rentrée qui suivit cet heureux séjour '.
Elle rappelle par le titre seulement la déclamation du P. de La Baune à
l'ouverture de la rhétorique. Autant Tun avait, été prolixe et emphatique,
autant Martineau se montra simple dans ce quanquam d'école. Simple,
mais non banal. Il prend la défense des études philosophiques contre
certains détracteurs qui prétendent interdire aux jeunes gens de haute
naissance tout commerce avec une science inutile pour eux et peu digne
du nom de libérale.
N'y aurait-il pas là un trait à l'adresse des Messieurs de Port-Royal
qui avaient prétendu apprendre à un jeune seigneur, le duc de Chevreuse,
tout ce qu'il y a d'utile dans la logique en quatre ou cinq jours ' } Condé
et Enghien, quels exemples à leur opposer!
Le duc de Bourbon promettait-il de marcher de près sur ces traces }
Martineau l'espère de ses qualités : esprit vif, conduite sage et supérieure
à ses quatorze ans ; caractère doux ; politesse exquise. Tel est le portrait
du nouveau logicien tracé publiquement par son maître *. Si encourage-
ment il y a, l'encouragement n'était pas déplacé au début d'une pareille
classe. Philosophie en latin et philosophie scolastique, avec ses méthodes
austères, sa terminologie spéciale, ses arguments en forme, un vrai
< phantosme à effrayer les gens ». Les sciences physiques elles-mêmes,
exposées d'une manière toute spéculative et sans aucun luxe d'expéri-
mentation, ne promettaient rien de récréatif. Qu'en penseraient
professeurs et élèves aujourd'hui ?
Le duc de Bourbon se mit bravement à l'œuvre. Lui-même s'empressa,
dès le 19 octobre, de mettre au courant de ses débuts en philosophie
M. le Prince, alors en convalescence. Cette lettre étant la seule que
nous possédions pour toute la période des études, nous la citons tout
entière. Le style du jeune logicien est encore d'un enfant : « J'ai eu
l'honneur de vous escrire. Monsieur, pendant votre maladie ; mais je
vous escris avec beaucoup plus de plaisir, parce que vous vous portez
mieux. Je souhaiterois estre auprès de vous pour vous le marquer moy-
mesme.
» Les pères sont assez contents de moy. J'ay argumenté plusieurs fois
en classe et le Père Martineau a dit que j'avois bien argumenté. Je vous
supplie très humblement de croire que je feroy tout mon possible pour
mériter vostre amitié ^ » Quelques jours après, un des précepteurs
confirme le témoignage de l'écolier : « Nous n'avons pas sujet de nous
1. < Cest, Messieurs, ce que j'ay admiré moy-même cent fois ; car enfin, puisque j'ay eu
l'honneur de le voir assez souvent, je ne dois pas le dissimuler..., dans des conversations dont
ses manières aisées bannissaient tout ce qu'il pouvroit y avoir de gênant, etc. > Ibid.y p. 25.
2. Serenissimo Ptincipi Ludovico^ duci Borbonio^ philosopkia studia auspicanii. Ms,
3. La Logique de Port- Royal. Avertissement de la i** édition.
4. € Elucet vis ingenii singularis, prodit se prudentia ista, setate major, viget animus honestse
laudis incitatus stimulis, dignitati lenitas morum, affabilitasque sermonis suavissima conjuncta
est. >
5. Duc de Bourbon à Condé, 19 octobre 1682, s. l P. C.
272 LOUIS DE BOURBON.
plaindre de son application jusqu'à présent, > écrit du Rosel à Condé
le 2 1. L'émulation y aide beaucoup, tenue en haleine par de fréquentes
disputes publiques. Cet exercice de la dispute, parfois si peu profitable,
stérilisé qu'il est par le mécanisme de la routine, retrouvait en effet son
utilité sous la direction consciencieuse et éclairée du P. Martineau,
l'homme du monde le plus ennemi des pratiques artificielles et des vains
combats de paroles. Nous avons pu lire dans le Cours manuscrit du
duc de Bourbon les règles sages et précises que le régent de logique
imposait à ses écoliers et dont voici la substance :
Avant tout, Martineau justifie l'emploi de la méthode. Sa croyance en
l'efficacité de ces discussions orales repose sur les divers avantages qu'elle
présente. Ce choc des opinions aiguise les esprits, comme deux fers
s'affilent en se croisant ; il habitue à l'exact discernement du vrai et du
faux, met sur la voie des arguments pour et contre ; enfin il force à
élucider des notions enveloppées de vagues ténèbres et d'apparentes
confusions. Mais, s'il proclame les avantages de cette escrime intellec-
tuelle, il est trop loyal pour en taire les inconvénients, et il cherche à les
conjurer. Dans la fièvre de la lutte ( concertattonis œstu)^ ne court-on pas
le danger de se laisser entraîner hors de la question, de troubler la marche
indiquée et de poursuivre la victoire plutôt que la vérité } La recherche
de la juste solution le cède au plaisir d'étaler son bel esprit.
Pour remède à ces défauts, le P. Martineau interdit les arguments
captieux, bons seulement à jeter de la poudre aux yeux et à donner le
change ; il met en garde contre l'opiniâtreté à défendre une proposition
démontrée fausse, comme si, dit-il, il était honteux de renoncer à une
erreur.
Mais, d'abord, que le sujet soit bien connu et de Yargumentant et du
répondant, et que tous deux sachent sur quoi ils discutent. Cette con-
dition indispensable dans la controverse est pourtant celle qui manque
le plus souvent ; le professeur expérimenté le déplore et signale les
embarras au milieu desquels il a vu tant de fois les combattants s'em-
brouiller et se perdre, pour arriver finalement à constater de part et
d'autre, après beaucoup de bruit pour rien, qu'on ne s'était pas compris
au préalable.
A l'horreur des cris en l'air et des clameurs en pure perte, Martineau
joint un sensible dégoût des manques habituels d'urbanité et de courtoisie.
Pour ce régent de bon ton et de bonne société, la philosophie est encore
une classe d'humanité, et rien n'est si indigne d'un honnête homme
(homine libérait) que de chercher à triompher aux dépens du vrai, ou de
prétendre à la victoire par la violence des invective^ plutôt que par le
poids des raisons.
Celui qui joue le rôle d'assaillant doit proposer son argument en termes
clairs et brefs, sans rien apporter d'étranger au débat. Serait-ce de bonne
guerre de faire aux logiciens des difficultés puisées aux parties suivantes
IX>GIQUE KT PHYSIQUE. 273
de la philosophie, et de se servir contre Jes physiciens d'arguments tirés
de la théologie ?
Celui qui joue le rôle de soutenant doit répéter en entier l'argument
forgé contre lui, ensuite tâcher de le démonter pièce à pièce. Il revient
à la première proposition, et, s'il y découvre quelque chose de faux, il le
nie ; quelque chose de vrai, il l'accorde ; quelque chose d'obscur et
d'équivoque, il le distingue ; quelque chose pris en dehors du sujet, il se
sert de celte expression, d'une latinité douteuse et offensive de l'oreille
cicéronienne du P. Martineau : transeat. Par là, il fera entendre que,
juste ou non, l'objection n'a pas trait à la question.
Le tenant de ces luttes prolongées doit avoir l'élémentaire prudence
de ménager ses ressources. Si dès le début de la dispute il jette à la tête
de l'agresseur tous ses moyens de défense, deux conséquences se
produiront, également fâcheuses, l'une pour lui, l'autre pour les assis-
tants. La première est qu'il parafera réciter sa leçon de mémoire ; la
deuxième, qu'au cours de la dispute il sera plus d'une fois obligé de
revenir à ce qu'il aura exposé au commencement : grave ennui pour les
auditeurs.
Ne pas se payer de mots ni de formules. Ce n'est pas tout d'avoir
répondu par un nego^ un concedo, voire un distinguo. La distinction
manque-t elle d'évidence et demande- t-elle explication, le défendant a le
devoir de définir, puis d'appliquer sa définition à toutes les parties de la
division établie.
Rétorquer est encore préférable. Heureux qui, saisissant dans le
principe même de son adversaire un élément de conclusion contre lui,
parvient à lui arracher l'aveu de son erreur ou bien le contraint à se
retrancher derrière quelque distinction pour l'en déloger.
\J instance n'est pas d'un moindre secours.
Telles sont les recommandations théoriques faites par le P. Martineau
à ses élèves ; mais aucune ne vaut, dans sa pensée, la pratique et
l'exercice de l'argumentation.
Non seulement il fait paraître le duc de Bourbon en classe dans les
répétitions du jour ou de la semaine et dans les séances solennelles, il
va le relancer encore à son hôtel ; il lui conduit au Petit-Luxembourg
des « petits frères philosophes » ou scolastiques de la Compagnie, pour
rompre des lances avec lui. Le noble écolier se fût sans doute passé de
l'honneur de leur visite, mais il eût été bien sot de n'en point profiter.
Quoi de plus capable d'élever le niveau des discussions que ce mélange
presque perpétuel des jeunes religieux destinés à l'enseignement et des
simples logiciens ' } Ainsi Condé, enfant, s'était trouvé en contact à
Bourges avec un scolasticat de philosophie et de théologie : et le duc
I. < Nous espérons (jue l'exercice et le chagrin que lui a donné depuis trois jours quelqu'un des
écoliers de logique aideront à entretenir l'ardeur. Mgr le duc de Bourbon disputa (lundi 19
octobre) contre le petit Amelot. Celui-ci fut un peu embarrassé et ne laissa pas pourtant de se
vanter au fils de M. de La Motte qu'il avait mis dans le sac, comme ils disent, Mgr le duc de
Bourbon. > Du Rosel à Condé. Paris, 21 octobre 1682. P. C.
Le graod Condé. i3
274 LOUIS DE BOURBON.
d'Enghien, à Anvers, avait failli n'avoir d'autres compagnons de classe
que des Jésuites. Rien n'était moins étranger aux enfants de qualité
d'alors que les fortes études scolastiques, et rien aussi ne leur était plus
accessible. Tous les élèves» pensionnaires ou externes, qui abordaient ces
matières, nouvelles pour eux, étaient encadrés par les < petits frères > en
soutane, vétérans la plupart et repassant des traités qu'ils avaient déjà
défrichés dans leur temps de collège ou de scolasticat, que plusieurs
même possédaient à fond \
Aux exercices oraux, si utiles dans ces conditions, s'ajoutait, parmi
les obligations de l'écolier, la confection d'un résumé des cours *. En
effet, le régent dictait au moins pendant une partie de la classe, et ces
notes étaient, au retour, à rédiger et à transcrire. Dure corvée, à
laquelle les élèves riches trouvaient moyen d'échapper. Un siècle plus
tôt, saint Louis de Gonzague, réduit, au Collège Romain, à la même
servitude, adressait à sa mère des demandes d'argent pour frais de
copistes. Louis de Bourbon, qui suivait de loin le patron de la jeunesse
dans la voie de la sainteté, l'imitait de près en ceci. Le 28 décembre
1684, selon le certificat du P. Alleaume, M. le Prince ordonna de payer
€ au nommé Gaillard, la somme de 220 livres pour avoir écrit pendant
deux ans les cours de philosophie pour Mgr le duc de Bourbon ^ > C'est
ce Cours, revêtu, à l'époque, d'une chemise rouge en maroquin du
Levant frappée aux armes de Condé, que nous avons eu la bonne
fortune d'examiner aux archives de Chantilly ^ Tout document faisait
défaut jusqu'ici sur l'enseignement philosophique du P. Martineau ; on
peut désormais l'étudier sur pièces. Ce régent, hâtons-nous de lui rendre
cette justice, dictait, mais ne dictait pas une grande quantité de matière.
Le résumé existant parait fort peu succinct ; or il n'est pas considérable.
Gaillard avait pourtant intètêt à abréger le moins possible ses écritures.
Mais Martineau de son côté visait plus à la qualité qu'à l'abondance
et préférait s'étendre en profondeur plutôt qu'en superficie. Nous allons
nous en convaincre en rapportant ses propres principes d'enseignement
La méthode synthétique doit être, de l'avis commun auquel il se
range, plus souvent employée que l'analytique, la facilité étant plus
grande pour passer du général au particulier et du simple au composé,
que l'inverse. Comme les espèces, continue-t-il, ne peuvent être connues
que par le genre, on aurait constamment à revenir en arrière dans
l'explication des espèces, si elle n'était précédée de la définition des
genres.
1. Alleaume à Condé. Paris, 23 octobre 16S2, tXpassim,
2. < Mgr le duc de Bourbon continue de faire son abrégé de philosophie. > — € Il travaille
tous les jours à Vahbrégé qu'il fait de ses cayers. > Même lettre et suivantes.
3. Comptes de 1684^ fol. 77, n® 108.
4. Il y a été retrouvé pour nous par M. G. Maçon, à qui nous exprimons de nouveau toute
notre gratitude. Le cours manuscrit du P. Martineau, ignoré de Backer et Sommervogel, forme
quatre volumes, deux de logique, un de morale, un de physique, mentionnés aux anciens
registres de comptes, année 1683, fol çr, n® 93 ; année 1684, foL 75, n* 92 et foL 76, n® loa Un
cinquième volume a disparu.
LOGIQUE ET PHYSIQUE. 275
Dans chaque traité, il se pose la série des questions suivantes : exis-
tence (an szi); nature (çuzcl su); causes; propriétés; espèces. Mais
souvent il ne se fait pas scrupule de s'écarter de cette division reçue,
beaucoup d'effets se révélant suffisamment par le fait même de leur être,
et beaucoup d'agents par le caractère obvie de leur causalité, pour
rendre superflus ces préliminaires, jugés cependant indispensables par
d'autres plus formalistes.
Quant à lui il règle la marche à suivre à l'aide de cinq lignes directrices :
i® Le maître doit expliquer ce dont il s'agit et dissiper sur ce point
l'ombre d'une équivoque ;
2® Choisir les meilleurs arguments. Ce n'est pas leur nombre qui
convainc, mais leur force ;
3® Résoudre les objections sans rien dissimuler de leur portée ;
49 Eviter en même temps et la longueur excessive, source d'ennui, et
l'extrême concision, voisine de l'obscurité ;
5® Commencer par les sujets les plus aisés, en sorte que l'esprit, se
fortifiant peu à peu, monte par degrés jusqu'aux plus difficiles ; mais ne
pas oublier ni omettre ceux dont la notion conduit à l'intelligence des
autres.
Cette méthode ne fait trop mauvaise figure ni à côté de celle de
Descartes (1636), ni auprès de la Logique ou l'Art de penser de
Messieurs de Port-Royal (1661).
Fidèle aux principes, chose plus rare encore que d'en avoir de bons et
de les professer, Martineau appliquait les siens. Il fut amené par là à
diviser son cours de logique en deux parties : la première comprenant
les Institutiones ou questions non débattues, et la seconde, les Disputa-
tiones ou questions controversées.
Bien que rédigées à part, ces deux moitiés du programme de logique.
Traités et Controverses, durent s'entremêler plus d'une fois, suivant les
circonstances. Le professeur choisissait le moment le plus opportun pour
étudier à loisir telle ou telle question difficile. La perspective d'une
séance de classe ou d'une concertation publique était la cause la plus
fréquente de ces études dirigées dans le sens de la discussion. Mais il
suffit d'une absence de quelques jours du duc de Bourbon pour qu'on
s'attarde à l'attendre sur le chapitre de la Relation.
C'est cet écolier que nous allons maintenant voir au travail, sous le
régent et avec les méthodes que nous savons. Nos lecteurs nous
permettront de détailler au fur et à mesure, d'après nos correspondants
habituels, ces éphémérides scolaires. Les faits, menus par eux-mêmes,
présentent peut-être quelque intérêt à raison de la classe supérieure
formant leur cadre.
Les argumentations commencèrent de bonne heure et sans doute en
même temps que les cours. L'usage n'existait pas de les remettre à la
Toussaint. Le 21 octobre, presque au lendemain des Lucalia, on est
encore dans l'explication des termes, et déjà depuis trois jours Louis de
LOUIS DK BOURBON.
Bourbon se voit harcelé par un impertinent logicien qui aide ^1
entretenir son ardeur. Le 25, bulletin satisfait du P. Alleaume ; 50D
élève est constamment sur la brèche : € il parle tous les jours en classe,"
ou pour répéter, ou pour argumenter, ou pour répondre. > Le 15
novembre, on a parcouru plusieurs questions et l'on en fait une première
revue. Les plus importantes sont : < s'il y a une logique, si c'est une
habitude, si c'est une vertu de l'entendement, et si elle est art ou
science, > L'enceinte de la philosophie est entourée de cette barrière
épineuse, aux abords touffus et enchevêtrés. Le petit Duc eut le talent
de les enlever d'assaut, « Il savoit fort bien l'état et la preuve de chaque
question ; nous verrons, les jours suivans. s'il répondra aussi bien à
toutes les objections. :& En effet, le sens de la question ou du traité était
généralement aisé à saisir avec le P. Mariineau, tant il le posait claire*
ment et brièvement. Ses preuves, courtes et nettes, se logeaient avec *
même facilité dan-; l'esprit ; mais les objections, compliquées de leui
séries d'instances, ne laissent point de paraître au lecteur moderne
peu bien subtiles ou fourrées. Notre écolier arriva quand même et à li
pénétrer sûrement et à les manier habilement. Dans la dispute solenneUt
du 26 janvier 1683, il parvint à argumenter au mieux, près d'une demi'
heure entière, t pour prouver que la logique étoit science, puisqu'elle a
de véritables démonstrations, et que son objet, qui est le syllogisme, esi
aussi bien un objet de science que le triangle l'est à l'égard de la mathé-
matique. » Le P. Alleaume trouvait que c'était là fort bien pousser € sa
pointe. > Les deux précepteurs avaient préparé le figurant avec soin, el
leurs espérances furent dépassées.De la Maison professe et du Noviciat,,
des Pères étaient venus assister à la séance ; ils repartirent
enchantés que leurs confrères de Louîs-Ie-Grand. « Quoyqu'il n'eust'
pas un grand feu, > l'argumentant ne s'était montré, devant cette grave
assistance, ni timide ni embarrassé, rachetant sa froideur par une parfaite
possession de soi. Rien n'avait langui. Au sortir de cette concertation,
un poète du collège qui, au dire du P. Talon, faisait des vers « mesme,
en dormant ' >, tourna, sous le coup de l'impression, une belliqueuse;
épigramme en distiques latins, expédiée le soir à Chantilly -.
Tout l'hiver la philosophie alla un train convenable. Une indisposition
de santé survenue en février retint quelque temps le duc de Bourbon
au Petit-Luxembourg. 11 ne pouvait plus se rendre à la Faculté ; ce fut
la Faculté qui fut priée de se déplacer. Le P. Martineau expliquait alors
la théorie de la Relation et développait sa triple définition, ses divisions
et ses propriétés. Du Rosel essaya de suppléer les classes manquées par
des répétitions particulières, demandant au régent de lui « faire savoir,
pied à pied où il en sera ' >, l'invitant même à venir en personne '
I. Talon à Condi, 17 Kvrier 1683. P. C.
a. Alleaume au même, a6 janvier. P. C. — Ad Sefenissimum Princiftm ductm BofiotUumM
cum in publica concertatiûHeacriter disputaisct: Kl^xa puenae te pulchra movet, etc. > "
3. Du Rosel à Condé, iJ février. P. C,
i
LOGIQUE ET PHYSIQUE. 277
l'hôtel. Une dizaine de jours avant carnaval, le Duc retourna enfin rue
Saint- Jacques. Semaine pénible. L'attention était ailleurs ; les prochains
divertissements captivent l'imagination plus que i, ces questions de
l'universel, l'estre univoque, et de la relation, (qui) sont assés difficiles et
demandent une grande application \ >
Au carême, période la moins distraite et la plus propre au travail, les
efforts reprirent et les succès se suivirent sans interruption. On entrait
au cœur de Tannée et en plein sujet de cours : <L le syllogisme, ses règles,
ses figures, ses modes. > C'est un casse-tête € qui fait de la peine aux
autres > ; mais Louis de Bourbon possède i une grande facilité d'esprit
pour cela ', > comme jadis pour les vers latins. Est-ce pur amour de
combinaisons et de patiences ?
Vers la fin de mars, le P. Martineau achevait d'expliquer € tout ce
qui regarde le raisonnement, la démonstration, etc., et d'exercer sur les
questions qui sont matières de dispute \ » Cette mémorable dispute
devait avoir lieu le lundi 29, la matinée et l'après-midi. La compagnie
s'annonçait brillante : les Pères des trois maisons de Paris, les Lamoi-
gnon, les Broglie, les Roberty. Bourbon ouvrit la dispute le soir et
proposa son argument contre le petit marquis de Broglie qui soutenait
sur la Relation, <L sçavoir quelle est la distinction qu'on doit mettre
entre le fondement et le terme de la relation : comment la relation est
distinguée de ses parties et autres choses pareilles... > Tout se passa
bien. Mis en verve, Bourbon recommença le 3 avril, à la sabbatine du
petit Amelot de Chaillou, i. mieux qu'il n'a voit encore fait ; •> il cherchait
à prouver <: que Dieu ne devoit pas estre mis dans la catégorie de la
substance et que le nom de substance convenoit à Dieu d'une autre
manière qu'aux créatures. :> Le vieux Chaillou et les C gens de robe >
venus en nombre furent ravis.
C'était le samedi de la Passion ; la logique fut ainsi close officiel-
lement.
On aurait une idée incomplète de la manière dont le professeur avait
jeté ces premières assises de son cours de philosophie, si l'on ne le
jugeait que d'après les sujets de pure scolastique choisis pour les disputes
publiques. Il n'eût été que l'homme du passé ; or il était aussi l'homme
du présent, connaissant les idées régnantes, initiant ses élèves aux
objections les plus répandues et leur fournissant la réponse. Si donc il
entendait construire son système à l'antique, ce n'est pas qu'il ignorât
aucun des procédés nouveaux ; mais il ne croyait pas à leur valeur
intrinsèque. Le dix-septième siècle finissant allait au cartésianisme. Le
régent de Louis-le-Grand, fidèle à la tradition de tous ses prédécesseurs
1. Alleaume au même, 12 et 28 février. P. C.
2. Môme au même, 19 mars. P. C
3. Du Rosel au même, 22 mars. P. C.
278 LOUIS DE BOURBON.
depuis Pierre Bourdin \ continue à marcher dans la voie des pérîpaté-
ticiens. Il consacre la dernière et la plus intéressante de ses Disputa-
tiones à détruire l'édifice échafaudé par Descartes.
Analyse et réfutation du Discours de la méthode se partagent cette
remarquable dissertation. L'analyse est serrée et substantielle ; les écoliers
d'alors n'avaient rien à envier, sous le rapport de l'art du résumé, aux
manuels de nos modernes candidats au baccalauréat. Leur professeur se
fait même pour eux plus clair quç l'auteur. Martineau expose d'abord le
dessein de Descartes, son origine et ses motifs : dégoût des ouvrages
existants et désespoir d'atteindre par eux la vérité, dédain des préjugés,
amour de la raison pure. Il passe ensuite à la division, et se contente
d'embrasser les parties deuxième, troisième, quatrième et sixième. Les
quatre principes sont énumérés à leur place, ainsi que les trois règles de
morale. \J emploi de la nouvelle méthode comprend les preuves de l'âme
humaine par la conscience de la pensée, et de l'existence de Dieu par
l'idée de notre imperfection.
Ayant ainsi condensé tout le fameux traité en ces trois paragraphes,
il reprend successivement dessein, parties et emploi, pour soumettre les
doctrines à une critique exacte et précise.
Avec quelle mordante ironie il examine la genèse du grand projet !
A l'en croire, on ne peut s'empêcher de louer les sentiments d!humanité
de Descartes, qui, à la vue de ses semblables plongés dans un abîme
d'erreurs, entreprend de dissiper leurs profondes ténèbres. L'admiration
n'égale-t-elle pas l'étonnement en entendant ce novateur déclarer que,
de tant de beaux génies ses devanciers, de tant de chercheurs échelonnés
avant lui sur la route des siècles, aucun n'a pu l'aider en rien, ou ne lui
a servi que si peu ! Faut-il crier à la grandeur d'âme ou à la témérité
d'esprit devant un philosophe assez osé pour se persuader que l'entre-
prise tentée et manquée par tous avant lui, seul il peut la reprendre avec
ses propres forces et la faire aboutir? Pour conclusion, gardons- nous
d'accuser Descartes de modestie !
Contre le maître, le P. Martineau a daigné aiguiser ses flèches ; contre
les disciples, il frappe à coups de massue. Les cartésiens, qui donc
supporterait ces gens-là } Pour exalter leur chef, ils rabaissent tous les
autres. Dans leur piété naïve, ils bénissent le Ciel d'être nés en ces
temps heureux auxquels était réservé un tel docteur de sagesse. Pour
eux, rien de bon dans la philosophie aristotélicienne, comme si chaque
cartésien était nécessairement un ennemi juré d'Aristote. Quant aux vils
péripatéticîens, aveugles, ils suivent un aveugle. A peine saint Jérôme
et saint Augustin trouvent-ils grâce.
I. Voir De Hypothest Cartesiana, Positiones physicomatkemaiica^ 13 juin 1665, thèse signalée
par le P. Alfred Hamy ; les décrets des Congrégations de Paris et de Rome en 1682, cités par le
P. de Rochemonteix, Collège Henri IV de La Flèche, t. IV, p. 81. Il est à remarquer que le
premier cours de logique et de morale < un peu modernes I professé à La Flèche est de 1688
{tbid,, p. 31). La trouvaille des cours du P. Martineau fait remonter la date pour le collège
Louis-le- Grand.
LOGIQUK KT PHYSIQUK. 279
Descartes a avancé € qu'il est bien plus vraisemblable qu'un homme
seul ait rencontré les vérités un peu malaisées à découvrir que tout un
peuple > ; cette affirmation ne semble pas au P. Martineau tout à fait
conforme au bon sens. Sans doute les sciences relèvent de la raison et
non de l'autorité ; s'ensuit-il qu'on ne trouve pour les étudier aucune aide
dans autrui?
Neque enim amnia fossumus omnes.
On épargne sa peine à tirer parti des inventions et des théories des
autres ; non pas qu'on leur accorde une foi aveugle, mais un assentiment
éclairé.
Et voici le dilemme d'où ne peut sortir Descartes : Ce qu'il dit est
vrai ou ne l'est pas. S'il est dans le vrai, il n'apporte pas de neuf, car le
critérium de l'adhésion aux assertions des auteurs a toujours été la vérité
et non leur parole. S*il apporte du neuf, il est dans le faux, car l'inutilité
du recours aux lumières d'autrui, telle qu'il la proclame, n'est point accep-
table. Et puis, est-il bien sûr que Descartes lui-même n'ait pas emprunté,
et beaucoup, comme on le démontrera en son lieu, aux philosophes
anciens et mêmes récents ?
Arrivé aux quatre grands principes de la méthode et aux trois de la
morale cartésienne, Martineau va-t-il les rejeter en bloc ? Non, mais sa
critique de détail en laisse subsister bien peu. S'il les reconnaît utiles,
c'est pour rétracter aussitôt cette concession forcée, en niant leur origi-
nalité et leur nouveauté. Il lui semble que quiconque avait jusque-là
recherché la vérité avec quelque souci de la logique, ne s'était jamais
incliné que devant l'évidence.
Et puis à quoi me sert de savoir maintenant que je ne dois < recevoir
jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connaisse évidemment
telle >, si l'on ne me fournît le moyen de discerner l'évidence vraie et
fondée de l'évidence seulement apparente }
Les idées claires et distinctes paraissent elles-mêmes sujettes à caution
au régent anticartésien. Descartes en est pour lui un exemple : sous pré-
texte qu'il avait l'idée claire et distincte de la matière indéfinie, il a cru
l'univers sans limites ; or son opinion est erronée. Sa règle pourrait être
vraie en soi, malgré les conséquences de l'abus ; à tout le moins, elle
n'est pas pratique.
Le principe fondamental : ego cogito, ergo sum, fût- il juste, ne saurait
être qualifié de premier principe ni soutenir toute une philosophie. Lui-
même repose sur cet axiome \prius est esse quant agere, il faut être avant
que d'agir et de penser. Cet axiome est évident ; or il préexiste au raison-
nement de Descartes ; ce n'est donc pas celui-ci qui est à la base de nos
connaissances méthodiquement ordonnées.
Le doute érigé en système est contraire à la nature des choses. Peut-
on bien en effet tenir un instant pour incertain ou pour faux ce qu'on
280 LOUIS DK BOURBON.
perçoit comme évidemment vrai, puisque le propre de l'évidence est
d'exclure tout soupçon d'erreur ?
Descartes cherche à mettre l'essence de l'âme dans la pensée ; ses
raisonnements ne portent pas. II veut prouver l'existence de Dieu par
la conscience de notre imperfection, d'où naît en nous l'idée de l'être
parfait : même impuissance à faire sortir la certitude de ses démons-
trations.
Ainsi son édifice logique et métaphysique est déclaré caduc. Ses
règles morales, la première surtout, qui consacre la croyance due et gardée
par l'éminent penseur à la foi de ses pères, ne reçoivent qu'une part
d'éloges, et assez mesurée.
Martineau était sévère ; mais avait- il tort .'^ Il ne laisse rien debout de
ce qu'il y a d'original dans le Discours de la méthode, et crie, dès qu'il y
rencontre quelque opinion plus solide, au plagiat d'Aristote. La révo-
lution cartésienne n'aurait- elle donc été qu'un leurre et une illusion ?
Martineau le prêchait — dans le désert. Il y a tout juste un an que deux
docteurs de l'Université reprenaient sa thèse et soutenaient à leur tour
que Descartes, l'homme qui avait cru tout renverser pour tout refaire
à nouveau, fut, non le premier des modernes, mais le dernier des
anciens \
Dans l'intérieur de l'hôtel de Condé, le dernier mot n'était pas dit pour
cela aux disputes scolastiques. Le jeudi soir (8 avril), le duc d'Enghien
fait argumenter contre son fils, ^ pendant le souper, > M. Deschamps,
aumônier de Mme la Duchesse. On débat l'éternelle question : siens est
7inivocum respectu Dei et creaturce. Les Pères étaient absents. M. Des-
champs fut content, M. le Duc également, et Mme la Duchesse rapporta
au P. Bergier la satisfaction de son mari.
Le duc de Bourbon ne pensait déjà plus qu'à Chantilly et aux vacances
de Pâques *. Quelque chose d'inaccoutumé se préparait pour lui. Il € fit
ses dévotions > d'avance, le jour des Rameaux ; le lendemain, lundi, il
partait emmenant le P. Martineau, son régent, et le chevalier de Lon-
gueville, un de ses meilleurs camarades, celui-ci enchanté € autant qu'on
le peut être. > D'autres Pères et jusqu'au Frère coadjuteur Ricardeau, le
socitis attitré du P. Bergier, d'autres amis s'y rendirent ensemble ou les
rejoignirent ^.
Le jour de Pâques (i8 avril), Condé tient conseil avec le duc d'En-
ghien, et il est décidé entre eux que Louis de Bourbon recevra la confir-
mation. Envoi de l'abbé Blanchet, aumônier de M. le Prince, à Sanguin,
évêque de Senlis, pour demander l'autorisation de faire la cérémonie dans
la chapelle du château. Il rapporte une permission verbale € tant pour
Mgr le duc de Bourbon que pour tous ceux qui s'y présenteroient >. Le
1. G. Milhaud. Num Cartesii Metkodus tanium valeat in suo opère illustrando quantum ipse
senserit, — F. Martin, De illa quant Cartesius sibi ad iempus effinxU ethica, 1894, in-8.
2. Deschamps à Condé, 4 avril 1683. P. C.
3. Sur le Frère coadjuteur Louis Ricardeau, voir le Catalogue de 1680, A. C^, et les Comptes
de Vannée 1678^ fol. 21 1, n» 728.
LOGIQUK KT PHYSIQUK. 281
prélat invité à administrer le sacrement fut un ami de la maison de
Condé, Gabriel Roquette, l'évêque d'Autun, venu à Paris, à la prière de
M. le Prince, afin de prononcer Toraison funèbre de la duchesse de Lon-
guevîlle. La veille de Quasimodo, il arrivait en carrosse à Chantilly,
n'ayant oublié que sa crosse et sa mitre. De nouveau il faut courir à
Senlis. Mgr Sanguin prête les siennes et donne le saint Chrême, Enfin,
le dimanche matin (25 avril) eut lieu la pieuse cérémonie. L'évêque pro-
nonce une courte allocution, puis Condé, en qualité de parrain, s'approche
de l'autel et s'assied dans un fauteuil près de son filleul. € Quel nom,
demande le prélat, voulez- vous donner à Mgr le duc de Bourbon ? — Je
ne veux pas lui changer celui de Louis qu'il a. > Les cérémonies conti-
nuent, onction, imposition et prières. Avec le petit Duc, descendant de
saint Louis et pour qui son aïeul était si fier de sa royale origine, furent
confirmés le chevalier de Longueville, le jeune Davisson, des domes-
tiques de M. le Prince et des gens du village de Chantilly, les plus
humbles après les plus grands '.
De ces touchantes vacances, le P. Martineau, de retour à Paris, —
non sans encombre, car alors c'était un voyage et le carrosse du duc
de Bourbon rompit à Louvres, — promit à Condé de < conserver
éternellement le souvenir. > De plus en plus il s'était attaché à son
élève.
< Nous avons commencé la morale, écrivait le P. Alleaume, quinze
jours après Pâques (18 avril), et nous en sommes à la question : si la
volonté peut aimer le mal en tant que mal,.. Nous préparons Mgr le duc
de Bourbon pour une conférence philosophique samedi prochain, en
présence de nos pères, dont voici la matière en six positions ^ > La
logique revenait encore seule dans ce programme et figura même dans
une seconde conférence ; mais les cours étaient tout à la morale, qui dura
trois mois. L'histoire de la philosophie entrait dans les goûts du
P. Martineau ; elle tint une bonne place. < Expliquer et prouver les
systèmes différents > était toujours son premier soin.
Il ne réfuta pas uniquement Aristote et Platon; les tireurs d'horoscope
eurent leur tour et les théories de Calvin sur le libre arbitre furent prises
à partie. Ne vivaient-elles pas encore plus ou moins dans la doctrine
janséniste ?
Il est visible que Martineau avait hâte d'expédier les questions de
théorie abstraite, telles que la fin des actions humaines et l'objet formel
de la béatitude, pour s'étendre sur un vrai traité de droit naturel qu'il
intitule : Economie domestique et sociale.
1. Cérémonial Ms.
2. € I. Assignare mentis operationes, earumque tum naturam, tum ordinem explicare. —
2. Assignare syllogismorum figuras et earum régulas tum communes, tum particulares explicare.
— 3. Assignare modos, in quâlibet figura légitimes, et metbodum eorum inveniendorum exi>licare.
— 4. Apprehensio simplex non potest esse falsa. — 5. Gradus metapbysici non distinguuntur
realiter. — 6. Ens est univocum respectu substantise et accidentis. > Alleaume à Condé. Paris,
13 mai 1683. P. C
282 LOUIS DE BOURBON.
La famille chrétienne y est étudiée aux points de vue multiples de la
société conjugale : droits et devoirs réciproques des parents et des
enfants, des maîtres et des domestiques. Les principes supérieurs qui
doivent présider au bon choix d'un époux, avec de précieux conseils sur
Tâge convenable, les qualités à rechercher, la préférence à donner aux
qualités du caractère et du cœur sur les biens de la fortune, sont exposés
à la double lumière de la sagesse antique et de la révélation chrétienne,
d'Aristote et de saint Paul.
D'autres traités apprennent quelle est la meilleure forme de gouver-
nement, évidemment la monarchie, comme plus ancienne, plus rationnelle
et plus imitée de la nature.
Le lien étroit qui unit le citoyen à l'homme et les vertus du prince ou
des particuliers à la prospérité générale, inspire à l'auteur les plus sages
considérations sur l'utilité d'une religion d'Etat, laquelle doit être la vraie
religion.
Ce cours renfermant des pages entières sur le divorce et ses incon-
vénients, la comparaison de l'éducation publique avec l'éducation privée,
la bonne gestion du pater familias d'après les jurisconsultes romains,
etc., s'adressait, en la personne de Louis de Bourbon, à un enfant de
bientôt quinze ans, mais qui devait se marier à dix-sept ans et demi
(24 juillet 1685). Les princes et les jeunes gens de haute naissance
entraient tôt dans la vie. Aujourd'hui, les limites d'âge sont reculées.
Est-on pour cela mieux instruit par avance de tous les devoirs à accomplir,
de toutes les grandes et saintes choses à respecter ?
Malgré la surabondance des matières d'un cours de morale si largement
entendu, et allant presque de \ Ethique à Nicomaque au Manuel
d'éducation civique, le dernier mois de Tannée fut aussi consacré à la
physique générale. Sur ce terrain, le régent de Louis-le- Grand se
retrouvait aux prises avec Descartes, et il n'esquiva point la lutte. Le
livre des Principes devint son objectif; il le cribla. Ce n'est pas qu'il fût
rétrograde et regardât sans cesse à Raymond Lulle ou à Aristote ; il se
réjouit que de singuliers progrès aient été faits depuis peu d'années
dans la connaissance des choses naturelles, grâce à l'alliance de
l'expérience et de l'observation avec le raisonnement. Mais il y a limite
aux hardiesses de la science. Le vrai ne pouvant être opposé au vrai,
comme il le rappelle d'après le concile de Latran, toute assertion contraire
à la Révélation devra être tenue pour fausse, ou le conflit pour apparent.
Aussi ne sait-il pas trop mauvais gré à Gassendi qui a tenté d'adapter
le système cosmogonique d'Epicure aux découvertes récentes et à la foi
chrétienne \ A Descartes lui-même il finit par accorder le génie en
mathématiques et une brillante imagination en matière d'hypothèses
physiques.
I. < — Donec recenti memoria Petrus Gassendus, vir doctissimus atque in rébus astronomicis
versatissimus, intermortuam illam excitavit perfecitque doctrinam, detractis praesertim iis (}uae
Christ ianae fidei minus congruerent. > Physica^ Ms.^ fol. 9. Ce texte s'ajoute à ceux qu'a cités
Francisque Bouillier, dans son Histoire de la philosophie cartésienne^ 3* éd., t. I, p. 575.
LOGIQUE ET PHYSIQUE. 283
Cette polémique perpétuelle eût fatigué, si le texte même des Principes
attaqués n'eût passé sous leurs yeux. Louis de Bourbon n'entrevit pas
seulement Descartes à travers le P. Martineau ; il le connut directement
Tannée suivante, en classe de physique (1683- 1684): «Nous avons
examiné aujourd'huy la suite du traité des Causes et ensuitte nous avons
continué de lire les Principes de Descartes. Comme le livre est remply
de figures qui représentent les trois élémens de cette Philosophie,
Mgr le duc de Bourbon se fait un plaisir d'y retrouver les matières
subtile, globeuse et rameuse qui y font leurs effets. »
Les expériences ne l'amusaient pas moins que ces savantes figures.
Le froid et la gelée interrompirent au fort de l'hiver le fonctionnement
des appareils. Courte relâche. Vers la fin de janvier on avait repris < la
machine de Bœl et celle de Toricelli. > Le P. Martineau explique < la
question de la pesanteur de l'air à laquelle on attribue les effets qu'on
attribuoit autrefois à l'horreur du vuide. » Le bon Père, — voulait-il se
faire la main ou cédait-il au goût de son élève, avide de ces récréations
scientifiques } — songeait à essayer ses expériences en particulier avec
le duc de Bourbon avant de travailler devant la galerie à^s physiciens, à
Louis- le-Grand. Du vide on passa au mouvement. Mais on revenait sans
se lasser à l'étude de ces admirables découvertes qui eussent à elles
seules immortalisé chez nous le nom de Pascal. La joie d'avoir arraché
un de ses secrets à la nature et répudié à jamais une des formules
pompeuses dont s'était décorée une séculaire ignorance, perce entre les
lignes de toute la correspondance d'alors. Les découvertes du paratonnerre
au dernier siècle, du téléphone ou de l'éclairage électrique dans le nôtre,
n'ont pas flatté davantage l'orgueil ou la vanité de générations plus
instruites. <L On fit hier matin (27 janvier 1684), en présence de Mgr le
duc de Bourbon, depuis huit heures et demie jusqu'à onze, toutes les
expériences qui regardent le vide et plusieurs de celles qui regardent la
pesanteur et V équilibre des liqueurs. Il ne s'y ennuya point du tout. Il
fut fort attentif à ce qu'il voyoit et il rendit asses bien raison de plusieurs
phénomènes sur lesquels on l'interrogeoit. Tous les jeunes jésuites de sa
classe qu'il avoit eu la bonté d'inviter y furent présens. On fronda
beaucoup f horreur du vide, et tout fut attribué à la pesanteur et à la vertu
élastique de l'air. >
Après Pâques, on étudia, entre autres questions, « en quoy consiste
la transparance ou la diaphanéité des corps, > et l'on expliqua c les
phénomènes de l'air, ceux de la terre, les fontaines, la mer, la cause
pourquoy elle est salée, les opinions différentes sur son fiux et sur son
reflux, etc. >
De chimie, on s'occupe assez peu. C'était encore l'alchimie. Les
savants les plus avancés tenaient pouf cinq éléments au lieu de quatre.
Martineau croit que c'est aller trop vite et qu'on peut se contenter des
quatre. Tous se divertissent des inventions plus par curiosité que par
savoir. Quand le P. Talon n'a rien à mander à Condé sur ses gens du
284 LOUIS DE BOURBON.
Châtelet ou de la Grève, il lui annonce qu'un Jésuite étranger vient de
trouver la recette du feu grégeois. Heureux temps où les explosifs
n'intéressaient guère que les princes du sang et les aumôniers de
prison !
Ce qui passionnait cette fin du grand siècle, aussi éprise de spéculations
élevées et de principes rationnels que la nôtre de naturalisme, de
positivisme et d'applications matérielles, c'était donc la querelle du
cartésianisme. Les Œ/^/r^j de Descart^ avaient été achetées aux dépens
de Condé pendant les tacances de 1683, et remises à son petit-fils entre
les deux années de philosopîiie '. A peine celui-ci sorti du collège,
La Bruyère continuera à lui faire lire les Principes, sous lesyeux mêmes
des PP. Alleaume et du Rosel.
Nous ne suivrons pas le duc de Bourbon dans cette seconde phase de
son éducation, l'éducation du dehors, celle qui durant deux années encore
(1682 84) continuera avec des maîtres nouveaux, dont nous venons de
nommer le plus illustre, l'auteur des Caractères. La correspondance,
toujours aussi abondante, des deux précepteurs jésuites, nous permettrait
de le faire ; mais elle a été utilisée avant nous par M. Allaire. Son vaste
ouvrage en deux volumes apprend sur cette période tout ce que l'on
peut apprendre, et au-delà.
Revenons seulement en arrière, ou plutôt arrêtons-nous durant quelques
pages, pour nous demander quel bagage de connaissances accessoires le
duc de Bourbon emportait du collège Louis-le-Grand. Il avait négligé
le grec. Avec certaines notions d'histoire, dont en rhétorique il étudiait
tous les soirs < quelque chose à l'ordinaire >, il possédait aussi des
éléments de géographie. Il avait également commencé cette dernière
étude dès la rhétorique, contrairement à l'usage ordinaire des collèges
de la Compagnie, où elle était réservée pour la philosophie. Peut-être ne
l'apprit-il pas d'abord en classe, mais dans les répétitions privées du
P. du Rosel. Toujours est-il qu'on y attachait assez peu d'importance.
Le meilleur du temps était consacré aux humanités : version, vers,
amplification, explication des auteurs ou des principes de littérature,
exercices sur les figures de rhétorique ; la géographie, on n'y « pense
que dans les moments indifférents. »
La raison n'en est pas un dédain systématique de cette science, mais
l'expérience de sa facilité. Le duc de Bourbon y réussit sans effort ;
rhétoricien de treize ans, il avait la mémoire encore toute fraîche et
fortement développée par tant d'années de leçons ! Savoir par cœur, il
y arrive ; mais réfléchir, il ne s'y décide pas. C'est l'éternel refrain des
précepteurs : « On continue... à apprendre quelquefois la carte, et l'on n'a
aucune peine dès qu'il ne s'agit,que de concevoir ; l'affaire est d'avoir
ensuite une application constante à se servir de ce qu'il a très bien
conçu. » Cette observation est de décembre 168 1. En février 1682, l'on
I. Comptes de. Vannée i68jy fol. 94, n° iio.
LOGIQUE ET PHYSIQUE. 285
n'a guère lieu d'être plus satisfait : € La géographie» la sphère et autres
études semblables ne font nulle peine ; mais dès qu'il faut penser avec
une application exacte et qui demande de la réflexion, c'est ce qui nous
désole. >
Un peu de consolation vint au début de l'année de logique ( 1682-83).
On n'est pas mécontent de lui pour ce qui regarde la carte. Cette étude
marche assez bien et ce qu'il a appris, le Prince le retient.
Jusqu'où allait cette géographie et que comprenait le programme ? Il
ne semble pas qu'il renfermât autre chose que la description particulière
des Etats européens. Les pays limitrophes de la France ont la préférence,
surtout les pays actuellement en guerre avec nous. On met sous les yeux
du Prince les cartes du théâtre des opérations ; un nommé Henry en
dessine une pour lui : € Nous l'avons étudiée aujourd'huy et nous avons
cherché les endroits dont on parle présentement soit en Flandres, soit
en Espagne. > La date de cette lettre est significative. Ce jour même
(10 novembre 1683), Dixmude se rendait à nos troupes ; déjà Courtrai,
assiégé par le maréchal d'Humières, avait capitulé. Créqui allait
bombarder Luxembourg. Par un singulier phénomène souvent reproduit
depuis, ces belliqueuses représailles n'empêchaient pas qu'on ne fût
officiellement en pleine paix ; c'était une manière de rappeler nos
voisins à l'observation plus exacte des derniers traités qu'on prétendait
violés.
Une complication pouvait surgir d'un moment à l'autre. Le duc
d'Enghien songe à toute éventualité et son attention se trouve ramenée
aux études géographiques de son fils. Le 14 novembre, il l'interroge
lui-même et les réponses ne sont pas mauvaises. Parallèlement aux
Flandres, Louis de Bourbon étudie l'Allemagne. Tous les jours du mois,
il en répète les « villes», — c'est bien la pensée de la guerre, et de la
guerre de sièges si chère à Louis XIV, qui inspire cette méthode. De
fait, les atlas de cette époque ne représentent guère que des places fortes,
des abbayes et des villages ; la configuration physique du sol est à peine
ou mal tracée. On revoit donc assidûment les villes, et il le faut bien,
car < sans les répétitions fréquentes sur la carte... on en oublieroit une
partie... Nous ne passons point de jour sans examiner ce que l'on doit
retenir de la carte. » Madame la Duchesse elle-même s'y intéresse ; on
lui en rend compte et elle parait contente. Cette ardeur universelle
continue tout janvier 1684.
A la géographie proprement dite se rattachait aussi la 5/^r^. Ce qu'on
désignait sous ce terme un peu vague, ou sous le nom plus précis de
sphère terrestre^ était un ensemble de questions moitié astronomiques,
moitié physiques, telles que la place de la terre, sa forme, sa grandeur,
son immobilité ou son mouvement, sa description. Avec la géographie
ce fut pour le duc de Bourbon, dès sa rhétorique, un amusement auquel
il se prêta non sans plaisir. Cette science, regardée comme récréative
dès le temps d'Aristote, scientia pœrorum, était encore trop peu
286 LOUIS DE BOURBON.
compliquée au dix-septième siècle pour avoir entièrement dépouillé son
caractère de puérile distraction.
Commença- 1- il vers la même époque, ou seulement en philosophie et
à la veille de sortir du collège, une étude du même genre et qui rentrerait
aujourd'hui dans les leçons de choses, mais qui d'ailleurs n'y figure pas
et a été, croyons-nous, totalement abandonnée : F Architecture civile et
militaire ? On l'enseignait alors chez les Jésuites, soit en classe, soit aux
répétitions du soir. Le professeur de rhétorique de Condé à Bourges,
devenu le grand adversaire de Descartes au collège de Clermont, le
P. Pierre Bourdin, y avait rédigé, vingt-cinq ans plus tôt, toute une série
de ces manuels : Le Dessein, ov la Perspective militaire. Pièce très facile
et très nécessaire à tous ceux qui désirent de pratiquer F Art et fortifier^
(1655) ; — L'Architecture militaire, ov fart de fortifier les places
régvlières et irrégvlières. Expliqué, Pratiqué et Démontré cCvne façon
facile et agréable. Au^c un abrégé de la pratique de la Géométrie
militaire (1655) ; — enfin un Cours de mcUhématiqve (1661), dédié à la
noblesse et renfermant les sciences accessoires de l'art de la guerre ou
de la fortification. En même temps, la première partie du grand ouvrage
de Perspective pratique composé par le Frère Jean du Breuil pour Condé
lui-même, alors duc d'Enghien, continuait à reparaître augmentée d'un
Traité de perspective militaire (1679), sans faire tort à \Art de fortifier,
de défendre et d'attaquer les places, suivant les méthodes Françoises, Hollan-
doises. Italiennes et Espagnoles, du P. François Milliet de Châles (1677).
Châles, ancien missionnaire de Turquie, avait été nommé à son retour,
par Louis XIV, professeur d'hydrographie à Marseille. Ses succès ne
découragèrent pas le Jésuite Pierre Ango, qui publiait à Moulins, en
1679, une Pratique générale des fortifications pour les tracer sur le papier
et stirle terrain, sans avoir égard à aucune méthode particulière. Mais ce
ne fut aucun de ces traités que le duc de Bourbon parait avoir eu entre
les mains ; il étudia dans un gros ouvrage qui sans doute avait fait
oublier ceux-là, ne fût-ce que par son titre pompeux de Travaux de
Mars. L'auteur, un ingénieur des camps et armées du Portugal, nommé
Allain Manesson-Mallet, en avait offert la première édition à Louis XIV
en 167 1, étant présenté lui-même à Sa Majesté par Turenne ; et le roi
l'avait reçu, au rapport de la Gazette, € avec tout l'agrément imagi-
nable. :^
Dans notre tableau de la vie du collège, nous aurions l'air de ne
présenter que les ombres et les points noirs, si, après avoir fait corriger
à nos lecteurs les thèmes du duc de Bourbon et assisté à ses leçons
d'accessoires, nous n'éclairions cette peinture un peu sombre et d'aspect
monotone, du rayon de joie innocente et de saine gaieté qu'y mettaient
ses plaisirs d'écolier. Les règlements de l'externat favorisaient ces
bienfaisantes alternances entre le travail et le repos, la réclusion et le
mouvement, et l'on trouverait dans la correspondance des gouverneurs
Deschamps et du Bouchet la matière de tout un chapitre sur ce sujet.
LOGIQUB ET PHYSIQUE. 287
Nous nous bornerons à glaner quelques traits dans les lettres des
PP. AUeaume et du Rosel, notre source habituelle.
Adroit naturellement à tous les exercices du corps, Louis de Bourbon
s'éprit de bonne heure pour la chasse. Il n a point encore ses onze ans,
quand il tue son premier lapin, à dix ou douze pas, dans le jardin du
Petit- Luxembourg. La même année, à Chantilly, pour l'ouverture des
grandes vacances, il se console de son prix manqué en quatrième par un
coup de fusil qui atteint huit perdreaux. A Paris, dans le fort de l'hiver,
il se rabat sur de vils moineaux qu'il va chercher en carrosse.
Sans pitié envers les malheureux oiseaux, il est généreux de sa chasse
et de celle d'autrui. A l'occasion des Enigmes de seconde, il offre ses
présents au P. de La Baune, son régent, et au Père préfet : « On ne
parle au collège que des libéralités des Princes. On y fait la meilleure
chère du monde. > Tout n'avait pas été cependant au mieux dans le
meilleur des établissements scolaires, mais dans la dernière des insti-
tutions culinaires. Les cuisiniers de la maison de la rue Saint-Jacques,
habitués à n'apprêter que des viandes communes, massacrèrent la venaison
envoyée de Chantilly. L'allégresse générale y trouva son compte ; les
poètes de l'école relevèrent les sauces insipides et les rôtis desséchés en
servant après coup aux convives le ragoût, non d'un sonnet, mais de
plusieurs épigrammes, assaisonnées de sel plus ou moins attique. Commire
donna la parole à un aper vaticinans ; Vavasseur compara les mœurs
relativement douces de l'animal dans la forêt à l'atrocité de ses perfidies
dans le plat. La lettre du P. Talon contant l'aventure à Condé vaut bien
ces «pièces d'esprit» tant louées du duc d'Enghien : « Nos pauvres
Ecuyers de cuisine ont sué sang et eau pour faire des ragoûtz de toute
sorte de couleurs ; je ne crois pas que personne se soit jamais avisé d'en
faire de semblables, ne croyant pas aussy que le bonhomme Ovide ait
jamais fait plus de métamorphoses qu'en ont fait nos cuisiniers avec
nostre sanglier et nos deux biches. Ce qui m'obligea de dire, il y a
quelques jours, à quelques-uns de nos Messieurs qui me demandoient
de bonne foi ce qu'ils avoient mangé, qu'en vérité je ne le sçavois pas
moy-mesme, mais que cela valoit bien leur bœuf et leur mouton.
> Mais, mon Dieu, me dit l'un de nos doctes, qu'est-ce que cela, car
ce n'est ny biche, n'y sanglier. » — < C'est donc, leur répliquay-je, la
matière première qui n'est ny quid, ni quale, ny quantum, sed subjectum
horum ofnnium, » De quoy mon Docteur, qui se pique d'estre grand
philosophe, me parut si content qu'il me pria de luy faire servir souvent
des matières de cette sorte. > Condé était trop bon pour s'y refuser.
Lorsque, le 2 février 1683, le P. de La Baune prononça solennellement
les derniers vœux, cette < feste des secondes nopces > de sa vie religieuse
fut rehaussée à table par le gibier de M. le Prince et présidée, à son
défaut et au défaut du duc d'Enghien, par son ancien élève le duc de
Bourbon devenu logicien. La relation de cette fête unique alla jusqu'à
Rome.
288 LOUIS DE BOURBON.
Si giboyeux que fussent les bois de Chantilly, ils avaient le tort d'être
à deux relais de Paris. Saint-Maur, au contraire, était situé dans la
banlieue. Ce château rappelait -il trop à Condé ses bouderies de la
Fronde ? Lui paraissait-il trop voisin du donjon de Vincennes, comme
aux yeux de Louis XIV les clochers de Saint- Denis étaient trop visibles
de Saint-Germain ? Gourville lui en avait demandé la capitainerie en
1673 et en avait reçu de lui la jouissance. L'ancien laquais de La Roche-
foucauld, maintenant intendant de la maison de Condé et grand seigneur
lui-même, s y livra à de folles dépenses en moulins élévatoires, fontaines,
réservoirs et jets d'eau, dont l'un était le plus beau qu'on eût encore vu.
Il recevait M^^ La Fayette, l'auteur de la Princesse de Clèves, et aussi
l'auteur des Maximes. Là on tenait des discussions philosophiques et
Despréaux lisait son Art poétique.
Le duc de Bourbon, en dehors de Pâques et des grandes vacances,
aimait à y prendre ses congés. Rien de plus agréable que d'aller au
milieu de ce parc et de ces prairies « courir un lièvre entre deux
ondées >, le dimanche de Carnaval, ou simplement de s'y promener par
une belle après-diner de fin mai, pour ne rentrer à Paris que < sur les
neuf heures du soir >. Plus fidèle observateur des jours de fêtes que nos
modernes Parisiens, à la Pentecôte il ne sort pas: même avant sa
première Communion, il se confesse le matin, entend le sermon l'après-
midi et le lendemain seulement, toutes ses dévotions accomplies, il file
joyeux à Saint- Mandé, < où il s'est bien diverti, écrit le Père, et a
beaucoup chassé. » Le 22 juin 1681, tandis que les Pères du collège
de Clermont sont victimes de leurs cuisiniers improvisés, le Prince est
allé sagement se faire « traiter > par Gourville. Homme aimable et
sachant également frayer avec les petits et les grands, les Jésuites et
leurs écoliers, ce singulier personnage a le don de charmer tous ses
visiteurs. Le duc de Bourbon profite de son humeur hospitalière pour
amener des camarades, M. de Lamoignon et l'abbé de Marillac.
Ce même goût de la société lui rend particulièrement cher son congé
d'été à la maison de campagne du collège de Clermont, près le village
de Gentilly. Une année, il y va collationner, et, de là, souper à Fssy.
Cette double course, assez longue, il la fait à cheval. Une autre année,
il sacrifie, pour répondre à une semblable invitation, une partie projetée
à Saint- Maur. « J'aime beaucoup mieux aller à Gentilly, répond-il au
P. de Champs le priant de la part des Pères de leur faire l'honneur d'y
venir, et j'irai. » On y mena, pour lui tenir compagnie, la fleur des
enfants de qualité du pensionnat.
Ces « petits voyages » avaient bien leurs revers. On se mettait à son
devoir d'avance pour être là-bas plus libre ; quelquefois même on
travaillait sur place à Saint- Maur ; mais le plaisir de s'ébattre au soleil
du printemps faisait vite oublier les préoccupations scolaires. On ne
rentrait pas toujours la veille au soir ; une fois, on a remis à la dernière
heure et l'on n'est de retour le matin à Paris que pour se rendre en
LOGIQUE KT PHYSIQUE.
289
classe, sans même passer par Thôtel. Quels thèmes y rapporte- t-on et
dans quel état se présente-t-on au régent ! Tous les exercices s'en
ressentent ; on a < Tesprit extrêmement dissipé et incapable de penser à
rien. » Il faut deux jours pour commencer à se remettre et pour retrouver
son ancienne application. Le P. Alleaume se fâche : <L Monseigneur, si
S. A. S. (le prince de Condé) apprend que vous étudiez mal après les
divertissements, vous êtes en danger de n'en avoir guère. :^ Aller à
Saint-Maur devint une vraie récompense ; lorsque Ton savait que Louis
de Bourbon devait s'y rendre, c'était assez pour conclure qu'il l'avait
bien mérité.
Les impressions d'enfance persistent souvent la vie entière, imposant
à l'homme fait ses goûts et ses préférences. Quinze ans plus tard (1697),
le duc de Bourbon, duc d'Enghien depuis 1686, rachètera à Gourville
son usufruit et fera agrandir les parterres où, jeune homme, il s'enfuyait
si gaiement loin du pays latin. Mais alors Chantilly appartiendra à
Henry- Jules son père ; le grand Condé n'y sera plus.
L« grand Coodtf.
»9
tfE nom qui vieot de se représenter à notre plume nous
indique assez quel est l'épilogue naturel de ce volume.
Nous ne saunons mieux le fermer que sur les dernières
; années du héros qui en a rempli les premières pages :
Condé.
Ayant raconté en tant de détails les études remar-
quables et la pieuse adolescence de Louis de Bourbon à Bourges, à
Dijon, à Paris, puis son retour à Dieu dans son exil de Gand, nous
aurions dû, pour être logique avec l'évolution intime des faits, rapporter
en terminant les efforts tentés vers i6So afin de le rapprocher de la
pratique des sacrements, puis son admirable conversion arrivée près de
deux ans avant sa mort.
Nous pensons que la relation de sa fin chrétienne suffira à montrer
quelles profondes racines la foi avait jetées en son âme et dans quel sol
fécond elle avait germé. Aucun tableau plus idéal ne pourrait clore cette
étude oîx lui, toujours lui, tantôt écolier, tantôt éducateur de son fils et
de son petit-fils, nous a retenus et captivés.
Depuis sa retraite à Chantilly, la vie de Condé n'avait guère été qu'une
lutte intermittente avec la douleur physique, le combat d'une àme supé-
rieure contre les approches prématurées de la vieillesse et les menaces
d'un brusque dénouement. Libre d'esprit et maître de toutes ses facultés,
dans un corps frêle de tempérament et de bonne heure brisé par les
excessifs travaux de la guerre, il réalisait, au milieu de ses infirmités
vaillamment supportées, le mot de Bossuet sur l'héroïque vaincu de
Rocroi, soutenant soi-même et les autres par la vertu guerrière qui
l'animait. Cependant l'épuisement s'était accru ; l'ardeur morale subsis-
tait seule et ce fut elle qui le tua.
Un jour de décembre i6S6, il apprend que sa petite-fille, la duchesse
de Bourbon, est atteinte à Fontainebleau de la petite vérole. Aussitôt il
quitte Chantilly pour porter à sa famille les consolations de sa présence
et les sages conseils de son expérience. Il n'y a que soi qu'il oublie et il
tombe victime de son imprudence inspirée par le dévouement. Après
LA FIN DU GRAND CONDÉ. 291
quelques alternatives de crainte et d'espoir, le mal fit d'inquiétants pro-
grès : « Mais ny a-t-il point de danger ? demande-t-il au médecin ; ne le
dissimulez pas, > Avec une rare franchise, Morin, son docteur, lui avoue
qu'il est temps de songer aux derniers sacrements. « Voilà parler^ »
reprend le malade, et il donne ordre au P. Bergier de mander en toute
hâte, de Paris, le P. Etienne de Champs, son confesseur. En attendant
son arrivée, il murmurait, les yeux au Ciel et les mains jointes, de tou-
chantes prières : « Mon Dieu, vous le voulez ; votre volonté soit faite ;
j'accepte de bon cœur tout ce qu'il vous plaira faire de moi. Non sicut
ego volo, sed sicut tu ; » ou bien, se tournant vers son intendant : < Eh
bien, Gourville, mon ami, il faut nous séparer. » Prières ou adieux, toutes
ces paroles étaient prononcées avec une tranquillité parfaite. Le Prince
songeait à tout et à tous. Il exprima le désir de voir son fils le duc d'En-
ghien, retenu à la cour, et son neveu le prince de Conti, mais refusa de
faire venir le duc de Bourbon son petit-fils et l'unique rejeton de sa race.
A Madame la Princesse, depuis longtemps séparée de lui et confinée à
Châteauroux, il écrivit de sa main une lettre pleine de bonté et de par-
don. Il mettait ordre aussi à ses propres affaires, insistait pour que Ton
bâtit une église paroissiale à Chantilly, vœu qui fut religieusement
exécuté peu après lui, et dictait pour Louis XIV une admirable lettre,
mélange du plus noble respect envers « le plus grand Roi de la terre, >
et du plus sincère regret de ses manquements de fidélité du temps de
la Fronde, égarements qu'il croyait n'avoir pas assez réparés par tant de
marques glorieuses d'attachement et de zèle. Avec une affection presque
paternelle, il sollicitait la grâce de son neveu Conti. Louis XIV le
prévint, et, avant même la lettre reçue, il la lui expédia. Ce fut Enghien
qui l'apporta.
Mais au-dessus des Majestés d'ici-bas, Condé le savait et le croyait,
règne la Majesté divine. En règle désormais avec son souverain, il ne
songea plus qu'à son Dieu. Rien de précipité dans la manière calme et
sereine avec laquelle il accomplit ses devoirs de chrétien à cette heure
suprême. Rien d'affecté ; tout fut simple et vrai. Le mardi soir, lo décem-
bre, le P. Bergier avait quitté pour quelque temps le malade ; le mercredi,
à une heure du matin, Condé, se sentant plus faible et ne voyant pas
venir le P. de Champs, le rappela : « Il faut que vous me confessiez....
je veux recevoir Notre-Seigneur, et le plus tost que je pourrai, afin
qu'ayant plus de force et plus de connoissance, je puisse mieux accomplir
une action si importante '. > Il fit l'aveu de ses fautes, reçut le Viatique
et l'absolution du curé, puis communia de sa main et demanda pardon
pour avoir mal édifié, par ses paroles et ses exemples, son prochain, ses
domestiques et ses amis. Tous les assistants fondaient en larmes ; on le
pria de dire s'il ne désirait point l' Extrême-Onction : < Trh volontiers,
I. Nous avons suivi uniquement ici la relation du P. Bergier intitulée : La Mort de Louis de
Bourbon, Prince de Condé (1689), réimprimée par le P. A. Carayon, t. XXI II, p. 163, de ses
Documents inédits concernant la Compagnie de Jésus.
292 ÉPILOGUE.
répondit-il, Dieu me fait trop de grâces. > Ensuite, adorant Jésus en
croix, il récita la prière du publicain : Domine, propitius esto mihi
peccatori.
La journée se passa dans ces sentiments. Le P. de Champs était arrivé
vers midi. Ils s'entretinrent seuls < de tout ce qu il avait résolu avec ce
Père depuis deux ans sur ses devoirs et ses obligations > ; le Père lui
parla du roi saint Louis» son aïeul et son patron, de la Sainte Vierge, de
son Ange gardien, et, avec une confiance d'enfant, l'illustre mourant se
mit sous leur céleste protection.
Ce prince se montra jusqu'à la fin ce qu'il était : chrétien repentant et
non pas stoïque philosophe. ^ Ah ! mon pauvre Père, disait-il le soir à
Bergier, je vois les choses bien différemment de ce que je les ai vues.
Je n'ai jamais douté des mystères de la foi, j'en doute moins que jamais ;
tout cela s'éclaircit bien dans mon esprit. Oui, nous verrons Dieu comme
il est, face à face. >
Ainsi s'éteignit doucement, entre les bras des deux Jésuites, ses confi-
dents et ses amis, ce Prince, l'un des plus grands hommes de notre grand
siècle et de toute notre histoire. Cette grandeur, éclatante mais tour-
mentée, tranche sur la gloire plus unie de ses illustres contemporains.
Il connut les emportements de l'ambition et passa à travers les orages
de passions moins hautes. La piété, qui fut le premier et le dernier mot
de sa vie, a racheté devant Dieu et devant la postérité le tribut payé
aux révoltes d'une nature violente et aux témérités d'un génie inquiet.
< Monseigneur, vous nous dites des choses que nous saurons bien
placer en leur temps : elles nous seront d'un grand secours pour instruire
les peuples et tous les chrétiens, de quelque qualité qu'ils puissent être. >
Ces paroles, adressées à Condé agonisant par le curé de Fontainebleau,
nous font espérer qu'aujourd'hui encore il y avait, à les rappeler ici,
quelque honneur pour la France catholique, toujours fière de ses héros,
soucieuse de raviver leur souvenir, jalouse de leur susciter des imita-
teurs !
LE GRAND CONDÉ.
PRÉFACE
7
CHAPITRE PREMIER. — L'Entrée à Sainte-Marie de Bourges
(janvier 1630) 11
CHAPITRE DEUXIEME. — Élève et Acteur (1630. 1632) 18
CHAPITRE TROISIÈME. — Lauréat de rhétorique (1632-1633). . . 32
CHAPITRE QUATRIÈME. — Philosophie et Droit (1633-1636) . . . 45
CHAPITRE CINQUIÈME- — Stage en Bourgogne ^
CHAPITRE SIXIÈME. — A l'Académie royale 82
m
CHAPITRE SEPTIÈME. — Apprentissage du gouvernement ... 96
CHAPITRE HUITIÈME. — Débuts à la guerre 109
HENRY-JULES DE BOURBON,
DUC D'ENGHIEN.
CHAPITRE NEUVIEME. — A travers la Fronde (1650-1653) .... 1 19
CHAPITRE DIXIÈME. — Trois ans à Namur (1653-1656) 146
CHAPITRE ONZIÈME. — Philosophie à Anvers (1656-1658) .... 175
CHAPITRE DOUZIÈME. — Fin d'exil à Bruxelles (16581659) ... 210
294
TABLE DES MATIÈRES.
LE DUC DE BOURBON.
CHAPITRE TREIZIEME. — Avant le collège (1668-1676). .... 223
CHAPITRE QUATORZIEME. — Grammaire et Littérature (1677-1682). 239
CHAPITREQUINZIÈME. — Logique et Physique (16821684) ... 269
EPILOGUE.
La fin du grand Condé 290
HENRY DE BOURBON, PRINCE
DE GONDÉ, et ses fils, Louis, duc
d'Enghien, et Armand, prince de
Contl. René Palliot leur présente ud de ses
ouvrages sur la ville de Dijon. (D'après
Grégoire Huret.) 4
CONDÉ lançant son bâton de com-
mandement. (Statue de David d'Angers.) lo
BOURGES. •— Collège de Sainte-
Marie. (D'après une photographie.). . . 25
Château de Montrond. (Avant sa destruc-
tion par Louis XIV.) 33
I^ P. Denis Petau, de la Compagnie de
Jésus. (D'après Michel Lasne.) 40
Le P. Crasset. (D'après un tableau de Du
Mée, gravé par Bazin.) 41
Louis XIII. (D'après une estampe de la chal-
cographie du lx)uvre.) 49
Le P. Blnet, de la Compagnie de JésuF.
(D'après un tableau de C. le Brun.) ... 61
Le château de Vlncennes. (Dessiné et
gravé par P. Brissard.) 69
Plan des fortiflcations et du siège de
la ville de Dôle ; à gauche le quar-
tier général du prince de Condé.
(D'après une carte de l'ouvrage Le Siège de
DôUf par Jean Boy vin, conseiller de Sa Ma-
jesté en son parlement de Dôle, 1638.) . . 77
JLe cardinal de Richelieu, (D'après une
Médaille de l'Histoire de France. Chalco-
graphie du Louvre.) 85
Bataille de Rocroi. (D'après une gravure
de la collection Hennin.) 113
HENRY -JULES DE BOURBON,
duc d'Enghien (1646-1686), puis prince
de Condé. (D'après une estampe de la
chalcographie du Louvre.) 118
BOURGES. (D'après une ancienne gravure. ) 125
DUNKERQUE. (Daprès une estampe de
la chalcographie du Louvre , gravée par
N. Cochin, 1646) 149
NAMUR. — Collège et église des
PP. de la Compagnie de Jésus, au
temps du prince de Condé. (D'après
une gravure de l'ouvrage Les Délices du
Pays de Liège et du Comté de Namur^ 1748.) 161
TURENNE. (D'après une gravure de la
chalcographie du Louvre.) 165
Profil de la ville et de la citadelle de
Namur, dessiné par P. Le Pautre en 1692,
sur l'ordre de Louis XIV 169
Ancien collège des Jésuites d'Anvers.
(D'après un plan en relief delà ville, 1635.). 177
Maison de campagne des Jésuites
d'Anvers (D'après une gravure du Bralnint
i//«j//-/, XVII*' siècle.) 185
Hôtel de ville de Bruxelles 209
Château de Saint-Maur. (D'après une
gravure de la chalcographie du Louvre.) . ; 217
LOUIS DE BOURBON, petit-fils du
Grand Condé. (D'après le tableau de Le
Dart gravé par Stéph. Gantrel.) .... 222
Le Père Oliva, de la Compagnie de Jésus.
(D'après un tableau de J.-B. 6auli> gravé par
P. Simon.) 229
LOUIS XIV. (D'après une gravure de la
chalcographie du Louvre.) 232
Bataille de Senef. (D'après une gravure de
X Histoire des ProvinceS'Unies^X'joi.^ . . . 233
LOUIS-LE-GRAND, ancien collège
de Clermont Jusqu'en 1682. (D'après
une photographie de Pierre Petit avant la
démolition actuelle. ) 241
Chantilly. (D'après une estampe de la chal-
cographie du Louvre^gravée par Jean Rigaud. ) 249
Le Père Menestrier. (D'après une estampe
gravée par Stéph. Gantrel, 1687.) . . . 257
Achille 256.
Aenchot (duc d') 184.
Agard (Etienne) Voir Champs.
Agard (Paul) 30.
Agen 144*
Aiguillon (le P. François d»), jé-
suite 178, no 8, 198.
Aiguillon (duc d*) 237.
Aiguillon (Marie de Wignerod,
dudbesse d') 240.
Aire-sur-la- L>^ 112.
Albe (duc d') i8i.
Albret (Henry-Jules de Bourbon,
duc d'), puis duc d*Enghien et
prince de Condé. Voir Eughien.
Alençon 237.
Alexandre 29, 256.
AUaire (M. Etienne) 242, n. 2,
243, n. 5, 284.
AUeaume (le P. Gilles), jésuite
225, 234, 235, 237, 238, 242,
245f 246, 247, 248, 250, 251,
256, 259, 261, 262, 263, 270.
274, 276, 281, 284, 287, 289.
Alluye (Escoubleau de Sourdis,
marquis d') 83.
Almiridiens (cité des) 29.
Amiens 23, ii^.
Amsterdam 198.
Ango (le P. Pierre), jésuite 286.
Annibal 256.
Anvers 8, 157, 175, 176, 178,
179, 180. 151, 182, 183, 184,
186, 187, 190, 191, 192, 193,
194» 195. '96, 197. 198. 199.
200, 205, 206, 207, 215, 220,
274.
Arenberg (maison d') 159, 160,
174.
Argilly J3.
ArL«tote 41, 278, 280, 281, 282,
285.
Armagnac 2^3.
ArnaïUd (Antoine), abbé 87, 88,
95.
Arnauld d*Andilly 87.
Arnauld (Henri), évéque d* Angers
87.
Amay-le-Duc 35» 98.
Arras 108, iio, 163, 164, 171
Astion (saint), martyr 29.
Aubery (le P. Jean-Henri), jé-
suite 1 10.
Audenarde 210.
Aumale (Mgr le prince Henri
d'Orléans, duc d*) 8, 12, 26, 72.
Auteuil (comte d*) 134, 135, 144,
151, 152, 211, 218.
Autriche (Anne d*) 126.
Autriche (don Tuan d') 146, 171,
176, 183, 186, 194, 196, 200,
210, 213, 214.
Autun 35.
Auxerre 35, 67, 68, 71, 76, 78,
79, 80,81,92.
Auxonne 34, 105, 251.
Avallon 35, 75, 76, 79, 80, 81, 96.
Avignon 12.
B
Baesten (le P. Victor), jésuite 8.
Bapaume 112.
Baraton (Pierre) 30.
Barrière (Henri de Taillefer, sieur
de) 170.
Bargur-Seine 35.
Baume (Claude de la), comte de
Saint- Amour 166.
Baune (le P. Jacques de la), jé-
suite 237, 245» 249. 256, 257,
258, 259, 260, 262, 263, 266,
267, 271, 287.
Bavière (Anne de), duchesse d*En-
ghien 224, 225, 228, 230, 231,
232, 240, 263, 280, 285.
Bayle 263.
Beauchemin (M. de) 103.
Beaujeu (de) 63.
Beaumont (camp de) 156.
Beaumont (comte de) 102.
Beaune 34.
Behourt (Jean- Baptiste) 43.
Bellegarde (ou Seurre) ^5.
Belleperche 83, 86.
Belley 35.
Bengy-Puyvallée (M. P.-J. de)
15, 16.
Benjamin 8, 87, 88, 89, 92, 93,
95-
Benserade (Isaac de) 260, 261.
Berger Voir Bergier.
Bergier (le P. François), jésuite
153. 181, 190, 199, 200, 204,
208, 214, 215, 216, 218, 231,
234, 245, 346, 248, 251, 259,
261, 262, 269, 270, 280, 291,
292.
Berpues 210.
Bennghem (marquis de) 23a
BéruUe (cardinal de) 52.
Besançon 72.
BettendorfT (le P. Philippe), Jé-
suite 167.
Bèze (M. de) 104.
Billy (de) 253.
Binet (le P. Etienne), jésuite 59,
62, 91.
Blasset (Nicolas) 115.'
Blois 23.
Blois (Mlle de) 254.
Blondeau 160.
Boel 283.
Boileau-Despréaux 173, 288.
Bois (le P. François du), jésuite
178.
Boivin (le président) 103.
Bonfrère (te P. Jean), jésuite 170,
172.
Bordeaux 86, 124, 125, 126, 133,
136. 137. lA 139, 143. I44t
146, 152, 162, 170, 182, 211,
220.
Bossuet, évéque de Meaux 43, 50,
114, 115, 208, 215, 224, 29a
Bossuet (M.) 102.
Bouchage (du) 262.
Boucher (le P. Claude), jésuite 45,
47. 56. 67. 128, 215, 226.
Bouchet (du) 262, 286.
Bouchu (présidente) loi.
Boufet 20, 26.
Bouhours (le P. Dominique), Jé-
suite 267.
Bouillon (duc de) 126, 143.
Bouillon (cardinal de) 255.
Bourbon. — Voir Condé, Conti,
Enghien.
Bourbon (Louis HI de Bourbon,
duc de), petit-fils du grand
Condé 7, 231, 232. 233, 237,
238, 240, 242, 243. 245, 246,
247, 248, 250, 251, 252, 253,
254, 255. 256, 257, 258. 259,
260, 261, 262, 263, 264, 265,
266, 267, 269, 270, 271, 272,
273. 274, 275, 276, 277, 280,
281, 282, 283, 284, 285, 286,
287, 288, 289, 291.
Bourbon (Marie-Thérèse de) 229,
248.
298
TABLB DES PRINCIPAUX
Bourbon (Louis-Bordeaux de Bour-
bon, duc de) 134.
Bourbon (Louis de) 230, 231.
Bourdaloue (le P. Louis), jésuite
22, 53, 112,270.
Bourdelot (Pierre Michon , dit
Tabbé) 120, 122, 123, 124, 128,
I30f 131. 132, 152, 160, 219,
23s, 248.
Bourdin (le P. Pierre), jésuite 32,
286.
Bourg-en-Bresse 35, 98.
Bourges 7, II, 12, 15, 18, 19, 20,
23, 26, 27, 37. 43, 46, 47i 48,
501 52. 53. 57f 58, 59, 60, 62,
64, 66, 67, 82, 89, III, 124,
125, 126, 128, 132, 133, 136,
137, 156, 160, 169, 176, 178,
180, 185, 215, 220, 226, 230,
234, 262, 270, 286, 290.
Bourgogne (abbé Jean de) 179
Bourgogne (ducs de) 260, 270.
Boussu 151.
Boyer (M. Hippolyte), archiviste
du Cher 8, 20, 28.
Brady (Hugues) 184.
Bredael (Martin) 184.
Breuil (le F. Jean du), coadjuteur
jésuite 286.
Brichanteau (Philibert de), évêque
de Laon 58.
Broé (François) 60.
Broglie (marquis de) 277.
Broisbreuil (Biaise du) 30
Bruges 148, 149.
Bruxelles 8, 134, 146, 149, 154,
15s, 156, 157. 161, 167, 176,
186, 187, 191, 193, 194, 195,
200, 203, 204, 207, 210, 211,
213.
Biiade 78.
Bucquoy (comte de) 151.
Bulot (Balthazar) 150.
Busseuil (de) 63
Cabardos (Damien) 242.
Caen 236.
Calvin 52, 281.
Cambrai 157, 196, 197.
Camille (Camille de Lorraine, dit
le prince) 253, 261.
Caracena (marquis de) 155, 171,
183, 184, 211, 213, 214.
Cardenas (Alonso de) 183.
Carthage 265.
Case (Jean délia Casa ou de la)
122.
Cassini 263.
Calon 121, 122, 123.
Caussin (le P. Nicolas), jésuite 66,
90, 91.
Ceriziers (le P. René de), jésuite
puis abbé 109.
Cernet (baron de) 152.
César 256.
Chabot 119.
Chaillou ( Amelot de)
Chalon-sur-Saône
Chalype
Chambord
Champ|[rand
Champion
277.
35.
253.
231.
131.
80.
Champs (le P. Etienne Agard de),
jésuite 13, 21, 22, 53, 130, 132,
234, 262, 267, 288, 291, 292.
Chantilly 8, 115, 153, 227, 231,
232, 236, 245, 246, 247, 250,
251, 254, 259, 261, 266, 269,
270, 274, 276, 280, 281, 287,
288, 289, 290, 291.
Charles II Stuart 207.
Charles II, roi d*£spagne 255.
Charles-Quint 179, 192.
Cbarlet (le P. Etienne), jésuite
50, 66.
Charolles 35.
Charrier (abbé) 182
Chassebras (P. René), jacobin 60.
Châtillon 26, 35.
Châteauroux 12, 191.
Chaumont 58.
Chevreuse (duc de) 27 1.
Chicaneau 242.
Chimay (prince de) 166.
Christine (reine de Suède) 132.
Cicéron 122, 123, 124, 130, 131,
167, 251, 266.
Cinq-Mars 88.
Claus (Noël) 184.
Clermont (collège de Clermont,
puis de Louis-le-Grand, à Paris),
37* 67, 98, 173, 224, 225, 227,
237i 238, 239, 240, 242, 244.
245, 251, 252, 251c, 263, 265,
267, 270, 286, 288.
Cocquelin (François) 30.
Coefleteau, évêque de Marseille
55.
Colbert 136, 216.
Colin 71.
Comeau 102.
Commire le P. Jean), jésuite 267,
287.
Compiègne 234.
Condé (Henri II de Bourbon,
prince de) 12, 13, 15, 19, 20, 22,
23. 24, 25, 26, 27, 28, 30, 32,
33» 34, 35, 36, 40. 42. 46. 47,
49, 50, 51, 52, 54, 55, 56. 57,
58, 59, 60, 62, 63, 66, 67, 68,
70. 7ï, 72, 73, 74, 75, 76. 80,
81. 82, 90, 91. 94, 95, 96, 97,
98, 99, 100, loi, 104, 105, 106,
107, 108, 109, iio, III, 112,
120, 124, 129, 137, 215.
Condé (Louis II de Bourbon, duc
d'Enghien, puis prince de Condé,
dit le Grand) 7, 8, 10, ii, 12,
13, 14, 16, 18, 19, 20, 22. 23.
24, 26, 27, 28, 29, 30. 31, 32,
33, 34, 35, 36, Z7, 38, 39, 42,
43» 45, 46, 47, 48, 49, 5©, S',
52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 60,
62, 63, 64. 66, 67,68,70, 71,
72, 73, 74, 75, 76, 78, 79. 80,
81, 82, 83, 85, 87, 88, 89, 90.
9ï, 92, 93, 94. 95. 96. 97. 98,
99, 100, loi, 102, 103, 104,
105, 106, 107, 108, 109, lie,
III, 112, 113, 114, 115, ii6,
120, 123, 124. 125, 126^ 127,
128, 129, 130, 132, 133, 134,
135, 137. 138. 146. 147. 148,
149, 151, 152, 153. 154. 155,
156, 157, 160, 161, 163, 164,
167, 171, 173, 177, iy% 180,
181, 183, 184, 185, 186, 187,
188, 189, 190, 191, 192, 193,
194. 19s, 196, 197. 199. 200,
201, 202, 203, 204, 205, 207,
210, 211, 212, 213, 214, 215,
219, 220, 223, 224, 225, 226,
227, 228, 230, 231, 232, 233,
234, 235, 237, 238, 240, 243,
244, 247, 250, 251, 252, 254,
256, 259, 260, 261, 262, 264,
266, 267, 269, 270, 271, 272,
273, 274, 280, 281, 286, 287,
289, 290, 291, 292.
Condé (Louis-Joseph de Bourbon,
prince de) 26.
Conti (Armand de Bourbon, prince
de) 33, 43, 98, 133. 138. 143.
173, 227, 228.
Conti (Louis-Armand de Bourbon,
prince de) 254, 291.
Contremois 19.
Corneille (dit le Grand) 28, 265.
Cosnac 144.
Coulommiers 214.
C^urtrai 285.
Cousin (Victor) 90.
Créqui (maréchal, duc de) 285.
Cromwell 170, 210.
Cujas 52.
D
Daix 70.
Davin (abbé) 37.
Davisson 247, 252, 281.
Davon 242.
Dekens (le P. Thomas), jésuite
177, 181.
Delisle (M. Léopold), administra-
teur de la Bibliothèque natio-
nale 8, 28, 43.
Déols 12.
Desbillons (le P. François-Joseph),
jésuite 20.
Des Bois (Engelberl), évêque de
Namur 156.
Descartes 46, 197, 269, 275, 278,
279, 280, 282, 283, 284, 286.
Deschamps (Claude) 30.
Deschamps (M.) 242, 280, 286.
Desloges 148.
Desmaizeaux 152.
Desormeaux 36.
Despautère 121, 122, 130.
Desprez 134.
Diertins (le P. Ignace), jésuite
178.
NOMS DB U£UX ET DE PERSONNES.
209
Dijon 19, 35, 63, 66, 68, 72, 73,
75* 76, 80. 89. 9*. 95. 96, 97,
98, 99, 100, loi, 103, 105, 107,
108, 126, 204, 230, 251, 290.
Dioclétien 29.
Dixmude 210, 285.
Dole du Jura 72, 74, 80, 94, 103.
Donneau de Vizé 265.
Dorlix (Pierre) 184.
Douai 198.
Drouet (Jean) 30.
Dubois 160.
Dubuisson-Aubenay 106, 129, 13a
Dumoulin (le ministre) 52.
Dunkerque 147, 148, 149, 210.
Duprat (Guillaume), évêque de
Clermont, fondateur du collège
de Clermont k Paris 244.
Durieu (le P. Pierre), jésuite 195.
Dussart (le P. Marc), jésuite 166.
Duval de Bonneval (Jacques) 30.
Foissey (le P.), jésuite 15.
Force (de la) 93.
Forges 113.
Fourcroy (le P. Louis de), jésuite
16, 2a
Francfort 201, 205, 206, 207.
Francine (de) 99, 102.
Fribourg 120, 202.
Fuensaldagna 155, 156, 163, 171.
Fumes 2x0.
Fttsco Mataloni 186, 191, 195.
Edouard (prince Palatin du Rhin)
224.
Enghien (Henri-Jules de Bour-
lx>n, duc d'Albret, puis duc
d'Enghien et prince de Condé),
fils du grand Condé 7, 119,
120, 123, 124, 129, 130, 131,
132, 133. 134. 136, 137. 139.
140, 141, 142. 143, 144, 145,
146, 147. 148, 150. 151, 152.
153, 154, 155, 156, 157. 159.
160, 161, 162, 163, 164, 166,
167, 168, 169, 170, 171, 172,
173. 174, ^75, 176. 177» 178,
179, 181, 182, 183, 184, 185,
187, 188. 190, 194, 19s, 196,
I97> 19S, 199» 200, 201, 202,
203, 204, 205, 206, 207, 210,
211, 213, 214, 215, 216, 219,
224, 225, 226, 227, 228, 230,
231, 232, 233, 237, 238, 240,
245, 251, 260, 261, 264, 266,
271, 274, 28c, 285, 287, 289,
291.
Enghien (duchesse d'). — Voir
Bavière (Anne de)
Epictète 29.
Epoisses 8, 200, n. i, 219, n. i.
Eu 23.
Faille (le P. Jean-Baptiste délia),
jésuite 177, 198.
Farot 212.
Fénelon 43, 260.
Feransac (de) 253.
Ferdinand (empereur) 37, 205,
Fiesque 83. 154.
Filleau (le P.), jésuite 15.
Flèche (la) 12, 23, 37, 46. 237,
269, 270.
Gaillard 242, 274.
Galatée 121, 122.
Gand 149, 199, 200, 204, 290.
Gassendi 282.
Genève 43, 59, 228.
Gentilly 288.
Gerbier (Mlle) 147.
Girard (Jean) 30, 98, 99, 107.
Glocester (duc de) 207.
Glymes (Charles et Alexis de)
160.
Godard 160.
Godrans (les) 70, 71, 73, 104,
108, 251,
Gonzague de Clèves (Anne de)
224.
GosMrin-Nickel (le P.), général
des jésuites 138, 139, 140, 141.
Gottifredi (le P. Louis), général
des jésuites 137, 138, 215.
Gourville 340, 288, 289, 291.
Gouthière (le P. François), jésuite
45. 58.
Gouyon (abbé de) 144.
Gramont 83.
Grand-maire (Mlle la) 75, 78, 80.
Grasset 19, 20, 25, 26, 43, 63,
III.
Grégoire XIII 43.
Grégoire XV 12.
Gu&auld 83, 93.
Guilleragues 143.
Gui- Patin 120.
Guitaut (Guillaume, comte de)
151, 199.
Guitaut (M. Athanase, comte de)
8, 219, n. I.
H
Halle 265.
I lanovre (duchesse de) 24 1 .
Ilautefort (Mme de) 90.
Havre 120, 123.
Henri III t<4.
Henri IV 37, 83. 84.
Henrichemont (prince de) 238.
I I éroard ( médecin ) 231.
Hocquincourt (maréchal d') 171,
207.
Homère 38.
Ilornes (Jacques- Philippe de) 179.
Hovyne
Humières (maréchal d')
Hurault de Cbevemy
Huret (Grégoire)
183.
285.
83.
36.
Innocent X
Isembonrg (comte d')
138.
210.
Jacques-Cœur 13, 14, 15, 22, 45,
57, 58, 60, 64, 71, 133. 156.
Jean IV (duc de Brabant) 175,
176.
Jeanne de Valois (sainte) 14.
Jésuites (Pères) 11, 12, 15, 20,
40, 46, 47. 50. 52. 58, 59, 66,
70,94,98, 116, 127, 130, 137,
149, 160, 176, 177, 178, 179,
186, 187, 190» 19Ï. 192, 193.
194, 195, 196, 198, 215, 219,
233, 238, 245, 251. 262, 263,
268, 270, 274, 277, 280, 284,
286.
Jourdain loi.
Jouvancy (le P. Joseph de), jé-
suite 256, 257, 267.
Jules-César 1 19.
La Barbe i6a
Labbe (Henri) 30.
La Bruyère (Jean de) 235, 236,
284.
La Buffetière 56, 63, 83, 98, 99,
102, 104.
La Châtre 126.
La Falluère (le P. François de),
jésuite 136. 137, 152, 181, 190,
194, 208, 214, 215, 218.
La Fayette (M"* de) 288.
La Fayette (M«"« de) 90, 91, iio.
La Ferté (maréchal de) 171.
La Fontaine 52 134, 135, 152,
157, 260, 261.
La Guérinières 78.
Lallemand(P. Louis), jésuite 48,
58.
La Masete 34.
La Meilleraye 73,112.
La Mennais 146.
Lamoignon (Chrétien- François de)
21^, 216, 218, 277, 288.
La Motterie (comte de). Voir
Lannoy ( Philippe de).
Langeron (M"^ ae) 254.
Lanmary (de) 262.
Lannoy (Philippe de), comte de
La Motterie 148, 149, 151, 153.
Laon 58.231.
Lapcyre 39, 42.
TABLE DES PRINCIPAUX
Lupiene 34Z.
Ijudioou i6o.
La R«ynie 355.
La Rocheloucaulil (Fruifou de)
La Vallièie (Louise de) 254.
La Vndure 105, 107.
Le Bouchet 24'-
Leboucq (Simon) 150.
Le Breton 34.
Lecomte 342.
Le Dud 366.
Lede (muqoù de) 147.
Le DcDl (Le P. Maximilien), jé-
suite 17&
Le Gascon id6, 107.
Le Heiichon lie F.}, jésuite laj
LeJaï(leP.).jfauile 267.
Le Maiiat (le P. Louis), jésuite
58, S9. 60, III.
Le Mire (Jean) 198.
Le Moyne (le I'. Piene), jésuite
71-
Lemuel (chanoine) 68.
Lenet 23, 45. 5*. 53. SS. S^, 67.
8z, 83, 87, 92. III, izo, 125,
134. '35. 136. "42. 144. "47.
151. 152, 154, 15s, 156, 162,
171, 171, 182, 303.
Léopard (Macéde) 13.
Léopold I 305, 307.
Léopold (archiduc) [46, 147, 148,
149. IS7. 163, 171, 195, "96.
Le Paige (le P. Nicolas}, j&uile
143. a44.
Lesparre 145, 147.
Le Tclllcr 216, 365.
Lévis de Veniadour (Mgr Anne
de) 127.
L'HosIe (Jean) 186, 193,
Liège 186, 193.
Licre (Arnold Van) 179,
Lille 300, 22!
Lingendes (de), évSque de SarUt
92, 111.
Londres 170.
Longueville (chevalier de) 2E0,
aSi.
Longueville (du ^ de) 211, 216.
Longueville (M™ de) 33, 93, 99,
129, 132, 281.
Lorme (Philibert de) 67.
lorraine (duc de) 163.
Losson(le P. André), jésuite, 17!!,
187, 190.
Louis (raint) S, 119, 336, 256,
Louis'xiEI 37, 48, 67, 84, 87,
90, 91, 102, 110, III, 114,
13s. 331.
Louis XIV 7, 34, 101, 102, 119,
126, 132, 133, 135, 148, 157,
173, 202, 223, 228, 230, 211,
254, 255, 260, 26S, 2S5, 286,
Lonvain 175, 176, 179, 180,
184, 186, 187, 190, 191, 193,
193. 194. 19S-
Louvois 353, 263, 265.
Luile (Raymond^ 382.
LusliMC (Louis de la) 30.
Luynes (de) 83.
Lyon 13, 86, 237.
M
Mfieon 35.
Maçon (M. G.) S.
Macs (Guillaume) 184.
Magdelaine (M. de la) I9-
Magistry (Jean) 30.
Maillé-Brézé (Claire-Cléoiencede,
duchesse d'Engbien, pois prin-
cesse de) 108, 119, 130, 134,
126, 127, 12S, 132, 133, 145,
146, 147, 148, 150, 151, 153,
IS4. 157, 313. 314. 334, 340.
Maillot (le F. Ignace), jésuite.
178.
Maillr(Renéde 3a
Malines 154, 157, 183, 313.
Malteste loi.
Manesson-Hallet lAllain) 286.
Muidersche}rdt [le P. Charles
Von}, jésuite 226.
Marcelis (Pierre) 1S4.
Maichin (Mme de] 152.
Maichin (comte de) 134, 135.
Maiigny (Carpentier de Matigny,
dit l'abbé de) 143, 169, 170,
iSt, 182, 19a, 197, 199, 200,
201, 202, 203, 204, 205, 306,
307.
Maiillac (abbé de) 288.
Marseille 286.
Maitellange(ElieDDe, Titre]
Mar
175-
(le r. Isaac), jésuile.
27a, 371, 273, 274, 275, 276,
277, 37^, 279, 280, 281, 283.
Malheau (François) 30
Maubeuge 214.
Mauch (le P. Christophe), jésuite
163, 167.
Mautour (de) 33, 56.
Mayence 37, 156, 207.
Maiarin (Jules), cardinal I19, 14e,
171. 312.
Médicis (Marie de] 340.
Memont (de) 211, 212, 213.
Menesliier (le P. Claude-Fian-
çois), jésuite 255, 356.
Menou (René de) 86.
Mérigot (te P. Claude), jésuite 79.
Mérille (Edmond) 52, 53, 54, 56,
58. 60, 62, 63.
Mérouville (le P. de), jésuite 267.
Milliet de Châles (le P. FrançoU),
jésuite 386.
Hilly 131.
Mohiie 73, 130, 173, 24S, 258.
Mou 151, 181.
Monslronl (Jean de) 30.
Mantel(le P.), jésuite 169.
MonlmoreDcy (Charlotle-Margue-
lile de), priDcesse de Coodé
36, 67, 93, 9J, 334.
Monlreuil (de) 25, 56, 73, 99,
105.
53. SS. 56.
IDS, 130, 132, 133, '34, 130,
138, 130, 131, 133, 133, 143,
160, 163.
Mottet (le p.), jésuite 70.
Moulins 33, 386.
Mu9iiier(IeP.),jésaite66, 71,98,
99, 100, 101, I03, 104, los,
106, 107, 110, III, 113, 113,
114, 116, 141.
Vamur 8, 152, 154, 15S, 156.
■57. 158, 159. 160, 161, 163,
164, tâ6, 167, 168, 170, 171,
17». 173. 174. 175. '8". "96.
Nancy 33.
NaQgiis(M.) 83.
Narbonne 114,
Nassau (prince de) 183, 353,
Nemours (de) 83. 112, 113.
Nesmond (de) 9a
Nevers 33.
Nigeon 93.
Nivelle 314.
Nordlingen 120, 202.
Nuits 35-
Otiva (le P. Paul), général des jé-
suites 226, 230. 333, 334, 235,
343, 367.
Opbemius (Michel) 184.
Orange (prince d') 231.
Orgeval fd') 98.
Orléans 234, 369.
Orléans (Maiïe-Louise d') 355.
Orléans (Philippe d') 355.
Orlians (Gaston d') m, 129.
Osy (François) 53.
NOMS DE LIEUX ET DE PERSONNES.
301
Paris 7, 8, il, 37, 38, 43. 47
58, 64, 67. 82. 86, 87, 89, 90,
92. 93. 94. 96, 97. 98, 99
108, iio, III, 114, 119, 120
124, 125, 126, 128, 129, 132
136. 144, 146, 157, 170, 192
200, 214, 218, 225, 227, 228
231» 233, 234, 2î7, 245, 250
251, 261, 267, 281, 287, 288
290, 291.
Pascal 283
Passage (du) 171, 172
Paulin (le P.), jésuite 1^7
Pelletier (le P.), jésuite 20, 23
24, 25, 36, 37, 45. 46, 48. 5ï
S2. 53. 54. 55. 56, 57, 5». 59
60, 62, 63, 64, 66, 67, 71, 74
75. 76, 79, 80, 81, 83, 86, 89
91. 93. 94. 97, 98,199, loi. >o5
iio, 141.
Pellisson 270
Pcllot (Claude) 237
Perez (Antoine) 184.
Péronne 171
Perrault 1 14
Perret 102
Perrot 60
Persan 133
Petau (le P. Denis), jésuite 37
38, 39. 40, 42.
Pètre-Champvans 103
Philippe II 156
Philippe IV 147, 176.
Piccolomini (le P. François), gé
néral des Jésuites 137
Pinchart 160
Pinette (le P. Jean), jésuite 233
243. 258.
Pinson (Louis) 30, 60
Piron (Aimé) 104
Pirot 75. 80
Pluvinel (Antoine de) 84, 85
86, 87.
Poitiers 86
Pommereau (le P.), jésuite 243
Poncher (Henri) 30,
Pontanus (Jacques) 184
Pont-Aymery
Pré (du)
Précy-sur-Oise
Preud*homme
Prieur
Pjrrrhus
84, 86, loi
87. 89
252
160
242
256
Q
Quarré (chevalier)
Quillon (Pierre)
R
99.
30-
Ragueneau (le P. Paul), jésuite
18, 24, 25, 27, 28, 32, 215.
Rahier (le P. Ignace de), jésuite
173.
Rantre (Philippe de) 150
Rapin (le P. René), jésuite 94
218, 267.
Rapal 21, 28, 53
Reims 198
Rennes 91
Renson (Jacques) 184, 186, 193
194, 195. 196.
Retz (cardinal de) 170, 181
Ricardeau (frère) 280,
Richelieu (cardinal de) 37, 46, 82
85, 88, 89. 90, 92, 94, 99, 108
iio, III, 112, 114, 240.
Riglet (Charles) 30
Rivault 84, 85, 86
Roberty 277
Robinet 224
Rochefort (chevalier de) 147
Rocroi 50, 109, 114, 115, 116
119, 120, 147, 148, 151, 152
ï53. X54, 202, 290.
Rohan-Soubise (Armand de) 16
Roisin (baron de) 150,
Rolland 58
Rollin (le P. Jean-Baptiste), je
suite 27, 43, 47, 48
Rome 23, 47, 50,55,66, 71
loi, 137, 138, 156, 214, 215
227, 235, 287.
Roquette (Gabriel), évêque d'Au
tun 281
Rosel (le P. Jacques du), jésuite
234. 23c, 236, 237, 238, 242
245, 246, 247, 248, 249, 250
251, 256, 258, 259, 261, 262
269, 273, 276, 284, 287.
Rouen 43, 236, 237, 270
Rousselet (le P. ), jésuite 78.
Rubion (Antoine) 30
Sablé (le P.), jésuite 256.
Saint- Amand 23, 126.
Saint- Aubin (de) 124.
Sainte-Marie (collège) 7, 12, 13,
14, 15, 16, 18, 20, 21, 24, 27,
29, 32, 39» 45. 46, 47. 48, 50.
55. 56, 57. 58. 59. 60, 61, 64,
67,82, III, 125,127, 130, 132,
136, 138, 156, 178, 226, 234,
27a
Saint-Estienne 210,211.
Saiut-Evremond 151.
Saint-Fargeol (Charles de) 30
Saint-Germain-en-Laye 82, 102,
230, 254, 288.
Saint-Jean-de-Losne 34.
Saint-Marc-Girardin 26a
Saint-Maur 67, 92, 93. "32, 138,
214, 288, 289.
Saint-Pol (comte de) 216.
Saint-Simon 152, 162, 163, 182,
203, 218.
SaintSulpice 22, 119, 223, 263.
Saint- Vincent (le P. Grégoire de),
jésuite 198.
Salanove (Fabien-Henri) 173.
Sanderus (chanoine) 198, 205.
Sarasin (François) 143.
Schilder (Le r. Louis de), jésuite
190, 191.
Schônbom (Jean-Philippe de) 207.
Scudéry ( Madeleine de) 103.
Seiglière (Le P. Charles), jésuite
73.
Senecey (de) 83.
Sévigné (M"* de) 120, 248.
Sigaud de Lafond 14.
Simon (François) 30.
Sirmond (Le P. Jacques), jésuite
266.
Soarez (Le P. Cyprien), jésuite
37.
Souvré (de 135.
Spanheim(Ezéchiel) 140, 163, 219.
Strozzi (marqub) 148, 149.
Sully (duc de) 23, 52.
Tacquet (P. André), jésuite 178,
198.
Tacon (le P. François), jésuite
9a
Talmont (prince de) 264.
Talon (P. Nicolas), jésuite 227,
228, 250, 258, 276, 283, 287.
Tarteron (le P. ), jésuite 267.
Tavannes (marquis de) 70, 98.
Térence 31.
Ternes (de) 98.
Thion ville II 6, 119.
Tillemont 28.
Tiphaine (le P. Claude), jésuite 9S.
Toricelli 283.
Torigny (Lambert de) 265.
Toulouse 234, 237.
Tours 86, 136, 269.
Tourville (de) 1 47.
Troyes 98.
Turenne (maréchal, vicomte de)
120, 143. '63. 171, 196, 210,
211, 286.
u
Uifaun VIII
53'
V
Valendennes 148, 149, 151, 152,
154, 157, 164, 171.
Valery-en-Gâtmais 19, 96.
Vallot 142.
Valois (M«^ de) 129, im.
Vtn den Creeft (Henri) 184.
302 TABLE DES PRINCIPAUX NOMS DE LIEUX BT DE PERSONNES.
Vui HouweUot (Henri) 184 ,
186.
Van McDit (le F. J.-a). jésuite
S.
Vanne» 234, 270,
Vbd Vianen (François) 1S4.
Varennei (maïquU (tea) 100.
VavuKurde P. ), jésuile 224, 256,
ï67, 287.
Venladoui (ducbessede) ïiS, 258.
Vera
Versailles
.1 (de)
265.
230, 236, 260.
Vervins log, iio, 214.
Vigeao (Marthe du) Ita
Vilargoii (de) 91.
Viile-aux-Clercs (de la) 93.
Villeroy (dt) 13s.
ViDcennei 67, 120, 138,828.
Viole (président) 191, 192, 193,
311.
Vîtetleschi (le P. Mutius), général
des Jéïuitet 1 2, 24, 60, 66.
Vouldr (du)
Voyiins (le F. A. de), jésuil
w
Wachlendpnck (Jean de),
de Namitr 156, )
WignaconrE (Antoine de)
Wonrst {Htm)
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